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- Mis à jour : 15 mai 2017
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Passion du Christ
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1 | Bonne Presse | |
2 | Guillaume-Michel Coissac | acteurs du Musée Lauret |
Peu de temps après, nous tournions en plein air, dans un terrain vague de la rue Félicien-David, une Passion du Christ, interprétée par des cabotins qui représentaient le même sujet en tableaux vivants à la fête des Invalides !... Spectacle inénarrable, mimique ridicule, expressions de ruisseau, regards à faire peur ! Et cela eut du succès ! |
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3 | [15]/05/1898-[06]/06/1898 | |
4 | France, Paris, rue Félicien-David |
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Commentaire
Jean-Claude SEGUIN VERGARA
La fête des Invalides est une des fêtes foraines tolérées à Paris, ainsi que le rappelle le Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris (10 décembre 1895, p. 3144). Elle se déroule au cours de la deuxième quinzaine du mois de mai, juste après la foire du Trône :
Cette fête, dénommée dans le public " fête des Invalides ", est devenue une des plus importantes de Paris ; le nombre des établissements qui y prennent part est supérieur à 400.
Elle a lieu chaque année dans la deuxième quinzaine de mai et cette époque est celle qui lui convient le mieux, car elle coïncide avec la présence à Paris de la population riche du faubourg Saint-Germain, qui apporte aux forains le contingent le plus élevé de leur recette.
Conseil Municipal de Paris, Rapport , 1895, p. 69.
Elle se déroule, sur l'esplanade des Invalides, du [15] mai au 6 juin 1898. Elle accueille de très nombreux spectacles forains. L'un des plus connus est celui du Musée Lauret qui propose des " tableaux vivants " autant de sujets en relation avec l'actualité que des thèmes religieux. Cette baraque a vu le jour au début des années 1890. Grâce à une photographie conservée à la BNF, nous disposons d'une trace iconographique du spectacle proposé par le Musée Lauret, spectacle qui a déjà été présenté, quelques jours plus tôt, à la foire du Trône.
[Atget], Fête des Invalides, mai/juin 1898 © BNF (Gallica) |
[Atget], Fête des Invalides, mai/juin1898 (détail) © BNF (Gallica) |
C'est le quotidien La Croix qui offre la description la plus détaillée des différents tableaux vivants représentés par les acteurs du Musée Lauret, tableaux qui sont à l'origine des vues animées tournées par Guillaume-Michel Coissac :
UNE REPRÉSENTATION POPULAIRE DE LA PASSION
Plus encore qu'aux années précédentes, la grande attraction, le clou de la foire du Trône, c'est la Passion. Au musée Lauret, on représente la Passion en 8 tableaux vivants. Ce retour vers les anciens mystères que jouaient les confrères de la Passion obtient un succès prodigieux.
Sur l'estrade, point de pitres ; mais des personnages évangéliques et des soldats romains.
L'impressario a écrit sur l'affiche « Le Christ a été condamné pour avoir proclamé le premier la liberté, l'égalité et la fraternité. »
Mais cette concession aux libres-penseurs est inutile, car ce Christ n'est ni un héros, ni un philosophe. C'est bien l'homme-Dieu qu'on s'efforce de représenter.
Le premier tableau est le Christ au Jardin des Oliviers de Paul Veronèse.
« Le Christ s'en alla prier selon sa-coutume à la montagne des Oliviers : s'étant mis à genoux, il lui apparut un ange qui venait du ciel lui offrir le calice de douleur, et il s’écria : Mon père, que votre volonté soit faite je suis prêt à donner ma vie pour l'accomplir. »
Puis, voici le baiser de Judas : « Comme il parlait encore, Judas apparut, escorté d'une troupe de soldats à qui il avait dit Celui que j'embrasserai sera celui que vous arrêterez. Et s'approchant de Jésus il lui dit : « Je vous salue, Maître », et il l'embrassa. Au même instant, les soldats s'avancèrent et mettant la main sur Jésus ils l'arrêtèrent et donnèrent à Judas une bourse contenant 30 deniers pour prix de sa trahison. »
Admirablement réussi, le Judas ! et quel souverain mépris dans le geste de l'officier qui lance la bourse. Dans la salle on crie : Dreyfus ! Dreyfus !
Au troisième tableau, nous voyons Jésus devant Pilate d'après Carrache : « II y avait en Judée un voleur de grand chemin nommé Barrabas, qui avait été arrêté en même temps que Jésus. Pilate demanda au peuple lequel des deux il voulait que l'on mette à mort Le peuple répondit « Mettez à mort Jésus ». Voyant qu'il ne pouvait le sauver, il leur dit : Puisque vous voulez que le sang du Juste soit répandu, qu'il retombe sur votre tête et sur celle de vos enfants. Quant à moi, je m'en lave les mains. Et il condamna Jésus à être crucifié et à porter sa croix. »
Les tableaux suivants nous représentent la route du Calvaire, par Raphaël ; le Miracle de sainte Véronique, par Josephin.
Au sixième tableau le Golgotha, d'après le Poussin : « Les deux soldats sont en train de jouer aux dés la tunique de Notre-Seigneur. Le soldat Longin lui donne un coup de lance. »
À ce moment, le tonnerre gronda, toute la terre fut couverte de ténèbres ; le voile du temple se déchira, les pierres se fendirent, les saints sortirent de leurs tombeaux. Alors, Jésus s'écria d'une voix forte : « Mon père, je remets mon âme entre vos mains », et il expira. Les soldats qui l'avaient crucifié s'écrièrent : « Cet homme est vraiment le Fils de Dieu. »
Les deux derniers tableaux nous montrent le tombeau du Christ et la Résurrection, par Delacroix.
On est frappé de la décence artistique qui préside à ces tableaux, remarquables par la couleur et l'ordonnance. Les acteurs ne tombent jamais dans le ridicule et atteignant parfois au pathétique.
Dans la salle, les spectateurs sont silencieux, recueillis même pendant qu'au dehors retentit le tumulte de la foule bruyante et de la musique endiablée.
Que les doctes et les raffinés discutent sur le plus ou moins de bienséance qu'il y a à représenter en public nos mystères sacrés. Pour moi, je ne juge que par les résultats que j'ai vu de mes yeux : Les spectateurs emportent de ces vivantes images, une impression profonde et religieuse !
La Croix, Paris, 12 avril 1898, p. 2.
Il n'existe par ailleurs aucune trace des films de Coissac, ni de leur diffusion, malgré le succès rapporté par l'historien qui a porté un jugement sévère sur cette Passion du Christ.