La filiale française de l'American Mutoscope and Biograph Company

Jean-Claude SEGUIN

LA FILIALE FRANÇAISE DE L'AMERICAN MUTOSCOPE AND BIOGRAPH COMPANY

Les premiers accords avec Gaumont (novembre 1897-septembre 1898)

Avant même de fonder sa première filiale française, l'American Mutoscope Company Co. prend contact avec la maison Gaumont pour trouver un accord sur la fabrication d'appareils. Dans la correspondance commerciale de la société, on trouve un premier courrier de Ladislas, Victor Lewitzki qui évoque ces échanges : 

11 octobre 1897
Cher Monsieur.
-J'ai rendez-vous demain à 5 h avec monsieur Azaria.
-Devant voir demain matin un de nos Commanditaires il me serait agréable de lui montrer le Mutoscope.
Puis-je le faire prendre chez vous demain mardi 12 Courant à 8 h ½ du matin ?
Un Coup de téléphone m'obligera ce soir chez moi (414- 23) ou demain au Comptoir (230- 87) à la première [heure].
Agréez mes cordiales salutations.
L. Gaumont
Monsieur Lewitzki, E. V.


CORCY, 1998 : 258.

C'est en janvier 1898 que, dans un nouveau courrier, nous apprenons que les négociations au sujet de la fabrication des mutoscopes sont presque arrivées à leur terme :

2 janvier 1898
Cher Monsieur Lewitzki,
[...]
Je m'occupe de l'établissement du prix de revient pour les Mutoscopes. Les formes que vous nous indiquez rentrent un peu dans ce que nous comptons proposer.
Ne pourriez-vous pas me dire à quel prix approximatif il faut pouvoir arriver ?  Ce renseignement m'est nécessaire pour régler mes modèles.
[...]
Bien cordialement.


CORCY, 1998 : 281.

Les mutoscopes de salon construits par Gaumont sont disponibles à partir de la mi-janvier (lettre de L. Gaumont à G. Grant, 18 janvier 1898.Reproduite dans CORCY, 1998: 289). L'échange de courrier se poursuit au cours des semaines suivantes avec Lewitzki et Koopman toujours pour des questions de mise au point et de livraison d'appareils. La lettre du 27 septembre 1898 porte sur la propriété du mot "Biographe" que la maison Gaumont a déposé au greffe du tribunal de la Seine, le 17 octobre 1895 :

27 septembre 1898
Messieurs Koopman, Casier, Marvin & Dickson
Nous avons l'honneur de vous rappeler par les présentes que nous sommes tout disposés à vous abandonner complètement à partir de oe jour la propriété du mot " Biographe " dont nous avons fait le dépôt le 17 Octobre 1895 en échange de votre promesse de nous faire confirmer par écrit par la Société française du Mutoscope & Biographe dans les 24 heures qui suivront la réception de la présente ; une commande ferme de Mille Mutoscopes semblables à ceux que nous fournissons actuellement en Angleterre. Ces Mutoscopes seraient livrés dans un délai de six mois (6) et au prix de 100 francs (Cent) avec piles & lampes et au prix de 115 francs (Cent quinze) avec socle- Plaque de contrôle
non comprise. Le tout payable comptant sans escompte à la livraison.
De plus cette Société s'engagerait à nous réserver exclusivement pendant trois années à partir de ce jour la fabrication de ces appareils ou de leurs dérivés. Le prix des Mutoscopes ne pouvant être augmenté à moins de modifications.
Veuillez agréer, Messiems, nos sincères salutations.
L. Gaumont & Cie.


CORCY, 1998: 270.

