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- Mis à jour : 1 janvier 2024
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Félix MESGUICH
(Alger, 1871-Paris,1949)
© Collection Grimh
Jean-Claude SEGUIN
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Fortuné Mesguich (Alger, 20/02/1842-Bois-Colombe, 23/11/1910) épouse (Saint-Eugène, 01/10/1878) Rachel Cohen Solal (Alger, 15/09/1845-Boulogne-Billancourt, 19/02/1938). Descendance :
- Moïse, Félix [Cohen Solal] Mesguich (Alger, 16/09/1871. rec. 20/02/1877-Paris 16e, 25/04/1949) épouse (Londres, 1892) Alice, Emma de Chastelain (Netherton House, Old Town, 05/1873-Boulogne-Billancourt, 10/06/1929). Descendance :
- Rita, Aurette Rachel Kathleen Mesguich (Willesden, 31/12/1893-12/08/1987) épouse (Boulogne-Billancourt, 26/04/1917) Louis, Georges Gratioulet, dit Maurice (Paris, 02/02/1883-Nice, 02/02/1964).
- Mardochée Mesguich (Alger, 15/12/1873, rec. 20/02/1877-) épouse (Troyes, 04/01/1898. Divorce: 28/05/1914) Joséphine Brinis (Alger, 30/09/1869-). Descendance :
- Rachel, Hermance (Paris 6e, 28/03/1894-Évreux, 12/08/1987)
- épouse (Paris 7e, 12/04/1913. Divorce), Louis, Jean Monico.
- épouse (Courbevoie, 05/01/1929. Divorce: 29/06/1960), Vincenzo Casadonte (Palmi, 10/01/1901-).
- épouse (Courbevoie, 20/06/1961. Divorce) René Bartoly.
- Rachel, Hermance (Paris 6e, 28/03/1894-Évreux, 12/08/1987)
- Esther Mesguich (Saint-Eugène, 19/02/1877-)
- Fortunée, Messaouda Mesguich (Saint-Eugène, 06/05/1879-)
- Aaron, Albert Mesguich (Saint Eugène, 25/02/1881-)
- Elie, Eliaou Mesguich (Saint-Eugène, 02/06/1884-)
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Fils d'un négociant d'Alger, Félix Mesguich n'a pas laissé de souvenirs de son enfance ou de son adolescence. Déclaré insoumis (02/03/1894), il est condamné (19/02/1895) à un mois d'emprisonnement, il intègre le 3e zouave le 30 mars 1895.
Félix Mesguich (c. 1896)
© collection Grimh
Le cinématographe Lumière (1896-1898)
Formation et premiers postes en France (mars 1896-novembre 1896)
Selon son témoignage, il se serait présenté, avant sa libération, dès le 5 janvier 1896, à Lyon-Monplaisir, sur la recommandation de l'une de ses parentes :
Je me vois permissionnaire à Lyon, prenant pour la première fois, le 5 janvier 1896 [sic], ce petit tramway qui conduit aux laboratoires des établissements Lumière, à Lyon-Monplaisir. C’est en culotte de zouave que je me présente, ma libération du 3e régiment de cette arme dont le dépôt était à Arles, devant avoir lieu quelques jours plus tard.
Félix Mesguich, Tours de manivelle, Grasset, Paris, 1933, p. 2-4.
Il s'entretient alors avec Louis Lumière qui lui aurait dit :
Vous savez, Mesguich, ce n'est pas une situation d'avenir que nous vous offrons, c'est plutôt un métier de forain ; cela peut duret six mois, une année, peut-être plus, peut-être moins.
Mesguich, 1933, 3
Libéré de ses obligations militaires et passé dans la disponibilité de l'armée active le 21 mars 1896, il se présente peu après et rencontre Alexandre Promio qui va être son instructeur:
Une semaine [sic] après ma première visite à Monplaisir, me voici attaché aux établissements Lumière ; mon instruction commence, sous la direction de M. Promio.
Félix Mesguich, Tours de manivelle, Grasset, Paris, 1933, p. 2-4.
Il prend son premier poste, comme assistant opérateur, à Lyon, dans la salle de la rue de la République, qui a ouvert ses portes, sous la direction de Marius Perrigot. Il reçoit une formation de cinématographiste, à la fin du mois de mai, et tourne son premier film Bataille de femmes (deux femmes seulement). ll semble avoir rencontré, à ce moment-là, M. Hurd, le ou l'un des concessionnaires pour les États-Unis. À partir du mois de juin 1896, il participe à l'installation de postes dont le concessionnaire est la maison Fournier, représentée par M. Michel : Mâcon (à partir du 6 juin 1896), à Bourg-en-Bresse (juillet 1896), au Creusot (août-septembre 1896), à Montceau-les-Mines (septembre-octobre 1896), à Autun (octobre 1896) et à Chalon-sur-Saône (à partir du 20 octobre 1896) :
J'installe successivement dans des salles adaptées spécialement les postes de Mâcon et de Chalon-sur-Saône, dont je suis l'unique opérateur. Toutes les séances se poursuivent sous les acclamations du public. L'engouement est tel, que le programme terminé, une bonne moitié de la salle refuse régulièrement d'abandonner la place et paye une seconde fois.
Mesguich, 1933, 6.
Vingt cinq ans plus tard, Félix Mesguich se souvient, toujours avec la même faconde de son installation au Creusot :
Le lendemain, en voyant le public se presser aux portes des cinémas, je revivais, à quelques vingt-cinq ans de distance, mes premières projections, mon installation de fortune au Creusot, en 97 : la cabane volante où l'on projetait Le Régiment qui passe et L'Arroseur arrosé. Les mineurs avaient découvert le " permanent ". Leur engouement était tel que, le programme terminé, ils refusaient d'abandonner leurs places et payaient une seconde fois.
André Robert, " Les Aventures de Félix Mesguich, premier 'chasseur d'images' ", Le Figaro, Paris, 5 novembre 1937, p. 5.
Alors que sa tournée n'est pas encore terminée, il est rappelé, en urgence, à Lyon, vers la fin du mois de novembre, comme il le rappelle dans ses souvenirs :
Mais, voici mieux : ce télégramme que je reçois : " Rentrez immédiatement Lyon pour votre prochain départ New-York. Signé : LUMIÈRE. " Je suis fou de joie.
Mesguich, 1933, 6.
Le besoin de fournir des opérateurs aux États-Unis explique ce retour précipité à Lyon. Il est probable que Félix Mesguich ait également assuré des projections au Grand Café, dans le Salon Indien, même si dans ses mémoires, il n'en dit mot, réduisant cette période à un simple passage :
Je profite de mon passage à Paris pour rendre visite à M. Clément Maurice, concessionnaire des brevets Lumière pur le département de la Seine.
Mesguich, 1933: 7.
La mémoire de Léopold Maurice, fils de Clément-Maurice, a conservé une autre réalité :
Les projections étaient assurées tantôt par MESGHISH, tantôt par DUCOM à raison de deux séances par heure.
"Léopold Maurice témoin des débuts du cinéma", Bulletin de l'AFITEC, 23e année, nº 29, 1969, p. 3.
L'Amérique du Nord (décembre 1896-juillet 1897)
Nous ne disposons que des souvenirs de Félix Mesguich pour retracer son parcours aux États-Unis, or ils sont à la fois inexacts et imprécis. On peut imaginer qu'il y a eu trois étapes : un premier séjour à New York, un circuit dans différentes villes de l'Est du pays, puis un second séjour à New York, avant un départ-fuite un peu rocambolesque.
New York (décembre 1896-janvier 1897)
Quelques jours plus tard, il embarque, au Havre, sur La Champagne et arrive à New York le 7 décembre 1896 où il se déclare " électricien " au service de l'immigration. Il est accueilli par le représentant de M. Hurd, ainsi qu'il le raconte :
Au quai de débarquement, je trouve M. W. Allen, représentant-impresario de M. Hurd. Dans la voiture qui nous emporte, il me fait part de ses projets pour la diffusion de notre exploitation à travers les États-Unis.
MESGUICH, 1933: 9.
À son arrivée, les séances au Keith's Union Square Theater ont pris fin, en revanche d'autres ont lieu à Brooklyn, au 515, Fulton Street. De façon plus ponctuelles, certains essais, pas toujours, probants, sont tentés à l'Empire et à l'American Theater - peut-être s'agit du "Black America Theater" dont parle Mesguich dans Tours de manivelle . Dans le cadre de conférences organisées par le Brooklyn Institute, un cinématographe Lumière est également utilisé, sans oublier l'Eden Musee de Richard Hollaman, qui, lui aussi, fait appel au service d'un appareil Lumière. Il est probable que Félix Mesguich soit intervenu dans une ou plusieurs de ces salles, au cours du mois de décembre et dans les premiers jours de janvier 1897. En revanche, ses déclarations mêlent des informations réelles et d'autres plus fantaisistes :
C'est dans un music-hall de New-York, "Kosters-and-Beals Theater", à Madison Square, qu'aussitôt la représentation terminée, je fais mes essais de projection. Ma cabine métallique occupe le centre du premier balcon, le câble électrique est amené aux bornes du théostat ; un immense écran, le plus imposant que j'aie jamais vu, monte et descend dans un décor. Pour en couvrir la surface, je dois changer d'objectif.
Devant quelques autorités locales, le manager et le chef d'orchestre, je déroule d'abord le programme d'ouverture. Dans ce milieu, habitué cependant par profession à ne pas s'émouvoir facilement, c'est la surprise, l'émerveillement.
Le lendemain, - 18 juin, - je prends un contact direct avec le public américain. Il faut avoir vécu ces moments d'exaltation collective, avoir assisté à ces séances frémissantes pour comprendre jusqu'où peut aller l'emballement d'une foule. D'un coup d'interrupteur, je plong plusieurs milliers de spectateurs dans l'obscurité. Chaque tableau passe accompagné d'une tempête d'applaudissements ; après la sixième vue, je rends l'éclairage à la salle. L'assistance est trépidante. Des cris retentissent : "Lumière Frères !" "Lumière Brothers!" et des hourrahs se mêlent aux coups de sifflets stridents, ce qui est pour les Américains - comme on sait - une manière de manifester leur satisfaction. Ovation grandiose ! Inoubliable ! Devant cet enthousiasme, je regrette l'absence des inventeurs, auxquels va ma première pensée. Je songe aussi à cette humble salle lyonnais où j'ai fait mes débuts.
Dans ma cabine, étourdi par les rappels d'acclamation qui ont accueilli cette première représentation, je procédais avant de me retirer à l'enroulement des bandes ayant servi à la projection, lorsque le directeur du théâtre vient frapper à ma porte. J'ouvre... Vivement saisi et enlevé de force par de solides gaillards, avant que j'aie pu prononcer un mot, je suis porté en triomphe sur la scène et présenté au public. L'orchestre exécute la Marseillaise. Pour que je ne prenne point la fuite, le directeur me tient par la main. À ce moment, il me semble que l'établissement s'écroule, le sol me manque sous les pieds et, lorsque les projecteurs électriques lancent leurs faisceaux lumineux dans ma direction, j'ai tout juste la force de m'enfuir à toutes jambes, au milieu de l'hilarité générale.
À la fin de la soirée, on m'entraîne à un souper au champagne - ce n'était pas alors l'Amérique sèche ! - Tout à la joie, le général manager du Kosters-and-Beals Theater m'offre sa propre montre "en souvenir, me dit-il, de cette mémorable soirée."
