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- Mis à jour : 7 mai 2024
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NOUVELLE-CALÉDONIE
Jean-Claude SEGUIN
La situation géographique de la Nouvelle-Calédonie fait que son sort cinématographique est lié, dans un premier temps, à la proximité relative de l'Australie. Les opérateurs itinérants intègrent Nouméa comme une étape dans leur périple océanien.
À la différence de ce qui se produit souvent ailleurs, la Nouvelle-Calédonie, au cours des dix premières années du cinématographe, va rester dépendante de tourneurs qui se rendent à Nouméa l'espace de quelques jours ou de quelques semaines. En outre, et même la presse évoque à l'occasion des tournages, aucun film ne semble avoir été présenté, ce qui fait peser quelques doutes sur l'existence même de ces bandes locales.
1896
L'arrivée frustrée du cinématographe (septembre 1896)
L'éloignement n'est pas un obstacle pour que dans La France australe on trouve des informations sur les nouveautés techniques et tout particulièrement celles qui ont à voir avec la projection animée. Dès septembre 1896, on peut lire un long article sur le nouveau projecteur d'Edison, le vitascope:
Echos de partout
Le Vitascope
Edison ne fait plus beaucoup parler de lui depuis quelque temps, et cela ne peut évidemment durer. Voici que l'on nous annonce qu'il va nous doter du "vitascope", cinématographe de son invention, qui n'aurait pas de tremblotement.
De plus le vitascope serait doublé d'un phonographe nouveau permettant d'entendre nettement tous les bruits, sons et chants accompagnant les scènes reproduites.
Comme son nom l'indique, le vitascope reproduirait tous les phénomènes de la vie extérieure. Les objets ne se- [sic] plus seulement animés, on percevrait le bruissement des feuilles, les cris de la foule, le sifflement du vent. Et les grands spectacles de la nature pourraient ainsi nous être représentés tant à n'importe quelle distance qu'à un intervalle indéterminé d'années.
Les deux premiers "clous" de cet appareil seraient la vue des chutes du Niagara avec le bruit tonitruant de la légendaire cascade, et le départ d'un transalantique [sic]. Le théâtre mécanique et automatique, sans acteurs, sans figurants et sans musiciens, se trouverait ainsi réalisé. Attendons à l'œuvre le grand inventeur américain.
La France australe, Nouméa, 26 septembre 1896, p. 1.
En attendant qu'un cinématographe ne daigne passer à Nouméa, les Néo-Calédoniens doivent se contenter des concerts des "Enfants de Paris" qui pendant des mois animent la vie nouméenne. Pourtant, à peine quelques jours après l'annonce précédente, La France australe consacre un article en première page au sujet de celui qui est censé présenter un cinématographique Lumière, Marius Sestier.
LE CINÉMATOGRAPHE
Parmi les passagers du "Polynésien" nous signalerons d'une manière toute spéciale l'arrivée à Nouméa de M. Sestier, représentant de MM. Auguste et Louis Lumière de Lyon, les inventeurs de cet ingénieux appareil que l'on nomme le Cinématographe.
Ce curieux instument permet non seulement d'enregistrer par la photographie toutes les scènes animées les plus variées, sans omettre aucun des mouvements qu'elles comportent, mais encore de les reproduire fidèlement, de grandeur naturelle, en les projetant sur un écran, les rendant ainsi visibles pour toute une assemblée de spectateurs.
Grâce aux progrès réalisés on a donc pu arriver à produire des photographies d'une fidélité scrupuleuse qui, dosposées dans des appareils d'une rare perfection, donnent l'illusion parfaite de la vie. Le Cinématographe de MM. Lumière et fils est une véritable merveille qui a fait l'admiration des passagers du "Polynésien".
Le Cinématographe permet de reproduire des scènes où l'on voit des rues entières ou des places publiques avec tout leur mouvement de piétons, voitures, tramways, etc., et l'illusion du mouvement dans les épreuves agrandies est telle que les scènes projetées sont d'une réalité saisissante.
M. Sestier compte séjourner quelque temps à Nouméa où, très certainement, le Cinématographe fera sensation.
La France australe, Nouméa, 30 septembre 1896, p. 1.
Tout est donc prêt pour que tout Nouméa découvre le merveilleux appareil... Mais voilà, Marius Sestier va finalement renoncer à présenter son cinématographe Lumière et se rend directement en Australie. En atendant que quelqu'un veuille bien passer par la Nouvelle-Calédonie avec un appareil de projection, le chanteur comique et monologuiste Steintwal anime les soirées nouméennes (La France australe, Nouméa, 13 janvier 1897), sans oublier bien sûr les "Enfants de Paris".
1897
Le Cinématographe Joly-Normandin d'Auguste Plane et Georges Boivin (Hôtel-de-Ville, 9-15 avril 1897)
Finalement, c'est en avril 1897 que le premier appareil cinématographique débarque pour présenter des vues animées. Il va de soi que la presse accorde une place significative à l'événement. Le 7 avril, La France australe, en première page, publie le suivant article:
LE CINÉMATOGRAPHE
Enfin ! Nous avons l'opportunité de voir dans notre ville une exibition de la merveilleuse invention qui en ce moment attire foule dans les théâtres de l'Europe; le Cinématographe.
Après le Phonographe d'Edison notre siècle a donné le jour à une merveille bien plus étonnante dans ses effets ; le Cinématographe de MM. Auguste et Louis Lumière, au moyen duquel le mouvement est enregistré et projeté à volonté sur un écran. Avec cet appareil des scènes de rues entières avec leur mouvement de voitures et de piétons, l'arrivée d'un train à grande vitesse, enfin les scènes les plus mouvementées que l'on puisse imaginer sont photographiées et reproduites fidèlement grandeur nateulle. C'est ainsi que nous pouvons voir à Nouméa la place de la République de Paris, non le Paris immobile mais le Paris qui a vécu de telel heure à telle heure et à telle date.
