CLERMONT-FERRAND

Jean-Claude SEGUIN

Clermont-Ferrand, chef-lieu du département du Puy-de-Dôme (France), compte 48 000 habitants (1894).

1896

Cinématographe Lumière (26 rue Saint-Esprit, 7 juin-26 juillet 1896)

L'Agence Fournier est le concessionnaire du cinématographe Lumière pour plusieurs villes du Sud-Est de la France dont Clermont-Ferrand. Afin de pouvoir s'occuper du nouveau poste, la maison de Monplaisir va envoyer Joseph Camus, un jeune homme de vingt cinq ans qui fait alors ses premières armes d'opérateur. La formule utilisée est pratiquement toujours la même. Après avoir trouvé un local susceptible d'accueillir l'appareil et les spectateurs, les séances s'organisent en une dizaine ou douzaine de vues par session. À Clermont-Ferrand, la presse commence à annoncer l'arrivée prochaine du cinématographe Lumière au début du mois de juin 1896 (Le Moniteur du Puy-de-Dôme, Clermont-Ferrand, 3 juin 1896, p. 3). C'est finalement le 7 juin 1896 que Joseph Camus inaugure le salon du cinématographe (Le Moniteur du Puy-de-Dôme, Clermont-Ferrand, 8 juin 1896, p. 2). La presse locale se fait l'écho de ces représentations cinématographiques qu'elle évoque sous un jour favorable comme le fait L'Avenir du Puy-de-Dôme :

Le Cinématographe
Le Cinématographe installé rue Saint-Esprit, 26, a ouvert hier, avec un très grand succès. Ç'a été pour les Clermontois une révélation que cette reproduction, par la photographie, de scènes animées sans omission d'aucun des mouvements qu'elles comportent.
Quand nous nous rappelons ces jouets qui ont amusé notre enfance - phénakisticope, zootrope, praxinoscope, - où il fallait regarder par un trou pour apercevoir vaguement une écuyère faisant de la voltige sur un cheval, des moissonneurs battant le blé sur une aire, - et plus tard le kinétoscope d'Edison, d'un progrès déjà merveilleux, mais offrant à l’œil, à travers une lentille, des personnages à peine perceptibles, se mouvant dans une demi-obscurité, et que l'on voit aujourd'hui, dans une vaste salle, au rez-de-chaussée de la rue Saint-Esprit, le cinématographe étaler sur un écran, devant des centaines de spectateurs successifs, des scènes si vivantes, - on ne peut qu'être frappé de ce que la science moderne a réalisé, en tant qu'applications matérielles.
On se croirait dans une chambre obscure où se reflètent les vues du dehors. Trois personnages font une partie d'écarté, fument et boivent des bocks qu'un garçon leur porte sur un plateau. De jeunes plongeurs se jettent dans la mer ; une grosse dame en sort, toute ruisselante d'eau et s'accroche péniblement aux rochers de la grève. Un train entre en gare et l'on voit le va-et-vient des voyageurs et des employés. Un omnibus est attelé ; une dame avec son bébé, deux messieurs y prennent place après avoir dit adieu à leurs hôtes et la voiture se met en marche. Et les scènes se succèdent, toutes plus intéressantes les unes que les autres.
Quand on pense que chacun de ces tableaux - chacune de ces " tranches de vie ", comme disent les romanciers à la mode - suppose de 900 à 1,200 vues photographiques, prises sur une bande pelliculaire de 18 mètres de long sur 3 centimètres de largeur, qui se déroule verticalement dans une boîte hermétiquement close munie d'un objectif, successivement masqué et obturé, suivant que la bande est arrêtée ou en mouvement, on a une idée de l'extrême ingéniosité, comme aussi de la délicatesse de l'appareil.
Tout Clermont voudra voir le cinématographe.


Le Moniteur du Puy-de-Dôme, Clermont-Ferrand, 8 juin 1896, p. 2.