En quelques jours, la renommée du cinématographe Lumière a gagné tous les États-Unis. Mon refuge de la 23e Rue au "Boeuf à la mode", est envahi à toute heure par des reporters, dont les articles aident encore à la propagande de l'entreprise ; la presse américaine célèbre avec ensemble la merveilleuse invention française.
C'est qu'il n'existe en ce pays que le Kinétoscope Edison, destiné à la vision directe et individuelle. Avec ce procédé un peu primitif, il ne peut être question de spectacle public. Ce n'est pas un spectacle en effet, mais un amusement. Une seule personne peut voir les images se dérouler dans un appareil en forme de boîte. Un oculaire grossissant y reproduit le mouvement, mais ne le projette pas. Pour préciser un point d'histoire trop ignoré des nouvelles générations, j'affirme qu'à ce moment il n'y avait pas aux États-Unis un seul écran qui utilisât la photographie animée. Aussi le cinématographe Lumière supplante-t-il rapidement le Kinétoscope.
MESGUICH, 1933, 9-10.
Nous sommes évidemment très loin de la réalité. Ces souvenirs pour magnifiques qu'ils paraissent ne sont que pure galéjade : le 18 juin, Félix Mesguich est toujours en France, aucun cinématographe Lumière ne fonctionne dans le Kosters-and-Beals Theater, le vitascope Edison est en place dans plusieurs villes américaines dont New York, et parfois avant l'appareil des inventeurs lyonnais... Reste sans doute l'émotion ressentie lors de ces projections de la fin de l'année 1896 ou du début 1897.
Circuit dans l'Est des États-Unis (janvier-avril 1897)
Même si nous connaissons le nom des différentes villes où est allé Félix Mesguich, nous ignorons si ces séjours constituent un seul voyage ou bien plusieurs. Peut-être fait-il des aller-retour depuis New York ? Difficile à dire, même s'il est vrai qu'il va se déclarer résident à Washington et à Boston.
En nous appuyant sur les informations les plus fiables, il est fort probable que Félix Mesguich se soit rendu d'abord à Washington où il se déclare résident au Willard's Hall, à partir du 12 janvier 1897, ce qui n'exclut pas qu'il soit arrivé quelques jours auparavant. Dans la capitale fédérale, les séances ont commencé précisément dans cette salle de théâtre, le 1er janvier 1897. Est-il là pour l'inauguration ? Difficile de l'affirmer. Ses souvenirs ne sont pas davantage éclairants :
Je procède encore à des installations à Washington au Willards Hall, à Philadelphie, à Baltimore dans une église, et à Chicago. Je vais même jusqu'à Saint-Louis.
MESGUICH, 1933, 12.
En revanche, Félix Mesguich passe sous silence, le conflit qui l'oppose lui et son collègue au responsable Whiting Allen. La presse se fait d'ailleurs largement l'écho de ces problèmes :
Willard Hall.-The cinematographe which has been running for some time at Willard Hall, will be supplanted tomorrow by the mutascope, an American production, and the exhibition of this new machine -whose characteristics are about the same as those of the cinematographe-will continue for a limited reason. The reason for the charge is stated as a disagreement which arose between the French operators of the cinematographe and Mr. Whiting Allen, the gentleman who has had the machine in charge during its stay in this city, upon the latter’s return from New York Tuesday afternoon, when he found that the Frenchmen had instituted some business arrangements which did not come to his idea of what was right. As a result, he was informed by the operators that if the arrangements were changed they would not give another exhibition, and he immediately told them he would close the hall. Later, Mr. Allen had an encounter with the Frenchmen in the lobby of Willard’s, where he found them venting their indignation in no small terms, and in which he did not come off second best. Mr. Allen then telegraphed to the Mutascope Company in New York, and yesterday morning made arrangements for the exhibition of the machine. The mutascope is said to be superior to the cinematographe in that there are no flickering of light on the screen and possesses unusual power. The views to be shown during the exhibition beginning tomorrow are all American ones and will include pictures of Maj. Mc.Kinley, the Empire State express running sixty miles, and a number of other interesting and amusing sights.
Evening Star, Washington, 29 janvier 1897, p. 12.
Résultat : Whiting Allen se débarrasse du cinématographe et des deux opérateurs et reprend les projections avec un biograph de la Mutoscope Company. Ces faits sont évidemment moins glorieux... et montrent également le comportement quelque peu léger de Félix Mesguich en pareille circonstance. Ultérieurement, il va se rendre à Saint-Louis, où le poste Lumière fonctionne du 25 janvier au 20 février. Il est plus difficile de dater son séjour à Baltimore et à Philadelphie. En revanche, nous savons qu'il réside à Boston (Decatur, nº 17) à partir du 22 avril 1897. Ici ses souvenirs rejoignent les informations dont nous disposons. Félix Mesguich se souvient :
À Boston, au Grand Opera House, devant une salle archicomble, je donne une vue nouvelle : Les Bains de Diane à Milan, que je viens de recevoir et, pour la première fois, je risque la fantaisie de faire remonter les plongeurs de l'eau, en tournant la manivelle en marche arrière.
Des applaudissements irrésistibles se déchaînent dans la salle, et la réussite est tellement complète, que mes appointements en bénéficient. C'est une surprise à laquelle je ne m'attendais guère ; elle prouve qu'on gagne quelquefois à commencer les choses par la fin.
MESGUICH, 1933, 12.
Or nous savons que les vues à rebours sont effectivement une "spécialité" qui est présentée dans plusieurs villes américaines dont Boston :
Grand Opera House
At the Grand opera house this week the Cinematograph is displayed with a lot of new pictures.
[...]
A novelty was introduced in the picture effects by reversing the film and so reversing the movements of the figures, as, for instance, the bathers were seen coming feet foremost from a pool and ascending through the air to the spring board above.
The Boston Daily Globe, 6 avril 1897, p. 4.
Malgré l'inexactitude de ses souvenirs, son livre Tours de manivelle, offre malgré tout un témoignage de la vie des opérateurs Lumière dans les premiers mois de son exploitation.
Retour à New York (mai 1897)
Sur le retour de Félix Mesguich à New York, nous ne disposons que des informations qu'il a bien voulu laisser dans son ouvrage. Il explique que la situation s'est progressivement dégradée et que Maurice Lafont doit faire face à des menaces de type judiciaire :
Harcelé par des menaces de poursuites judiciaires, mal préparé à cette lutte qui aurait exigé un cran exceptionnel, M. Lafont se montre très irritable. Il jure toute la journée contre l'Amérique et ses habitants, et ne me laisse plus quitter New York où, m'assure-t-il, les services que je puis rendre sont plus précieux que l'installation des postes de province.
MESGUICH, 1933, 14.
Une fois encore, Félix Mesguich critique le comportement du responsable de la concession. Il rapporte un premier incident qu'il situe en janvier 1897 alors qu'il tente de tourner une bataille de boules de neige à Central Park (Mesguich, 1933, 14). Mais il s'attache à expliquer que "vers les mois de juin-juillet 1897" - alors que le système des concessions a disparu - "la douane américaine" considère que la présence des appareils Lumière et du matériel n'est plus légale (ibid., 15). Les choses s'enveniment, en particulier pour Maurice Lafont qui, en tant que concessionnaire Lumière, est tenu pour responsable de l'introduction considérée comme frauduleuse :
Une indiscrétion le prévient qu'un mandat d'arrêt va être lancé contre lui. Craignant, à tort ou à raison, pour sa sécurité personnelle, il se résigne à s'éloigner furtivement.
Le 28 juillet, je l'accompagne dans un canot au large de l'estuaire de l'Hudson. L'attente est longue ; enfin un transatlantique battant pavillon français stoppe " par ordre spécial " et l'échelle du paquebot descend pour embarquer clandestinement M. Lafont, représentant des frères Lumière, en route pour la France.
MESGUICH, 1933, 15-16.
Faut-il croire cette histoire rocambolesque ?... Nous n'avons guère le choix. Félix Mesguich semble être encore resté quelque temps à New York et ajoute même qu'il ouvre une nouveau poste au Royal Museum :
Je reste à New-York, mais le départ de son directeur domme une nouvelle acuité aux poursuites dont notre entreprise est l'objet. Je monte encore un poste au Royal Museum, dans la 25e rue, mais ce sera le dernier. Après inventaire, notre matériel est placé sous séquestre, à l'exception de mon appareil que j'ai pu garer à temps. je me consacre dès lors à favoriser le rapatriement de mes collègues.
MESGUICH, 1933, 16.
Sans doute une nouvelle confusion, car il n'y a pas de Royal Museum à l'époque, mais un Eden Musee, situé sur la 23e rue, qui continue à présenter des vues animées, mais semble-t-il avec un autre appareil... Après un Joly, annoncé de la fin février au mois d'avril 1897, c'est un "american cinematograph" qui prend le relais de la mi-avril au début mai, puis un simple "cinematograph" anonyme jusqu'à la fin de l'année 1897... En tout état de cause, nous savons qu'il a déjà quitté les États-Unis dans la seconde quinzaine du mois de juin 1897, ce qui remet en cause sérieusement sa chronologie fantaisiste.
Une dernière question : Au cours de son séjour aux États-Unis, Félix Mesguich a-t-il tourné des films ? Il l'affirme bien :
Dans la journée, je vais à l'affût des scènes locales dont je choisis moi-même les sujets dans la rue, m'amusant à saisir les gestes quotidiens des travailleurs ou des promeneurs, acteurs bénévoles, ignorants du concours plein de naturel qu'ils apportent à ma besogne.
MESGUICH, 133, 12.
Tout cela reste très vague, pas un seul titre précis... En outre, les films qui figurent au catalogue ont été tournés, pour l'essentiel, par Alexandre Promio et ils ont été diffusés avant l'arrivée de Félix Mesguich aux États-Unis. Quant à la bataille de neige à Central Park... elle n'a sans doute jamais été développée compte tenu des circonstances (Ibid., 14). En revanche, il ne parle ni des vues de Buffalo Bill, ni de celles de l'entrée en fonction du président McKinley.
Il est l'heure de quitter les États-Unis.
Le Canada et le retour (mai-juillet 1897)
Félix Mesguich n'est pas le premier opérateur Lumière à se rendre en territoire canadien, Louis Minier et Louis Pupier l'ont précédé de presque un an. Il a déclaré aux autorités militaires qu'il réside à Montréal (St Laurent, 18) à partir du 26 juin 1897. L'opérateur est très discret sur son séjour et ne lui consacre qu'une simple ligne dans Tours de manivelle :
Successivement, j'opère à Montréal, Québec, Ottawa et Toronto, avec le succès habituel.
MESGUICH, 1933, 16
Il organise, en effet, des séances de la fin mai à la mi-juillet au théâtre Palace de Montréal. En revanche, nous ignorons tout de ses activités dans les autres villes. Au terme de ce séjour, somme toute, assez court, l'opérateur rentre à New York en passant par les chutes du Niagara pour y tourner quelques vues :
Sur chaque versant, je choisis des emplacements qui me permettront de reproduire les divers aspects des chutes du Niagara.
MESGUICH, 1933, 16.
Pourtant, encore une fois, nous ne savons rien de ces films, car si dans le catalogue Lumière, nous trouvons bien deux vues, ce sont celles tournées par Alexandre Promio, plusieurs mois auparavant. Il quitte le continent américain en juillet et revient à Paris :
VISITORS IN PARIS
The following visitors have been registered at the New York Herald Office, 49 avenue de l'Opéra:-
[...]
MESGUICH, Felix, of Washington; New York.
The New York Herald, Paris, mardi 27 juillet 1897, p. 3.
