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- Création : 24 mars 2015
- Mis à jour : 16 juin 2025
- Publication : 24 mars 2015
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Victorin JASSET
(Fumay, 1862-Paris, 1913)
Jean-Claude SEGUIN
Joseph-Hippolyte Jasset épouse Marie-Euphrasie Picart. Descendance:
2
Les origines (1862-1904)
Après avoir passé son enfance dans les Ardennes, Victorin Jasset s'installe à Paris, en 1880, avec sa compagne Mathilde Dehoulle afin d'étudier la sculpture avec Jules Dalou, grand sculpteur de l'époque. Appelé sous les drapeaux (1882), il effectue son service militaire à la 6e section des infirmiers (Mézières). La séparation avec sa compagne se révèle assez dramatique :
LE VITRIOL
La cour d'assises de la Seine jugeait hier une petite couturière de vingt-cinq ans, Mathilde Dehoulle, accusée d'avoir jeté du vitriol à la figure de son amant.
Celui-ci, un sieur Jasset, originaire, comme l'accusée, de Fumay (Ardennes), l'avait séduite en 1880 et l'avait emmenée vivre avec lui à Paris, boulevard du Temple. Une petite fille était née de cette union qui, pour être irrégulière, n'en avait pas moins duré neuf ans avec toutes les apparences d'un ménage légalement constitué.
Au mois de juillet dernier, Jasset avait résolu de se séparer de Mathilde Dehoulle ; il songeait à se marier. Il déménagea brusquement, abandonnant sa maîtresse qui vint inutilement le supplier de la reprendre.
Au bout de cinq ou six visites infructueuses, Mathilde Dehoulle, à bout de patience, acheta une fiole de vitriol et en lança le contenu au visage de Jasset qui a eu un oeil complètement perdu. Elle alla ensuite se constituer prisonnière au poste de police le plus voisin.
Malgré le réquisitoire de l'avocat-général Rau, les jurés, sur une plaidoirie émue de Me Lagasse, ont acquitté Mathilde Dehoulle.
La Lanterne, Paris, 2 décembre 1889, p. 3.
En 1900, il réalise à l'Hyppodrome, dont il est directeur, une pantomime très ambitieuse :
Le spectacle d'ouverture composé de numéros choisis parmi lesquels de hardis gymnastes, la famille Neiss et dix chevaux alezans présentés par M. Ch. Germain qui ont été particulièrement applaudis, avait comme morceau fondamental Vercingétorix, pantomime à grand spectacle avec choeurs, de M. Victorin Jasset. Musique de M. Justin Clérice.
M. Clérice a écrit une musique superbe sur le livret de M. Jasset et c'est un régal pour les oreilles en même temps que pour les yeux, car la pantomime a été montée avec un luxe dont rien n'a approché. Il y a dans la piste plus de 800 personnes et une centaine de chevaux. Des défilés superbes. Et sur la scène qui occupe une des extrémités de la piste des décors de M. Lemeunier qui donne une profondeur et une illusion extraordinaire aux évolutions des masses qui se meuvent avec un ensmeble parfait.
Somme toute une soirée d'ouverture fort intéressante.
Le Sport universel illustré, nº 200, Paris, 19 mai 1900, p. 320.
L'Hippodrome, la 1re épopée Vercingétorix : [affiche] / Victorin Jasset et Ch. Brum, 1900, 170 x 119 cm
Source: Ville de Paris / BHVP [Domaine public]
L'année suivante, Victorin Jasset se dispose à créer un cirque-théâtre:
M. V. Jasset, qui dirigea l'Hippodrome en 1900, va créer un cirque-théâtre dont l'organisation intérieure sera une innovation, et qui sera situé en plein centre de Paris.
Le Journal, Paris, 21 août 1901, p. 5.
Toutefois, il semble travailler au Ba-Ta-Clan en décembre :
Ba-Ta-Clan :
La revue à thèse, Les avariétés de l'année, de M. L. Garnier, conduite par l'excellent compère Maréchal et Mme Molka, s'annonce comme un très gros succès à Ba-Ta-Clan, - grand luxe de mise en scène, décors splendides, changements à vue, apothéose, et un bataillon de jolies femmes habillées ou plutôt déshabillées si artistiquement par Jasset, a été une véritable révélation et va faire courir tout Paris.
La Lanterne, Paris, 26 décembre 1901, p. 3.
Il se spéciale dans des spectacles monumentaux et on le retrouve en tant que principal responsable du défilé du Boeuf-Gras de 1903 :
LA FÊTE DU BOEUF GRAS
[...]