Biograph and Mutoscope Company for France Ltd (juin 1898-février 1902)

Alors que la négociation sur les mutoscopes continue avec Gaumont, une première société, la Biographe and Mutoscope for France est en train de voir le jour. Dans un premier temps, l'idée d'une fusion ou plutôt d'une absorption du Comptoir voit le jour, mais son directeur écarte clairement cette possibilité comme on peut le voir dans le suivant courrier, par ailleurs toujours consacré à la construction et à l'exploitation des mutoscopes : 

18 janvier 1898
Cher Monsieur Lewitzki,
Je profite d'un peu plus de temps pour donner les renseignements demandés par votre honorée du 3 Ct. & qui manquaient à ma lettre d'hier.
Je ne vois pas la possibilité d'entrer dans votre affaire comme Administrateur : j'ai parlé de la combinaison à mes Commanditaires & ils préféreraient plutôt me voir comme Directeur Commercial & technique ou technique tout seul. Nous en reparlerons. Pour le rachat du Comptoir ainsi que je vous l'ai dit je crains que le Syndicat ne puisse y mettre les fonds suffisants ou plutôt qu'il ne le veuille.
Pour le Mutoscope de Salon nous pourrions proposer 2 modèles l'un riche avec caisse en bois naturel, l'autre en métal. En principe Mr Koopman accepte-t-il l'idée des 2 modèles ?
Mr Grant me demande par carte télégramme un mutoscope, faut-il le lui donner avec 2 ou 3 des rouleaux laissés par vous au Comptoir ?
J'apprends par téléphone que les dessins sont terminés, je les adresserai lundi à Mr Koopman. J'ai étudié tout particulièrement l'emplacement de la tire-lire, je vous avoue sincèrement que je ne trouve pas de meilleure solution que celle existante sauf à verrouiller plus énergiquement la serrure pour éviter tout vol.
Il est entendu que si Mr K. me passait Commande ferme de 1 000 pièces je pourrai descendre au-dessous du prix de 125 francs. Je préférerais cependant pour commencer traiter à 500 pièces.
A vous lire, acceptez mes meilleurs compliments & une bonne poignée de main.
L. Gaumont & Cie
Quels sont les rouleaux que je devrai remettre à Mr Grant ? N'en avez-vous pas de plus frais à Londres ? Ceux d'ici ne me semblent pas très présentables pour les personnages dont vous m'avez parlé.
L. G.CORCY, 1998: 258-259.

Le refus courtois, mais ferme de Léon Gaumont d'intégrer la société en gestation, ne va pas pour autant freiner les ambitions de l'American Mutoscopes Co pour constituer une nouvelle entité. Cette dernière voit le jour le [9] juin 1898 et son siège se trouve à Londres (Cornhill, nº 29). Son directeur est l'homme d'affaires britannique Julian Walter Orde. Avec un capital initial fixé à £100.000, son principal actionnaire est Elias B. Koopman - directeur général de l'American Mutoscope Co - qui détient 46301 actions de £1. Compte tenu qu'il s'agit d'une filiale destinée à prendre en charge les activités de la société en France, son premier siège commercial se trouve à Paris, 29, rue Tronchet. Parmi ses premières activités, se trouve la commercialisation des mutoscopes construits pour elle par le Comptoir Général de Photographie. Une lettre du mois d'octobre donne une bonne idée des relations commerciales entre les deux sociétés :