On reconnaît dans les titres évoqués des classiques - déjà - de la maison Lumière. Mais par la suite, au cours des semaines, les informations vont se limiter à de simples entrefilets qui n'évoquent que rarement quelques titres épars. À l'occasion de la présentation des vues animées à l'Élysée, le responsable du poste fait passer un nouvel article :

Le Cinématographe à l’Elysée
Il y a eu dernièrement une soirée au palais de l’Elysée, pour y applaudir le cinématographe représentant les scènes du couronnement du tsar.
Tous les ministres étaient présents, ainsi qu’un certain nombre de membres du corps diplomatique, plusieurs membres de la mission extraordinaire envoyée aux fêtes de Moscou, quelques députés et des invités ; en tout cent cinquante personnes environ.
La séance a eu lieu dans la grande salle des fêtes, très joliment décorée. Les assis­tants ont été vivement impressionnés par les scènes grandioses et si pleines de mou­vement et de vie qui ont défilé devant leurs yeux.
En sa qualité de député du Rhône, M. Fleury-Ravarin a présenté M. Lumière au Président de la République, qui a chaleureusement félicité l’inventeur du cinématographe.
Notre excellent confrère, M. Camille Cerf, qui a apporté à Paris ces vues si curieuses retraçant les cérémonies splendides de Moscou, est parti pour Saint-Pélersbourg afin de les présenter à LL. MM. l’empereur et l’impératrice de Russie.
Nous félicitons l’agence Fournier d’a­voir eu l’initiative d’installer à Clermont, 26, rue Saint-Esprit, la photographie animée par le ciménatographe Lumière.
Tous les soins sont apportés pour assurer une exécution parfaite et une variété constante des vues.


Le Moniteur du Puy-de-Dôme, Clermont-Ferrand, 17 juillet 1896, p. 2.

C'est d'ailleurs une façon d'annoncer la prochaine projection des vues en question à Clermond-Ferrand qui doit avoir lieu à la fin du mois comme l'annonce l'article de L'Avenir du Puy-de-Dôme : 

Le cinématographe.-Aujourd'hui, le Cinématographe installé rue Saint-Esprit va commencer à représenter, au moyen des photographies animées, les magnifiques fêtes du couronnement du tsar à Moscou.
Des représentations semblables ont été données à Paris avec l'appareil de M. Lumière et ont obtenu un immense succès. Le succès sera au moins aussi considérable à Clermont.


L'Avenir du Puy-de-Dôme, Clermont-Ferrand, 23 juillet 1896, p. 3.

Pourtant plus aucune information sur les projections à venir. Dans la rubrique " Spectacles et Concerts " de la presse locale, la dernière annonce date du 26 juillet 1896 (Le Moniteur du Puy-de-Dôme, Clermont-Ferrand, 26 juillet 1896, p. 2). Quant à Joseph Camus, il part à Marseille pour prendre en charge le poste Lumière.

Cinématographe Joly (21, rue de l'Écu, [19] novembre-[23] décembre 1896)

À la différence du cinématographe Lumière, la plupart des opérateurs sont en réalité des tourneurs qui disposent d'un appareil et qui vont de ville en ville pour offrir des séances de vues animées. Le cinématographe Joly qui arrive à Clermont-Ferrand en novembre vient probablement de Guéret. Outre les similitudes relatives au répertoire, on retrouve des techniques " commerciales " de même nature. Selon les étapes de son parcours, le tourneur - dont on ignore le nom - rebaptise l'arrivée d'un train en gare, en fonction des villes qu'il parcourt. Ainsi à Commentry, en septembre, le même cinématographe Joly propose une " Arrivée de train en gare de Moulins " (Le Journal de Montluçon, Montluçon, 24 septembre 1896), puis à Clermont-Ferrand, une " Arrivée d'un train en gare de Riom " (Le Moniteur du Puy-de-Dôme, Clermont-Ferrand, 12 décembre 1896, p. 2).

clermont-ferrand rue de lecu

" À droite le café-glacier "
L'Auvergne illustrée, Clermont-Ferrand-la Rue de l'Ecu (c. 1903)

L'installation se fait à côté du café-glacier de la rue de l'Écu. Dès le début, le tourneur fait passer dans la presse des articles qui nous informe que l'appareil est un Joly et nous offre un premier programme. Ce cinématographe a été imaginé par Henri Joly et sa particularité est que les films ont 5 perforations, ce qui est un élément d'identification tant pour le cinématographe que pour les bandes qu'il utilise. On retrouve d'ailleurs des films classiques soit tournés par l'éditeur Joly-Normandin ou par d'autres comme Eugène Pirou qui utilise l'un de ces appareils pour ses tournages. Voici le programme publié dans la presse clermontoise :