M. Jasset, ancien directeur de l'hippodrome et organisateur général du cortège, avait donné rendez-vous à tout son personnel de chefs de groupes, figurants, etc., etc., pour neuf heures du matin. Trois heures en effet sont nécessaires pour équiper et assigner sa place à chacun. Aussi, dès la première heure, l'aspect du marché aux bestiaux est-il extrêmement pittoresque.
Seul, dans son box, Théodoros II, le nivernais à robe jaune que l'on va pompeusement promener dans Paris, semble attendre sans impatience le moment de prendre place sur son char triomphal et d'apparaître à la foule admirative. Au fur et à mesure que les figurants sont costumés et armés, M. Jasset et ses lieutenants les groupent, et c'est avec beaucoup de méthode que le cortège se forme.
Le Petit Parisien, Paris, 30 mars 1903, p. 1.
Le Petit Journal, Paris, 5 avril 1903.
On le retrouve comme responsable des costumes au Parisiana pour la revue T'en aura. En mai 1905, il participe à la création d'un nouveau spectacle auquel collabore également Georges Hatot:
Le Palais Hippique
[...]
Il faudra reparler du programme du Palais Hippique, dont l'ouverte a été irrévocablement fixée au 1er juin, mais dès maintenant, citons les principaux collaborateurs de ce spectacle colossal, auquel vont être conviés les Parisiens: [...] M. Jasset, qui, avec une expérience consommée, a mis en mouvement et réglé ces masses inaccoutumées d'acteurs, aidé par l'habile metteur en scène Georges Hatot.
Le Journal, Paris, 26 mai 1905, p. 3.
Ce même Hatot offre un bref portrait physique, peu flatteur, de Victorin Jasset :
M. HATOT : Ce pauvre Jasset avait un physique ingrat. Il était borgne, blessé, et puis ce n'était pas la même mentalité.
"Les débuts du Cinéma, Souvenirs de M. Hatot, 15 mars 1948", p. 6-7. Fonds Commission de Recherche Historique (CRH 52-B2). Cinémathèque française.
Le cinématographe (1905-1907)
Son entrée dans le monde du cinématographe se fait au cours de l'année 1905. M. Bosc offre de lui un portrait plutôt flatteur :
M. BOSC.-C'était un homme charmant, extrêmement nerveux, il était atteint d'une maladie très curieuse et très douloureuse, il avait des cils qui lui poussaient à l'intérieur des paupières. Il était toujours armé d'une petite pince, avec laquelle il enlevait ses cils. C'était un tel artiste qu'on lui pardonnait ses mouvement d'humeur.
Jasset, il faut le dire, a vraiment été un précurseur. C'est lui qui a tout inventé. Bien avant les Américains, il a inventé le premier plan. Il a tout inventé. Tout ce qu'on peut faire aujourd'hui, il l'avait en puissance. S'il avait vécu, avec la technique moderne, il serait devenu le premier metteur en scène du monde.
FONDS SADOUL, Cinémathèque française, cote GS-A-34 COMMISSION HISTORIQUE 12 FÉVRIER 1944.
Victorin Jasset va faire ses débuts au cinématographe à la société Gaumont
Gaumont (1905-1906)
Victorin Jasset arrive chez Gaumont, probablement, vers le milieu de l'année 1905. Proche de Georges Hatot et de Désiré Weiss, les trois hommes commence dans le monde du cinématographe comme le raconter Henri Menessier :
M. LANGLOIS.-Comment a-t-il été amené à faire du Cinéma ?
M. MENESSIER.-Il [Jasset] y est venu avec Désiré Weiss et Georges Hatot. Ils étaient un peu associés, à ce moment-là. Il avait besoin d'argent, des cavalcades, il n'y en avait pas tant que ça à faire; l'Hippodrome du Champ de Mars était fermé. Il s'est dit : faisons du cinéma. Il a essayé sa chance; Il a amené chez Gaumont un scénario qui s'appelait "Fumeur d'Opium" qui a été accepté par Mlle Alice. On le lui a payé 100 francs, probablement, ce qui pour l'époque, était bien payé. Et, pour la première fois, il a fait tourner moitié au théâtre, moitié en plein air.
À côté de chez Gaumont, rue de la Villette, il y avait les réservoirs de la Ville, et il y avait un parc qui était très joli. Il nous a fait tourner là-dedans, et il avait encore fourré partout des femmes nues.
FONDS SADOUL, Cinémathèque française, cote GS-A-34 COMMISSION HISTORIQUE 12 FÉVRIER 1944.
