RETHEL

Jean-Claude SEGUIN

Rethel, commune du département des Ardennes, compte 7.136 habitants (1894).

1896

Le cinématographe Joly d'A. Milhes (7-[21] août 1896)

Le photographe de Rethel, A. Milhès se lance dans l'exploitation d'un cinématographe Joly qu'il va présenter dans les Ardennes. Il commence à présenter l'appareil dans la commune où il est installé :

Le cinématographe.- Nous devons à l'intelligente initiative de M. Milhès, photographe à Rethel, si avantageusement connu dans la région, d'avoir passé hier soir quelques instants fort agréables. M. Milhès, doué d'une rare activité, a voulu faire jouir ses concitoyens de la vue d'un spectacle des plus attrayants, absolument nouveau : nous voulons parler des projections lumineuses de photographies vivantes et animées, faites au moyen d'un appareil des plus perfectionnés appelé le cinématographe. A l'aide de cet appareil, on arrive à donner la vie et le mouvement à des scènes variées de photographies instantanées, qui sont retracées dans leurs moindres détails, avec une réalité, une netteté véritablement extraordinaire. Il n'est pas jusqu'aux plus petits mouvements, jusqu'aux gestes les plus infimes, qui ne soient reproduits d'une façon merveilleuse et irréprochable. C'est ainsi qu'entre autres tableaux que nous avons remarqué notamment : L'arrivée d'un train, qu'on voit venir de loin, entrer en gare avec sa vitesse normale, pour s'arrêter lentement ; les voyageurs en descendent et prennent rapidement le chemin de la sortie ; l'un d'eux fume une cigarette dont il rejette la fumée qui apparaît fort distinctement. Un autre tableau représente le Passage d'un régiment ; la marche des pioupious est cadencée, régulière ; les officiers sont à cheval et on distingue sans peine les mouvements divers des hommes et des animaux. Nous citerons encore Une nourrice, se livrant à la toilette minutieuse d'un bébé qu'elle essuie, lave et emmaillotte, pendant qu'une femme vaque aux besoins de la nourrice, à laquelle elle passe linge, cuvette, etc. En résumé, ces reproductions de scènes de la rue et de la vie par le cinématographe sont réellement attrayantes et dignes d'être vues ; nous ne doutons pas que l'audacieuse tentative de M. Milhès, les efforts minutieux apportés par lui pour la difficile installation de cet appareil, ne soient couronnés de tout le succès qu'ils méritent. En ce qui nous concerne, nous engageons vivement nos concitoyens à aller assister aux intéressantes séances que va donner régulièrement M. Milhès ; ils ne regretteront certes pas leur temps.


Les Ardennes, Charleville, 8 août 1896.

Si l'on en croit le journaliste, cette première séance de vues animées s'est déroulée sans encombre. En outre, nous disposons de quelques titres du répertoire d'A. Milhès, complétés par un autre journal local qui propose de nouveaux titres pour une séance spéciale reservée aux scolaires, comme ont l'habitude de le faire les pionniers du cinématographe :

RETHEL. — Séance de cinématographie. — M. Milhès, photographe en notre ville, a eu l'heureuse idée d'offrir aux élèves des écoles primaires, garçons et filles, une séance à prix très réduits au cours de laquelle il a fait défiler devant leurs yeux charmés, les « tableaux vivants » de l'ingénieux appareil appelé cinématographe.
La succession rapide de vues prises à la vitesse incroyable de quinze par seconde, produit l'illusion la plus parfaite de la vie réelle et fait voir les scènes comme entrevues à travers la fenêtre, du coin du feu.
Voici d'abord les « brûleurs d'herbe », puis l'amusante « Réserve aux chèvres » du Jardin des Tuileries, ensuite la « Nourrice » qui procède le plus naturellement du monde à la toilette de Bébé. — La « Mer à Trouville » nous montre les vagues se couronnant peu à peu de blanche écume.
Après « Les Pompiers à Vienne », on applaudit bien fort la « Leçon de gymnastique au lycée de jeunes filles » avec le moniteur passant dans les rangs pour rectifier les mouvements. A « l'arrivée du train » on assiste à tous les mouvements qui en résulte dans une gare ; puis le « Passage du Régiment » nous fait admirer la belle cadence de nos troupiers qui ne se laissent pas distraire par les menus incidents de la rue.
En remerciant M. Milhès de l'aimable attention qu'il a eue, nous lui souhaitons auprès du public un succès d'autant plus légitime qu'il s'est imposé, croyons-nous savoir, de lourds sacrifices pour vulgariser une invention encore assez récente et qui procure un spectacle des plus attrayants.


Le Petit Ardennais, Charleville, 17 août 1896, p. 2.