3 octobre 1898
Monsieur Orde,
Administrateur Délégué de Biograph and Mutoscope Cie.
29 R. Tronchet, E. V.
Nous avons l'avantage de vous accuser réception de votre lettre du 1er Octobre à laquelle nous avons trouvé jointe. copie de votre commande du 28 Septembre que nous n 'avions pas reçue.
Nous devons cependant vous faire remarquer que votre lettre du 1er Octobre ne rappelle pas les conventions suivantes sur lesquelles nous sommes tombés d'accord & qui sont consignées sur la note manuscrite signée par vous. Savoir :
1º. Le décor des Mutoscopes sera le même que celui des appareils expédiés actuellement à Londres c'est-à-dire au vernis noir [...] filets jaunes.
2°. La livraison aura lieu dans nos Ateliers contre décharge. Nous ne pouvons en effet être rendus responsables des appareils une fois sortis de nos Ateliers, nous tenons donc à ce que vous vouliez bien les faire examiner par votre mécanicien qui effectuera aussi la réception ainsi que cela a lieu pour les Commandes de l'Artillerie & des chemins de fer.
Nous ferons prendre cet après-midi les Cent serrures que vous tenez à notre disposition mais nous vous serons obligés de bien vouloir nous faire livrer le plus tôt possible les 1900 serrures pour votre Commande. Nous ne pouvons arriver aux prix que nous vous avons faits qu'en menant la fabrication sans arrêts et en ayant par conséquent le plus tôt possible les dites serrures.
Pour les piles nous pensons comme vous que le mieux serait de les placer vous-même dans les appareils.
Nous commandons aujourd'hui les lampes à incandescence et les plaques de contrôle.
Nous pourrions mettre à votre disposition ces jours-ci vingt Mutoscopes mais, étant donné qu'ils sont montés av[ec] des serrures de Mr Koopman nous vous demanderions de nous décharger par lettre des réclamations que nous pourrions recevoir de notre Client pour l'échange de ces serrures.
Vous serez bien aimable de nous dire dans quel local nous devrons mettre les piédestaux qui ne vous serviront pas dans le début.
Vous nous excuserez de rentrer dans tous ces détails mais nous tenons à ce que tous les points soient bien établis pour éviter par la suite toute discussion ou malentendu.
Dans l'attente de vous lire veuillez agréer, Monsieur, nos bien sincères salutations.
L. Gaumont & Cie

La Voiture à pétrole passera prendre les serrures cet après-midi.
P.S. Ci-joint Photographie de la lettre des Douanes fixant à 100 frs les 100 kgs les droits pour l'importation des rouleaux cinématographiques.


CORCY, 1998: 360-361

La lettre en dit long sur la prudence du directeur du Comptoir Général de Photographie et sur les demandes précises qu'il formule dans le cadre de ce marché. Peu après, toujours en octobre, le "Syndicat KMCD" -  nom que se donnent les quatre fondateurs en reprenant leur initiale - va céder ses brevets à la toute nouvelle "Biograph and Mutoscope Company for France" : 