Lorsque Victorin Jasset arrive chez Gaumont, c'est Alice Guy qui est responsable du secteur cinématographique et cette dernière se souvient de lui dans ses mémoires :
J'étais heureusement secondée par d'excellents assistants dont j'ai déjà parté et enfin, en 1905 (deux ans avant mon départ pour les États-Unis) par Victorin Jasset, un artiste qui avait mis en scène les grands défilés de Jeanne d'Arc et de Vercingétorix à l'Hyppodrome, avant que l'énorme salle ne devînt le Gaumont Palace.
GUY, 1976:81.
Pour les prises de vue de L'Industrie du fer et de l'acier, Jasset suggère à Alice Guy un tournage à Fumay, d'où il est originaire :
Afin de mettre en scène un drame minier, inspiré d'un roman de Zola, Jasset, mon assistant, m'avait suggéré Fumay petite ville triste et noire des Ardennes qui se reflète dans la Meuse. La principale cheminée était soi-disant en mauvais état, je dus, au grand amusement du personnel de la mine, revêtir la salopette des mineurs et m'étendre dans une benne pour descendre à cinq ou six cents mètres sous terre par l'étroit boyau servant de puits. Les galeries basses, étayées d'un boisage qui me paraissait insuffisant, les explosions ébranlant d'énormes tranches d'ardoise, dont les ingénieurs surveillaient minutieusement le glissement à l'aide de cire coulée entre les lames, tout cela me paraissait assez menaçant. J'éprouvai, je l'avoue, un certain soulagement à me retrouver en plein air. Heureuse cependant de cette nouvelle expérience, de cet enrichissement.
Ce furent ensuite les charrettes aux attelages de chiens transportant les boîtes de lait, les habitants en costumes du pays, les douaniers belges qui nous fournirent un excellent matériel. Nous eûmes malheureusement à déplorer deux accidents assez graves : un enfant fut renversé par les chiens, une figurante fit une mauvaise chute. Mes artistes superstitieux, comme tous les gens de théâtre, attribuèrent ces accidents à une malheureuse salamandre recueillie dans les bois, que je comptais rapporter au docteur François-Franck pour ses études. Pour comble de malheur, durant la nuit, la pauvre bestiole mit au monde sept petits salamandreaux. Au moment de monter en wagon, transportant moi-même la précieuse salamandre et ses petits, je fus un peu bousculée, le bocal m'échappa, roula sous le train qui partait et tout le monde respira.
GUY, 1976: 83.
C'est au cours des premières semaines de 1906 que Victorin Jasset va participer à la préparation de La Naissance, la Vie & la Mort du Christ. Son rôle est précisé par Henri Menessier :
M. MENESSIER.-Quand il [Victorin Jasset] faisait un film, il avait toujours des dessins appropriés, il le préparait à l'avance.
Quand nous avons fait, par exemple, La Passion, non seulement il a amené énormément de documentation, mais il nous avait fait acheter La Vie de Jésus-Christ par Tissot, éditée chez Mame. C'est certainement le plus beau bouquin qu'on ait écrit sur ce sujet. Il nous l'a fait lire, mais on s'en est aussi inspiré pour les décors, et tout ça. Ce livre est resté chez Gaumont.
FONDS SADOUL, Cinémathèque française, cote GS-A-34 COMMISSION HISTORIQUE 12 FÉVRIER 1944.
Henri Menessier donne quelques explications complémentaires relatives à la conception de ce film :
MENESSIER [...] On avait fait la maquette d'après un petit croquis, on s'était inspiré de la Bible. Du reste, les actinonaires, voyant ce film avaient décidé de remettre 50% dans ce qu'on appelait la partie théâtre - c'est ce qui a donné du courage parce que ces gens-là se demandaient "Est-ce que ça va marcher ?" et jusqu'à maintenant, il n'y avait pas grand'chose. Jasset à donc fait "La Passion".
"Commission de Recherche Historique, "Henri Ménessier : Interview par Musidora. ", CRH33-B2, p. 1. Cinémathèque Française.
La situation chez Gaumont va pourtant se dégrader peu de temps après le tournage de La Naissance, la Vie & la Mort du Christ, le comportement de Victorin Jasset avec les jeunes femmes n'est pas du goût de ses employeurs :
M. LANGLOIS : Pourquoi Jasset a-t-il quitté Gaumont ?
M. HATOT : Je crois que c'est à la suite d'une discussion avec Mlle Alice Guy. À l'entrée de Feuillade, il n'y avait pas place pout tout le monde. Cela se situait vers 1906. C'est en somme Jasset qui a mis Feuillade en place chez Gaumont, parce que je lui ai dit : "Faites entrer ce garçon-là". Il m'avait demandé de rentrer chez Pathé. Il m'avait dit ensuite : "Après tout, je préfère aller chez Gaumont, parce que chez Gaumont vous n'y êtes pas". Je lui répondis : "J'ai quelqu'un dans la place qui vous aidera. Allez le voir, il vous aidera".