Et bientôt quelles ne sont pas les étonnantes productions que le Cinématographe est appelé à nous donner, par exemple la croissance d'un arbre ou le développement d'un homme de l'enfant à l'âge mur reproduits en quelques minutes, ou encore avec la combinaison des rayons X la danse des squelettes tirée de quelque grand bal à sensation de très honorables personnages connus.
La France australe, Nouméa, 7 avril 1897, p. 1.
La Fance australe, Nouméa, 7 avril 1897, p. 1.
Dans la publicité qui paraît le même jour, se trouvent les noms des deux personnes à l'origine de cette première projection à Nouméa. Auguste Plane, propriétaire du cinématographe, vient d'arriver à bord du Ville-de-la-Ciotat (La France australe, Nouméa, 7 avril 1897, p. 2). Quant à Georges Boivin, il se présente comme l'agent général. La publicité est très orchestée et personne ne peut échapper à cette "campagne". La première a donc lieu le 9 avril et le programme annoncé comprend quatorze vues cinématographiques :
- L'Arrivée du train en gare d'Asnières
- Place de la République (Paris)
- Le Jardinier
- Charge de dragons
- Enfants au bois
- La Leçon de bicyclette
- Plage de Trouville
- La Loïe Fuller, danse serpentine
- La ferme
- Régiment de hussards anglais
- Jardin d'acclimation [sic]
- 36e Régiment défilant
- Sortie de l'Eglise
- Arrestation d'un ivrogne
La réaction de la presse est immédiate et dès le lendemain un artcle est consacré à cette présentation inaugurale. En voici les termes :
LE CINÉMATOGRAPHE
Nous assistons presque chaque jour à l'enfantement de découvertes qui défient les imaginations les plus hardies. Ainsi grâce à MM. Plane et Cie, la foule qui encombrait hier soir la Salle de l'Hôtel de Ville a été témoin des effets merveilleux du Cinématographe de M.M. Auguste et Louis Lumière.
L'arrivée d'un train qui entre en gare avec le va et vient des passagers est d'un naturel étourdissant La Loïe Fuller, l'arrestation d'un ivrogne, le jardinier, etc., etc., sont merveilleux de réalisme.
Il y a à peine un siècle on aurait taxé d'impossible les étonnantes productions du Cinématographe qui, malgré quelques imperfections, n'en est pas moins une merveille.
Que direz-vous donc dans quelque temps du nouvel appareil inventé par M. Dusseaud le Microphonographe permettant d'entendre pousser les feuilles et, plus étonnant encore, de saisir les bruits de la pensée.
Le mot impossible n'existe plus. En attendant, allez toujours voir le Cinématographe, cela en vaut la peine.
La France australe, Nouméa, 10 avril 1897, p. 2.
L'Hôtel de ville de Nouméa, c. 1910
L'article reprend un certain nombre de lieux communs que l'on a déjà lu dans la presse depuis 1896, cependant, contrairement aux informations que livre La France australe, le cinématographe que vont découvrir les Nouméens, n'est pas celui des frères Lumière, mais un projecteur Joly comme le précise le propre Auguste Plane dans un entrefilet:
Monsieur le directeur de La France Australe
Je vous prie d'informer le public que ce n'est pas le Cinématographe Lumière que je présente, comme vous le dites, dans votre numéro de samedi dernier, mais d'un appareil plus récent, avec un brevet Joly de Paris, dont je suis le représentant pour l'Australasie.
Je souhaite d'autant plus cette rectification que je suis dans les meilleurs termes avec Monsieur Sestier, le représentant de la maison Lumière pour lequel il a organisé des projections dans le Sud de l'Australie.
Par un accord spécial avec la maison Lumière, je suis en possession, depuis le mois de février dernier, de deux autres "CINÉMATOGRAPHES" mais je ne commencerai à les utilser qu'à partir du 1er mai à la fin du contrat avec le représentant actuel.
Recevez, monisieur, mes salutations cordiales
Signé: A. PLANE.
La France australe, Nouméa, 12 avril 1897.
L'impact du cinématographe est tout à fait significatif et La France australe n'hésite pas à consacrer sa première page, le 12 avril 1897, à un très long article sur le fonctionnement et l'historique de la nouvelle invention. Cet article ressemble à bien d'autres qui ont la même vocation informative, mais n'apporte rien de bien nouveau. Deux jours plus tard, toujours en première page, c'est un article intitulé "Chez Lumière", signé A. Elbert, repris du Petit Marseillais, où l'on cède la parole aux inventeurs lyonnais.
Le nombre limité de vues est également une caractériste de la plupart des projections des premiers temps. L'opérateur itinérant fait de courts séjours, car son répertoire est limité et il multiplie les déplacements. Dans le cas d'Auguste Plane, les nouvelles vues sont rares: Panorama, vue prise d'un train express, Le Czar au Panthéon (La France australe, Nouméa, 12 avril 1897), La Grande Course des automobiles à Paris (La France australe, Nouméa, 13 avril 1897), Quadrille réaliste "du Moulin Rouge" (La France australe, Nouméa, 14 avril 1897).. À peine quatre jours après son arrivée, le cinématographe annonce déjà son prochain départ :
LE CINÉMATOGRAPHE
Par suite des engagements qu'ils ont pris pour l'exposition de Brisbane qui doit ouvrir le 1er mai, les propiétaires de Cinématographe ont l'honneur de prévenir le public que leur dernière représentation aura lieu le 15 courant.
M. le Gouverneur Le Fol a bien voulu honorer de sa présence la représentation de dimanche dernier et a hautement manifesté le plaisir qu'il avait éprouvé.
Nous engageons vivement les personnes qui n'auraient pas encore assisté à ce merveilleux spectacle, de profiter des quelques représentations qui auront lieu avant le départ définitif de MM. Plane et Cie.
La France australe, Nouméa, 13 avril 1897.
La dernière séance a lieu le 15 avril. Quant à Auguste Plane, il quitte Nouméa le 16 avril, à bord du Tanaïs, et arrive à Sydney le 20 avril.