19° La cession enregistrée au secrétariat général de la préfecture du département de la Seine, le 12 octobre 1898, faite, suivant acte en date du 14 septembre 1898, à la société Biograph and Mutoscope company for France limited dont le siège est à Londres, Cornhill, nº 29 par les sieurs Elias-Bernard Koopman, demeurant à New-York (États-Unis d'Amérique), Broadway, nº 841 ; Herman Casler, demeurant à Canastota (New-York ) Harry-Norton Marvin demeurant à New York Broadway, nº 841 ; et William Kennedy-Laurie Dickson, demeurant à Orange, New-Jersey (États-Unis d'Amérique), de leurs droits à un brevet d'invention de quinze ans pris le 30 juillet 1895, par le sieur Casler, pour mutoscopes montrant les changements déposition d'un ou de plusieurs corps en mouvement.
20º La cession enregistrée au secrétariat général de la préfecture du département de la Seine, le 12 octobre 1898, faite, suivant acte en date du 14 septembre 1898 à la société Biograph and Mutoscope company for France limited, dont le siège est à Londres, Cornhill, nº 29 par les sieurs Elias-Bernard Koopman, demeurant à New-York (États-Unis d'Amérique), Broadway, n° 841 ; Herman Casler, demeurant à Canastota (New-York ) Harry-Norton Marvin demeurant à New York Broadway, nº 841 ; et William Kennedy-Laurie Dickson, demeurant à Orange, New-Jersey (États-Unis d'Amérique), de leurs droits à un brevet d'invention de quinze ans pris le 9 mars 1898 par le sieur Koopman pour perfectionnements aux appareils photographiques.
21° La cession enregistrée du secrétariat générale de la préfecture du département de la Seine, le 12 octobre 1898, faite, suivant acte en date du 14 septembre 1898. à la société Biograph and Mutoscope company for France limited, dont le siège est à Londres, Cornhill, nº 29 par les sieurs Elias-Bernard Koopman, demeurant à New-York (États-Unis d'Amérique), Broadway, n° 841 ; Herman Casler, demeurant à Canastota (New-York ) Harry-Norton Marvin demeurant à New York Broadway, nº 841 ; et William Kennedy-Laurie Dickson, demeurant à Orange, New-Jersey (États-Unis d'Amérique), de leurs droits à un brevet d'invention de quinze ans pris le 4 mai 1897, par le sieur Casler, pour perfectionnement aux mutoscopes.
22° La cession enregistrée du secrétariat générale de la préfecture du département de la Seine, le 12 octobre 1898, faite, suivant acte en date du 14 septembre 1898. à la société Biograph and Mutoscope company for France limited, dont le siège est à Londres, Cornhill, nº 29 par les sieurs Elias-Bernard Koopman, demeurant à New-York (États-Unis d'Amérique), Broadway, n° 841 ; Herman Casler, demeurant à Canastota (New-York ) Harry-Norton Marvin demeurant à New York Broadway, nº 841 ; et William Kennedy-Laurie Dickson, demeurant à Orange, New-Jersey (États-Unis d'Amérique), de leurs droits à un brevet d'invention de quinze ans pris le 18 mai par le sieur Casler, pour perfectionnements aux appareils à vues consécutives.
23° La cession enregistrée du secrétariat générale de la préfecture du département de la Seine, le 12 octobre 1898, faite, suivant acte en date du 14 septembre 1898. à la société Biograph and Mutoscope company for France limited, dont le siège est à Londres, Cornhill, nº 29 par les sieurs Elias-Bernard Koopman, demeurant à New-York (États-Unis d'Amérique), Broadway, n° 841 ; Herman Casler, demeurant à Canastota (New-York ) Harry-Norton Marvin demeurant à New York Broadway, nº 841 ; et William Kennedy-Laurie Dickson, demeurant à Orange, New-Jersey (États-Unis d'Amérique), de leurs droits à un brevet d'invention de quinze ans pris le 3 août 1897, par le sieur Casler, pour mécanisme d'amenée et de manipulation de tissus pour appareils à vues consécutives, machines à projections et autres appareils du même genre.


Bulletin des lois de la République Française, XIIe série, Deuxième Semestre de 1900, Paris, Imprimerie Nationale, 1901, p. 896.

C'est Léon Gaumont, lui-même, qui va faire une démonstration du mutoscope au cours de la séance du 4 novembre 1898 de la Société Française de Photographie :

M. L. GAUMONT présente et fait fonctionner un appareil cinématographique dénommé "mutoscope", employant des épreuves sur papier.


Bulletin de la société française de photographie, Paris, nº 22, 1898, p. 532.

Dès novembre 1898, plusieurs salons s'ouvrent à Paris : 1, boulevard des Capucines 27, boulevard Poissonnière, 9, boulevard Saint-Denis et 100, boulevard Richelieu :

Des nombreuses attractions qui sillonnent nos grands boulevards, il en est une qui surpasse l'idéal et mérite par son succès considérable l'attention de nos lecteurs, nous voulons parler du " mutoscope ", de l'inventeur américain M. Hermann Cassler [sic], qui fonctionne déjà dans les plus grandes villes de l’Amérique, l'attraction est tellement irrésistible qu'il faut réellement s'en rendre compte soi-même pour le croire, le spectateur voit défiler successivement devant lui des centaines de photographies prises pendant des fractions de seconde et qui sont reproduites avec une telle fidélité qu'il croit ne voir que la continuité d'une seule et même scène. Aussi peut-on y conduire les bébés qui verront se dérouler sous leurs yeux les merveilles du « Mutoscope » dont les appareils sont installés 1, boulevard des Capucines, 27 boulevard Poissonnière, 9 boulevard Saint-Denis, 100 rue Richelieu.