Jasset l'aida pour entrer. Ensuite, il y a eu des petites discussions. Jasset avait un défaut : il frôlait les petites femmes. Et Mlle Alice, comme Charles Pathé [sic] [Léon Gaumont] c'étaient des marchands de pudeur. Il a été obligé de partir. C'est là que je l'ai pris avec moi chez Pathé. Cela se situe un mois de mai-juin 1906. (p. 9-10) .
"Les débuts du Cinéma, Souvenirs de M. Hatot, 15 mars 1948", p. 6-7. Fonds Commission de Recherche Historique (CRH 52-B2). Cinémathèque française.
Georges Hatot et Victorin Jasset vont donc quitter Gaumont et rejoindre le concurrent Pathé.
Pathé (1906-1907)
On peut situer l'arrivée de Victorin Jasset chez Pathé vers le printemps ou le début de l'été 1906.
M. Pierre HENRY.-Après ses débuts chez Gaumont, il est passé chez Pathé pour faire Cendrillon. Il y est resté six mois.
M. LANGLOIS.-Le Cendrillon de Pathé est de Jasset. Il y en a deux chez Pathé, un de Méliès, qui a deux cent cinquante mètres. J'en ai retrouvé le négatif chez Pathé, mais il y a un autre Cendrillon, c'est alors celui de Jasset.
FONDS SADOUL, Cinémathèque française, cote GS-A-34 COMMISSION HISTORIQUE 12 FÉVRIER 1944.
Georges Hatot évoque de façon plus détaillée cet épisode :
M. HATOT. À ce moment-là, j'avais fait venir Jasset chez Pathé. Jasset était un homme d'une autre classe, qui certainement ne pouvait pas s'accorder avec la mentalité d'un Zecca, c'était un homme de talent, un dessinateur de costume. Il était l'auteur de " Vercingétorix " et directeur à l'ouverture de l'Hyppodrome qui est devenu depuis le Gaumont Palace. Jasset n'a pas plu. On lui tirait toujours dans les pattes, et pour m'attraper, on a traqué aussi Jasset, à telle enseigne, qu'un jour Jasset est parti.
M. LANGLOIS : Quels sont les films qu'il a faits chez Pathé ? On m'a dit que " Le Chat botté " était de lui.
M. HATOT : Non. Il n'était pas metteur en scène non plus. Il mettait un peu en scène. Je le laissais faire parce qu'il avait de la valeur. Le plus beau film qu'il ait fait, c'est "Cendrillon". C'était très bien pour l'époque. On a tourné dans le château de la Dubarry à Louveciennes. C'était pas mal pour l'époque.
Cinémathèque Française, Les Débuts du Cinéma, Souvenirs de M. Hatot, 15 mars 1948, p. 6-7.
Le troisième témoignage est celui d'Henri Menessier qui confirme que Victorin Jasset est engagé comme metteur en scène:
Jasset a donc fait "La Passion". Il était metteur en scène attitré, mais il fallait aller de l'avant, alors, à ce moment-là, Pathé lui a fait aller de l'avant, alors, à ce moment-là, Pathé lui a fait une offre de venir pour tourner Cendrillon. Et il a quitté Gaumont pour tourner Cendrillon chez Pathé.
"Commission de Recherche Historique, "Henri Ménessier : Interview par Musidora. ", CRH33-B2, p. 1. Cinémathèque Française.
À cette époque, Ferdinand Zecca va retrouver ses responsabilités qu'il avait perdues lorqu'il avait rejoint Gaumont et qu'il ne semble avoir récupérées complètement qu'au bout de plusieurs mois après son retour chez Pathé. Le caractère autoriitaire de Zecca conduit Victorin Jasset à quitter son dernier employeur :
MENESSIER [...] Et il a quitté Gaumont pour tourner Cendrillon chez Pathé. Mais au retour de Zecca, il se trouvait encore avec un autre patron, mais plus autoritaire et alors, à ce moment-là, il est venu un Américain qui voyait qu'il y avait quelque chose à faire dans le cinéma. Il a rencontré Jasset et Jasset est rentré aux studios de Courbevoie.