Au retour d'Amérique, il retrouve à Paris, Maurice Lafont qui est en charge du cinématographe du 6, du boulevard Saint-Denis.
"Ma première campagne de Russie" (octobre 1897-septembre 1898)
L'automne 1897 est marqué par de profonds changements en ce qui concerne l'exploitation du cinématographe en Russie. Les opérateurs Marius Chapuis et Paul Decorps rentre en France. Une réorganisation est nécessaire et c'est Arthur Grünwaldt, le responsable, qui va faire appel à Félix Mesguich. Le système des concessions a été abandonné depuis le printemps et c'est donc un contrat de deux ans qu'obtient l'auteur de Tours de manivelle. Même s'il n'en parle jamais, on peut penser qu'il fait équipe - en partie du moins - avec Francis Doublier qui repart, précisément, à l'automne 1897 pour la troisième fois en Russie et qui est celui qui fait la transition entre l'ancienne et la nouvelle organisation. Félix Mesguich arrive à Odessa le 13 novembre 1897, date qu'il annonce dans ses mémoires et qui est parfaitement confirmée par son matricule militaire :
À peine débarqué à Odessa, le 13 novembre 1897, je m'installe au Grand Théâtre. Pendant la journée, je prends des scènes locales qui, annoncées à l'avance par la presse, attirent nombre de curieux. je développe aussitôt les négatifs et j’impressionne les positifs dans un laboratoire sommaire, ordinairement une salle de bains formant chambre noire. Les films de l'après-midi peuvent ainsi être présentés au public le soir même.
MESGUICH, 1933, 19.
Le témoignage révèle bien que, désormais, les cinématographistes possèdent leur propre matériel et qu'ils sont en outre autonomes par rapport à la maison Lumière. Cette autonomie vaut également pour la prise de vue et la projection des films qui est de la seule responsabilité de Félix Mesguich. Le parcours de l'opérateur en Russie n'est pas sans rappeler celui de ses prédécesseurs. Après son séjour à Odessa, il se rend à Yalta, en Crimée, pour organiser une séance pour le tsar, dans le Palais d'été de Livadia où il " monte [s]a cabine, entouré par un personnel doré sur toutes les coutures." (Mesguich, 1933, 19) :
Je donne comme il convient des vues de Russie : Moscou, le Kremlin, le couronnement et aussi quelques paysages de France. Le Tsar, que cette exhibition paraît fort intéresser, me demande des renseignements sur le mécanisme de la " présentation ". Je lui en fait la démonstration et lui offre un fragment de bande qu'il examine en transparence et fait passer de main en main. En me remerciant, il me fait part des souhaits qu'il forme pour le succès en Russie de l'invention des frères Lumière.
MESGUICH, 1933, 19
Félix Mesguich va ainsi parcourir toute la Russie comme l'on fait antérieurement les équipes de la maison Lumière. à Kichinev, il se souvient d'un tournage exceptionnel :
A Kichineff, je cinématographie un matin les exercices de plusieurs escadrons placés sous le commandement d'un général d'origine française : le prince Louis-Napoléon. Charge finale : les cavaliers, lance en main, arrivent au galop sur l'opérateur. À quelques pas, un commandement du prince, le sabre haut, les arrête net.
La soir même, gala au club de la Noblesse. Je " passe " cette scène impressionnante ; le prince Louis-Napoléon m'en félicite : " Notre manoeuvre de la matinée reproduite dans la même journée, me dit-il, vous faites des miracles avec votre boîte à malice.
MESGUICH, 1933, 20.
Il se rend également à Kiev - où Francis Doublier se fait photographier, le 26 février 1898 - , Moscou.... Il se retrouve à Nijni Novgorodà l'occasion de la foire annuelle dont l'ouverture est fixée au 15 juillet 1898. Une nuit, un incendie ravage l'établissement Lumière : " Nous perdons ainsi un poste complet, sur les deux que nous possédions. (ibid., 22). Cette information indique bien que nous avons affaire à une équipe. Même s'il reste difficile d'affirmer que le circuit des deux hommes est tout à fait identique, il arrive parfois que les souvenirs de l'un recoupent les souvenirs de l'autre. Ainsi le court récit que donne Francis Doublier au sujet du tournage d'un film, en août 1898, à Saint-Pétersbourg, avec la "belle" Otéro et un officier de l'armée du tsar (New York World Telegram, New York, 23 octobre 1935, p. 3.) recoupe-t-il celui, plus long, de Félix Mesguich :
Une soirée de gala est annoncée en l'honneur et au profit de la Belle Otéro. le directeur de l'Aquarium voudrait à cette occasion offrir au public une surprise. Je connais l'attrait qu'exerce l'écran sur la grande danseuse espagnole et aussi son vif désir d'être filmée. Avec le consentement de M. Grunwaldt, mon directeur, nous combinons un ensemble qui donne satisfaction à ce désir.
Mlle Otéro va devenir la première en date des stars du cinéma. Ella a choisi pour décor les jardins de l'Aquarium. Au jour convenu, elle arrive dans son équipage avec un officier très connu, aide de camp du Tsar. Un essai suffit pour la mise au point.
Dès son entrée, la vedette lance son sombrero et commence une lascive yota dont la cadence qu'elle scande à grand renfort de coups de talons, s'accélère de plus en plus pour finir à une allure folle.
L'officier russe règle ensuite tous les détails du deuxième tableau. Il dispose des verres et deux bouteilles de champagne sur une table. Et pendant qu'à l'arrière-plan, il remplit une coupe qu'il vide d'un trait, Otéro bondit à nouveau. Elle pousse un cri ; alors, sans hésitation, enlevant son képi et son ceinturon, l'officier la saisit et l'entraîne dans le tourbillon de cette " valse brisante " que l'actrice a rendue populaire.
Ils tournoient un moment, accompagnés par les guitaristes. Brusquement, le danseur prend sa danseuse à bras-le-corps, la soulève, d'un coup et la laisse tomber sur ses genoux, cependant que ployée, éperdue de joie - et peut-être d'amour - elle regarde tour à tour son partenaire et l'objectif de ses grands yeux noirs pleins de flammes. J'abandonne alors la manivelle pour applaudir cette finale.
Sans perdre un instant, il me faut développer et tires les positifs dans l'un des caves de la maison Grunwaldt. Je consacre la nuit entière à cette besogne. Tout va bien.
Jamais l'Aquarium n'a connu semblable soirée. La salle est comble ; ce gala réunit tout ce que Saint-Pétersbourg compte de personnages importants ou titrés. Les grands-ducs Michel et Boris sont dans la loge d'honneur. Des princes, des ambassadeurs et parmi eux Georges Louis, ambassadeur de France, assistent à la représentation.
Un coup d'interrupteur. La première danse de Mlle Otéro est chaleureusement accueillie. Derrière l'écran, elle-même rythme du talon la cadence de ses pas. Je continue dès lors la projection sans m'émouvoir des rumeurs indistinctes de la salle. Des cris formidables retentissent. En entendant le tumulte grandir de plus en plus, je songe : Quel succès ! De vigoureux coups de poing ébranlent ma cabine métallique, sans que j'y attache d'autre importance.
La séance terminée, je rends tranquillement la lumière. La salle hurle ; il y règne une agitation extraordinaire, les coups de poing redoublent de violence contre ma cabine. On me crie d'ouvrir. Je distingue, en russe, le mot « scandale ». Mais à peine la porte est-elle entrebâillée que des officiers de police se précipitent, me saisissent brutalement et m'entraînent avec une telle fureur, que j'en suis abasourdi.
Nous avions voulu faire une surprise au public et je constate que toute la surprise est pour moi. Le régime russe me paraît à cette heure sérieusement inquiétant…
Le lendemain matin, je suis conduit devant le grand maître de police. Il marche furieusement d'un bout à l'autre de la pièce, me questionne en français, puis me déclare très durement : « Vous avez gravement offensé l'armée russe. Nos officiers, sachez-le bien, ne sont pas des danseurs de music-hall ; ce scandale sans pareil est déjà connu de Sa Majesté, c'est pour vous l'emprisonnement ou la déportation. »
L'ambassadeur de France, qui était présent à la séance de la veille, obtient néanmoins par l'avocat de la chancellerie, mon transfert immédiat à l'ambassade.
J'y apprends que je serai expulsé le soir même ; j'essaie vainement de me défendre, de résister : la décision est définitive ; il y a intérêt à m'éloigner au plus tôt de la capitale.
Mlle Caroline Otéro, venue me faire ses adieux, a la franchise de m'avouer qu'elle a été obligée pour sa sécurité et celle de l'officier russe, son ami, de faire une déposition de commande.
Voilà comment le Gala-Otéro finit par mon expulsion rapide de Russie !
Par le train de 8 heures du soir, le 27 septembre 1898, je quitte Saint-Pétersbourg, sans bagages, sans argent, pour gagner la frontière, en compagnie de deux policiers russes.
MESGUICH, 1933, 23-25.
Décidément, Félix Mesguich se retrouve dans des situations pour le moins délicates en Amérique comme dans la vieille Europe. Le film en question, Caroline Otero, a été partiellement conservé.
Au tournant du siècle (octobre 1898-1902)
Au tournant du siècle, le rythme des déplacements de Félix Mesguich va se ralentir et il va, en revanche, multiplier ses activités, en France, et surtout à Paris. Il se consacre, essentiellement, à son métier d'opérateur et ouvre plusieurs postes dans la capitale. Grâce à son matricule militaire, nous savons qu'il réside à Paris (3 juillet 1899-120, rue Saint-Dominique), puis à Courbevoie (18 octobre 1899-avenue de la Liberté, 9).
Le cinéma publicitaire ([octobre 1898]-1899)
Félix Mesguich, d'une activité toujours débordante, se lance dans plusieurs projets dès son retour en France. C'est ainsi qu'il va se mettre en contact avec M. Vergnes, le directeur de l'Agence Nouvelle de Publicité, afin de lui proposer des films publicitaires :
Dès le lendemain, j'explique cette conception à M. Vergnes, directeur de l'agence, et l'ayant convaincu, je pars précipitamment pour Lyon chercher un matériel Lumière mixte, prise de vues et projection. C'est le 18 octobre 1898 qu'apparaît pour la première fois, au numéro 5 du boulevard Montparnasse, la publicité lumineuse par le cinéma. Désormais, de multiples affiches animées se succèdent sur l'écran en commençant par celle de " Ripolin ".
J'avais touché juste ; dès le premier jour, tous les passants lèvent la tête, les omnibus à impériale " Madeleine-Bastille " s'immobilisent, et les voitures de place s'arrêtent. Il a suffi d'une création nouvelle pour conquérir un centre de Paris. Un service d'ordre doit être organisé sur les grands boulevards pour parer à l'embouteillage de la chaussée.
MESGUICH, 1933, 27.
Peinture Ripolin
Lectures pour tous, année II, Paris, Hachette et Cie, p. 355
Félix Mesguich laisse entendre que Les Trois Ripolin n'est pas le seul film tourné pour l'Agence Nouvelle de Publicité, mais nous ne connaissons pas les autres titres. Il suggère également qu'il s'agirait là du premier fim publicitaire, mais en réalité il existe des pratiques qui allient l'image animée et la publicité depuis les débuts du cinématographe, comme dans le cas du film Laveuses d'Alexandre Promio où l'on vante les mérites du savon Sunlight.
Toujours dans une logique publicitaire, Félix Mesguich rentre en contact avec la Compagnie des Wagons-Lits et propose ses services :
Un rapport sur mes propositions est adressé par elle aux compagnies de chemins de fer ; il s'agit tout simplement de prendre le panorama des paysages tels qu'ils apparaissent lorsqu'on est à la portière d'un train en marche.