À Nouméa, au cours du mois de mai, une polémique s'engage sur une décision du conseil municipal qui souhaite ne plus affecter la Salle des Fêtes à des divertissements publics. Il s'agit en réalité de favoriser l'Eden-Concert de M. Rousselot qui "n'est autre chose qu'un café, où se chantent et se jouent les choses les plus risquées, où à l'occasion tout le monde indistinctement se coudoie, où par conséquent, les familles ne peuvent pas aller et ne vont pas." (La France australe, Nouméa, 25 mai 1897, p. 1). En attendant le retour d'un cinématographe, les Nouméens peuvent se distraire en écoutant le "Phonographe Électrique Edison" de la Maison Remeur, pour 0 fr 50 la première audition (La France australe, Nouméa, 16 juin 1897). Avec quelque retard, la presse évoque le terrible drame survenu à Paris, au Bazar de la Charité, où précisément c'est un appareil Normandin qui est responsable de la catastrophe.
Le cinématographe Joly-Normandin d'Auguste Plane et de Charles Lomet (15 juillet-2 août 1897)
Finalement, en juillet, Auguste Plane revient à Nouméa après avoir organisé quelques séances à Brisbane. Cette fois-ci il est accompagné de Charles Lomet. Il a toujours le même cinématographe Joly et s'apprête à présenter aux Néo-Calédoniens une nouvelle série de vues. Une première annonce est publiée dès le 10 juillet et annonce une inauguration pour le lendemain. En réalité, des questions d'ordre technique vont obliger les propriétaires à repousser la première de quelques jours :
CINÉMATOGRAPHE
L'installation du matériel électrique n'ayant pu être terminé à temps, la première représentation du cinématographe est renvoyée à mardi.
Les propriétaires tiennent à noter que tout danger se trouver entièrement écarté en raison du non emploi de gaz et matières inflammables, nécessaires pour la production de la lumière oxy-hydrique ou oxy éthérique.
La France australe, Nouméa, 12 juillet 1897.
Auguste Plane et Charles Lomet prennent bien soin de signaler que la source d'alimentation est l'électricité, souhaitant sans doute éloigner le spectre de la catastrophe du Bazar de la Charité, encore très présent dans les mémoires. Le programme d'ailleurs précise en outre que les projections se font à la lumière électrique par projecteur de 20 ampères 110 volts comme à l'Olympia. La première va donc avoir lieu le 15 juillet dans la salle Eden-Concert seule salle disponible depuis la décision du conseil municipal. Ce sont 15 vues qui sont projetées, mais la presse ne nous livre que trois titres : Attaque nocturne, Danse de genre de Miss de Vere de Parisiana et La Tentation de saint Antoine. La France australe est assez avare de titres, alors qu'elle n'hésite pas à rappeler les "principes du cinématographe" dans son édition du 17 juillet. Ce qui retient cependant l'attention c'est l'annonce de possibles tournages :
[...] Les productions spéciales créées par le cinématographe Joly aux grands concerts parisiens, telle que l'Attaque nocturne, La Tentation de Saint-Antoine ont été accueillies avec un véritable enthousiasme.
MM. Plane et Lomet ont à l'étude une série de vues à prendre pendant leur séjour à Nouméa. Pilou Pilou, Bains et plongeons canaques, etc., pour la maison de Paris. Les résultats excellents obtenus jusqu'ici en Australie, permettent d'augurer d'une réussite certaine.
Un changement complet de programme est annoncé prochainement.
La France australe, Nouméa, 15 juillet 1897.
Les fêtes du 14 juillet sont sans doute propices à ces prises de vues, mais le doute susbsiste sur ces tournages, car aucun de ces titres nouméens n'est projeté dans les mois suivants. Ça n'est pas la première fois que les propriétaires utilisent ces annonces pour faire de la publicité pour leur appareil. D'ailleurs, comme cela est habituel, la presse n'hésite pas à signaler la visite des autorités locales à la représentation des vues animées :
Cinématographe
Ce soir, aura lieu l'avant dernière représentation du programme actuel.
M. le Gouverneur, M. le Directeur de l'Intérieur, M. le Directeur de l'lAdministration pénitenciaire, M. le Chef du Service judiciaire, M. le Chef du Service administratif assisteront à la représentation.
La France australe, Nouméa, 17 juillet 1897.
La présence des autorités est toujours, pour le cinématographe, une publicité incontestable et la presse ne se prive pas de renouveler l'information :
Cinématographe
M. le Gouverneur, M. le Directeur de l'Intérieur, M. le Directeur de l'Administration pénitenciaire, M. le Chef du Service judiciaire, M. le Chef du Service administratif et une nombreuse et brillante société assistaient à la représentation donnée samedi à l'Eden-Concert.
Plusieurs vues ont été bissées avec enthousiasme.
Deux programmes différents seront donnés cette semaine.
Le mercredi, samedi et dimanche seront spécialement réservés aux familles.
Lundi et Vendredi, Le Bain d'Yvette, Guilbert, le grand succès des concerts parisiens, fera partie du programme.
MM. Plane et Lomet tiennent de nouveau à noter que tout ce qui pourrait froisser les familles a été soigneusement évité, les sièges de loges et de premières ont chacun leur entrée particulère, séparée complètement des bars.
Aucune consommation n'est servie dans la salle pendant le spectacle.
Nous insistons, à nouveau, sur ce fait que l'emploi exclusif de la lumière électrique pour les projections et l'éclairage écarte absolumnet tout danger d'incendie.
Le France australe, Nouméa, 19 juillet 1897
Dans cet article, se profile une nouvelle organisation directement liée au contenu des vues animées. D'une part, des soirées "familiales" où sont présentés des films pour tout public et d'autre part, des soirées au cours desquelles des films plus osés sont offerts aux spectateurs.