"Commission de Recherche Historique, "Henri Ménessier : Interview par Musidora. ", CRH33-B2, p. 1. Cinémathèque Française.
Et après... (1907-1913)
L'Éclipse (1907-1908)
Les difficultés que Victorin Jasset semble connaître avec celui qui a retrouvé ses fonctions de "patron" chez Pathé, Ferdinand Zecca, vont le conduire à accepter une proposition que lui fait Georges Henry Rogers qui vient de constituer, avec Paul, Joseph Roux, la société Éclipse (30 août 1906) qui reprend la branche continentale de la Charles Urban Trading Company. D'après le témoignage de Georges Hatot, c'est ce dernier qui lui conseille de rejoindre la nouvelle société :
Moi je m'occupais des autres. Je lui ai dit : "écoutez, je voudrais essayer de vous faire faire une affaire. Vous allez aller à l'Eclipse de ma part. Vous allez voir Rogers et s'il ne me téléphone pas, s'il ne vient pas me voir pour parler de vous, c'est qu'il vous prend tout de suite.
L'affaire de l'Eclipse ça s'appelait Urban. C'était passage de l'Opéra. Il va là bas et en effet, il s'arrange pour tourner un film. Pour ce film, il est venu me dire : ·Est-ce que tu ne pourrais pas me donner quelques acteur ? Je lui ai répondu affirmativement et je lui ai donné entre autre un nommé Debray. Je ne sais pas comment on a su à Montreuil que des acteurs de chez Pathé avaient tourné ailleurs. Ils ont acheté la bande chez Urban et ils l'ont passés à Charles Pathé, en disant que c'était moi qui avait fait l'affaire.
Cinémathèque Française, Les Débuts du Cinéma, Souvenirs de M. Hatot, 15 mars 1948, p. 6-7.
Selon Henri Menessier, ce sont donc les relations difficiles entre Ferdinand Zecca et Victorin Jasset qui auraient été la véritable cause du départ de ce dernier de chez Pathé :
Mais au retour de Zecca, il se trouvait encore avec un autre patron, mais plus autoritaire et alors, à ce moment-là, il est venu un Américain qui voyait qu'il y avait quelque chose à fait dans le cinéma. Il a rencontré Jasset et Jasset est rentré aux studios de Courbevoie.
"Commission de Recherche Historique, "Henri Ménessier : Interview par Musidora. ", CRH33-B2, p. 1. Cinémathèque Française.
Chez son nouvel employeur Victorin Jasset va prendre contact avec Clément Maurice, ancien collaborateur des frères Lumière, qui vient de fonder la Société Générale de Cinématographes et Films Radios (26 juin 1907). Il va dès lors travailler pour les deux sociétés :
À ce moment-là, Clément Maurice avait bâti à Boulogne un studio appelé Radio... C'était la vieille équipe de Lumière - des gens très bons photographes, mais question sujet, ils n'y connaissaient rien.
Jasset a fait une jonction entre les deux sociétés.
Jasset tournait les films à Courbevoie, et le lendemain à Boulogne, et ainsi de suite. Il développait les films dans les studios. C'est là que j'ai connu Georges. Jasset tournait énormément. On tournait des scènes l'après-midi et ça a bien marché.
"Commission de Recherche Historique, "Henri Ménessier : Interview par Musidora. ", CRH33-B2, p. 1. Cinémathèque Française.
Après être resté un peu plus d'un an à l'Éclipse, Victorin Jasset tente une nouvelle aventure.
Le Lion et Le Film Négatif (1908-[1909])
La Compagnie des Cinématographes Le Lion est fondée le 18 septembre 1908 par les familles Froberville et Mouillé. Le responsable de la production est Georges Hatot qui a déjà une longue expérience dans le domaine du cinématographe. Il embarque avec lui Victorin Jasset :
M. MENESSIER.-Jasset avait, avec Georges Hatot, fait un cinéma au Pré Saint Gervais. Ça s'appelait Le Lion. C'était une maison de production, une nouvelle société qui se montait. Il amenait tout le spectacle: figuration, artistes, scénarios.
FONDS SADOUL, Cinémathèque française, cote GS-A-34 COMMISSION HISTORIQUE 12 FÉVRIER 1944.
Sans qu'il soit possible de connaître les films tournés par Victorin Jasset, on peut penser qu'il est l'auteur d'une partie des 165 négatifs (28.000 m.) tournés par la société Le Lion. Grâce à Henri Menessier, on connaît au moins un titre, La Partie d'échecs de Napoléon :
M. LANGLOIS.-Quand un homme comme Jasset faisait un film historique, comme La Tempête de Shakespeare, avait-il soin de s'intéresser à ce que le film soit exact ?
