ORLÉANS

Jean-Claude SEGUIN

Orléans, chef-lieu du Loiret (France), a une population de 56 902 habitants (1894).

1896

Le Cinétographe (Foire du Mail, 1er-18 juin 1896)

C'est dans le cadre de la foire du Mail, qui se déroule à partir du 1er juin et dure quinze jours, que les Orléanais vont découvrir les premières vues animées. Les visiteurs ont le choix et ils peuvent ainsi découvrir le Vrai Théâtre de la Passion qui présente le drame Jeanne d'Arc, la Ménagerie Pezon, le Grand Théâtre-Cirque avec un numéro, " les chiens boxeurs " qui fait fureur, le Manège-Salon, le Palais artistique (genre Grévin)... et bien entendu le Cinétographe, un appareil cinématographe. Quelques jours avant l'ouverture de la foire, un journaliste a annoncé l'arrivée prochaine sinon du cinématographe Lumière, en tout cas d'un appareil qui projette des vues animées :

Au cours du mois de février dernier, j'ai eu le plaisir de signaler à l'attention des lecteurs du Patriote le Cinématographe de MM. Lumière et de leur rendre compte des impressions que j'avais ressenties à la vue des projections mouvantes fournies par ce merveilleux appareil. J'aurais souhaité pouvoir leur procurer sur place une représentation semblable à celles qui se donnaient à Paris, mais je compris qu'il fallait renoncer pour le moment à ce projet, en raison de l'engouement que manifestaient les Parisiens pour les séances du Grand Café. " Patience ! me disais-je en terminant mon article, je ne suis ni devin, ni prophète, mais j'ose affirmer qu'un jour ou l'autre la province aura son tour et qu'il lui sera donné d'admirer à prix réduit la merveille dont je viens de procurer un avant-goût à mes lecteurs ". J'entends dire que l'heure prédite est arrivée et qu'un industriel fort avisé, muni d'un cinématographe chargé de 11 rouleaux pelliculaires variés, s'installe sur notre champ de foire. Les représentations commenceront dimanche prochain, paraît-il. Avis donc à ceux de nos lecteurs qui désirent faire personnellement connaissance avec le fameux cinématographe si fort apprécié des Parisiens.
L.D.


Le Patriote orléanais, Orléans, 29 mai 1896.

Même si les onze vues ne vont pas permettre de renouveler beaucoup le spectacle, la nouveauté ne peut que séduire les Orléanais :

Le Cinétographe
La plus grande attraction du jour. La photographie animée, vivante ! projetée à l’aide de la lumière oxy-éthérique, par l’appareil américain le cinétographe. Rien n’est plus saisissant C’est la vie, le mouvement, la nature qui sont reproduits, sur l’écran, avec une vérité absolue.


Le Journal du Loiret, Orléans, 29 mai 1896, p. 3. 

Dans les jours qui suivent, les informations se répètent sans apporter d'informations notables, ni sur les vues projetées, ni sur l'origine de l'appareil. Un compte rendu, publié quelques jours plus tard, reste assez vague : 

Le Cinétographe à Orléans
Depuis plusieurs mois déjà, les expériences de photographie animée passionnent positivement Paris et attirent la foule dans les divers locaux où sont installés les appareils de projection. Du reste, rien n’est plus saisissant et plus curieux que de voir reproduits sur la toile la vie, le mouvement, la nature, en un mot, avec une fidélité et une vérité si absolues. C’est prodigieux ! Nous sommes heureux de pouvoir annoncer à nos lecteurs, qu’en allant à la foire du mail, ils pourront assister à des expériences similaires de photographie vivante, produites par le Cinétographe, qui ont lieu tous les jours, de 2 à 6 heures de l’après-midi, et de 8 h. 1 / 2 à li heures du soir, et cela toutes les demi-heures. Cette exhibition est le « clou » de la foire.


Le Journal du Loiret, Orléans, 3 juin 1896, p. 3.

Tout semble marcher sans problème, lorsque une quinzaine de jours après l'inauguration, un incendie se déclare, le 18 juin, et va ravager le cinétographe. C'est Le Républicain orléanais qui offre le plus de détails :