La France australe, Nouméa, 20 juillet 1897
Quelques nouveaux titres sont proposés : Duel entre femmes du monde, Le Jeux [sic] d'écarté, La Loïe Fuller-Danse serpentine (déja présentée en avril 1897) et Le Bain d'une Parisienne "Yvette Guilbert" (La France australe, Nouméa, 23 juillet 1897). Vers la fin du mois, il commence à être question de départ :
Cinématographe
Les dernières représentations du CINÉMATOGRAPHE sont annoncées avec un choix des meilleures vues du Programme.
L'Attaque nocturne, la Tentation de St-Antoine et le Bain d'une Parisienne, seront données chaque soir.
La Tentation de St-Antoine avec ses transformations presque scientifiquement incompréhensibles et le Bain par Yvertte Guibert f'une si grande finesse photographique feront incontestablement le clou des soirées.
La France australe, Nouméa, 26 juillet 1897.
Alors que les encarts du cinématographe occupent une large place dans les jours qui suivent, les informations sur les programmes restent très limitées. À la fin du mois, alors que les annonces ne changent guère, les propriétaires de l'appareil annoncent les dernières séances où sont présentées 20 vues. On remarquera qu'un prix spécial est reservé aux "indigènes, demie place" (La France australe, Nouméa, 31 juillet 1897). Un imprévu retarde le départ d'Auguste Plane et Charles Lomet ce qui leur permet de prolonger les séances, à moins qu'il ne s'agisse d'un truc habituellement utilisé par les pionniers pour relancer l'intérêt pour le cinématographe :
Cinématographe
Le retard apporté dans le départ du grand courrier procure le plaisir à ceux qui n'ont pas encore vu le Cinématographe, d'assister aux représentations supplémentaires qui seront données ce soir et dimanche.
Bien peu laisseront passer cette dernière opportunité de connaître une des plus grandes merveilles de notre siècle. MM. Plane et Lomet, qui organisent un très long tour en Australie, ne repasseront pas à Nouméa, ces dernières seront leurs soirées d'adieux ; ils emploieront en même temps les derniers jours à la prise des différents sujets calédoniens qui doivent être reproduits à Paris.
La France australe, Nouméa, 31 juillet 1897.
La dernière séance a lieu le 2 août 1897. Ce deuxième et dernier séjour d'Auguste Plane n'apporte finalement guère de nouveauté à Nouméa, à l'exception sans doute du Bain d'une Parisienne qui apporte aux Néo-Calédoniens un exemple de vues grivoises qui rencontrent un vif succès à Paris.
Pendant de longs mois, le cinématographe ne fait plus son apparition en Nouvelle-Calédonie. Parfois quelques distractions viennent animer la vie nouméenne, comme dans le cas des Chevaux de bois de M. Percy Roébuck, installé sur la Place Courbet. (La France australe, Nouméa, 8 avril 1898) ou l'ouverture du Café-Restaurant du kiosque (La France australe, Nouméa, 2 juin 1898). La presse évoque également, dans un long article, la photographie des couleurs (La France australe, Nouméa, 28 mai 1898).
1899
Le Cinématographe Lumière de Georges Boivin (9 juin-1er juillet 1899)
Lorsque Georges Boivin revient en Nouvelle-Calédonie, il le fait seul et apporte avec lui un cinématographe Lumière pour organiser une série de projections dans l'île. Pour l'occasion, il s'installe dans la salle des Fêtes de la Mairie, qui est de nouveau ouverte aux spectacles. La nouveauté, outre celle des vues Lumière, réside dans le projet de parcourir la Nouvelle-Calédonie et de se rendre au Bourrail, La Foa et d'autres communes :
CINÉMATOGRAPHE LUMIÈRE
Funérailles du Président Félix Faure
Nous apprenons que M. G. Boivin qui vient d'arriver par le Tanaïs se propose de donner une série de représentations cinémtographiques dans la Salle des Fêtes de la Mairie.
Il apporte avec lui sa nombreuse collection de tableaux augmentée de nouvelles vues, parmi lesquelles la très intéressante série montrant les funérailles du Président Félix Faure, et plusieurs combats de taureaux qui ont été organisés en Espagne au profil des victimes de la guerre Hispano-Américaine etc., etc.
Le séjour de M. Boivin parmi nous sera malheureusement fort court, son intention étant cette fois de faire une tournée dans la brousse avant le départ du grand courrier prochain. Les habitants de Bourrail, La Foa et les principaux centres autont donc une occasion unique d'admirer une des inventions les plus merveilleuses du siècle.
D'ici deux jours on trouvera tous les renseignements : programmes, prix des place, etc., dans les colonnes d'annonces du journal.
Nous souhaitons à M. Boivin tout le succès que mérite son admirable machine Lumière ainsi que les nouvelles et si intéressantes vues qu'il vient nous exhiber.
La France australe, Nouméa, 5 juin 1899.
Comme d'habitude, l'annonce de la venue de cinématographe permet de préparer le public et d'assoir en quelque sorte le succès de la tournée. Quelques jours plus tard, la première est annoncée :
CINÉMATOGRAPHE LUMIÈRE
Nous sommes heureux d'annoncer au public Nouméen que M. Boivin, propriétaire du Cinématographe Lumière donnera sa première soirée vendredi prochain à 8 heures et demie dans la salle des Fêtes de la Mairie.
On trouvera dans les colonnes du journal de demain le programme de la soirée qui nous dit-on sera des plus attrayants.