Un autre journal, quelques jours plus tard complète quelques éléments du programme et esquisse les étapes de la tournées d'A. Milhès dans le département des Ardennes et dans la région :

M. Milhès, photographe à Rethel, vient de terminer par une séance des plus intéressantes la clôture de ses brillantes expériences, et c'est avec le plus grand plaisir que nous y avons assisté à nouveau pour voir encore ces attrayantes reproductions photographiques de scènes diverses, auxquelles ce merveilleux appareil appelé cinématographe donne la vie et le mouvement dans leurs moindres détails avec une parfaite régularité ; nous en avons parlé déjà dans un précédent numéro. M. Milhès a su tenir son public en haleine et varier agréablement l'attrait de chaque séance par la reproduction de tableaux nouveaux, tous très divertissants par la nature des scènes qu'ils représentent. C'est ainsi, qu'en outre de ceux que nous avons indiqués : Le régiment, Le train en gare, la Danse serpentine, Les brûleurs d'herbe, etc., nous avons vu hier : Une rue de Vienne très animée ; Les plongeurs se livrant à des sauts prodigieux dans une rivière dont les jets d'eau produits par les plongeurs apparaissent très distinctement, un Débarquement au bord de la mer, scène des plus gaies, un Défilé d'artilleurs, tableau en couleurs ; L'ombrelle qui tourne, tourne et se relève tout à coup pour laisser apparaître deux gentilles danseuses qui esquissent un pas très gracieux ; Les laveuses, tableau humoristique, etc. M. Milhès va entreprendre avec son appareil une grande tournée au cours de laquelle il se propose de visiter les principales villes de la région : Charleville, Mézières, Sedan, Hirson, etc., pour y donner une série de représentations. Nous ne pouvons qu'engager nos lecteurs à s'y rendre nombreux, s'ils veulent passer quelques instants agréables, car cette récente découverte de la cinématographie ne laisse pas que d'être réellement captivante. Néanmoins, M. Milhès, qui a su s'imposer de grands sacrifices, conserve son atelier de photographie à Rethel, qu'il laisse sous la direction d'un ouvrier habile, et les poses y auront lieu comme par le passé. Nous souhaitons volontiers au sympathique artiste une complète réussite dans son entreprise, certain à l'avance que le succès ne lui manquera pas au cours de sa tournée.


Les Ardennes, Charleville, 21 août 1896.

L'ouvrier habile dont il est question n'est autre qu'A. Wilmet, lui-même photographe, et qui, quelque temps après, prend la succession d'A. Milhès.

Le Cinématographe Joly d'A. Milhès (Place de la Ville, 20-25 décembre 1896)

Après sa tournée de plusieurs mois dans la région, A. Milhès revient à Rethel pou quelques séances supplémentaires qu'il donne sur la Place de la Ville, à l'Ancienne Chapelle. La première séance a lieu le dimanche 20 décembre :

Le cinématographe. Après une tournée de plusieurs mois dans les principales villes de l'Est et de la Belgique, notre sympathique concitoyen M. Milhès nous revient avec son merveilleux appareil, le cinématographe. Au cours de sa longue tournée, il a obtenu, partout où il a opéré, un succès complet, très légitime d'ailleurs, car il excelle maintenant dans le fonctionnement de cet appareil reproducteur des diverses scènes de la vie privée et publique qu'il anime avec une saisissante réalité. II nous revient donc, mais pour 2 jours seulement, et donnera dimanche et lundi prochains à 8h du soir deux séances de cinématographie à l'Ancienne Chapelle, place de Ville ; il offrira en outre 1 matinée dimanche à 5h de l'après-midi. M Milhès, dont le désir est de toujours faire mieux, a varié complètement le programme de ses projections. Il se propose de nous faire admirer : La dispute du cocher et de son client, vue très humoristique ; Le pochard entêté, vue d'un réalisme étonnamment joyeux ; La sortie de Notre-Dame-des-Victoires, tableau très élégant ; Lancement d'un bachot ; Les enfants aux Bois ; La bicycliste maladroite, mais fort jolie, prenant sa première leçon ; etc. etc. Nous sommes persuadés que ceux qui ont déjà assisté aux intéressantes séances de M Milhès vont y retourner encore, et que surtout les retardataires ne manqueront pas cette fois de s'offrir un spectacle aussi attrayant que peu coûteux. Nous croyons savoir qu'ensuite M. Milhès entreprendra une nouvelle et longue tournée dans le Midi, et qu'il ira peut-être même exercer en Algérie.


Les Ardennes, 19 décembre 1896.

Le succès aidant, deux nouvelles séances sont organisées :

Dans l'un de nos derniers numéros, nous annoncions que M. Milhès devait rester 2 jours seulement parmi nous avec son appareil. Mais à la demande générale, il donnera encore demain vendredi, jour de Noël, deux séances de cinématographie, à 5h et à 8h ½ du soir. Ce sera, cette fois, la clôture définitive.


Les Ardennes, 25-26 décembre 1896.

Ainsi que le signale le journaliste, A. Milhès part en effet dans le Midi pour une nouvelle tournée dans les premiers jours de 1897.

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Wilmet, phot.-Hayot, ed.Rethel, Rethel-Ancienne Chapelle des Frères (c. 1902)

 

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