M. MENESSIER.-Oh oui ! C'était lui le plus calé de tous. Il était plus érudit que les autres. Il avait fait un film pour Le Lion, au Pré-Saint-Gervais, qui s'appelait: La Partie d'échecs de Napoléon, il avait fait ça avant d'aller à l'Éclair. Le Lion, c'était en 1907. Le studio du Lion était monté avec une scène comme un théâtre. C'était l'ancienne usine de Galand qui l'avait construite.
FONDS SADOUL, Cinémathèque française, cote GS-A-34 COMMISSION HISTORIQUE 12 FÉVRIER 1944.
La production connaît un premier ralentissement en 1909, mais Victorin Jasset fait toujours partie de l'équipe, en mai, comme nous l'apprend un bref article publié dans la revue anglaise Kinematograph Weekly :
Negatives Only.
Mr. Hattot [sic] invited me to inspect the erection of his new stage and laboratory. The importance of this undertaking, and the experience shown in the design and execution of the theatre, fully warrant a full description. Mr. Hattot denied the unreasonable information that his capital stock is above a couple of millions ! We have already denied such a high figure for a concern intended to manufacture negatives only. His ambition is to show how perfect and up-to-date goods can be made under sound conditions—nothing is spared, however, for securing the best workmanship or talent. Among the last secured is M. Jasset, who has already had a long and successful career in kinematograph work as an author and stage manager with Mr. Hattot on the Eclipse and Eclair staffs.
Kinematograph Weekly, jeudi 27 mai 1909, p. 5.
À cette époque, Georges Hatot, directeur des "Éditions des Films Négatifs", est chargé du studio de la société situé au Pré-Saint-Gervais. Le journaliste du Kinematograph Weekly, dans un article ultérieur, évoque un publie un long article où il évoque le tournage d'un épisode de Docteur Phantom sous la direction de Victorin Jasset pour le compte de la société Raleigh & Robert :
I was, indeed, fortunate in witnessing the bedroom scene from a new series called "Doctor Fantoame," which was being produced in three subjects for Messrs. Raleigh & Roberts. M. Jasset, late director of the Hippodrome, was in charge of the actors, and in a characteristic and painstaking manner rehearsed each scene until the actresses were perfect for the particular section to be camerised. Time after time the leading lady of the Theatre Garnier returned to her room after poisoning another woman ; six times was she made to enter with wild, scared excitement, until her perfect performance sent a thrill of excitement through each onlooker, and then to the whir of the camera the record was taken-only 100 feet, which was twice photographed in order to secure nothing but the best.
The patience, tact and ability of each member of the staff were surprising. A rug was changed, the position of the toilet glass altered; even such a small point as the shifting of the powder puff from left to right of the toilette table, when the actress, having somewhat calmed her feelings, looked at herself in the glass and calmly powdered her face where tears of remorse had left their stain, were suggested by the interested actors waiting their turn, and each strove to suggest improvements or modifications to the gracious stage manager. No question of getting through in the quickest time, but all attempting to obtain the best and most perfect result.
An engagement of £20 a week for a couple of months is worth giving your best for, and I understand this is but a general rate of pay to actors and actresses for their hard and trying work.
But space will not allow me to enlarge on this department. I could more than fill our journal with a description of the rehearsal alone, and I want to give an account of other features of the concern.
[...]
STROLLER.
The Kinematograph & Lantern Weekly, 5 août 1909, p. 559
Puis la production s'interrompt presque totalement en 1910. Il est probable que cette situation conduise Victorin Jasset à quitter la compagnie Le Lion pour rejoindre Éclair. La société est mise en liquidation quelque temps plus tard (Greffe de la justice de paix de Montreuil-sous-Bois. 30 septembre 1912).
La société Éclair ([1909]-1913)
La carrière de Victorin Jasset, entre 1905 et 1909, est marquée par une grande instabilité. On sait que ses déboires avec les femmes constituent sans doute l'une des raisons de ces changements à répétition. Un autre motif qui rend délicates ses relations, c'est sa façon de travailler elle-même, quelque peu instable, selon le témoignage de Georges Hatot :
M. HATOT : C'était un peu le défaut de Jasset. C'était un type qui avait du talent. Ce serait maintenant, il aurait du talent et il ferait des choses épatantes. Il avait énormément de conscience pour lui et aucune pour les autres. Quand il commençait un film, il était tout feu, tout flamme. Quand il était pour le finir, il sabotait. C'était inconscient. Il commençait en faisant le maximum. Après, ça traînait : il pensait déjà à l'autre film. Il avait un manque d'équilibre. Je lui disais : "Allez-vous en et je terminais le film. Après avoir fait "Le Corsaire", nous devions partir en Tunisie. On se trouvait à Marseille. On va au cinéma. On se rencontre. Je le revois le lendemain matin. Il me dit : "vous êtes-vous amusé ?...