MESGUICH, 1933, 27-28.
Il va obtenir l'autorisation de circuler sur le réseau de la compagnie et d'adapter un dispositif pour que la caméra "déborde à l'extérieur du wagon, par la fenêtre ouverte ". Il commence donc à filmer des panoramas sur la Côte d'Azur. Une part importante de ces vues cinématographiques semblent bien correspondre à celles qui se trouvent dans le catalogue Lumière, regroupées sous le titre " À travers la France ". Son circuit le conduit sur la Côte d'Azur (Saint-Raphaël, l'Estérel, Cannes, Nice, Monte-Carlo...), le Sud-Ouest (Biarritz, Bayonne, Paru, Lourdes, Pierrefitte, Cauterets...), la zone alpine (lac du Bourget, Aix-les-Bains... Cette tournée prend fin au début de l'année 1899 :
Ainsi au début de l'année 1899, l'écran en plein air de la Compagnie des Wagons-Lits, place de l'Opéra, put refléter le visage animé de quelques coins de la terre de France.
MESGUICH 1933, 30.
La collaboration avec Auguste Baron ([1899])
Au cours de cette période féconde, Félix Mesguich va également travailler auprès d'Auguste Baron, un pionnier du cinéma sonore. Ce dernier est l'auteur de nombreuses recherches sur le cinématographe depuis 1896 et il fait construire un studio à Asnières, qui est terminé vers 1898. C'est là que nous retrouvons Mesguich qui va y tourner plusieurs films :
Dans le modeste studio de la rue de l'Alma, à Asnières, je deviens son collaborateur pour la prise de vues. Nous reproduisons ensemble des scènes d'opérettes, chant et musique, ainsi que de " vieilles chansons de France ", interprétées par des artistes de concert et de music-hall.
MESGUICH, 1933, 31.
Sur une photo de la Cinémathèque française, on aperçoit Félix Mesguich à la table, derrière l'un des décors du théâtre de prise de vue.
" Le rideau de scène du studio d'Asnières "
© Cinémathèque française
Il semble que la collaboration n'ait guère duré que quelques mois de l'année 1899. À l'origine, probablement les difficultés financières d'Auguste Baron évoquées au journaliste de L'Africain :
Il fut aussi l'opérateur du " père du cinéma parlé " M. Auguste Baron. Il vit ce dernier vendre ses meubles pour payer ses artistes et ses employés, dans son petit studio d'Asnières. Il reconnaît avoir vu aux environs de 1900, pour la première fois au monde, M. Auguste baron faire la démonstration parfaite du synchronisme entre la vue et le son au cinéma.
F. Pierrefont, " Une heure avec Félix Mesguich, le plus vieil opérateur de cinéma ", L'Africain, Alger, 1er juillet 1932, p. 3.
Il reste difficile de savoir si les films " Baron " tournés en 1899 lui sont attribuables, mais il est probable qu'il soit à l'origine d'une partie d'entre eux.
Les tournages pour le Phonorama ([1899-1900])
La Compagnie Générale Transatlantique s'intéresse au " cinémicrophonographe ", un nouveau système qui cherche à combiner l'image et le son, et dont l'exploitation est assurée par la Société Anonyme du Phonorama dont le principal animateur est François Dussaud. Afin de fournir le phonorama en vues animées, dans la perspective de l'Exposition Universelle de 1900, la CGT contacte Félix Mesguich :
Peu après, la Compagnie Générale Transatlantique s'intéresse à un autre système, le " Cinémicrophonographe ". Un dispositif de commande électrique unique assure le déroulement synchrone de la parole et de l'image. La Compagnie compte exploiter cette nouveauté, sous le nom du " Phonorama ", à son pavillon de l'Exposition.
En attendant l'ouverture de cette dernière, je filme pour le Phonorama quelques scènes de la vie parisienne, et toute une suite de tableautins sur " les cris de Paris ".
Les bandes sont coloriées à la main dans les ateliers de Mme Chaumont. Les travaux de développement et le tirage des copies sont assurés par les Établissements Gaumont dont j'utilise les appareils.
Du 15 avril au 31 octobre 1900, pendant toute la durée de la Grande Parade, le " Phonorama " ainsi approvisionné, vit, parle et chante ; il obtient un accueil empressé.
MESGUICH, 1933, 31.
Nous ignorons précisément les titres filmés par Mesguich, mais il est probable que certains d'entre eux figurent au catalogue Gaumont. Quant aux " cris de Paris ", il s'agit de filmer les petits métiers :
Au pavillon de la Compagnie Générale Transatlantique, le "Phonorama" apportait une nouveauté sensationnelle : l'union, pour la première fois réalisée, du phono et du cinéma.
Féllix Mesguich avait enregistré à cet effet, pour Gaumont, une série de petits tableaux de la vie de Paris, avec les chansons des rues et les curieux cris des marchands ambulants.
Le cinéma parlant faisait son entrée dans le monde...
Marcel Lapierre, "À l'Exposition de 1937", Paris-Soir, Paris, 16 mai 1937, p. 10.
Mais les vues n'ont pas été conservées semble-t-il, mais elle semble également avoir été au catalogue Gaumont. Le photographe Louis Vert (1865-1924) - dont la collection est conservée à la Société Française de Photographie - a consacré une partie importante de son oeuvre au " petit peuple parisien ".
Le Phono-Cinéma-Théâtre à l'Exposition universelle (avril-novembre 1900)
C'est également Félix Mesguich, très présent lors de l'Exposition Universelle, qui est responsable d'un des deux postes du Phono-Cinéma-Théâtre, une autre curiosité cinématographique qui allie les vues cinématographiques et le phonographe. C'est Marguerite Vrignault qui a eu l'intuition de ce type de spectacle, et elle est parvenue à convaincre Paul Decauville de financer l'affaire et Clément-Maurice d'assurer le tournage des films sonores. Le pavillon dispose de deux salles de projection (Le Figaro, Paris, 7 juillet 1900, p. 3.) et il revient à Félix Mesguich de s'occuper du bon fonctionnement des appareils :
Pour les projections parlantes, l'installation était également très simple. Devant l'écran, à la place de l'orchestre, se trouvaient deux petits boxes pour le phonographe et les appareils à bruit. Dans le cornet du phonographe, il y avait un microphone qui prenait le son, qu'un tube acoustique amenait à la cabine de l'opérateur, Félix Mesguich. Une lampe rouge s'allumait au déclenchement du cylindre phonographique pour permettre le départ simultané du film. L'opérateur, au moyen d'un casque ou simplement du cornet acoustique, avait le son dans l'oreille : il réglait alors sa manivelle au son et tournait plus ou moins vite pour que les paroles ou les bruits tombassent " juste ".
Henry Cossira, " La Résurrection du Phono-Cinéma-Théâtre ", L'image, nº 55, 31 mars 1933, p. 24-25.
Dans la seconde salle, ce sont les fils de Clément-Maurice, Georges et Léopold qui font tourner les appareils :
C'était mon frère Georges qui tournait la manivelle du projecteur, écoutant par une ouverture de la cabine le son qu'émettait dans la salle le phonographe à rouleau de marque Edison [sic] : Le synchronisme était approximatif, surtout lorsqu'il m'arrivait de le remplacer, car je n'avais pas son expérience pour suivre le son en accélérant ou ralentissant le projecteur. Qu'importe, le succès était considérable et la salle toujours pleine.".
Bulletin de l'Association Française des Ingénieurs et Techniciens du Cinéma, nº 29, 1969, p. 6.
Il reste deux jours avant la fin de l'Exposition Universelle de 1900, lorsque s'ouvre une salle, au 42 bis boulevard Bonne-Nouvelle, le 10 novembre 1900, pour l'exploitation du Phono-Cinéma-Théâtre. On peut penser que Félix Mesguich et, bien sûr, Marguerite Vrignault participent à la mise en place du local et à son inauguration. Pendant de longs mois, le spectacle est annoncé dans la presse jusqu'à sa probable clôture au début du mois de mai 1901. Mais très rapidement, une autre équipe d'opérateurs - peut-être les enfants de Clément-Maurice, Georges et Léopold - va faire tourner le dispositif audio-visuel.
Dans ses mémoires, Tours de manivelle, il existe une certaine confusion sur la fin de l'année 1900 et les premiers mois de 1901. On peut malgré tout tenter de remettre un peu d'ordre.
Les funérailles de la reine Victoria (février 1901)
C'est à la fin du mois de janvier que Félix Mesguich se rend à Londres alors que la reine Victoria vient de disparaître (22 janvier 1901). Les funérailles de la souveraine vont attirer de très nombreux cinématographistes, chaque éditeur de films souhaitant, bien entendu, avoir une série de vues consacrées à l'événement. Il a conservé le souvenir de ce tournage :
Fin janvier 1901, d'accord avec MM. Isola, je pars pour Londres où sont célébrées les funérailles de la reine Victoria.
Bien à l'avance, mes deux appareils - un Lumière ete un Mirograph - sont en batterie à l'emplacement que je me suis réservé à Hyde-Park, dans le décor de Marble-Arch, que doit traverser le cortège funèbre.
À peine suis-je installé qu'à ma grande surprise je vois arriver M. Charles Urban dont j'ai fait la connaissance à New York, en 1897. C'est près de moi qu'il fait monter sa caméra par l'opérateur qui l'accompagne. Comme par hasard, M. Urban avait, me dit-il, " repéré le même point que moi. "
[...]
M. Urban m'offre tout de suite une entente pour la diffusion en Europe et en Amérique du négatif que nous allons prendre ; il me propose mieux encore.
[...]
Tout à coup l'artillerie tonne, les musiques militaires attaquent des marches funèbres. Le rois Édouard VII, son bâton de feld-maréchal à la main, suit à cheval le cercueil de la reine Victoria, recouvert du pavillon royal. Le duc de Connaught, l'empereur Guillaume, et une assemblée de rois où figurent Don Carlos de Portugal et Georges de Grèce, suivent à quelques pas en arrière. Viennent ensuite, dans l'ordre établi par un rigoureux protocole, les Princes héritiers, les généraux et les diplomates en uniformes étincelants, à travers la capitale en deuil.
MESGUICH, 1933 : 36-37
Ce bref séjour est pourtant l'occasion pour Félix Mesguich de prendre contact avec Charles Urban avec lequel il collaborera un peu plus tard.
Le mirographe (1901)
Sur une publicité pour le Mirogaphe de Lucien Reulos et Jacques Goudeau, on voit la fille de Félix Mesguich, Rita qui projette avec cet appareil, mais l'on ignore s'ils ont entretenu des relations professionnelles ou personnelles.
Le Mirographe. Cinématographe d'amateur
Mademoiselle R. Mesguich projetant avec le Mirographe de Reulos et Goudeau en 1901.
© Le Grimh
La première tournée européenne du Phono-Cinéma-Théâtre (janvier-[octobre] 1901)
Le succès tout à fait modeste du Phono-Cinéma-Théâtre à l'Exposition universelle de 1900 conduit Marguerite Vrignault à mettre en place plusieurs tournées afin de rentabiliser le spectacle déficitaire comme elle l'explique ci-après :
À la fermeture de l'Exposition, de tous les établissements de la rue de Paris, le Phono-Cinéma-Théâtre fut le seul à ne pas faire faillite ! J'avoue que cela me coûta fort cher. Avec Mesguich, nous promenâmes le Photo-Cinéma-Théâtre dans toute la France et dans l'Europe entière.