Le Matin, Paris, 12 novembre 1898, p. 3.

L'un de ces salons, au moins, est pris en sous-location par Julian Walter Orde. C'est celui qui se trouve sur le boulevard Saint-Denis. Il figure dans les documents comme "maître de jeux et amusements publics". Le local sert également, semble-t-il, à des projections animées dont se souvient Hughes Laurent, un décorateur de l'époque :

J'ai vu également deux ou trois fois Baron, ami de mon frère Marius. Je me souviens étant enfant lorsqu'il avait loué boulevard Saint-Martin, presque en face du théâtre du même nom, une boutique dans laquelle il avait installé un pont de bateau : les passagers étaient assis sur des banquettes, quand Baron jugeait que le nombre d'entrées était suffisant, il donnait l'ordre de larguer les amarres, donnait quelques coups de sirène, faisait alors apparaître une image sur un écran, la salle s'éteignait et on faisait un voyage d'environ vingt minutes grâce aux films de la Société « American Biograph ». 


Bulletin de l'AFITEC, n°  16,  1957. (cité dans MEUSY, 1997 : 700).

Un autre local est également pris par la société, au 177, rue Saint-Antoine où sont également installé des mutoscopes. 

Peu d'informations au cours des mois suivants, même si une petite annonce semble montrer que la société marche. En tout cas, elle recrute des jeunes gens :

On dem. plusieurs jeunes gens, de 14 à 18 ans, présentés par leurs parents. S'adresser Société des Mutoscopes, 29, rue Tronchet, de 9 à 10 heures, le matin.


Le Journal, Paris, 26 juillet 1899, p. 4.

Curieusement, en novembre 1899, un journal régional publie une annonce qui indiquerait que la Biograph and Mutoscope Company for France Ltd a déménagé, en 1899, à Lyon. S'agit-il d'une concurrence frauduleuse ou bien le directeur a-t-il bien quitté Paris, traduisant ainsi des difficultés particulières ?

mutoscope lafayette 1899

La Dépêche, Toulouse, 27 novembre 1899, p 4.

Toujours est-il que le bilan financier de la société, en décembre 1899 est bien modeste, une fois la totalité des dépenses retirées, comme le montre la note suivante : 

The directors of the Biograph and Mutoscope Company for France Limited, have issued their report and balance sheet as on December 31 last. After providing for depreciation, charging the whole of the cost of organisation and establishing the business, including travelling expenses, salaries, and also the expenses of the London office, and director's fees, there remains a surplus of £313, which it is proposed to carry forward.


The Yorkshire Herald and the York Herald, York, Saturday 17 March 1900, p. 7.

Au cours de l'année 1900, des séances sont organisées à la galerie Georges Petit (Paris), toujours orchestrées par Lauste. Les difficultés semblent se multiplier alors. Les séances qui ont lieu au pavillon du Grand Guignol, lors de l'Exposition Universelle s'interrompent à la fin du mois d'août 1900. Toujours en août, le théâtre Métropolitain (Paris) propose un spectacle où figure l'American Biograph de Gibbons, un des opérateurs de l'American Mutoscope Company. En novembre, c'est le cinématographiste Clément-Maurice qui utilise l'appareil pour présente son Panorama cinématographique de l'Exposition Universelle. Peut-on penser que ces deux hommes ont alors joué un rôle ? Surtout lorsque l'on sait, qu'en octobre, Eugène Lauste a été remercié par le directeur Julian Walter Orde :

[...] à cause du changement d'administration et des économies qui vont être apportées dans les affaires, la Société n'aura plus besoin de vos services à partir du 1er octobre prochain. 
[...] C'est avec un vif regret que deux jours avant mon départ je suis obligé de vous signaler cette détermination et j'espère que vous trouverez un emploi tout à votre goût.
Julian W. Orde à Eugène Lauste.


