SAUMUR

Jean-Claude SEGUIN

Saumur, ville du département du Maine-et-Loire (France), compte 15151 habitants (1894).

1896

Le Cinographoscope Pipon et Pressecq (Carrière Marengo, 8-[13] août 1896)

Même si le tourneur M. Trésel parcourt la Bretagne pour présenter un cinographoscope, sa présente à Saumur n'est pas attestée. En outre, il semble que ce soit directement la Société du Cinographoscope qui ait organisé les séances comme le laisse entendre l'entrefilet suivant publié dans la presse parisienne :

Nous avons dit qu'aux fêtes de Saumur avait fonctionné le cinématographe ; la Société du Cinographoscope nous prie de dire que c'est elle qui a donné le spectacle aux invités de l'École spéciale de cavalerie.


Le Journal, 13 août 1896, p. 3.

C'est à l'occasion des Grandes Fêtes de Charité de l'Association des officiers de réserve et de territoriale que s'organisent ces nouvelles. Dès le 4 août 1896, La Petite Loire publie un programme très détaillé - oú figurent déjà les photographies animées du cinographoscope - de cette manifestation dont l'inauguration est prévue pour le samedi 8 août (La Petite Loire, Saumur, 4 août 1896, p. 2). L'occasion est belle pour la presse de rappeler - de façon plutôt approximative - l'origine du cinématographe :

Parmi les attractions nombreuses de notre fête, nous devons signaler au public la tente des photographies animées, installée dans la carrière Marengo.
Ces projections, dues à l'appareil de MM. Pipon et Presseq, sont d'environ 3 mètres sur 2 m. 50, c'est-à-dire que les personnages sont vus grandeur naturelle.
Nous ne craignons pas de dire que l'effet est charmant et des plus surprenants; car non-seulement ces vues sont intéressantes à voir par le choix du sujet, mais aussi par l'animation des scènes.
L'appareil est des plus simples ; tout le monde connaît la découverte que fit il y a 8 ans le célèbre professeur Marest [sic]; chacun a vu dans des livres les successions d'épreuves reconstituant le trot, le galop et le pas du cheval, la chute d'un chat prouvant que cet animal retombe toujours sur ses pattes. C'est ce principe que MM. Pipon et Presseq ont appliqué en faisant passer devant nos yeux successivement ces diverses épreuves, le mouvement est reconstitué et l'on croirait voir ces chevaux trotter, galoper, marcher, le chat vraiment tomber sur les pattes.
Parmi ces tableaux que nous montre le cinographoscope citons : La Corvée de fourrage. La Partie de cartes où l'on voit de véritables portraits animés plus grands que nature. Le Jardinier surpris, scène comique, des Chevaux à l'abreuvoir, le passage de la Marne, près de Meaux, par le 4e hussards, etc. Vues toutes plus intéressantes les unes que les autres. Il n'est pas douteux que le cinographoscope fera salle comble à toutes les représentations qui auront lieu à peu près de demi heure en demi heure. Plus il y aura de monde, plus les pauvres seront contents.

L'Écho saumurois, Saumur, 9 août 1896, p. 2-3.

On retrouve des articles identiques dans les autres périodiques (Le Courrier de Saumur, Saumur, 9 août 1896 et La Petite Loire, Saumur, 9 août 1896, p. 2). Les films proposés restent difficilement identifiables dans la mesure où ce sont des titres qui existent dans plusieurs catalogues comme celui de la maison Pathé et qui sont, souvent, des " classiques " de ces premiers temps. En outre, le tourneur peut se servir chez différents éditeurs ou revendeurs.

Le succès semble bien au rendez-vous puisque après la fin officielle des Grandes Fêtes de Charité, le cinographoscope va organiser quelques projections supplémentaires :

PROLONGATION
À la demande générale et pour satisfaire les retardataires et les personnes qui veulent encore profiter de la présence des photographies animées à Saumur :
Aujourd'hui mercredi 12 et demain jeudi 13 août, au Manège des Ecuyers et Carrière Marengo, Petits Chevaux et Cinographoscope, à 0,50 c.
Entrée gratuite au manège et à la carrière.