Cinémathèque Française, Les Débuts du Cinéma, Souvenirs de M. Hatot, 15 mars 1948, p. 15-16.
Hatot n'est d'ailleurs pas le seul à faire ce reproche à Victorin Jasset. M. Bosc évoque aussi une façon spéciale de travailler :
M. BOSC.- [...] Il avait une particularité curieuse, je peux vous le dire : il travaillait neuf fois sur dix sans scénario. Il avait une imagination tellement féconde que la vue d'un site qui lui plaisait, d'une fontaine, d'un abreuvoir, lui donnait l'idée de bâtir un scénario. Il en tournait quatre ou cinq à la fois. Et il accouchait de 5 très beaux films. Il prenait son bien un peu où il le trouvait.
Il a tourné Germinal, Madame Butterfly, sous le titre de Son rêve ne dura qu'un jour. C'était une chose épatante.
FONDS SADOUL, Cinémathèque française, cote GS-A-34 COMMISSION HISTORIQUE 12 FÉVRIER 1944.
Toujours est-il que Victorin Jasset va se lancer dans cette nouvelle aventure, poussé, semble-t-il, par [Georges] Maurice. Dumesnil parle sans doute de Léopold Maurice, fils de Clément Maurice, né en 1880 :
M. DUMESNIL.-C'est M. Georges Maurice qui a insisté beaucoup pour que Jasset soit pris à l'Éclair. C'est à l'époque où j'y suis entré. J'avais 31 ans. Georges Maurice avait 28 ans.
FONDS SADOUL, Cinémathèque française, cote GS-A-34 COMMISSION HISTORIQUE 12 FÉVRIER 1944.
Le projet de tournage concernant le premier épisode de Zigomar date de 1910 comme le journal britannique Kinematograph Weekly l'indique et c'est Raphael Adam qui semble alors en détenir les droits :
ANOTHER SMILING GENTLEMAN
We met at Le Lion's office was M. Raphael Adam, whose satisfaction is due to a well-realised plan. M. Adam is a stage artist who not slow to understand the chances of the moving-picture trade. Then he went on making pictures for his own account, and soon became one of the best independent producers of negatives. The plan referred to had been suggested to him by reading a successful popular romance now appearing in "Le Matin " under the expressive title of " Zigomar "; and as a result of his prompt action the films to be drawn therefrom will be his property. Our readers will imagine their value when they hear that " Zigomar " beats anything written to date in the field oi criminal adventure. The series should attain a success similar to the Nick Carter's films.
We heard from M. Raphael Adam that he had not yet decided whether to exploit this subject himself or to concede the rights to a firm which will become or part proprietor of same. The choice is still open, and we hope a good manufacturing firm will close with him and strike a sure vein of success. The subject is as international as possible, and can be treated in any country for any country. We hope it be adopted a first-class foreign house.
Kinematograph Weekly, jeudi 24 février 1910, p. 7.
Rectifiant une erreur de son précédent article, le Kinematograph Weekly écrit :
Five Films from " Zigomar."
Our reference to this subject last week was necessarily incomplete, and the account of our conversation with Mr. Raphael Adam was erroneous, as it was at the offices of the Eclair Film Company we met this gentleman, who by contract owns the sole rights for filming the Zigomar series. These films will be five in number, and will be subjected to more speculation and inquisitiveness on the part of the public than the Nick Carter series. The success of the Eclair Company with the latter indicates that no manufacturer could secure for the new series a better success than those who fathered Nick Carter's exploits.
Kinematograph Weekly, jeudi 3 mars 1910, p. 13.
Le premier témoignage de la présence de Victorin Jasset dans la société date du mois de mai 1910, même s'il est probable qu'il soit arrivé avant à la Société Française des Films et Cinématographes "Éclair" :
The Eclair
This successful concern is adding, to its stage, as well as its travel staffs. Rena [sic] Moreau is now back from Syria, Egypt, Palestine, and Nubia, and his films are as creditable as in the past. MM. Hatto and Jasset have returned from Tunis, and are back in their studio, so ably described to the WEEKLY'S readers by "Stroller" a year ago. They took a party of fifty artists, and have secured some fine films, as will be seen by the first releases soon to be issued by the Eclair Company. The opening of the season will see the Eclair Company with a weekly production of from three to six films, besides the film they produce for other Companies. Their trade motto will then be not only "quality," but "quantity."
