LA CIOTAT

Jean-Claude SEGUIN

La Ciotat, commune des Bouches-du-Rhône (France), compte 12.091 habitants (1894).

1895

Le Cinématographe Lumière (Le Clos-des-Plages, 23 septembre 1895)

La famille Lumière possède un belle villa au Clos-des-Plages et cela va leur permettre, le 23 septembre 1895, de présenter à cent cinquante invités le cinématographe et les photographies animées. C'est Antoine Lumière, le père, qui est à la manoeuvre. Le journaliste du Petit Marseillais, lui-même invité à cette présentation exceptionnelle, donne une description fort détaillée non seulement de l'appareil, mais aussi de quelques-unes de vues présentées pour l'occasion :

Une Expérience de Cinématographie
On nous écrit de la Ciotat, le 23 septembre : samedi soir, M. et Mme Ant. Lumière conviaient à leur somptueuse demeure du Clos-des-Plages, à La Ciotat, l'élite de la société ciotadenne. Cent cinquante invités environ avaient répondu à cette gracieuse invitation ; les honneurs de la réception étaient faits avec une grâce exquise par Mme et Mlle Lumière et Mme Winkler. Le but de cette soirée était de faire assister cette réunion choisie à des expériences de cinématographe. Cet appareil est un nouveau système de chronophotographie. Instrument merveilleux de précision et de simplicité, que MM. Auguste et Louis Lumière fils ont expérimenté avec un si heureux succès, le 11 juillet dernier, au siège de la Revue générale des Sciences.
Nous n’entreprendrons pas de détailler les mouvements de cet ingénieux mécanisme. Nous nous bornerons à démontrer son fonctionnement, son utilité et les services qu’il est appelé à rendre à la photographie. Le cinématographe qui, à la vue, est une boîte de petite apparence, reposant sur des pieds d’un appareil photographique, permet de montrer à une assemblée, pendant une minute, en les projetant sur un écran par la lumière électrique au moyen d’une lanterne Molteni, des scènes animées prises par des instantanés, d’une façon absolument saisissante. Dans ce court laps de temps, il se produit dans le mécanisme un mouvement de rouages d’une excessive rapidité. En effet, en si peu de durée, une bande pelliculaire de 15 mètres de long au plus, et ayant 3 centimètres de large sur laquelle les images se présentent sous l’aspect d’une photographie ordinaire, se déroule dans le cinématographe à raison de 900 épreuves à la minute soit de 15 à la seconde.
On voit par ce succinct exposé, la révolution d'en roulements successifs qui s’opère dans l'instrument. Par la netteté des sujets qu’il nous a été permis d’admirer, on se représente facilement la précision qu’il a fallu mettre dans la construction de l'appareil. La réflexion du sujet qui se produit sur l'écran — éloigné de 7 à 8 mètres du cinématographe — est vraiment merveilleuse, si bien que l’impression successive sur l'œil est une image saisissante de réalité où les différences entre les épreuves, différences dues au mouvement des personnages ou des sujets pendant la pose, se traduisent par l’illusion complète des mouvements des personnages ou des objets reproduits.
Ainsi, parmi les nombreuses scènes qui se sont successivement déroulées sous les yeux de l'assistance, citons d’abord : les ouvriers et ouvrières de MM. Lumière sortant de leurs ateliers de Lyon. Il était curieux de voir des fillettes se garant des voitures et des bicyclettes, courant isolées ou par groupes, toutes joyeuses de se sentir pour un temps, rendues au gai bavardage et à la liberté. Puis, on nous a présenté l’incendie d’une maison ; on a vu successivement les flammes gagner l'édifice, la fumée obscurcir le ciel, les pompiers arriver, asperger le bâtiment embrasé et parvenir à éteindre le feu. Ensuite nous avons assisté à une conversation par.., gestes, entre M. Janssen de l’Institut et M. Lagrange, député, dont l'effet était des plus réels. Des forgerons se livrent à l’exercice de leur métier ; on voit le fer rougir au feu, s’allonger à mesure qu’ils le battent, produire, quand ils le plongent dans l'eau, un nuage de vapeur qui s’élève lentement dans l’air et qu’un coup de vent vient chasser tout d’un coup. La vue de la place des Cordeliers, à Lyon, n’a pas été moins admirée : piétons allant et venant, passant dans la rue, entrant dans les magasins ; tramways, fiacres, élégantes victorias ou de grosses voitures circulant en tous sens. Et, dans le nombre des scènes que nous passons, toutes aussi intéressantes les unes que les autres, on nous a montré de la même façon, des scènes -comiques d’un hilarant effet ; des baignades à La Ciotat, où baigneurs et baigneuses s’ébattent à qui mieux mieux, en faisant clapoter l’eau. Relatons le succès particulier obtenu par une petite fille, représentée en grandeur naturelle. Elle dînait en plein air à côté de ses parents, qui la faisaient manger. Rien de plus curieux que ces petites mines de l’enfant, heureuse, savourant avec toutes les grâces de son âge les friandises que son père lui offrait et rabattant de ses petites mains sa bavette soulevée par le vent. Le même bébé a réjoui encore l’assistance eu essayant, mais vainement, d’attraper à l’aide d’une cuiller des poissons contenus dans un bocal de verre.
Comme suite à ces expériences, M. Louis Lumière qui, ou le sait, est le collaborateur de M. Lippmann, de l’Institut, pour l’application de la couleur à la photographie, nous a présenté par le même procédé mais à réflexion fixe, des épreuves des dernières découvertes qui, l’année dernière, ont fait l’admiration des savants. Les fleurs, les vases, les riches étoffes, etc., reproduits sur l’écran, avaient les tonalités vraies, pâles et chatoyantes, suivant la nature des objets. C’était vraiment merveilleux.
Ces expériences ont fait l’admiration de l'assistance dont l'attention sans cesse captivée par la surprise que produisaient ces scènes, lesquelles avaient ostensiblement les apparences de la réalité, applaudissait avec le plus chaleureux enthousiasme chaque sujet représenté.
L.B.


Le Petit Marseillais, Marseille, mardi 24 septembre 1895, p. 2.

Ainsi La Ciotat est une des toutes premières communes à découvrir l'invention des frères Lumière.

 laciotat villa lumiere
Villa Lumière-Entrée de la Villa (Péristyle)