L'Écho saumurois, La Petite Loire, Saumur, 13 août 1896, p. 3.

Répertoire (autres films) : La Baignade des Soudanais, La place de l'Opéra, Le chemin de fer arrivant à toute vitesse (L'Écho saumurois, Saumur, 10 août 1896, p. 3).

Le Cinématographe (Grand Café du Commerce, [31] octobre- [3] novembre 1896)

L'initiative de M. Dodu, propriétaire du Grand Café du Commerce, est d'une toute autre nature. Il s'agit pour lui d'offrir à ses clients des image animées dans la Grotte, une salle destinée en particulier aux joueurs de billard. Ainsi, " pendant quatre jours " (Le Courrier de Saumur, Saumur, 31 octobre 1896, p. 3), les Saumurois vont pouvoir revoir des vues cinématographiques tout en dégustant un café ou un thé. Malgré la briéveté de ces projections, la presse offre des informations assez détaillées sur le programme proposé :

LE CINÉMATOGRAPHE
AU CAFÉ DU COMMERCE
Dans l'intention d'être agréable à sa nombreuse clientèle, M. Dodu, propriétaire du Café du Commerce, vient de faire installer dans la salle de billard, (dite La Grotte), de son établissement :
LE CINEMATOGRAPHE
Cette invention nouvelle est vraiment curieuse et inconnue dans notre ville ; aussi applaudissons nous à l'heureuse idée de M. Dodu qui offre gratuitement à ses clients une distraction aussi digne d'intérêt et qui attirera pour sûr dans son établissement tout Saumur.
Les tableaux reproduits par le Cinématographe sont très variés et fort attrayants.
HIer soir, de 9 heures à 11 heures, ont commencé les premières expériences qui ont bien réussi.
Parmi les tableaux qui ont défilé sous nos yeux, nous signalerons :
La Baigneuse Parisienne
Le Couronnement du Tsar
La Loïe Fuller
Les Courses de Longchamp
La Place de l'Opéra
Le Jardin d'acclimatation côté des chèvres.
A chaque exhibition, les tableaux sont variés.
En présence de la nouveauté de ce procédé et de la distraction si gracieusement offerte par M. Dodu, qui ne redoute pas de s'imposer des sacrifices pour satisfaire ses clients, nous sommes convaincus que tout Saumur voudra voir le Cinématographe du Café du Commerce.


La Petite Loire, Saumur, 1er novembre 1897, p. 3.

S'agit-il de jouer sur les mots, où bien la mémoire fait-elle défaut au journaliste, mais toujours est-il que les séances du Café du Commerce s'annoncent comme les premières jamais organisées à Saumur... ou bien s'agit-il simplement d'un argument commercial du publiciste. Si le nom du propriétaire de l'établissement nous est connu, en revanche, nous ne savons rien de l'opérateur ou de l'équipe qui fait tourner la machine. On imagine aisément que M. Dodu loue les services d'un tourneur ou d'un exploitant itinérant, car la durée réduite des projections laisse à penser qu'il n'est pas le propriétaire du cinématographe... dont on ignore l'origine. Quant aux vues, elles appartiennent, pour l'essentiel, au répertoire le plus classique du moment. Ainsi le titre La Baigneuse Parisienne fait directement référence au très célèbre Bain de la Parisienne du répertoire Pirou, mais les autres films sont plus délicats à identifier même si l'on peut penser que Le Couronnement du Tsar est probablement la vue du catalogue De Bedts.

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Saumur-Rue d'Orléans, Café du Commerce [D.R.] Saumur-Grand Café du Commerce
© Jean-Claude Seguin

La presse ne nous informe pas sur le succès de l'opération commercial de M. Dodu, ni de la qualité des projections. Quatre jours cela est de toute façon bien court pour en savoir davantage... 