La France australe, Nouméa, 7 juin 1899
Grâce à la presse, et à la publicité très présente pour ces soirées, nous avons la chance de connaître, sans doute, la totalité des vues que les Calédoniens peuvent admirer. On y retrouve bien entendu les films du catalogue Lumière. Le programme publié le 8 juin comprend les vues suivantes : La famille Lumière, La Querelle des bébés, Défilé du 96e de ligne, Défilé des turcos, Escarmouche de cuirassiers, Chasseurs à cheval suivis des spahis, Relevé de grand'garde au palais de Buckingham (Londres), Arrivée d'une gondole (Venise), Voleur de grand chemin (comique), Arrivée d'un train, S.M. la Reine d'Angleterre se rendant à Windsor, Le Petit roi d'Espagne à la tête de ses gardes, Le Roi et la Reine d'Italie quittant le Quirinal, Taureaux dans leur parc, Procession des matadors, bandarillas [sic], picadors et du toréador dans l'arène de Torras à Madrid, en présence de 25,000 spectateurs, Capadors et taureau, Bandarillas excitant le taureau, Toréador tuant le taureau, Enlèvement du taureau, Concours de plongeurs à MIlan, Les Représentants français se rendant au couronnement du Czar et la Czarine, Le Czar se rendant au Kremlin pour son couronnement et Czarine, Le Czar quittant l'église de l'Assomption après le couronnement, Le président Félix Faure accompagnant le Czar et la Czarine, Funérailles du président Félix Faure : Le maître du Protocole suivi de tout son cortège, Le Clergé ayant à sa tête l'archevêque de Paris, Les Écoles militaires de France (Polytechnique et Saint-Cyr), Le Char funèbre. Le président Loubet suivi des ambassadeurs, des ministres et de sa maison militaire, La Cour de cassation et les corps constitués, troupes, etc., La mêlée de la foule. (La France australe, Nouméa, 8 juin 1899).
Les séances vont se dérouler sans encombre, à peine interrompues par les séances du Conseil municipal :
Cinématographe Lumière
Les représentations données samedi et dimanche au cinémtographe Lumière ont eu tout les succès que faisait prévoir la représentation de gala de vendredi dernier et il y a eu régulièrement salle comble. Malheureusement la série des représentaitons est aujourd'hui interrompue par une séance de Conseil municipal. Demain nous annoncerons la reprise avec un nouveau programme des plus intéressants.
La France australe, Nouméa, 12 juin 1899
Dans les jours suivants, la presse décline la liste de nouvelles vues Lumière : Partie de boules, Moutons à l'abattoir, Chargement de coke dans une verrerie, Défournage de coke dans une verrerie, Cyclistes et cavaliers, Puerta del Sol à Madrid, Leicester Square, Londres, Le Dîner de bébé, Leçon de voltige, Changement de coiffure, Le Vieux port de Marseille, Employés quittant la fabrique Lumière, Danse javanaise, Vue de Jérusalem, prise d'un train, Une bonne farce, Saut d'obstacles, Pierrot voleur, Ringstrasse Vienne (La France australe, Nouméa, 13 juin 1899) ; La Reine se rendant à Saint-Paul, La Reine se rendant à Buckingan palace, La musique à cheval, Les Troupes australiennes, Marine, Les Représentants des Puissances étrangères (La France australe, Nouméa, 14 juin 1899) ; Pose d'une chaudière à bord, Défilé du 97e [sic] de ligne, Enfants sur la plage à Trouville, Enfants et leur père, Cavaliers au Bois de Boulogne, Paris, Nègres, Mêlée de cuirassiers, Piccadilly Circus Londres, Démolition d'un mur, Charcuterie marseillaise (La France australe, Nouméa, 16 juin 1899).
Les conditions météorologiques, qui l'empêchent d'aller dans le reste de la Nouvelle-Calédonie, conduisent Georges Boivin à proposer de nouvelles projections, mais, cette-ci, à l'Eden-Concert, l'une des rares salles de Nouméa :
CINÉMATOGRAPHE LUMIÈRE
Sur la demande de nombreuses personnes qui n'ont pu aller voir le Cinématographe ces jours derniers et vu le mauvais temps qui l'a empêché d'aller dans la brousse, M. Boivin nous prie d'informer le public de Nouméa, qu'il a donner quelques représentations extra à l'Eden-Concert et ouvrira demain vendredi à 8 h 1/2 avec de nouveaux tableaux dont le programme paraîtra demain dans nos colonnes d'annonces.
La France australe, Nouméa, 22 juin 1899.
Les programmes publiés sont moins complets et souvent lapidaires, mais l'on trouve quelques vues nouvelles : Les Tigres, Les Danseuses, La série du combat de taureaux, L'Arrivée d'un train en Provence (La France australe, Nouméa, 23 juin 1899), même si certaines vues sont présentées sous des titres légèrement différentes. Après une quinzaine de jours, ce qui souligne le succès de ces projections, Georges Boivin annonce les dernières séances :
CINÉMATOGRAPHE
Nous rappelons à nos lecteurs que c'est demain dimanche l'avant dernière représentation de ce spectacle attrayant et instructif.
Les personnes qui n'auraient pu encore y assister feront bien de se dépêcher si elles veulent avoir une idée des magnifiques funérailles du Présidnet Félix Faure et d'autres vues intéressants.
La France australe, Nouméa, 24 juin 1899.
Une annonce retient l'attention dans la mesure où elle est révélatrice du fonctionnement social de la Nouvelle-Calédonie. Nous pouvons lire ainsi : "Les indigènes sont autorisés par Monsieur le Chef du service des affaires indigènes, à aller au Cinématographe, munis de l'autorisation écrtie de leurs engagistes. Aucune boisson ne leur sera donnée." (La France australe, Nouméa, 27 juin 1899, p. 1). On peut y lire, sans doute, une forme de discrimination envers les indigènes. La dernière a lieu le 1er juillet 1899.
Pendant de longs mois, plus aucun cinématographe n'est présenté à Nouméa. Les habitants doivent se contenter d'autres distractions. C'est le cas du Kalloscop, un curieux appareil qui semble destiné à présenter des vues fixes, accompagnées de musique :
L'OPÉRA À DOMICILE
GRAPHOPHONES ET KALLOSCOP
Les personnes qui désirent entrendre ce merveilleux instrument peuvent s'adresser à M. REMEUR qui se fera un plaisir de se rendre à domicile.
Dans les réunions de famille, ou soirées, le Graphophone est une des principales attractions scientifiques et amusantes.
Opéra, Orchestre, Chansonnettes, Monologues fin de siècle, par les premiers artistes de Paris.
Le prix minimum pour le déplacement est de 30 francs.