Henry Cossira, " La Résurrection du Phono-Cinéma-Théâtre ", L'image, nº 55, 31 mars 1933, p. 26.
Félix Mesguich le confirme bien et apporte quelques informations complémentaires sur ce périple :
Les portes de l'Exposition à peine fermées, je pars pour une tournée de trois mois avec le programme du Phono-Cinéma-Théâtre.
Commencé à Reims, notre itinéraire traverse l'Allemagne, l'Autriche et la Suisse. Dans les villes du Duché de Bade et de Bavière, puis au Victoria-Hall à Genève, nos représentations sont accueillies comme un triomphe.
MESGUICH,1993: 33.
En réalité, et cela s'explique, la mise en place des tournées prend un peu de temps. Des projections ont lieu à Madrid etLyon sans que nous sachions qui les organise, ce qui n'est pas le cas à Genève. Ainsi, la présentation du Phono-Cinéma-Théâtre au Victoria-Hall a lieu précisément le 2 février 1901, le jour où lui-même est en train de filmer les funérailles de la reine Victoria à Londres... A-t-il eu le temps de rentrer précipitamment et arriver le jour même en Suisse ? À moins qu'un autre collaborateur - peut-être l'un des enfants de Clément-Maurice - ait lancé le spectacle avant son arrivée. Ce que l'on sait c'est que Les Obsèques de la reine Victoria sont projetés à partir du 11 février, ce qui indique que Mesguich est sur place avec son film.
Les déclarations respectives de Marguerite Vrignault et de Félix Mesguich accréditent l'idée qu'il n'y aurait eu qu'un seul appareil. Toutefois certaines incohérences chronologiques et la présence de deux Phono-Cinéma-Théâtre - dans un cas - laisse planer le doute. N'oublions que les enfants de Clément-Maurice ont aussi les qualités techniques pour faire fonctionner l'appareil. Le dispositif est en tout cas très présent entre 1900 et 1902 : Dijon, Troyes, Chalon-sur-Saône, Saint-Étienne, Reims, Châlons-sur-Marne, Karlsruhe, Stuttgart, Stockholm...
Le Phono-Cinéma-Théâtre à l'Olympia (octobre-[décembre 1901])
Au terme de ces tournées, Félix Mesguich, pendant quelques semaines, s'installe à l'Olympia avec le Phono-Cinéma-Théâtre. Il l'évoque dans Tours de manivelle, même s'il situe cela, par erreur, au début de l'année 1901, alors qu'il s'y trouve en octobre-décembre 1901 :
À notre retour à Paris, au début de 1901 [sic], c'est à l'Olympia, sous la direction des frères Isola, que nous présentons désormais le programme du Phono-Cinéma-Théâtre.
Cela ne va pas toujours sans difficulté. je me souviens notamment, qu'un soir. j'étais enfermé dans ma cabine, au premier étage, tandis que M. Berst était placé avec son phono à l'orchestre. La salle se trouvait plongée dans l'obscurité, lorsqu'une main malveillante coupa le fil de transmission acoustique qui me permettait de suivre à distance, au moyen d'un récepteur, la marche du cylindre. Sans interrompre la séance, je réussis néanmoins à terminer ma projection dans un synchronisme parfait, et personne ne s'aperçut que l'opérateur avait été subitement frappé de surdité.
MESGUICH,1993: 33-34.
Installation de postes à Paris ([octobre] 1901-1902)
Une autre de ses activités, au cours de ces deux années va consister à installer plusieurs postes dans la capitale. L'un d'eux est celui des Nouvelles Galeries - ancien Bazar, racheté en 1899 -, baptisées " À la ménagère " et dont l'inauguration a eu lieu le 17 mai 1900. C'est au cours de l'automne 1901 qu'au deuxième étage, des séances de cinématographe et de biophonographe sont organisées.
Que faire pour occuper l'après-midi du dimanche ? Aller aux Nouvelles Galeries "A la Ménagère", boulevard Bonne-Nouvelle, admirer la variété et le bon marché de leur assortiment d'appareils de chauffage et d'éclairage : Calorifères, poêles de tous systèmes, foyers, cheminées fixes ou mobiles, fourneaux de cuisine, garnitures de foyer de tous styles, lampes, suspensions, etc., rien ne manque. Au deuxième étage, séances de Cinématographe et de Biophonographe. | |
Publicité Nouvelles Galerie, À la ménagère (c. 1900) | Le Figaro, Paris, 27 octobre 1901, p. 1. |
Nous savons par ses mémoires que l'opérateur qui a installé le cinématographe n'est autre que Félix Mesguich qui l'évoque dans Tours de manivelle :
Enfin pour utiliser les quelques loisirs qui peuvent me rester, je fais deux installations, l'une chez Dufayel, l'autre à " La Ménagère ".
MESGUICH,1993: 35.
L'installation terminée, Félix Mesguich a dû passer la main à un opérateur attitré. Nous ignorons la durée dans le temps de ces projections. Mais des séances cinématographiques sont à nouveau signalées en 1902 et en 1903.
*La seconde tournée européenne du Phono-Cinéma-Théâtre ([janvier 1902]-juillet 1902])
Après ces quelques semaines à l'Olympia, une nouvelle tournée européenne du Phono-Cinéma-Théâtre est organisée sur une partie de l'année 1902. Mais rien ne vient confirmer la présence de Félix Mesguich auprès de Marguerite Vrignault. Des projections sont organisées à Amsterdam, Munich, Vienne, Salzbourg... Une tournée où bien d'autres étapes restent encore à découvrir.
Le poste Lumière de l'Olympia (septembre 1902)
L'Olympia dont la réouverture a eu lieu le samedi 6 septembre met à son programme, à partir du [26] septembre, le film de Georges Méliès, Le Voyage dans la lune :
Le merveilleux spectacle de l'Olympia, si habilement composé par les frères Isola, a ceci de particulier qu'il plaît aussi bien au public raffiné du boulevard qu'aux nombreuses familles des matinées. En effet, Bezan et ses poneys dressés, les amusants singes de Berzina, le prestidigitateur de Lion, Robbins et le Voyage dans la lune forment un attrayant programme que complètent agréablement Marguerite Deval et Régnard dans Frégolinette.
Le Figaro, Paris, 27 septembre 1902, p. 5.
L'opérateur Félix Mesguich en a conservé le souvenir qu'il rapporte dans ses mémoires :
Un poste Lumière, installé à l'Olympia, sous ma direction, succède peu après au Phono-Cinéma-Théâtre.
J'y passe le fameux "Voyage dans la Lune", de M. Georges Méliès. Cette production est une incursion originale dans le domaine de la fantasmagorie. Elle inaugure la systématisation du truquage qui n'avait été jusqu'alors employé qu'à titre exceptionnel.
Ayant obtenu une copie de cette fantaisie, j'ai l'idée de la faire accompagner d'une partition de musique, adaptée par le chef d'orchestre de l'Olympia. C'est peut-être la première interprétation musicale d'un film muet. Cette innovation plaît tellement qu public, que la mode devient "à la lune".
MESGUICH, 1933: 34.
On ignore jusqu'à quand est présenté le film, ni si d'autres vues sont proposées au spectateur.
Le poste Lumière des Folies-Bergère [automne 1902]
Peu après, Félix Mesguich, outre son poste à l'Olympia, prend en charge celui des Folies-Bergère. Il écrit dans Tours de manivelle :
À l'automne, pour l'ouverture de la nouvelle saison, je dois assumer en plus du poste de l'Olympia, la direction du plus bel écran de la capitale, celui des Folies-Bergère. J'ai la joie d'y remplacer, sans tapage, le Biograph Américain, par un projecteur Lumière.
MESGUICH, 1933: 35.
Ce témoignage reste pourtant fragile, car le Biograph Américain a disparu des Folies-Bergère en mai 1901 et aucun cinématographe n'est annoncé par la suite, ni à la rentrée 1901, ni à la rentrée 1902.
Cinematographiste de la Warwick Trading Company ([octobre] 1902-décembre 1904)
C'est lors de son voyage à Londres, à l'occasion du tournage des funérailles de la reine Victoria, qu'il rencontre Charles Urban :
Fin janvier 1901, d'accord avec MM. Isola, je pars pour Londres où sont célébrées les funérailles de la reine Victoria.
[...]
À peine suis-je installé qu'à ma grande surprise je vois arriver M. Charles Urban dont j'ai fait la connaissance à New York en 1897. C'est près de moi qu'il fait monter sa caméra par l'opérateur qui l'accompagne. Comme par hasard, M. Urban avait, me dit-il, "repéré le même point que moi."
MESGUICH, 1933: 35-36.
Charles Urban va alors lui proposer de travailler pour le compte de la Warwick Trading Co, aux destinées de laquelle il préside encore :
M. Urban m'offre tout de suite une entente pour la diffusion en Europe et en Amérique du négatif que nous allons prendre ; il me propose mieux encore. Il me demande de faire des voyages pour le compte de sa Société. "J'ai, m'assure-t-il, de grands projets en vue, pour un cameraman éprouvé dans le métier." Il ajoute : " Faites d'abord, pour moi, une collection des aspects les plus typiques de la France, de la Suisse, de l'Italie et de l'Espagne, et plus tard je vous enverrai volontiers en Turquie, en Egypte et même en Russie, jusqu'au Caucase."
J'écoute avec intérêt développer ce vaste plan. Devant l'ampleur de ces perspectives, je suis tenté plus que jamais par l'aventure. Mais je ne peux accepter avant de m'être entendu avec les Frères Isola; je craindrais d'être taxé d'ingratitude et le dis nettement à M. Urban.
Comme il doit venir à Paris un mois après, nous prenons rendez-vous aux Folies-Bergère...
MESGUICH, 1933: 36.
En septembre 1902, Mesguich, qui est encore à l'Olympia où il projette Voyage dans la lune, va donc finalement accepter l'offre de la Warwick Trading Co:
[...]
Un soir, je fait part à MM. Isola de l'offre de Londres.
[...]
Le sort en est jeté ! Cette fois j'abandonne pour toujours la projection : je redeviens pour de longues années le globe-trotteur tourneur de manivelle.
C'est avec un certain regret, on s'en doute, que j'accepte d'être le collaborateur d'une maisons étrangère...
MESGUICH, 1933: 35-38
Il quitte ses responsabilités d'opérateur à l'Olympia et aux Folies-Bergère.
Félix Mesguich entreprend, alors, un " tour " de France ([octobre] 1902-février 1903) dont on imagine qu'il commence vers le mois d'octobre 1902. Il se rend successivement à Pont-Aven, Concarneau, Marennes, l'île d'Oléron, la baie de l'Aiguillon (Vendée/Charente maritime), Arcachon, Arles, Les Baux, Les Lices, Les Aliscamps, les gorges du Tarn, le val d'Andorre, la pointe du Raz, les châteaux de la Loire... et le Jura : " Me voici dans le Jura, la veille de Noël 1902 ". Au début de l'année 1903, il se trouve à Nice (février 1903) : " Et le carnaval 1903 me trouve à Nice.".
À son retour, la situation de la Warwick Trading Company est assez confuse. Son fondateur, Charles Urban est parti et fonde peu après la Charles Urban Trading Company. Il laisse également sa filiale "continentale". Quel rôle joue alors l'entreprise Raleigh et Robert ? Toujours est-il que Félix Mesguich repart un nouveau voyage qui le conduit en Espagne [mars-avril] 1903) : Burgos, Madrid, Tolède, Cordoue, Grenade, Séville (avril 1903), puis en Italie : Venise, Rome, Pompeï, Naples, Florence, les Îles-Fleurs... Puis il continue sa route vers la Turquie :
UNE SEMAINE À CONSTANTINOPLE
Un télégramme m'envoie à Constantinople, via Marseille.