Le Cinéphotographe de Lagneau et Vernassier (Quai de Limoges, [29] novembre-[3] décembre 1896)

La Foire de Saumur attire bien entendu les forains, et en cette année 1896, la nouveauté incontestable c'est le cinématographe. Même si Saumur a déjà eu la chance de recevoir par deux fois des cinématographes, c'est maintenant un Cinéphotographe qui lui présente des vues animées. La foire d'hiver commence le 29 novembre et dure une vingtaine de jours. Les forains nous viennent de la foire du Mans qui s'est tenue au cours de la première quinzaine du mois de novembre. Les deux associés, Lagneau et Vernassier, disposent d'une baraque au nom - comme toujours chez les forains - assez ronflant, Le Théâtre-Salon des Sciences. On y présente les nouveautés scientifiques en les destinant, bien entendu, à un public friand d'expériences :

Salon des Sciences
Direction LAGNEAU et VERNASSIER
Nous sommes heureux d'annoncer l'arrivée à Saumur de "Cinephotographe" qui vient de remporter un si grand succès dans les villes où il a passé.
Presque tout le monde sait maintenant que par une merveilleuse découverte de la science, l'on est arrivé à donné la vie et même les jeux de physionomie a de simples portraits, à des photographies instantanées prises sur le vif et à l'impromptu.
C'est stupéfiant, en effet, pour ne citer qu'un exemple, de voir arriver un train à toute vapeur, s'arrêter, voir les employés, chef de gare et voyageurs aller et venir, se disputer les places ; les Blanchisseuses, les Auvergnats, la Loïe Fuller, les rues de la Capitale, etc., etc., sans surtout oublier le défilé du 117e musique en tête. Voilà autant de scènes bien choisies, instructives et surtout très morales.
La bonne installation de cette loge et la compétence en la matière des directeurs nous fait présumer qu'elle sera assiégée par le public amateur du beau, d'autant que ce spectacle ne peut rester que quelques jours, c'est regrettable.


L'Écho saumurois, Saumur, 29 novembre 1896, p. 3.

Le cinéphotographe est un appareil commercialisé par C. J. Lépée (31, rue Caumartin, Paris). Le même périodique nous apportent, le lendemain, de nouvelles informations sur les films présentés : 

Foire de Saumur Les attractions ne manquent pas cette année, à Saumur, du moins quant au nombre, et de longtemps, nous n'avions vu le quai de Limoges el la place de l'Hôtel-le Ville aussi remplis de baraques.
Malgré le froid, l'animation a été grande toute l'après-midi d'hier. Citons, parmi les théâtres et attractions les plus fréquentés : le Salon des sciences, de MM. Lagneau et Vernassier, autrement dit le Cinéphotographe. On y passe quelques instants agréables. Ces vues animées, telles que la place de la République, à Paris, où l’on voit le défilé des voitures, omnibus et piétons ; la sortie des ouvriers d'une fabrique ; une nuit terrible, tableau des plus amusants, la sortie du port de deux vapeurs bondés de voyageurs ; le jeu de saute mouton ; l'arrivée d'un train en gare, où l'on voit le chef de gare faire les signaux, les voyageurs monter et descendre ; le défilé d'un régiment musique en tête ; et enfin pour compléter ces scènes, la célèbre Loïe Fuller ; tous ces tableaux , pris sur le vif, sont absolument stupéfiants et tous les Saumurois, voudront voir ce spectacle.


L'Écho saumurois, Saumur, 30 novembre 1896, p. 2.