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Kalloscop
À partir de demain dimanche toutes les vues seront changées.
Cet instrument est visible tous les jours de 1 heure à 10 heures du soir.
Prix 0 f. 10 pour 12 tableaux.
Etnrée libre
REMEUR
Maison Raynal, avenur Wagram.
La France australe, Nouméa, 22 juillet 1899.
L'année 1899 voit également l'arrivée d'un nouveau photographe, L. Talbot, un collaborateur d'Eugène Pirou, qui ouvre un atelíer photographique, inauguré le 27 juillet 1899 (La France australe, Nouméa, 25 juillet 1899). Quant à M. E. Vigier-Latour, l'un des plus célèbres photographes de Nouvelle-Calédonie, il transfère son atelier, Vallée des Colons (La France australe, Nouméa, 29 mars 1899). La presse publie également des publicités ou des annonces sur le Phonographe Majestic ou le Gramophone. En 1901, Talbot s'associe à Vigier-Latour qui organise des tournées photographiques en Nouvelle-Calédonie (La France australe, Nouméa, 1er octobre 1901)
1901
Georges Boivin et J. Mitchell tournent des vues animées (14-19 juillet 1901)
C'est à nouveau Georges Boivin qui va se présenter à Nouméa, en juillet 1901, accompagné de J. Mitchell, pour une visite d'une autre nature. Si jusqu'alors il se contente de présenter des vues au public nouméen, cette fois-ci il est venu pour tourner des films. Même si la presse n'a pas tout retenu de ces tournages, nous savons que les cérémonies du 14 juillet sont l'occasion pour le pionnier de filmer avec le cinématographe Lumière. La revue du jour de la Fête Nationale est l'occasion de prendre plusieurs vues:
Au cours de la revue, MM. G. Boivin et Mitchell propriétaires du cinématographe Lumière, ont pris plusieurs vues. Ces reproductions qui sont, nous assure-t'on, absolument remarquables.
La France australe, Nouméa, [15 juillet 1901] (cité dans Martin-Jones Tony)
À peine quelques jours plus tard, les deux amis vont renouveler l'expérience lors de la cérémonie du 19 juillet, lors de l'inauguration d'une statue de Jeanne d'Arc :
Au cours de la cérémonie plusieurs vues photographiques de l'assemblée et du monument ont été prises par M. Vigier-Latour. MM. Boivin et Mitchell de leur côté ont pris des vues cinématographiques, durant le discours de M. Bracco et au moment où la statue a été dévoilée.
La France australe, Nouméa, [20 juillet 1901] (cité dans Martin-Jones Tony)
Nouméa, Inauguration de la Statue de Jeanne d'Arc, 1901 [D.R.]
De ces vues nous ne savons rien. Si l'on ne peut douter qu'elles ont été tournées, il est possible que les conditions des prises de vue n'aient pas donné les résultats escomptés et que les films n'ont dès lors jamais été présentés. Les tournages ne sont pas alors une science exacte et de nombreux aléas peuvent contrarier les projets des pionniers.
1902
Le cinématographe Lumière de Georges Boivin et J. Mitchell (Eden-Concert, 22 octobre-[15] décembre 1902)
De façon presque rituelle, c'est à nouveau Georges Boivin qui revient pour offrirune nouvelle saison d'images animées, mais aucune ne fait référence aux tournages de 1901, ce qui pourrait renforcer l'idee qu'elles n'ont pas pu être utilisée comme prévu. En réalité, il revient d'un séjour en France et il arrive à Melbourne, en compagnie de J. Mitchell, le 10 septembre, après une halte à Nouméa, le 4 septembre 1902. Fin octobre, il revient en Nouvelle-Calédonie, et organise des séances, cette fois, à l'Eden-Concert, également connu comme l'Eden-Théâtre, toujours avec un cinématographe Lumière, mais avec un programmation variée qui inclut également des vues provenant d'autres maisons de production.
Nouméa, Eden-Théâtre c. 1905 [D.R.]
Annoncée dès le 21 octobre, la première a lieu le lendemain et La France australe offre dans cet article quelques informations sur les films qui sont présentés :
EDEN-CONCERT
La première représentation du Cinématographe Lumière a eu lieu, hier, dans la salle de l'Eden-Théâtre et a obtenu un immense succès.
Une nombreuse assistance a chaleureusement applaudi les divers tableaux présentés par M. G. Boivin.
À signaler, tout particulièrement, les scènes comiques et à transformations : entr'autres L'Indiscret garçon d'hôtel ; Masques et grimaces ; Les chaises magiques ; Les deux Athlètes, etc. etc.
Les grandes scènes militaires : passages d'une rivière par des chevaux de cuirassiers et sauts d'obstacles ; les tableaux d'actualité : Un pélérinage à Lourdes ; etc., etc., etc. ont été chaleureusement applaudis.
Ce soir, 2e représentation.
Répétition (pour la dernière fois irrévocablement) du même programme qu'hier.
Demain : relâche ;
Samedi et Dimanche : deux grandes représentations, avec changement de programme.
La France australe, Nouméa, 23 octobre 1902.
En 1902, Georges Boivin dispose d'un choix varié de films et, à ce titre, comme les autres, il peut panacher ses soirées de films divers et variés où l'on retrouve des films provenant non seulement de chez Lumière, mais aussi de chez Pathé et des compagnies américaines comme Lubin. C'est le cas de l'un des films qui suscitent le plus d'intérêt celui du Grand match de boxe entre les deux champions du monde : Fitz Simmons [sic] et Jeffries. Les films de lutte ou de boxe ont fait les beaux jours des salles de spectacles dès les origines. Parmi les maisons spécialisées, la Lubin propose de nombreuses vues des combats pugilistiques dont précisément cette vue du l'affrontement qui a eu lieu en début d'annnée :
ÉDEN-THÉÂTRE
M. Boivin annonce pour ce soir samedi et demain, dimanche, deux représentations sensationnelles avec programme nouveau.
On peut juger de l'intérêt que présenteront ces deux grandes séances cinématographiques par le programme publié plus loin.