Le cinétographe en feu.- Mercredi soir vers 5 heures, un incendie s'est déclaré dans l'établissement du cinétographe (photographie animée) appartenant à MM. Méliès et Inaudi (le célèbre calculateur) et dont M. de Thorcey est l'administrateur. La direction venait de donner une séance devant un certain nombre d'amateurs de photographie, quand un morceau de chaux incandescent est tombé dans les bandes qui servaient pour les projections. En un clin d'œil, l'établissement de MM. Méliès et Inaudi fut envahi par les flammes qui gagnèrent les toits de la charpente. L'alarme fut donnée immédiatement ; le personnel fut sur pied, les baladins du voisinage et les promeneurs se portèrent au secours du sinistre. Un dévidoir fut apporté du poste de police installé sur la foire et le tuyau, branché, non sans difficultés, sur une bouche d'eau qui se trouve précisément en face du cinétographe. Pendant qu'on déchirait les toiles qui formaient couverture afin de faire la part du feu, des hommes de bonne volonté et des agents de police éloignaient de la charpente de l'établissement la voiture qui contenait l'appareil à projection et le brûleur éthérique, puis M. Ducros, le machiniste du théâtre, monté sur la voiture, dirigeait la lance sur toutes les parties de l'établissement en feu. On put se rendre maître de l'incendie en peu de temps, mais les dégâts étaient considérables. Le toit de la voiture a été fortement endommagé, ainsi que le mobilier qu'elle contenait et qu'on a eu bien de la peine à déménager ; l'appareil à projection a été tellement abîmé qu'il sera indispensable de le remplacer. Coût : 5 000 f. Quatorze bandes en celluloïd sont complètement détruites, soit 1.400 f. de perte ; les panneaux de la devanture sont brisés, et des toits il n'en reste plus que des loques. C'est donc un véritable sinistre au cours duquel plusieurs accidents se sont produit. Dans la voiture était couchée Mme de Thorcey atteinte d'une bronchite aiguë. Dès que l'incendie se fut déclaré, M. de Thorcey, se porta au secours de sa femme, mais déjà une épaisse fumée envahissait tout l'établissement. M. de Thorcey se dirigea à tâtons vers le lit où reposait sa femme à demi asphyxiée et la saisissant à bras le corps, il la fit passer par une lucarne ; puis il s'échappa par la même issue. Il était temps, une minute de plus l'homme et la femme restaient asphyxiés dans le véhicule. Mme de Thorcey était saine et sauve, mais son mari avait de graves brûlures aux bras, aux jambes, aux mains et principalement à la tête qui a été pour ainsi dire scalpée. Citons également la belle conduite de M. Raoul du cinétographe, et de M. Mirval, du théâtre Chabot, qui a été brûlé au bras et à la jambe en contribuant à éteindre l'incendie. D'après les propriétaires du cinétographe, les pertes peuvent être évaluées à 7 ou 8.000 f. environ. Ils ne sont pas assurés. Aussi, en présence du sinistre qui frappe si cruellement le directeur du cinétographe, le cirque Abdy a décidé de donner samedi prochain 20 juin, 3 matinées et 3 soirées au bénéfice de son confrère incendié. Le célèbre professeur Abdi et M. Jacques Inaudi, l'incomparable calculateur, prêteront leur concours à ces représentations. Toute la recette sera versée entre les mains des sinistrés. Les matinées auront lieu à 2h, 3h et 4h, les soirées à 8h, 9h et 10h. Malgré le caractère de ces représentations et l'intérêt du spectacle, le prix des places ne sera pas augmenté.


Le Républicain orléanais et du Centre, Orléans, 19 juin 1896.

Les incendies provoqués par les systèmes d'alimentation des cinématographes ne vont pas manquer d'assombrir l'histoire du cinématographe. Celui d'Orléans, sans doute l'un des tout premiers, et si le journaliste donne une description précise de l'incendie et de ses conséquences, il fournit toute une série d'informations annexes. Il indique ainsi que l'appareil est la propriété de MM. Méliès et Inaudi, administré par M. Thorcey. Jacques Inaudi et  G. de Thorcey font équipe depuis déjà de nombreuses années et collaborent également avec Georges Méliès. En revanche, il reste difficile de savoir avec précision quel est le rôle de ce dernier dans la commercialisation et dans l'exploitation du " cinétographe " de la foire d'Orléans, à supposer qu'il en ait eu un. Toujours est-il que l'incendie met un terme aux représentations de l'appareil cinématographique. 

Le Cinématographe parisien (Salle de l'ancien hôtel du Loiret, rue Bannier, 21-28 juin 1896)

À peine la foire du Mail est-elle terminée que de nouvelles projections sont annoncées à Orléans :

Le Cinématographe à Orléans
Les séances du "Cinématographe Parisien" auront lieu à partir du dimanche 21 courant, à 2 heures de l'après-midi, jusqu'au dimanche suivant, 28 inclus, dans la salle de l'ancien hôtel du Loiret, rue Bannier.
A partir du lundi 22, séances du matin, de 10 heures à midi, spécialement réservées aux familles, au prix de 1 fr. par personne (50 centimes pour les enfants).
De 4 heures à 6 heures et de 8 heures à 11 heures du soir, séances populaires au prix unique de 50 centimes.
Toutes les vues du "Cinématographe Parisien" sont des scènes parisiennes qui, certainement, présenteront pour le public orléanais le plus vit intérêt.


Le Journal du Loiret, Orléans, 21 juin 1896, p. 2.

L'appareil, le Cinématographe parisien porte le même nom que celui que Georges Mendel va breveter en décembre 1896. Peut-on imaginer qu'il en ait commercialisé certains avant cette date ou bien s'agit-il d'un appareil provenant d'un autre constructeur ? Toujours est-il que la seule information c'est que le nom semble provenir simplement du choix du répertoire... 

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