Il est souvent délicat de savoir quel est l'éditeur (producteur) d'une vue cinématographique. C'est uniquement lorsque les films ne figurent que dans un catalogue que l'on peut avancer un nom. Ainsi le jeu de saute mouton se retrouve dans le corpus Pathé. Le film Les Auvergnats correspond sans aucun doute à l'un des deux films de la production De Bedts dont le thème est similaire : La Soupe auvergnate ou Scène dansante auvergnate. Mais dans le cas d'Une nuit terrible ou Les Blanchisseuses les choses sont plus délicates. Le Courrier de Saumur nous offre un résumé de l'action du premier : " La nuit terrible, où l'on voit un pauvre diable, mangé par les punaises se dresser sur sa couche, se gratter avec rage, prendre sa lampe, inspecter les rideaux et finalement ne pouvant y résister, enfiler son pantalon et renoncer à dormir. " (Le Courrier de Saumur, Saumur, 1-2 décembre 1896, p. 3) qui ne correspond pas totalement à la vue du catalogue Méliès, mais le seul photogramme connu de la vue PathéNuit terrible, n'autorise pas pour autant une attribution formelle. Il en est de même du second film. Quant aux autres, les thèmes ayant été repris de multiples fois, il faut renoncer à les identifier.

saumur quai limoges 

Saumur-Vue sur la Loire prise du Quai de Limoges (c. 1900)

C'est sans doute le compte rendu du Courrier de Saumur qui offre le plus d'informations sur le public et sa réaction, mais également sur le mode de fonctionnement du Théâtre-Salon des Sciences et son projecteur :

Le Cinéphotographe.-Le théâtre salon des sciences, installé sur le quai de Limoges, est certes destiné à voir tous les Saumurois prendre place sur ses banquettes. Nous avons assisté à une séance du cinéphotographe et nous avons été émerveillé, car il n'est vraiment pas ordinaire de voir un portrait prendre vie et s'animer de mouvements naturels y compris les gestes de physionomie. Les scènes sont bien choisies et surtout très morales et non seulement tout le monde peut voir, mais doit voir ce phénomène scientifique digne d'intérêt, les tableaux sont bien éclairés et rendent bien l'illusion ; les entractes sont courts et évitent une longue attente qui nuirait au charme du spectacle. Un nouveau perfectionnement de l'appareil lui permet d'annoncer les tableaux en couleurs ce qui ne s'était pas encore fait et une chose qui a son charme c'est la présentation du tableau dans l'immobilité d'abord, puis animé ensuite, ce qui permet une comparaison. Nous avons éprouvé une sensation en voyant " le train " arriver sur nous et quelques spectatrices ont même eu un geste de recul, quoique marchant à toute vitesse, il n'est pas dangereux cependant, celui-là ; la " Sortie de fabrique " et la " Descente du tranway " sont très mouvementées, quant à la " Loïe Fuller ", elle soulève les applaudissements car sa photographie est non seulement animée mais sa robe est nuancée de toutes les couleurs. Ce spectacle est fort gentil, récréatif et intéressant, nous comprenons maintenant son immense à Paris comme ailleurs ; il est d'ailleurs bien présenté et la coquette installation électrique donne bien ce qu'on pouvait en attendre. Ce sera certainement le rendez-vous des familles. Matinée les jeudis et dimanches.


Le Courrier de Saumur, Saumur, 3 décembre 1896, p. 2.

Invention du journaliste ou réelle frayeur de ces jeunes femmes, toujours est-il que ce type d'entrefilet a nourri abondamment la légende de la peur des premiers spectateurs apercevant le train se précipiter sur eux. En outre, une vue au moins, la danse serpentine d'une imitatrice de Loïe Fuller, est présentée en couleurs... ce qui la rend bien plus magique pour le public. Enfin l'appareil, chose qui est loin d'être généralisée à ce moment-là, est alimenté par de l'électricité, un courant continu alors, pas toujours régulier, mais moins dangereux que le gaz oxy-éthérique. 

Dès leur arrivée, Lagneau et Vernassier ont annoncé qu'ils n'allaient pas rester plus de huits jours à Saumur : "  M. Lagneau, qui a pris des engagements à Nantes, ne restera parmi nous que 8 jours et donnera ses dernières représentations dimanche prochain. Nous engageons nos concitoyens à aller voir ce spectacle vraiment attrayant.. " (Le Courrier de Saumur, Saumur, 1-2 décembre 1896, p. 3). Et de fait, ils se retrouvent à Nantes à partir du 12 décembre.

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