Le Match de boxe n'a pas une durée moindre de dix minutes ; La charge des Dragons de l'impératrice de Russie, le régiment de notre compatriote le prince Louis Bonaparte, est d'un réalisme frappant et d'une grandeur saisissante ; les diverses expériences de magie noire sont d'un très curieux effet et exciteront certainement les rires du public ; L'assaut d'escrime, intéressera tous les friands de la lame.
Le programme comprend encore quantité d'autres vues.
Ce soir et demain l'Eden sera archicomble.
La France australe, Nouméa, 25 octobre 1902.
Même si la durée du film -sans doute approximative - ne peut plus être considérée comme exceptionnelle à l'époque, elle n'en constitue pas moins un argument publicitaire. Cette stratégie consiste à mettre en avant certains titres susceptibles d'attirer, plus que qu'autres, les spectateurs. C'est également le cas de La charge des Dragons de l'impératrice de Russie de chez Pathé. Comme souvent, la presse renouvelle des entrefilets qui ne sont, la plupart du temps, que des textes où l'on sent la main du publiciste. Ces articles ne cessent de vanter les qualités du cinématographe et d'annoncer le succès - possible - des projections. Les séances vont ainsi se prolonger à Nouméa jusqu'au début du mois de novembre. Le succès est au rendez-vous, c'est du moins ce que la presse martèle régulièrement.
La particularité de cette nouvelle présence de Georges Boivin en Nouvelle-Calédonie réside dans la tournée qu'il va réaliser dans "la brousse". Non pas qu'il soit possible d'affirmer qu'il n'y en ait pas eu avant, mais c'est la première dont on retrouve trace dans La France australe :
EDEN THÉATRE
Que les habitants de Nouméa, qui n'ont pas admiré encore le merveilleux spectacle, que constitue le Cinématographe Lumière se hâte, car ce soir sera donné à l'Eden l'avant dernière représentation et demain samedi irrévocablement la dernière.
Que le public se hâte donc s'il tient à applaudir la belle série de tableaux présentés par M. G. Boivin.
Lundi, 10, mardi, 11 et mercredi 12 novembre : représentations à La Foa. Vendredi, 14 et samedi, 15, représentations à Moindou. Mardi, 18, mercredi, 19, jeudi, 20, vendredi, 21 et samedi 22, représentations à Bourail.
Ultérieurement, vers le 27 courant, représentations à Koné.
La France australe, Nouméa, 7 novembre 1902.
Nous ne savons rien hélas de cette tournée exceptionnelle, mais on peut penser, compte tenu de sa durée - environ un mois - qu'elle a été couronnée de succès. C'est en effet le 6 décembre que la presse annonce de nouvelles séances à Nouméa :
Eden-Théâtre
Après une tournée triomphale dans la brousse, MM. Boivin et Mitchell ont consenti, répondant à de nombreuses sollicitations de la part du public de NOuméa, à donner avant leur départ imminent pour l'Australie, deux dernières représentations de leur merveilleux appareil cinématographique.
Il y aura donc foule ce soir et demain à l'Eden pour admirer les très curieuses vues présentées.
Parmi les nombreuses projections animées qui seront soumises au public ce soir et demain, on pourra admirer le remarquable et long défilé du couronnement d'Édouard VII ainsi qu'un drame dans un train.
La France australe, Nouméa, 6 décembre 1902.
Afin sans doute de raviver l'intérêt des Nouméens, Georges Boivin fait alterner les représentations avec des soirée de gala, afin de proposer, à la toute fin de son séjour, le 15 décembre, une "grande représentation" au profit du Bureau de Bienfaisance. Les deux pionniers quittent Nouméa pour Sydney le 19 décembre 1902.
Cette tournée tout à fait exceptionnelle - à une époque où Nouméa ne dispose pas de salle dédiée au cinématographe - va être l'occasion pour les Néocalédoniens de découvrir de nombreux vues. Outre celles déjà citées, en voici la liste : Le Cambrioleur invraissemblable [sic], Visite du Président Loubet en Russie, Les Manoeuvres des chasseurs alpins, L'Escrime à Joinville. (La France australe, Nouméa, 21 octobre 1902), La Grande Charge des Dragons de l'lmpératrice à l'occasion de la visite de M. Loubet, en Russie, La Série des manoeuvres des chasseurs alpins, Un défilé carnavalesque, Un assaut d'escrime à Joinville, Une représentation du Cinématographe, Magie Noire, Le Géant, le Dentiste, le Fumeur macabre (La France australe, Nouméa, 25 octobre 1902), Les Oeufs, Le Bain impossible, Le Sorcier, La Lutte à main-plate magique, Le Docteur et le Singe (La France australe, Nouméa, 27 octobre 1902), Le couronnement d'Édouard VII (La France australe, Nouméa, 6 novembre 1902), Les Dernières Cartouches, Le Dompteur dans la Cage aux Lions (La France australe, Nouméa, 7 novembre 1902), La poule magique, Le Sorcier, Vue prise à l'avant d'un train, Un drame en chemin de fer (La France australe, Nouméa, 6 décembre 1902).
1903
Le cinématographe de Georges Boivin et de M. Mitchell (Eden-Théâtre, décembre 1903-janvier 1904)
La figure de Georges Boivin domine totalement les débuts du cinématographe en Nouvelle-Calédonie et c'est à nouveau lui qui revient à la fin de l'année 1903. On sait moins de choses sur cette dernière tournée néocalédonienne, même si la presse annonce malgré tout la première représentation, le 15 décembre :
A L'EDEN-THÊÂTRE
Demain soir, la troupe que notre ami Boivin a amené de Sydney, par Calédonien, fera ses débuts à l'Eden-Théâtre.
D'après le programme, qui paraît aujourd'hui dans nos colonnes, nos concitoyens ont en perspective une série de soirées des plus attrayantes.