Fonds Eugène Lauste. Smithsonian Institution. (cité dans MEUSY, 1997: 703)

En réalité, c'est une réorganisation qui se profile puisque le manager est remplacé et une nouvelle équipe est mise en place. Quant à Eugène Lauste, il va malgré tout poursuivre de son côté ses activités liées à l'american biograph comme on peut le lire dans ce bref entrefilet :

Mais ne déflorons pas encore les surprises que nous réservent MM. E. Lauste et Richshoffer, les directeurs des voyages de l'American Biograph.


Le Grand Écho du Nord de la France, Lille, 7 novembre 1900, p. 5.

La nouvelle équipe est désormais dirigée par P. Ponsolle et le bureau de la société se retrouve 33 de la rue Joubert (Paris 9e). À Dijon, un biographe américain est présenté en novembre 1901. S'agit bien du même appareil ? La situation n'est sans doute pas très florissante et une restructuration s'impose dès les premiers mois de l'année 1902. Une assemblée générale extraordinaire est convoquée pour " reconstruire " la société :

In the Matter of the BIOGRAPH AND MUTOSCOPE COMPANY FOR FRANCE Limited.
AT an Extraordinary General Meeting of the above named Company, duly convened, and held at the Hotel Cecil, Strand, London, W.C., on the 17th day of February, 1902, the following Special Resolution was duly passed ; and at a subsequent Extraordinary General Meeting of the Members of the said Company, also duly convened, and held at the same place on the 17th day of March, 1902, the following Special Resolution was duly confirmed, namely:—
That it is desirable to reconstruct the Company, and accordingly that the Company be wound up voluntarily, and that Mynardus Devenish, of Warnford-court, London, E.C., be and he is hereby appointed Liquidator for the purposes of such winding up.—Dated the 19th day of March, 1902.
M. DEVENISH, Chairman of both Meetings.


The London Gazette, London, 21 March 1902, p. 1975. 

American Biograph-Mutoscope Français Ltd (mars 1902-1904)

C'est donc au début de l'année 1902 que la réorganisation de la filiale se produit  et qu'elle prend le nom d'American Biograph-Mutoscope Français Ltd, enregistré le 24 mars 1902. Pourtant, il semble que les activités se limitent singulièrement au cours de cette nouvelle étape. On trouve bien un "american biographe" à Lille (avril 1902), un autre à Limoges (mai-septembre 1903)... mais guère plus. Dès le mois de février 1904, une affaire oppose Ponsolle à la Biograph qui doit être plaidée à l'audience du lundi 11 avril 1904 au Tribunal de première instance de la Seine. Chambres civiles. 3e chambre-1re section. Supplémentaire (Le Droit, Paris, 13 février 1904, p. 4.). C'est finalement à l'audience du lundi 16 mai 1904 que l'affaire est plaidée (Le Droit, Paris, 15 mai 1904, p. 4), puis du lundi 30 mai 1904 (Le Droit, Paris, 28 mai 1904, p. 4). La société en liquidation est déclarée en faillite :

LES FAILLITES
Jugements du 28 mai 1904
American Biograph Mutoscope Français limited (en liquidation), société anonyme en capital de 750,000 francs, ayant eu pour objet l'exploitation d'appareils pour la production de photographies animées, avec siège à Londres, Osmond House, 63, Queen Victoria street, E. C. ; siège d'exploitation à Paris, 33, rue Joubert et usine à Courbevoie, rue d'Aboukir, 27.- M. Malesset, juge commissaire ; M. Lesage, syndic.
Périchon, fabricant de pièces détachées pour automobiles, 88, boulevard de Courcelles, demeurant 47 bis, boulevard de Courcelles.-M. Beauvalet, juge commissaire ; M. Malle, syndic.


Le Matin, Paris, 29 mai 1904, p. 4. 

