- Détails
- Création : 24 mars 2015
- Mis à jour : 28 août 2024
- Publication : 24 mars 2015
Adrien GOUJON dit DELILLE
(Millau, 1833-Paris, 1915)
Portrait probable d'Adrien Delille
Jean-Claude SEGUIN
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Victor, Bonaventure, Antoine Goujon (Lille, [1801]-Paris 20e, 02/07/1877) épouse Adèle Augion. Descendance :
- Adrien Goujon dit Delille (Millau, 22/06/1833-Paris 10e, 10/07/1915) épouse (Lille, 14/09/1861) Jeanne, Joséphine Françoise Corvi (Varsovie, 15/10/1837-<1915).
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Les origines (1833-1895)
Le premier "Adrien Delille", le grand-père d'Adrien Goujon est le premier "physicien" de la dynastie comme le rappelle La Gironde :
[...] Le premier, Adrien Delille, le grand-père, était physicien du roi Charles X, et, depuis ces temps reculés, à toutes les foires de Paris et des grandes villes on a vu un magicien du nom de Delille faisant des omelettes dans des castors, escamotant des muscades sans chapeau pointu, sans grandes manches, sans baguette, sans mots cabalistiques, un sorcier moderne en habit noir et en gants mauve...
La Gironde, Bordeaux, vendredi 28 septembre 1888, p. 2.
Son fils, Victor Goujon lui aussi est "physicien" et ventriloque et son fils, Victor Goujon, "Adrien Delille fils", reprend la tradition familiale et le nom d'artiste de son père. Il épouse, en 1861, la fille de Jacques Covi, directeur de spectacle forain. Le nom "Adrien Delille" commence à apparaître dans la presse dès les années 1860 :
La baraque d'Adrien Delille, prestidigitateur de père en fils, mérite bien une mention, car de l'aveu même de ses confrères, il est le plus adroit d'entre eux; sa popularité néanmoins est beaucoup moindre. Il a surtout voyagé en province.
Le Figaro, Paris, jeudi 9 juillet 1863, p. 3.
"Adrien Delille", père et fils, est alors propriétaire d'une grande loge en bois, le Théâtre des Soirées Fantastiques.
Courrier de Saône-et-Loire, samedi 25 juin 1864, p. 3.
Par la suite, la loge prend le nom de "Théâtre salon. Adrien Delille" (1866), puis Théâtre Adrien Delille ou Loge Adrien Delille (1869).
LE DOYEN DES PHYSICIENS
Avant-hier ont eu lieu, en présence d'une foule nombreuse les funérailles du doyen des physiciens, M. Adrien Delille père.
La veille encore, ce vieillard de soixante-dix-huit ans assistait, robuste et toujours joyeux, à un dîner de famille; il s'était longtemps promené avec des amis communs, qu'il charmait par le récit de sa vie accidentée et de ses aventures sans nombre.
Adrien Delille avait fait plusieurs fois le tour du monde. Il fut longtemps célèbre, en Amérique surtout, où il donna un vigoureux essor à la science de la physique amusante, dont il fut une des gloires.
Il fit plusieurs fois fortune, comme tous les artistes qui savent profiter de leur popularité comme tous les artistes aussi, il ne sut pas résister à ces prétendus gens d'affaires qui sont à l'affût de tous ceux qui réussissent pour les exploiter à leur aise.
C'est ainsi que les dollars si habilement gagnés disparurent. Mais Adrien Delille ne se découragea pas pour si peu. Au lieu de prendre la retraite si bien gagnée par les progrès qu'il avait fait faire à son art, il recommença, à travers la France et la Belgique, des tournées qui lui valurent des succès retentissants.
Adrien Delille était un très beau vieillard. Il avait vu grandir autour de lui une nombreuse famille, et l'un de ses fils continue en ce moment les traditions d'intelligence et d'initiative fécondes qu'il a laissées.
Il faut un véritable génie, d'ailleurs, pour satisfaire les exigences chaque jour grandissantes d'un public toujours avide de nouveau, toujours affamé d'inconnu, et l'on ne sait, pas combien coûtent de patience et de recherches tous ces tours ingénieux, ces prestidigitations merveilleuses qui éblouissent la foule.
M. Adrien Delille avait reçu des témoignages flatteurs de plusieurs souverains. Il avait la parole élégante et facile, et, mieux que personne, il savait tenir en haleine le public qui se pressait autour de lui et qui ne lui a jamais marchandé le succès. V.N.
Le Petit Journal, Paris, 7 juillet 1877, p. 7.
Théâtre A. Delille. Place Trône. La princesse Félicie, l'Homme mutilé (1876)
Source: Gallica.
Après le décès de Victor Goujon, le Théâtre Adrien Delille va continuer à fonctionner avec à sa tête Adrien Goujon. Un journal bordelais donne quelques précisions sur son art :
Adrien Delille passe chaque année ses six mois de chômage à préparer la saison d'été. Comme les camaradas, au mois de novembre il licencie sa troupe et vient prendre ses quartiers d'hiver à Paris, où il a un cabinet d'expériences. Chaque année, il faut trouver du nouveau, défier les efforts des concurrents, et il s'agit d'être prêt pour la rentrée en campagne de Pâques, d'étonner les Parisiens à la foire du Trône.