Miss Nelly Lesly et Miss Célestine Derwin, danseuses et chanteuses du "Tivoli" de Sydney ; Miss Annie Royal, dans ses poses plastique, (genre Lotti) : M. Sadler, comique, ainsi que le cinématographe Lumière, avec vues diverses, constituent un programme aussi attrayant que varié.
La France australe, 15 décembre 1903.
La nouveauté, c'est que pour la première fois le cinématographe est présenté dans le cadre d'un spectacle de variétés, amené par le propre Georges Boivin, où figurent des artistes en provenance, pour l'essentiel, d'Australie, et pour certains du Tivoli de Sydney. Comme à son habitude, il parcourt l'intérieur du pays et se rend, en particulier, à Thio :
Le Cinématographe à Thio
M. Boivin nous avise qu'il s'embarquera le 6 courant, à bord du St-Pierre pour aller donner quelques représentations de cinématographe à Thio.
Vues nouvelles et jamais encore présentées dans ce centre.
Nos amis de Thio ont donc de bonnes soirées en perspective.
La France australe, Nouméa, 2 janvier 1904.
C'est toujours en compagnie de Mitchell qu'il se rend aux Nouvelles-Hébrides avant de revenir à Sydney.
Très peu de vues sont annoncées lors de cette tournée dont voici les titres : La pêche miraculeuse, La vengeance de la mendiante, L'exposition de beautés (La France australe, Nouméa, 24 décembre 1903).
1904
Le Cinématographe (Eden Théâtre, 10 novembre 1904)
Si l'on peut penser que Georges Boivin a continué à présenter des films en Nouvelle-Calédonie, son nom n'apparaît plus dans la presse constinuée. Est-ce lui que en novembre 1904 présente de façon très furtive, à l'Eden-Théâtre un nouveau cinématographe ? La presse va pourtant bien annoncer cette séance.
La France australe, Nouméa, 9 novembre 1904
Si nous ignorons l'origine de ce nouvel appareil, en revanche, le programme est entièrement publié et nous retrouvons des vues connues : Défense de se baigner, Match de Polo (jeu de croquets à cheval), Les Rivales, Les Voleurs de grand chemin, Les Chiens savants, La Baigneuse, L'impressario embarrassé, Épisode de la guerre russo-japonaise, Une dame faisant sa toilette, Le Mariage de la Reine de Hollande, Voyage de Naples-Capri-Torrente et Les Congréganistes donnant leur démission. En revanche, il reste délicat d'attribuer ces films à une maison particulière, même si certains titres pourraient rappeler des productions Pathé.
1905
1906
Le cinématographe de Russel et Miller, du State Fair (10 juillet 1906)
Si pendant de longs mois, les activités artistiques semblent disparaître de l'horizon nouméen, au mois de juillet 1906, les spectacles soudain se multiplient : le State Fair s'installe sous la toile de la place Courbet, à l'Eden-Théâtre, on donne la pièce Coralie et Cie de Valabrèque et Hennequin et le Cirque de chiens et singes savants du professeur Godfrey avec "le seul babouin dans le monde entier fumant la pipe". Au sein de cette effervescence, le cinématographe occupe sa place, modeste, mais bien réelle. Ce sont MM. Russel et Miller qui offre les premières projections dès le 10 juillet 1906. Si l'appareil d'Edison n'est plus réellement la vedette, la presse ne manque pas d'annoncer les films exceptionnels comme ceux du récent tremblement de terre de San Francisco :
"STATE FAIR"
Ce soir, grande représentation au bénéfice du Bureau de bienfaisance.
A cette occasion la Tombola sera suspendue ; mais demain vendredi et jours suivants, de nombreux présents aussi utiles qu'agréables seront distribués au public.
Dans le 4e changement de programme qui aura lieu demain soir, le cinématographe montrera de nombreuses vues de San-Franciscco avant, pendant et après la terrible catastrophe du tremblement de terre.
Les représentations du State Fair, se termineront lundi soir, la compagnie de MM. Russel et MIller, devant repartir pour l'Australie par le paquebot Ville de la Ciotat.
La France australe, Nouméa, 19-[21] juillet 1906, p. 2.
Sont également annoncées des vues grivoises dont on connaît par ailleurs le succès public au cours de soirées où les enfants ne sont évidemment pas admis :
"STATE FAIR"
La grande représentation d'adieu qui sera donnée ce soir au Grand Dock Ménard (ancienne maison Fraysse et Kresser) aura un attrait tout particulier.
Les films du Cinématographe nous montreront, paraît-il, certaines scènes du Moulin Rouge, d'un leste, oh ! mais d'un leste ; je ne vous dis que ça !...
Aussi les enfants ne sont pas admis.
Ajoutez-y les célèbres danseuses turques : Rosa et Fatima, dans leur danse passionnée Hoochee-Coochee. La Tombola avec ses nombreux présents d'une grande valeur et le Dock Ménard fera salle comble ce soir.
La France australe, Nouméa, 24 juillet 1906, p. .2
Mais il est clair que pour MM. Russel et Miller, le cinématographe n'est finalement qu'un élément annexe de leurs spectacles, puisque quelques jours auparavant, un entrefilet dans la presse annonce la vente du cinématographe et du phonographe :
Cinématographe et Phonographe à Vendre
Le nouveau Cinématographe Edison avec 2000 pieds de vues différentes et tous les appareils.
Le Phonographe, un des plus puissants qui aient été produits en Amérique avec 20 morceaux de choix.
Belle occasion pour un homme entreprenant voulant assurer son existence.
S'adresser au Dr. Russel, Au State Fair.
La France australe, Nouméa, 21 juillet 1906.
Sont-ils parvenus à vendre leurs appareils, nul ne sait, mais dans la mesure où plus aucune représentation cinematographique n'a lieu dans les derniers mois de 1906, on peut en douter.
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Bibliographie
La France australe, Nouméa, 1896-1906 BNF.
Martin-Jones Tony, The first projected motion pictures in New Caledonia, 2011-2013.