Peu après, Léo Lefebvre va récupérer les brevets que l'American Biograph Mutoscope français avait déposés: 

19º La cession enregistrée au secrétariat général de la préfecture du département de la Seine, le 25 janvier 1905, faite, suivant acte en date du 24 décembre 1904, à M. Lefebvre (Léonard-Alexandre-Emmanuel), industriel, demeurant à Paris, rue Nollet, n° 19, par M. Lesage (Charles), syndic de faillites, demeurant à Paris, rue Christine, n° 7, agissant au nom et comme syndic de la faillite de la société dite : American Biograph Mutoscope français, avec siège à Londres (Angleterre), Ormond House, 63, Queen Victoria Street E .C. et siège d'exploitation à Paris, rue Joubert, n* 33, des droits de ladite société au brevet d'invention de quinze ans pris, le 9 mars 1897, par M. Koopman, et dont elle est partiellement cessionnaire, pour perfectionnements aux appareils photographiques.
20º La cession enregistrée au secrétariat général de la préfecture du département de la Seine, le 25 janvier 1905, faite, suivant acte en date du 24 décembre 1904, à M. Lefebvre (Léonard-Alexandre-Emmanuel), industriel, demeurant à Paris, rue Nollet, n° 19, par M. Lesage (Charles), syndic de faillites, demeurant à Paris, rue Christine, n° 7, agissant au nom et comme syndic de la faillite de la société dite : American Biograph Mutoscope français, avec siège à Londres (Angleterre), Ormond House, 63, Queen Victoria Street E .C. et siège d'exploitation à Paris, rue Joubert, n* 33, des droits de ladite société au brevet d'invention de quinze ans pris, le 18 mai 1897, par M. Casler, et dont elle est partiellement cessionnaire, pour perfectionnements aux appareils à vues consécutives.
21º La cession enregistrée au secrétariat général de la préfecture du département de la Seine, le 25 janvier 1905, faite, suivant acte en date du 24 décembre 1904, à M. Lefebvre (Léonard-Alexandre-Emmanuel), industriel, demeurant à Paris, rue Nollet, n° 19, par M. Lesage (Charles), syndic de faillites, demeurant à Paris, rue Christine, n° 7, agissant au nom et comme syndic de la faillite de la société dite : American Biograph Mutoscope français, avec siège à Londres (Angleterre), Ormond House, 63, Queen Victoria Street E .C. et siège d'exploitation à Paris, rue Joubert, n* 33, des droits de ladite société au brevet d'invention de quinze ans pris, le 3 août 1897, par M. Casler, et dont elle est partiellement cessionnaire, pour mécanisme d'amenée et de manipulation de tissus pour appareils à vues consécutives, machines à projections et autres appareils du même genre.


Bulletin des Lois de la République Française, nº 2664, p. 1716. 

La production (1898-1901)

Dès 1898, la filiale va produire ses propres films que l'on retrouve - en particulier - au catalogue de l'American Mutoscope & Biograph Company (nº [5000]-[5999]). Le principal cinématographiste de la société est Eugène Lauste. Des ateliers sont installés à Courbevoie, 27, rue d'Aboukir qui permettent de réaliser la totalité des opérations de la prise de vue au tirage des films et des copies.

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Biograph and Mutoscope Company
Les ateliers de Courbevoie (1899)
Biograph and Mutoscope Company
Eugène Lauste dans son bureau (1899)
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Biograph and Mutoscope Company
Le théâtre de prise de vue (1899)
Biograph and Mutoscope Company
Koopman, Casler, Marvin et Disckon (Courbevoie, 1899)
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Biograph and Mutoscope Company
Le magasin aux accessoires (1899)
Biograph and Mutoscope Company
Le personnel (1899)
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Biograph and Mutoscope Company
Le laboratoire chimique et photographique (1899)
Biograph and Mutoscope Company
Tambours et bacs de développement (1899)
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Biograph and Mutoscope Company
L'atelier d'assemblage des roues de mutoscope (1899)
Biograph and Mutoscope Company
L'atelier mécanique (1899)

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Biograph and Mutoscope Company
Machine de tirage
Biograph and Mutoscope Company
L'atelier mécanique (1899)
© Smithsonian Institution-National Museum of American History