.Kinematograph Weekly, jeudi 19 mai 1910, p. 5.
De fait, Victorin Jasset occupe déjà un poste d'administrateur qu'il quitte à l'occasion de l'Assemblée générale ordinaire qui se tient le 10 mai 1910: :
SOCIÉTÉ FRANÇAISE
DES
Films et Cinématographes "ÉCLAIR"
RESOLUTIONS
adoptées à l'Assemblée générale ordinaire
du 10 Mai 1910
[...]
CINQUIÈME RÉSOLUTIONS
l'Assemblée donne à M. Jasset, Administrateur démissionnaire, quitus de sa gestion.
Adoptée à l'unanimité.
Ciné-journal, 3e année, nº 94, 11 juin 1910, p. 7.
Le cinématographiste est alors entouré d'un certain nombre d'acteurs sur lesquels il peut compter pour les tournages :
M. LANGOIS. Aimos nous a écrit qu'il avait été régisseur de Jasset, qu'il l'avait bien connu, qu'il avait travaillé avec lui. Malheureusement il ne pouvait pas venir aujourd'hui. Qui avait-il comme acteurs ?
M. BOSC. Il y avait Arquilliers, Josette Andriot, Charles Krauss, Cécile Guyon, Madame Silvaire, Madeleine Grangeaud, Paul Guidé, M. Gouget.
FONDS SADOUL, Cinémathèque française, cote GS-A-34 COMMISSION HISTORIQUE 12 FÉVRIER 1944.
Pendant quatre ans environ, Victorin Jasset va réaliser un nombre significatif de films pour la société l'Éclair avant de décéder en 1913.
Sources
DESLANDES Jacques, "Victorin-Hippolyte Jasset 1862-1913"dans Anthologie du cinéma : supplément no.85 (Paris, Avant-Scène Cinéma, 1975) p. 272-273.
GUY Alice, Autobiographie d'une pionnière du cinéma (1873-1968), Paris, Denoël/Gonthier, 1976, 240 p.
JASSET Victorin, "Etude sur la Mise en scène en Cinématographie", Cine-Journal :
- 4e année, nº 165, 21 octobre 1911, p. 51.
- 4e année, nº 166, 28 octobre 1911, p. 33. 35-37.
- 4e année, nº 167, 4 novembre 1911, p. 31. 33. 35.
- 4e année, nº 168, 11 novembre 1911, p. 38-39. 41.
- 4e année, nº 170, 25 novembre 1911, p. 25-27.
LACASSIN Francis, Pour une contre-histoire du cinéma, Institut Lumière/Actes Sud, 1994, 360 p.
RICHARD Jacques, Dictionnaire des acteurs du cinéma muet en France, Paris, Editions de Fallois, 2011, 910 p.
3
1905
L'Industrie du fer et de l'acier (Gaumont)
Les Rêves du fumeur d'opium (Gaumont)
1906
Les Gendarmes sont sans pitié (Gaumont)
La Naissance, la Vie & la Mort du Christ (Gaumont)
1907 |
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Cendrillon (Pathé) | ||
[1908-1909] |
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La Partie d'échecs de Napoléon (Le Lion) | ||
Docteur Phantom (Raleigh & Robert) | ||
1910 |
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L'Enseveli du Tbessa (207 m.) | ||
Dans les ruines de Carthage (203 m.) | ||
La Résurrection de Lazare (250 m.) | ||
La Fleur de mort (190 m.) | ||
Hérodiade (Éclair) | ||
1911 |
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La fin de Don Juan [292 m.] (Éclair) | ![]() |
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Son rêve ne dura qu'un jour (Éclair) | ||
Au pays des ténèbres (Éclair) | ![]() |
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1912 |
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Le Mystère du Pont Notre-Dame (Éclair) | ![]() |
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La Reine de Camargue (Éclair) | ![]() |
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Aux feux de la rampe (Éclair) | ![]() |
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Zigomar contre Nick Carter (Éclair) | ![]() |
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Dans la cave (Éclair) | ![]() |
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Balaoo (Éclair) | ![]() |
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1913 |
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Les Enfants du capitaine Grant (Éclair) | ![]() |
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Jack (Éclair) |