Aux jours de sa jeunesse, le physicien opérait presque seul. Il se chargeait pendant des heures de tenir son public en haleine. Il faut ici avoir la parole facile, l'esprit toujours en éveil, l'habileté d'attirer les yeux où l'on veut, ailleurs que sur les manipulations secrètes. C'est une lutte constante avec la curiosité malicieuse du public.
"Je n'ai pas assez d'estomac, m'a dit Delille, pour soutenir ce manège-là pendant une suite d'escamotage. J'ai dû couper mon spectacle, d'ailleurs le public aime cela, aujourd'hui."
Pour finir, quelques détails d'administration sur l'entreprise Delille: la troupe ne compte pas moins de quarante personnes, et on peut donner place dans la baraque -pardon ! dans le théâtre- à douze cents spectateurs. Les frais s'élèvent à 400 fr. par jour Les traités avec les artistes sont signés pour un mois et résiliables au bout de huit jours à la volonté du directeur. Quant à certains "feux" on va voir qu'ils montent haut. Encore des "traitements d'agrégés":
Un bon clown, un gymnasiarque habile peut gagner, dans un théâtre forain comme celui de Delille autant qu'au cirque, jusqu'à 2,000 fr. par mois. Quant aux danseuses que l'on emploie dans les poses plastiques des tableaux vivants, elles sont rétribuées, selon leur beauté et leur habileté, 180, 250, voire 500 fr. par mois. Delille a donné davantage aux deux jolies filles qui dernièrement lui posaient les petites bretteuses du tableau d'Esmile Bayard, l'Affaire d'honneur.
C'est là, ma foi ! toute justice: la beauté, la force, l'adresse, autant de supériorités qui dans la fameuse lutte pour la vie augmentent dans d'incroyables proportions les chances de victoire de ceux qui les possèdent, autant de capitaux d'un toujours avantageux placement-sans jeu de mots !
La Gironde, Bordeaux, vendredi 28 septembre 1888, p. 2.
Le cinématographe (1896-1906)
Le cinématographe constitue une activité parmi d'autres du spectacle d'Adrien Delille. En 1896-1897, les projections animées figurent au programme à Paris, dans la région parisienne et à Rouen. Les familles Delille et Corvi travaillent souvent côte-à-côte :
La Foire au Pain d'épice
De la place de la Nation au cours de Vincennes-Les forains.-Les attractions et la foule.
[...]
A travers la fête
[...]
En descendant le cours de Vincennes, nous rencontrons du côté gauche d'abord la loge d'Adrien Delille, qui s'efforce depuis un nombre incalculable d'années de procurer chaque saison au public de nouvelles et inédites attractions. Puis, tout à côté, Corvi et ses chiens savants, Corvi qui depuis des générations fait la joie des petits.
L'Intrasigeant, Paris, 9 avril 1901, p. 3.
Le Cirque Corvi àla Foire aux Pains d'Epices, cours de Vincennes, 1906.
En 1907, la loge d'A. Delille propose "le cinéma chanteur parleur".
A. Delille. Foire aux pains d'épices (1907)
Adrian, Cirque au Cinéma Cinéma au Cirque, Paris, Ed. Paul Adrian, 1984, p. III.
Et après... (1908-1915)
Adrien Delille disparaît, à Paris, en juillet 1915 :
Une figure foraine qui disparaît
Une figure curieuse des fêtes foraines vient de disparaître. Adrien Goujon, dit Adrien Delille, doyen des physiciens-prestidigitateurs, vient de mourir, à l'hôpital Lariboisière, à l'âge de 82 ans. Doué d'une adresse merveilleuse et d'un bagout extraordinaire, il avait longtemps, succédant à son père, amusé les foules, à la parade de son théâtre, aux fêtes foraines de Paris ou des grandes villes de province.
Le Petit Journal, Paris, 17 juillet 1915, p. 3.
Une autre nécrologie donne quelques informations supplémentaires :
L’héritier de Robert Houdin. A quatre-vingt-deux ans, Adrien Delille vient de disparaître.
C’était l’héritier de Robert Houdin. Houdin avait conquis Paris; Delille, pendant un demi-siècle, éblouit les départements.
Adroit, loquace, spirituel, Adrien Delille, dont le vrai nom était Goujon, avait succédé à son père. La foire du Trône et celle de Neuilly, aux temps lointains de leur splendeur, commencèrent sa fortune. Il promena alors de ville en ville tout un attirait luxueux de banquise aristocratique. Il montait sur les champs de foire un vrai théâtre, où la prestidigitation, qu’il exécutait en maître, formait la base du programme.
C’est lui qui formulait ainsi le rôle du prestidigitateur dans la société : — Un jeu de cartes, un foulard, une pièce de 5 francs : avec ces trois accessoires, le véritable artiste de notre partie doit fournir toute une séance.
La Lecture, 29 août 1915, p. 558.