MESGUICH, 1933: 46.
Les mémoires ne donnent aucune information sur les dates de ses différents séjours. On peut malgré tout penser que nous somme au printemps 1903 :
UNE JOURNÉE À BROUSSE
Un dimande de printemps, j'ai quitté Péra et ses chiens errants pour me rendre à Brousse.
MESGUICH, 1933: 53.
Il continue sa route vers le Caucase, puis le Turkestan russe avant de revenir à Paris, sans doute à l'été ou au débtu de l'automne :
A peine arrivé à Paris, je développe l'ensemble de mes négatifs. La projection me révèle toutes ces impressions, nées au hasard de mes courses qui, de Constantinople et des rives du Bosphore, m'ont amené au seuil du Pamir, berceau des races.
MESGUICH, 1933, 64.
On ignore s'il reste à Paris pendant l'hiver, mais il repart en février 1904 pour la Russie:
La guerre entre la Russie et le Japon est déclarée le 20 février 1904. Quelques jours après, je me retrouve à Moscou.
MESGUICH, 1933, 64.
Afin de se rendre sur les lieux du conflit, il part en mars sur le Transsibérien :
Dès le milieu de mars, je quitte Moscou avec l'état-major de la deuxième armée. Le transsibérien brûle les étapes. Nous roulons sans incident jusqu'au lac Baïkal dont le passage difficile, fixé dans mes premières vues, témoigne du mouvement désordonné des troupes.
MESGUICH, 1933, 64.
Dès retour à Moscou, en avril 1904, Félix Mesguich va filmer quelques vues de la réception des équipages du Varyag et du Korietz le 29 avril :
A Moscou, je rentre enfin en possession de mon brien. Il était temps, car la ville prépare une réception grandiose aux équipages des croiseurs Varyag et Korietz. Attaqués par la flotte japonaise à Chemulpo, officiers et marins se sont défendus avec acharnement, coulant avec leurs navires plutôt que de se rendre. Recueillis sur les épaves par leurs vainqueurs, ces braves ont été rendus à la liberté.
MESGUICH, 1933: 66.
Ces vues vont être au centre d'une affaire liée au droit d'auteur. Félix Mesguich va tenter de vendre plusieurs vues - "L'arrivée à Moscou des états-majors et marins du Varyag et du Korietz coulés à Chemulpo et la revue passée par le grand-duc Serge." - à la société Pathé qui dit ne pas être intéressée, mais qui les projette dans les locaux du Petit Journal. Le tribunal de la Seine (3e chambre) dans son audience du 15 mars 1905 va condamner la société à indemniser le cinématographiste.
Cette affaire est révélatrice du mode de fonctionnement de Félix Mesguich. Même s'il travaille pour telle ou telle entreprise ou société, il apparaît également comme un cinématographiste indépendant qui vend ou commercialise sa production personnelle.
Le reste de l'année 1904 va le voir voyager de nouveau toujours en quête d'images nouvelles et surprenantes. Il couvre ainsi la nouvelle édition du la coupe Gordon-Bennett qui se déroule, en Allemagne, le 17 juin 1904 en présence de Guillaume II. Félix Mesguich prolonge son voyage en Hollande et en Belgique. Vers la fin de l'année 1904, il se déplace en Dalmatie et au Monténégro.
Cinématographiste de la Continental Warwick Trading Compagnie (Paris) (janvier-décembre 1905)
C'est au début de l'année 1905 que Félix Mesguich va signer un contrat avec Charles Raleigh et Robert Schwobthaler dit "Robert" qui déposent, le 24 février 1905, la marque « Continental Warwick Trading Co Ltd, Paris »:
Au début de janvier 1905, à peine de retour d'une randonnée en Dalmatie et au Monténégro, MM. Raleigh et Roberts, directeur de l'agence parisienne de la Warwick Trading Cº me demandent de conclure un engagement d'une année.
MESGUICH, 1933: 72.
L'opérateur se souvient des conditions particulièrement drastiques que lui impose la Continental Warwick Trading Cº, qui semble disposer d'une certaine marge de manœuvre par rapport à Warwick Trading Cº :
M. Mesguich ayant accepté de son plein gré d'être envoyé en Russie, la Warwick Cº décline toute responsabilité, pour tout accident de quelque nature que ce soit, qui pourrait arriver à M. Mesguich pendant son séjour en Russie, et M. Mesguich déclare accepter expressément cette clause...
MESGUICH, 1933: 73.
En janvier 1905, Felix Mesguich se rend bien en Russie avec les suivantes recommendations des patrons de la société :
C'est évidemment l'heure d'un excellent reportage, et je pars une fois de plus à Saint-Pétersbourg.
Mes directeurs me demandent surtout de cinématographier le Tsar.
[...]
J'attends cette occasion jusqu'au 19 janvier.
A cette date, en vertu d'une tradition séculaire, l'empereur Nicolas II doit procéder comme chaque année à la bénédiction des eaux de la Néva. Sur la recommandation de l'ambassade de France, j'obtiens du comte Frédéricks, ministre de la Cour, l'autorisation d'y assister.
MESGUICH, 1933: 73.
Félix Mesguich en Russie (sans date)
© Le Grimh
Les événements vont se précipiter alors puisque à peine quelques jours après son arrivée, commencent les premiers troubles de la révolution de 1905, alors qu'il se trouve à Saint-Pétersbourg. Même s'il ne parvient pas à filmer directement les événements, il tourne Les défenseurs de la Russie. Il saisit quelques films dont un certain nombre de documentaires, ainsi qu'une Chasse à l'ours brun pour laquelle il va en être de sa poche :
Informée de la somme demandée pour une pareille entrerprise, ma Société me répond de Paris par un télégramme: "Acceptons chasse deux cents roubles si garantissez la prise de vue de la mort de l'ours.
L'exigence de "mes patrons" m'obligeaient à vendre la peau de l'animal avant de l'avoir mis à terre. Je résolus d'en endosser le risque.
MESGUICH, 1933: 76.
"Après la mort de l'ours (Russie)"
MESGUICH, 1933: 50/51.
Il évoque également comment il a été conduit à tricher quelque peu sur la mort de l'ours :
Il me faut compléter ce récit par un aveu: j'ai dû recourir à un truquage.
[...]
Puisque j'ai déjà vendu "la peau de l'ours" à ma Société, il ne faudrait pas que j'aie raté cette partie - sinon essentielle du moins indispensable à mes yeux - de ma tâche. Dans le doute, je me résigne à un simulacre. L'ours mort est maquillé. Pour qu'il se maintienne debout, mes hommes attachent à ses pattes de derrière des branches d'arbre. Le ventre est soutenu par le ski dissimulé d'un rabatteur. Une corde réunit l'animal à un des assistants. J'ai installé le chef de chasse à quelques mètres de l'appareil. Il visa froidement le fauve qui le fixe. Cette fois, les deux adversaires sont bien en place. Je tourne et j'ordonne: "Feu!"--- Un petit nuage de fumée s'échappe du fusil, la corde est tirée, la bête bascule et s'écroule. Ce raccord correspond si bien à la réalité que jamais personne ne s'est aperçu que ce fragment de négatif de moins de cinq mètres avait été truqué...
MESGUICH, 1933: 79-80.
Il parvient également à prendre quelques vues d'une cérémonie présidée par le tsar Nicolas II.
En mai 1905, à l'occasion de la visite en France du roi d'Espagne, Alphonse XIII que Félix Mesguich va prendre une série de vues du séjour officiel du souverain espagnol. À l'occasion de la chasse organisée à Rambouillet, Alphonse XIII s'adresse à lui:
De temps en temps, celui-ci m'adresse un sourire en coin. Puis, je le vois viser mon installation. Sans m'émouvoir, je continue. Il avance de plus en plus, jusqu'à ce que son oeil vienne se plaquer sur l'objectif. Ne pouvant aller plus loin. Il s'arrête opur me dire: "J'espère que je n'ai pas trop mal tiré ?".
MESGUICH, 1933: 84.
"Le Roi Alphonse XIII au camp de Châlons"
MESGUICH, 1933: 66/67.
On retrouve également Félix Mesguich à l'occasion de la course Gordon-Bennet qui se déroule en Auvergne, le 5 juillet 1905. En août 1905, il se rend à Vevey (Suisse), à l'occasion de la fête exceptionnelle - elle n'a lieu que tous les 25 ans environ - des vignerons. Cet événement attire plusieurs cinématographistes dont celui de la Urban & Cie :
L'âme simple et rustique de la vallée et de la montagne anime ainsi la cavalcade dans les rues de la ville, mais l'enclos où se poursuit le divertissement m'est interdit ; plus heureux mon concurrent anglais du moment, la Urban et Co, en a obtenu l'exclusivité.
[...]
Le soir, au départ du rapide pour Paris, mon colis-film fut emporté par un contrôleur des wagons-lits. Attendu à l'arrivée du train, il était immédiatement développé. Les copies en étaient aussitôt distribuées, tandis que, fort de son exclusivité, le représentant de la Urban Trading Cº continuait consciencieusement son travail sur les bords du lac Léman.
MESGUICH, 1933: 88-89.
"Vevey: La fête des vignerons (1905)"
MESGUICH, 1933: 82/83.
Il en profite pour tourner également d'autres vues dans le pays voisin et, en particulier, des vues des montagnes helvètes :
On vient d'ouvrir à l'exploitation la nouvelle ligne de chemin de fer électrique du Montreux-Oberland. Je décide de monter jusqu'à Kandersteg pour recueillir au panoramique en marche les points les plus caractéristiques du parcours.
Dès mon arrivée à destination, le hasard, qui est souvent un précieux auxiliaire, me fait rencontrer le docteur Biely, chef des guides de la contrée et fanatique de l'altitude. Il serait heureux, me dit-il, de m'aider dans mon entreprise, car jusqu'à ce jour, il n'a été reproduit ni scènes alpestres, ni ascensions de montagnes.
MESGUICH, 1933: 89.
En compagnie du docteur Biely, Félix Mesguich rejoint une colonne de secours qui doit retrouver des excursionnistes perdus dans la montagne.
En octobre 1905, Félix Mesguich se rend en Espagne à l'occasion du voyage du président Émile Loubet à Madrid :
Deux mois après, le Président Loubet rend sa visite au Roi d'Espagne. Je prends place dans le train présidentiel. Je suis de toutes les cérémonies; à Tolède, à l'Escurial, au Palais-Royal, à la grande revue militaire du Carabanchel. Je cinématographie également la chasse, au parc royal de la Casa del Campo. Alphonse XIII, portant lui-même au tableau sa lourde charge de gibier, simule un effort pour soulever ses victimes, et me dit : "Cette fois, c'est bien moi qui les ai tuées!"
Ainsi j'ai pu suivre pas à pas le souverain. Une série complète de mes films a même été offerte à Sa Majesté par les directeurs de ma Société, mais celui qui recueillit quelques événements franco-espagnols a conservé son incognito.
MESGUICH, 1933: 84-85.
Il est alors accompagné par Léo Lefebvre comme on peut le voir dans la suivante photographie publiée par la presse espagnole.
"11 y 12. L. Lefebvre y Mesquisch [sic], Cinematógrafo de la Real Casa"
ABC, Madrid, 23 octobre 1905, p. 10.
