LAVAL

Jean-Claude SEGUIN

Laval, chef-lieu de la Mayenne (France), compte 31.000 habitants (1894).

1896

Le cinéphotographe (L'Angevine, Quai du Viaduc, [6]-29 septembre 1896)

Le cinographoscope - appareil des frères Pipon - est très présent en Bretagne au cours de l'année 1896. Si le tourneur Trésel, qui dispose d'un de ces appareils, est bien un homme clé, il n'est pas sûr que ce soit lui qui organise ces séances à Laval, car au même moment, il se trouve à Brest. pourtant, des coïncidents existent et tout particulièrement un très long texte presque identique mot pour mot publié dans la presse brestoise et lavalloise :

À L'ANGEVINE
LE CINÉPHOTOGRAPHE
Photographie animée
Depuis quelques temps déjà les mots de Kinétoscope, Cinématographe, Cinéphotographe, dansent devant les yeux du lecteur ou bourdonnent à ses oreilles, évoquant en lui les idées les plus fantaisistes.
En quelques mots nous allons tâcher de lui expliquer le mécanisme de ces appareils dont nous avons la bonne fortune d'avoir un spécimen à l'angevine (quai du Viaduc).
Le problème qui a été résolu par ces différents appareils est le suivant : étant donné une scène animée, en prendre un certain nombre de « clichés » à des intervalles égaux très rapprochés, puis tirer de ces négatifs un nombre égal d'épreuves positives que l'on projette sur un écran en faisant en sorte que ces images se projettent à la même place et se succèdent à des intervalles de temps égaux à ceux qui ont séparé les poses primitives.
La durée de pose est d'environ 1/50e de seconde. On prend une photographie chaque 1/15e de seconde. On obtient donc 900 clichés par minute.
Comme on le voit, le problème à résoudre comprenait deux parties bien distinctes : d'abord faire 900 clichés en une minute, ensuite projeter sur un écran les positifs de ces 900 clichés pendant un intervalle d'une minute. La première partie avait été résolue depuis quelques années déjà. En effet, quand la photographie « instantanée » fut possible, les savants songèrent à l'utiliser pour photographier des scènes animées qu'ils pourraient ensuite étudier tranquillement à tête reposée.
En 1874, M. Janssen utilise un appareil de son invention, le revolver photographique, pour photographier le passage de Vénus sur le soleil ; M. Muybridge, de San Francisco, obtint vers la même époque une série de photographies d'objets en mouvement et cela au moyen de 40 chambres photographiques à déclenchement électrique.
Enfin, dans ces dernières années, M. Marey a utilisé la « chronophotographie » pour étudier le mouvement des animaux : course du cheval, vol des oiseaux, etc...
Depuis, les expérimentateurs se sont succédé de plus en plus nombreux. Entre autres nous citerons MM. Anschutz, général Sébert, Démény, Londe, etc...
Mais toutes ces expériences n'avaient qu'un but, « l'analyse » du mouvement.
La « Synthèse » du mouvement, l'expérience ayant en un mot pour but de reconstituer le mouvement dont l'analyse avait été faite par la chronophotographie, était encore à trouver.
Dernièrement nous arriva d'Amérique un appareil d’Edison, l'homme aux surprenantes inventions, qui semblait résoudre le problème. Cet appareil était le kinétoscope.
Cet appareil était le premier pas vers la synthèse du mouvement. Malheureusement, ses inconvénients étaient nombreux. Il n'était accessible qu'à des spectateurs « isolés ». Les scènes duraient environ une demi-minute. Chaque épreuve, pour donner une impression nette, ne devait être vue que pendant un temps très court, 7/1000 de seconde environ. Dans ces conditions les scènes étaient très petites, peu lumineuses et fatigantes à regarder.
Puis vinrent presque aussitôt après le Cinématographe de Lumière et le Cinographoscope de A. et J. Pipon-Pressecq qui permettent de montrer, par projection de grandeur naturelle, à toute une assemblée, en les projetant sur un écran convenable, des scènes mouvementées, dont la durée est de près d'une minute.
Grâce à ces perfectionnements, le spectateur croit voir se dérouler réellement devant lui les scènes que projette le Cinéphotographe.
Les bandes pelliculaires servant aux projections ont environ 15 mètres de long et 3 centimètres de large. Les diverses épreuves sont obtenues à 1/15 de seconde les unes des autres, et la projection de ces clichés sur l'écran est de grandeur naturelle.
Les images dans le cinéphotographe sont projetées au moyen d'une lampe à arc électrique très puissante sur un écran situé à 20 mètres de la lanterne de projection. L'écran est formé par une toile très fine tendue au fond de la salle, et l'on voit s'y dérouler les scènes les plus intéressantes.
L'arrivée d'un train en gare, nous montre les voyageurs descendant des wagons, se précipitant chargés de paquets vers la sortie, tandis que le personnel s'occupe du nettoyage de la machine.
Non moins curieuse la place de l'Opéra avec son noir fourmillement de monde, ses omnibus, ses chevaux, le tout d'une extraordinaire intensité de vie.
Toutes ces merveilles et bien d'autres, puisque le cinéphotographe possède 60 vues environ, défileront sous les yeux émerveillés de nos lecteurs qui seront appelés à les contempler d'ici peu.
MM. A. et J. Pipon-Pressecq viennent en effet d'installer un de leurs merveilleux appareils sur le quai du Viaduc, et feront ainsi connaître à nos concitoyens une des plus intéressantes découvertes de la science moderne.
Avis aux Lavallois.


L'Avenir de la Mayenne, Laval, dimanche 13 septembre 1896, p. 2.

Il est toutefois question ici d'un "cinéphotographe", appareil commercialisé par Gabriel Lépée. C'est à l'occasion de l'Angevine, la foire qui se déroule pendant le mois de septembre - en particulier entre le 8 et le 21 - qu'un cinéphotographe - ou cinématographe - va être proposé au public lavallois (L'Avenir de la Mayenne, Laval, 6 septembre 1896, p. 2). Curieusement tout l'article, publié le 13 septembre, évoque le cinographoscope des frères Pipon - qui sont d'ailleurs cités -, aussi l'utilisation d'un autre terme est-il à mettre soit sur le compte du journaliste, soit sur celui du forain qui prend des libertés avec le nom exact du cinématographe. La presse est peu loquace  et seul un nouvel article en reparle très brièvement :

Au jour le jour.- Les Angevines sont terminées ou à peu près. La plupart des baraques qui étaient restées après les foires nous ont quitté ce matin. Signalons entre autres le départ du Cinophotographe.


L'Echo de la Mayenne, Laval, 29 septembre 1896.

laval quai viaduc
ND Phot., Laval.-Le Viaduc (c. 1902)