Production

THEIR MAJESTIES, EDWARD VII, AND QUEEN ALEXANDRA STARTING FOR A MOTOR RIDE.
Biograph Company for France, Ltd.
A film, we understand, taken by special permission of their Majesties at Fredensburg Castle, where they were the guests of the King of Denmark.
The Queen arrives first, and is seen awaiting the King's arrival, meanwhile engaging in conversation with those around her until His Majesty appears and lights his cigar before entering the car, when they at once start on their outing.
THE " SANTOS-DUMONT " AIR SHIP.

Biograph Company for France, Ltd.
Represents the " Santos-Dumont " Air Ship No. 7 gliding out of its shed, and performing trial evolutions before the attempt to win the Grand Prize of £4,000. As all the world knows, Mons. Santos-Dumont has made many attempts to secure this prize at the risk of his life; and now, having rounded the Tower and returned to the starting point—thus achieving his object, which he vows he will not repeat—makes this film quite of historical interest. The air ship is splendidly seen, and one cannot realise what this new creation appears like until thus seen. The film is excellent, photographically, being just as one would imagine, full of contrast, and of strong interest.The Showman, Friday 1 November 1901, p. 25.

THE CZAR LEAVING COMPEIGNE, Biograph Co. for France, Ltd. A national event taken in September during the Czar and Czarina's visit. The streets were lined with soldiers, and the pictures being taken from a height above the streets shows the carriages containing their Majesties and President Loubet coming out of the castle in the background, with the Republican Guards as their escort.The Showman, Friday 15 November 1901, p. 10.

THE LATEST GENUINE CINEMATOGRAPH FILMS.
1. THE CZAR LEAVING FREDENSburg Castle, the Residence of the King of Denmark ; taken September 10th, 1901. Including the following Royalties - the King of Denmark, the King and Queen of England, the King of Greece, Prince Royal of Denmark, the Czar and Czarina of Russia, Empress Dowager of Russia, the Children of the Czar. Taken by Royal permission. Length 167 feet.
2. THE RING AND QUEEN OF England leaving Fredensburg Castle for a Motot Car Ride. By permission. 167 feet.
3. SANTOS DUMON'S AIR SHIP taken previous to winning the Grand Prize.—Coming out of the shed—Evolutions in the air—Leaving for the Eiffel Tower. A magnificent picture. The only genuine film in existence. Length 136 feet.
4. THE CZAR LEAVING Compiegne. Shewing the streets filled with soldiers and the carrieges surrounded with Cuirassiers. Taken by special permission of the French and Russian authorities. Length 80 feet.
THE ABOVE FILMS 1/. PER FOOT, less 33% discount.
THE BIOGRAPH Co. FOR FRANCE, 33 RUE JOUBERT, PARIS.The Showman, Friday 15 November 1901, p. 16.

THE CZAR LEAVING FREDENSBERG CASTLE.
Biograph Company for France, Ltd.
Taken by Royal permission at Fredensberg Castle, showing the Czar and Czarina of Russia, accompanied by the Dowager Empress of Russia, King Edward VII. and Queen Alexandra, the King of Denmark and King George of Greece, accompanied by many Royal Princes, Princesses, and Grand Dukes, representing England, Russia, Denmark, Norway, Sweden and Greece. It is a film of historical interest, and should prove of permanent value.The Showman, Friday 22 November 1901, p. 23. 

Sources

MEUSY Jean-Jacques et Paul C. SPEHR, "Les débuts en France de l'American Mutoscope and Biograph Company" dans Histoire, économie et société, 1997, 16ᵉ année, n°4. pp. 671-708; doi : https://doi.org/10.3406/hes.1997.1969-https://www.persee.fr/doc/hes_0752-5702_1997_num_16_4_1969.

SPEHR Paul, The Man Who Made Movies: W.K.L. Dickson, John LIbbey Pub., 2008, 706 p.

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