Les vues tournées à l'occasion de ce voyage sont sans doute l'oeuvre des deux cinématographiques. Félix Mesguich continue à suivre le président Loubet dans son voyage officiel qui le conduit ensuite au Portugal :
De Madrid nous partons à Lisbonne, où le Président Loubet est attendu par le roi de Portugal.
Mise en scène d'une magnificence inattendue. Le Portugal ne saurait oublier la grandeur de son histoire et l'objectif ne s'arrête point de prendre des documentaires.
MESGUICH, 1933: 85.
C'est toujours pour la Continental Warwick Trading Co que Félix Mesguich va entreprendre un long voyage de la Méditerranée au Sahara. Il parcours tout d'abord l'Algérie (Alger, Oran, Tlemcen, Figuig, les gorges d'El Kantara et Biskra), puis la Tunisie (Tunis, Kairouan, Sousse...)
Cinématographiste de la filiale française de la Charles Urban Trading Cº (janvier-août 1906)
Après un an passé au service de la Continental Warwick Trading Cº, Félix Mesguich rejoint, en janvier 1906, la Urban Trading Cº qui a ouvert une agence à Paris:
La Urban Trading Cº vient d'ouvrir une agence au passage des Italiens, sous la direction de M. Rogers. Elle m'offre un nouveau contrat à partir du 1er janvier 1906. Avec plaisir, je reviens à mes anciens éditeurs, qui me laissent entrevoir une suite extraordinaire de voyages.
MESGUICH, 1933: 103.
En réalité, l'agence a été rachetée en 1903 par George H. Rogers et Paul, Joseph Roux, même si l'usage veut qu'elle continue à garder son nom "Charles Urban Trading Cº".
Quelques semaines plus tard, désormais équipé de sa nouvelle caméra, l'Urbanora, il se rend, en février, dans l'Engadine, une haute vallée des Alpes suisses (canton des Grisons) et filme, en mars, également la catastrophe de Courrières (10 mars 1906) :
En février, les sports d'hiver m'appellent dans l'Engadine. En mars, je suis à Courrières où une terrible explosion de grisou a enseveli des centaines de mineurs. J'assiste à la remontée des cadavres sur le carreau où des femmes éplorées attendent... J'accompagne jusqu'à l'entrée du cimetière le doulourex cortège... la neige tombe à gros flocons.
MESGUICH, 1933: 103.
Toujours à la recherche d'images sensationnelles, dès qu'il a connaissance du l'éruption du Vésuve (10 avril 1906), il se rend directement à Naples :
Je précède de quelques mètres la lave mouvante, et c'est en fuyant que j'enregistre par étapes, la destruction des villages, la détresse des fugitifs, et l'avance ininterrompue du flot dévastateur. Rien ne vit après son passage.
MESGUICH, 1933: 103.
Il se rend ensuite en Grèce (10 avril 1906), où il suit le roi Édouard VII, à l'occasion des Jeux Olympiques où il rapport l'incident qui l'oppose au représentant de la maison Gaumont qui prépare une série sur l'événement :
Les Jeux Olympiques vont s'ouvrir. Les deux couples royaux les présidents, suivis des princes et des princesses de leur maison, notamment du prince de Galles, le roi actuel, et de Constantin, héritier de la couronne de Grèce.
Tout irait bien si j'avais le loisir de travailler en paix, mais le commissaire du Comité Olympique m'annonce que les droits d'exclusivité à l'intérieur du stade ayant été concédés aux Etablissements Gauμiont, je ne puis entrer que si j'accepte de ne pas opérer. Je refuse naturellement, n'étant point venu pour suivre en amateur les Jeux Olympiques. Je suis fort désappointé de ce contretemps, sans abandonner pour cela tout espoir de me débrouiller. A l'extérieur, il n'y a pas d'interdit. Le terrain appartient à la municipalité. Je dispose donc l'appareil en hauteur, entre deux colonnes de marbre, et monté sur mon sac de cuir, je joue de la manivelle, uniquement préoccupé de conserver l'équilibre. Durant une grande demi-heure, personne ne s'intéresse à moi, et tout irait à la perfection si l'agent des Etablissements Gaumont, un Grec, qui m'a aperçu, ne s'avisait, pour m'obstruer la vue, d'ouvrir un vaste parasol. Un long moment, je discute avec lui sans résultat, mais la patience a des limites. Rendu furieux par le procédé employé et par l'inutilité de mes efforts pour convaincre mon adversaire de me laisser le champ libre, je lacère l'obstacle d'un coup de ce poignard finlandais qui, depuis la Révolution russe, ne me quitte pas. Amusé, le public, qui a suivi notre discussion, se met à rire et à applaudir. Je puis sans autre incident continuer ma besogne.
A vrai dire, mon concurrent porta plainte et je dus remplacer le parasol détérioré, mais une partie des Jeux Olympiques fixée sur la pellicule partait le soir même pour Paris, ce qui pour moi était essentiel. A l'hôtel, j'eus le plaisir de rencontrer Mr Burton Holmes, conférencier américain qui, à mon grand étonnement, me remit, prise par lui, une photo de l'incident du stade dont il avait été le témoin. Dans cette scène où je brandis le stylet finlandais, mon allure, je l'avoue, n'était pas très drôle !
MESGUICH, 1933, p. 106-107.
Son voyage suivant va le conduire en Espagne, à l'occasion du mariage du roi Alphonse XIII (juin). Il va filmer les différents moments des fêtes royales dont le cortège dans les rues de Madrid avec le tragique attentat qui vise le souverain :
L’enthousiasme augmente encore quand apparaissent les piqueurs qui conduisent l'équipage royal entouré d'une escorte serrée. Je les regarde approcher, à travers le rideau mouvant des cavaliers aux sabres étincelants, lorsqu'un éclair jaillit. Une explosion formidable retentit, le prisme de mon viseur a perdu sa transparence ; la voiture des souverains disparaît dans la fumée. Instant d'épouvante. Que s'est-il passé?
En une seconde, une bombe a tout bouleversé. Des morts et des blessés sont rapidement enlevés, des chevaux ensanglantés se débattent sur le sol.
Secoué d'un frisson de terreur, le peuple gronde. Singulière réaction d'un événement qui prend dans l’esprit des simples un caractère mystérieux, on me regarde avec suspicion. Je sens toute l'hostilité de cette foule. Les soldats la calment heureusement.
Rapidement; l’escorte de cavalerie s'est reformée. Dans un profond silence, Alphonse XIII, dont l'objectif suit les moindres gestes, descend du carrosse le premier; il tend la main à la reine, aussi blanche que son voile.
Aidés du service d'ordre et des officiers accourus, le Roi et la Reine prennent place dans une nouvelle voiture attelée de quatre mules harnachées de rubans aux couleurs espagnoles. Un moment disloqué, le cortège se remet en marche aux applaudissements d'un peuple en délire.
MESGUICH, 1933, p. 109.
Royal Wedding Procession, With Bomb Outrage
Pendant quelques semaines, Félix Mesguich est de retour à Paris où le quotidien de la société ne l'intéresse guère:
À Paris, pendant huit jours entiers, dans les laboratoires de la rue Saint-Marc, une double équipe de "développeurs", sous la direction technique de M. Léopold Maurice, dut réaliser des centaines de copies de ces négatifs.
C'est en tirant parti de leur succès que le représentant en France de la Urban Trading Cº, M. Rogers put constituer la Société Française des Films Eclipse.
[...]
Les jours qui suivent mon retour de Madrid sont faits d'un continuel va-et-vient entre les laboratoire de développement de la rue Saint-Marc et la bureaux des Films Eclipse.
MESGUICH, 1933, p. 112.
La situation est alors, en effet, assez complexe puisque la filière française de la Charles Urban Trading Co (en réalité "Société Rogers et devient, à la fin août 1906, la Société Eclipse qui va absorber également la maison mère londonienne qui deviendra dès lors sa filiale britannique. Alors que tous ces changements se produisent, Félix Mesguich repart, cette fois-ci pour le Pôle Nord (8 juillet-26 août 1906) qui constitue, de fait, sa dernière mission pour la Charles Urban Trading Co.
"Je tourne sur l'île des Danois (Spitzberg)"
MESGUICH, 1933: 50/51.
La Société Eclipse (août 1906-1907)
Pendant quelques mois, Félix Mesguich est attaché à la production de films de fiction à la société Eclipse, ce qui ne correspond pas à sa façon de voir le cinématographe :
Spécialisé dans les grands reportages, je me trouve en captivité dans cette cage, résigné à tourner des bouffonneries ou des mimodrames débordants de banalité, puisque, à tort ou à raison, le public préfère des histoires "en surface".
[...]
Mes premiers films de composition, commencés dans le studio de la rue d'Aboukir, à Courbevoie, sont ensuite complétés par des raccords en plein air sur les quais de ls Seine, entre Asnières et Puteaux.
[...]
Je garde le souvenir d'une de ces extravagances qui prit pour titre: "Le Cycliste myope."
MESGUICH, 1933: 125-126.
Il convainc finalement ses employeurs de le laisser partir pour une nouveau reportage en Égypte et au Moyen-Orient (novembre 1906-mars 1907).
"Egypte 1906"
MESGUICH, 1933: 82/83.
Et après... (1907-1949)
À son retour de voyage, il va constituer, avec Clément-Maurice et Léopold-Maurice, une nouvelle société cinématographique avec l'appui financier de M. Dumien :
Rentré à Paris, je fais à M. Dumien la visite dont nous avions convenu sur les rives du Nil. Cet homme d'affaires ne se perd pas en préambules. "Voilà! me dit-il, j'ai des capitaux, un vaste terrain disponible à la porte de Paris; proposez-moi deux associés et nous formons une société en nom collectif, pour la production et l'édition cinématographiques.
La semaine suivante nous signons un acte d'association avec MM. Clément Maurice et son fils aîné. Un artcile des statuts me charge spécialement des prises de vues de plein air.
MESGUICH, 1933: 143.
Cette première société est enregistrée le 25 mars 1907. Peu après, la société Eclipse souhaite un rapprochement avec la Radios:
J'apprends que la Société Eclipse désire contracter avec nous une alliance commerciale qui réunirait nos deux productions. Nous créons la "Société Anonyme des Films Radios".
MESGUICH, 1933: 143.
La nouvelle Société Générale des Cinématographes Radios est ainsi constituée le 24 juillet 1907 et Félix Mesguich est bien responsable des vues :
Les premiers directeurs seront: MM. Gratioulet, père et fils, et Mesguich, sus-nommés qui auront la direction des affaires de la Société dans les termes ci-après. M. Gratioulet père aura la direction technique et artistique, M. Gratioulet fils aura la direction des laboratoires et de la fabrication des films, et M. Mesguich sera chargé des prises de vues de plein air et des voyages y relatifs.
Cote de la Bourse et de la banque, Paris, 16 novembre 1907, p. 12.
Félix Mesguich
© Le Grimh
Un accord va être conclu entre les deux sociétés comme on peut le lire dans le rapport de l'assemblée générale ordinaire du 27 mars 1908 de la Société Générale des Cinématographe Eclipse :
En juillet 1907, nous avons été mis en rapport avec une nouvelle entreprise qui était en voie de transformation en Société anonyme; nous connaissions déjà la valeur des hommes techniques qui étaient à sa tête, nous avons négocié avec ce groupe de façon à constituer la Société sur des plans élaborés par nous-mêmes, et certaines circonstances nous mettaient dans la nécessité de terminer cette opération très rapidement; et il était impossible de convoquer une assemblée à cet effet, dans les délais voulus, c'est pourquoi nous avons assuré cette acquisition à la Société en nous procurant les éléments nécessaires, en dehors des fonds de la Société. Toutefois, elle lui est réservée. Cette opération sera soumise à une assemblée extraordinaire, en même temps que les autres mesures dont nous vous entretiendrons plus loin.