Le Cinématographe
Le Cinématographe qui obtient en ce moment un si grand succès non seulement en France mais à l’Etranger, vient de s’installer dans notre ville au n° 21, rue de l’Ecu, à côté du café Glacier.
Ce Cinématographe qui donne par une suite ininterrompue de photographies l’illusion la plus complète de la vie et du mouvement, est du système Joly.
Les séances auront lieu aujourd’hui, de 4 heures à 6 heures 1/2 et de 7 heures à 10 heures du soir ; les jours suivants, de 2 heures à 6 heures 1/2 et de 7 heures 1/2 à 10 heures. Le prix d’entrée est fixé à 50 centimes.
Les scènes représentées aujourd’hui sont les suivantes :
Le Travail des Forgerons ;
La Baignade des Soudanais au Champ-de-Mars, à Paris ; .
La Sortie de l’église de Notre-Dame-des-Victoires, à Paris ;
Assaut de Boxe entre deux champions de Joinville ;
Le Jardinier ou l’Arroseur arrosé ;
Le Bain d’une Parisienne : 1° le Déshabillé ; 2º l’Entrée au bain.


Le Moniteur du Puy-de-Dôme, Clermont-Ferrand, 19 novembre 1896, p. 2.

Comme dans le cas du cinématographe Lumière, le succès est au rendez-vous, tout au moins si l'on en croit les entrefilets que le tourneur fait passer dans la presse clermontoise. Avec une assez grande régularité les programmes sont publiés même si l'on devine que le répertoire est bien restreint puisque les titres se répètent à plusieurs reprises. Face aux vues présentées, ce qui constitue un attrait indiscutable ce sont les films des fêtes franco-russes, à l'occasion de la visite du tsar Nicolas II à Paris que le tourneur annonce dans les premiers jours de décembre :

Le cinématographe. — Le succès du cinématographe ne se dément pas et cela n’a rien de surprenant, car ce spectacle est absolument merveilleux : le cinématographe peut être considéré comme la plus belle invention mise à jour en ces dernières années.
Prochainement l’administration du cinématographe fera paraître des vues représentant la réception du Tsar à Paris et à Châlons.
Elle ménage en outre à ses habitués une surprise des plus originales.


Le Moniteur du Puy-de-Dôme, Clermont-Ferrand, 9 décembre, p. 3.

Finalement quelques jours plus tard, les vues promises sont projetées ainsi que quelques nouvelles vues, ce qui confirme que le tourneur ne dispose sans doute que d'une petite vingtaine de vues, ce qui lui permet, malgré tout de tenir presque un mois :

Le Cinématographe
Sur notre demande, et conformément au voeu de plusieurs de nos lecteurs, M. le directeur du Cinématographe installé rue de l'Ecu, a bien voulu modifier pour huit jours son programme, afin de donner une série de représentations où les parents puissent conduire leurs enfants.
Voici le programme des numéros qui seront exécutés à partir d'aujourd'hui dimanche :
1. La sortie de l'église de N.-D. des Victoires à Paris.
2. Enfants jouant dans un bois avec d'autres personnes
3. Arrivée d'un train en gare de Riom.
4. Baignade des Soudanais au Champ-de-Mars, à Paris.
5. Le Travail des forgerons à Commentry.
6. La Boxe.
7. Le Tzar au Panthéon-Le Tzar aux Champs-Élysées.
Comme on le voit ce programme est des plus attrayants. Le voyage du Tzar, à Paris, est une actualité que tout le monde voudra voir.
Prix d'entrée : 50 centimes.


L'Avenir du Puy-de-Dôme, Clermont-Ferrand, 13 décembre 1896, p. 2.

L'article mérite que l'on s'y attarde un peu. D'une part, la demande formulée, semble-t-il, par certains spectateurs, s'explique simplement parce que le tourneur a mis au programme, sans doute depuis le début, Le Bain d’une Parisienne, la célèbre vue du photographe Eugène Pirou, un " déshabillé " qui fait courir les publics français et étrangers, mais dont le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle n'est pas destinée aux enfants... Par ailleurs, on peut observer que le tourneur, sans vergogne, modifie également le titre Le Travail des Forgerons, une astuce courante qui lui permet de faire un peu couleur locale. Pas plus que le train n'a été filmé à Riom, les forgerons ne l'ont été à Commentry. C'est d'ailleurs sur ce programme que prend fin le séjour du tourneur à Clermont-Ferrand. Il va désormais reprendre sa route en direction de Rodez

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