La Société dont nous venons de parler s'appelle le "Radios" et a été constitués par devant le notaire de votre Société, son usine est entièrement terminée et est en production. Jusqu'au moment où l'opération aura été régularisée, la Société "Radios" produit régulièrement des nouveautés qu'elle cède à la Société "Eclipse" dans des conditions déterminées et que votre Société vend dans sa clientèle en même temps que le produit de l' "Eclipse" et de la Charles Urban.
Ce n'est pas le moment d'insister sur l'importance de cette acquisition, qu'il nous suffise de vous dire que les résultats de votre Société devront s'accroître de ce chef d'un bénéfice supplémentaire des plus notables.
Les Assemblées générales, Paris, 10 janvier 1908, p. 122.
Toujours attiré par les grands reportages et les voyages, il se lance dans son projet le plus ambitieux: réaliser un tour du monde :
Vers la mi-octobre 1909, alors que je revenais d'une randonnée en Suède et en Norvège, M. Rogers, directeur général de la Société des Films Eclipse et Radios, me dit : "Voyons, Mesguich, nous avons plus que jamais besoin de documentaires de grande allure, riches d'imprévu et de pittoresque. Vous avez fait et refait toute l'Europe, l'Afrique du Nord, l'Egypte et l'Asie Mineure. Que pouvez-vous nous proposer maintenant ?"
Le rêve enthousiaste de mes jeunes ans me revient aussitôt à l'esprit. Sans aucune hésitation, je réponds en interrogeant: "Un voyage autour du monde vous intéresserait-il ?" Et M. Rogers de reconnaître: "C'est en effet un beau projet, ambitieux, téméraire peut-être, mais je crois que nous pourrions compter sur vous pour réussir.
Je sens déjà la partie à demi gagnée.
Deux jours plus tard, à l'issue d'un conseil d'administration, mon directeur me confirme l'assentiment de la Société.
MESGUICH, 1933: 155.
Ce voyage qui va le conduire en Asie, en Extrême-Orient, puis en Amérique prend fin, un an plus tard, dans les premiers jours de novembre 1910. Il revient avec près de 20.000 mètres. Il va encore réaliser quelques voyages avant la première guerre mondiale. Peu après le conflit, Félix Mesguich renonce définitivement à sa carrière de cinématographiste :
Le 14 juillet 1919, je fais mes adieux à tout mon passé d'opérateur.
MESGUICH, 1933 : 209.
Par la suite, il est directeur de la Société Cinéma Tirage L. Maurice.
Ciné-Journal, Paris, 23 octobre 1931, p. 7.
En 1933, il publie ses mémoires, Tours de manivelle et reçoit la légion d'honneur.
Il disparaît en 1949.
Sources
MESGUICH Félix, Tours de manivelle, Paris, Grasset, 1933, 304 p.
MEUSY Jean-Jacques, Paris-Palace ou le temps des cinémas (1894-1918), Paris, CNRS Éditions, 1995, 564 p.
3
1896
Bataille de femmes (deux femmes seulement) (Lumière)
1897
Le Président McKinley adressant son message au peuple (Lumière)
Défilé de l'artillerie du district de Columbia (Lumière)
Défilé du club républicain James Blaine (Lumière)
Fanfare municipale et club Davel Martia de Philadelphie (Lumière)
Défilé de la garde nationale du district de Columbia (Lumière)
Vues d'Odessa
Exercices d'escadron (Kitchinev)
Vues de Moscou
Course de chevaux au trot sur la glace (Moscou)
1898
Une parade militaire (Saint-Pétersbourg)
Promenade d'hiver de la pointe de l'île Elaguine (Saint-Pétersbourg)
Une course d'iceyachts sur la Néva (Saint-Pétersbourg)
Les Trois Ripolin (Agence Nouvelle de Publicité)
1900
Panorama de la ligne de Cauterets I (Lumière)
Panorama de la ligne de Cauterets II (Lumière)
Panorama de la ligne de Cauterets III. Le Tunnel (Lumière)
La Plage et l'Etablissement (Lumière)
Sa Majesté Carnaval et le char des Limonadiers (Lumière)
Le Char des Berceuses et de la Chanson (Lumière)
1901
Les Obsèques de la reine Victoria (Mesguich)
1902
Un mariage breton à Pont-Aven (Mesguich)
La Pêche à la sardine à Concarneau (Mesguich)
L'Ostréiculture à Arcachon (Mesguich)
L'Ostréiculture à Marennes (Mesguich)
Le Retour des pêcheurs (Mesguich)
1903
Le carnaval de Nice (24 février)
Vues de Burgos (Mesguich)
Panorama en tramway à Madrid (Mesguich)
Vues de Tolède (Mesguich)
Vues de Cordoue (Mesguich)
Vues de Grenade (Mesguich)
Vues de Séville (Mesguich)
1904
L'arrivée à Moscou des états-majors et marins du Varyag et du Korietz coulés à Chemulpo (Mesguich)
La Revue des états-majors et des héroïques marins du Varyag et du Korietz à Moscou (Mesguich)
The Great International Automobile Race for the Gordon-Bennett (16 juin) (
The Great International Automobile Race for the Gordon-Bennett (17 juin)
1905
Les Défenseurs de la Russie (Continental Warwick Trading Co/Raleigh & Robert)
La Chasse à l'ours brun en Russie (Continental Warwick Trading Co/Raleigh & Robert)
Voyage d'Alphonse XIII à Paris (Continental Warwick Trading Co/Raleigh & Robert)
La Coupe Gordon-Bennett. Éliminatoires françaises (Continental Warwick Trading Co/Raleigh & Robert)
La Coupe Gordon-Bennett (Circuit d'Auvergne) (Continental Warwick Trading Co/Raleigh & Robert)
La Fête des vignerons à Vevey (Suisse) (Continental Warwick Trading Co/Raleigh & Robert)
Voyage du Président de la République à Madrid (Continental Warwick Trading Co/Raleigh & Robert)
1906
The Royal Wedding at Madrid (Urban Trading Company)
1907
Le cycliste myope (Eclipse)
4
06/06-12/07/1896 | France | Mâcon | Promenade du quai Sud | cinématographe Lumière |
12-30/07/1896 | France | Bourg-en-Bresse | Avenue Alsace-Lorraine | cinématographe Lumière |
07/08-14/09/1896 | France | Le Creusot | Place Schneider | cinématographe Lumière |
19/09-11/10/1896 | France | Montceau-les-Mines | Quai de l'Hôtel-de-Ville | cinématographe Lumière |
11-[14/10/1896] | France | Autun | Place du Champ-de-Mars | cinématographe Lumière |
20/10-27/11/1896 | France | Chalon-sur-Saône | Place de Beaune | cinématographe Lumière |
12/1896-01/1897 | États-Unis | New York | cinématographe Lumière | |
22/05-17/07/1897 | Canada | Montréal | Palace Theatre | cinématographe Lumière |
<27/07/1897-10/1897 | France | Paris | ||
13->13/11/1897 | Russie | Odessa | Grand Théâtre | cinématographe |
[11]/1897 | Russie | Yalta | Palais d'Été (Livadia) | cinématographe |
[11-12]/1897 | Russie | Kitchinev | cinématographe | |
[12]/1897 | Russie | Kiev | cinématographe | |
[12]/1897 | Russie | Iaroslav | cinématographe | |
[12]/1897 | Russie | Kharkov | cinématographe | |
<25/12/1897-01/1898 | Russie | Moscou | cinématographe | |
01->01/1898 | Russie | Saint-Pétersbourg | cinématographe | |
09/1898-1900 | France | |||
15/04-12/11/1900 | France | Paris | Exposition Universelle | Phono-Cinéma-Théâtre |
22/12-[05/01/1900] | Espagne | Madrid | Music-Hall/Teatro Moderno | Phono-Cinéma-Théâtre |
[19]/01-[02]/1901 | France | Lyon | Cirque Rancy | Phono-Cinéma-Théâtre |
<02>/02/1901 | Grande-Bretagne | Londres | Cinématographe Mirograph |
|
02-17/02/1901 | Suisse | Genève | Victoria-Hall | Phono-Cinéma-Théâtre |
06-10/04/1901 | France | Dijon | Grand-Théâtre | Phono-Cinéma-Théâtre |
12-14/04/1901 | France | Troyes | Cirque Plège | Phono-Cinéma-Théâtre |
16-20/04/1901 | France | Chalon-sur-Saône | Théâtre | Phono-Cinéma-Théâtre |
22-26/04/1901 | France | Saint-Étienne | Grand-Théâtre | Phono-Cinéma-Théâtre |
*01-08/05/1901 | France | Saint-Étienne | Eden Théâtre | Phono-Cinéma-Théâtre |
*03-19/05/1901 | France | Reims | Cirque | Phono-Cinéma-Théâtre |
<03>/06/1901 | France | Châlons-sur-Marne | Cirque | Phono-Cinéma-Théâtre |
14-19/06/1901 | Allemagne | Karlsruhe | Stadtgarten-theater | Phono-kinematographische Theater |
24-[29]/06/1901 | Allemagne | Stuttgart | Liederhalle, Festsaal | Phono-Kinematographisches Theater |
12/07/1901 | Allemagne | Franckfort | [registre matricule] | |
01/09-14/10/1901 | Suède | Stockholm | Olympia-Teatern | Phono-Cinéma-Théâtre |
* > 14/10/1901 | Russie | Phono-Cinéma-Théâtre | ||
[25]10-[22]/11/1901 | France | Paris | Olympia | Phono-Cinéma-Théâtre |
04-[06]/01/1902 | Pays-Bas | Amsterdam | Salle Odéon | Phono-Cinéma-Théâtre |
08-15/01/1902 | Allemagne | Munich | Kaim-Saal | Phono-Cinéma-Théâtre |
03-[21/02/1902] | Autriche | Vienne | Danzer's Orpheum | Phono-Cinéma-Théâtre |
10-18/07/1902 | Autriche | Salzbourg | Phono-Cinéma-Théâtre | |
09/1902 | France | Paris | Olympia/Folies-Bergère | cinématographe |
[10-12]/1902 | France | Pont-Aven | tournage | cinématographe |
[10-12]/1902 | France | Concarneau | tournage | cinématographe |
[10-12]/1902 | France | Marennes | tournage | cinématographe |
[10-12]/1902 | France | Île d'Oléron | tournage | cinématographe |
[10-12]/1902 | France | Arcachon | tournage | cinématographe |
[10-12]/1902 | France | Arles | tournage | cinématographe |
12/1902 | France | Jura | tournage | cinématographe |
<15>02/1903 | France | Nice | tournage | cinématographe |
[03-04]/1903 | Espagne | Burgos | tournage | cinématographe |
[03-04]/1903 | Espagne | Madrid | tournage | cinématographe |
[03-04]/1903 | Espagne | Tolède | tournage | cinématographe |
[03-04]/1903 | Espagne | Cordoue | tournage | cinématographe |
[03-04]/1903 | Espagne | Grenade | tournage | cinématographe |
<10>/04/1903 | Espagne | Séville | tournage | cinématographe |
13/08/1903 | Russie | Moscou | [matricule militaire] | |
03/1904 | Russie | Moscou | tournage |