- Détails
- Création : 24 mars 2015
- Mis à jour : 7 novembre 2023
- Publication : 24 mars 2015
Pierre-Victor CONTENSOUZA dit CONTINSOUZA
(Tulle, 1872-Tulle, 1944)
1
Pierre, Claude Contensouza épouse (Tulle, 11/02/1863) Anna, Niette Conjat. Descendance :
- Marie Contensouza (Tulle, 29/10/1869-Tulle, 26/02/1959)
- Pierre-Victor Contensouza dit "Continsouza" (Tulle, 10/04/1872-Tulle, 16/08/1944)
- et Louise Van Ballaert (Paris 19e, 23/02/1877-). Descendance:
- épouse (Paris 19e, 31/03/1898) Louise Van Ballaert.
- épouse (Paris 16e, 26/12/1927) Jeanne, Henriette Noé.
2
Les origines (1872-1895)
Fils d'un patissier, Pierre-Victor Continsouza est élève de l'école d'horlogerie de Paris. Il intègre la maison Jules Richard dès 1887 où il fait la connaissance de René Bunzli. On retrouve leur nom lors de la remise des prix de l'Ecole d'horlogerie, le 8 juillet 1889. Il y reste jusqu'à son service militaire. Il figure, au moment de son conseil de révision, en 1892, comme horloger mécanicien à Paris. Il est dirigé vers le 80e régiment d'infanterie le 12 novembre 1893 et envoyé en disponibilité le 25 septembre 1894. Il rentre alors à la maison Kusnik, où il est chargé de l'étude d'un compteur de voiture. C'est vers cette époque que Pierre-Victor modifie son nom "Contensouza" pour adopter celui de "Continsouza"
Le cinématographe (1896-1897)
C'est alors qu'il travaille dans la maison Kusnik, avec son ami René Bunzli, qu'il est contacté par Lépée qui vient de découvrir le cinématographe Lumière :
MM. Continsouza, qui avait alors 23 ans, et M. Bünzli, jeunes élèves frais émoulus de l’Ecole d’Horlogerie de Paris, travaillaient chez un patron M. Kusni [sic], qui s’apprêtait à lancer sur le marché des compteurs horo-kilométriques pour les voitures de place : nous disons à présent des taxi-mètres. Ces compteurs, alors, soulevaient des difficultés; quand les loueurs de voitures voulaient les adopter, les cochers parlaient de grève; et quand les cochers les réclamaient, les patrons avaient changé d’avis !... Toujours est-il qu’en prévision des événements, M. Kusni avait fait fabriquer vingt-cinq compteurs, qui tournaient « à blanc » dans un coin de l’atelier du quai de Jemmapes, congrûment remontés chaque matin. L’un d’eux, en outre, était posé sur un « sapin » pour assurer le contrôle du mécanisme « dans les conditions de la réalité ». Or, le cocher de ce sapin était amateur de photographie; il fréquentait l’atelier de photo de M. Poisson, situé rue du Quatre-Septembre. C’est là que se produisit la rencontre à la fois fortuite et décisive. Ce jour-là notre cocher rencontra chez son ami le photographe un bijoutier du boulevard des Italiens, M. Lépée, qui venait d’assister à une des séances Lumière du Grand Café; il disait ;
— Ah! si je connaissais quelqu’un pour me construire des appareils comme celui- là !
— Mais j’ai votre affaire, dit le cocher; deux jeunes gens qui construisent le compteur que vous voyez là.
— Allons-y, dit M. Lépée.
Et quelques instants plus tard :
— Avez-vous vu le cinéma du Grand Café ? demandait M. Lépée à M. Continsouza.
— Non...
— Allons-y ensemble.
En sortant de la séance — qui durait une demi-heure — M. Continsouza se déclara capable de construire un appareil semblable.
Il s’en fut attendre, à la gare de l’Est, son camarade Bünzli qui était allé faire une course à Reims. Ensemble ils retournèrent au Grand Café; puis ils discutèrent, en horlogers émérites, les divers systèmes possibles d’entrainement de la pellicule... Ils y pensaient encore lorsque la tâche coutumière les ramena, le lendemain matin, devant le « banc d’essai » des compteurs de taxis. Or, dans tout compteur il y a un mouvement d’horlogerie; et dans toute horloge, il y a un « arrêtage » avec Croix de Malte... c’est tout : ils avaient compris.
La Cinématographie française, nº 934, samedi 26 septembre 1936, p. 192.
Le bijoutier du boulevard des Italiens va donc demander à Victor Continsouza de construire en série l'appareil cinématographique :
L’appareil demandé par M. Lépée fut construit en quarante-huit heures; il fut essayé à la bijouterie du boulevard des Italiens avec un film pour appareils Kinétoscope — mais ceci, c’est la préhistoire du cinéma (disons seulement qu’avec le Kinétoscope un seul spectateur, l’œil rivé à un oculaire, voyait se dérouler et s’animer une bande d’images photographiques) — M. Continsouza se rappelle que cette bande d’essai représentait un danseur de corde !
M. Lépée, satisfait, demanda aux deux compagnons ce qu’ils désiraient recevoir pour prix de leur travail; on se mit d’accord sur cinq cents francs.
Alors, M. Lépée leur annonça qu’il leur en commandait plusieurs centaines d’autres. Ils se récrièrent : ils avaient une place assez stable; ils ne se souciaient pas de l’abandonner ni de quitter leur patron, M. Kusni, pour tenter une aventure.
— Vous avez tort. Combien coûterait à construire un appareil comme celui-ci ?
— Ça représente 80 francs.
— Vous allez m’en fabriquer cinq cents, que je vous paierai 350 francs chacun; et pour les premiers frais, voici un chèque de 5.000 francs.
Comment résister ? Ils prirent le chèque, achetèrent du matériel et s’installèrent, en janvier 1896, dans un atelier sis 6, rue Fontaine-au-Roi. Les appareils Lépée, fabrication Continsouza, se vendirent bien et facilement; parmi les clients, signalons Clément et J. Ginmer [sic], installés rue de Malte, Mazo, toujours installé sur le Boulevard en face de l'Ambigu, Piroux [sic], le photographe, Pathé; d’autres allèrent en Angleterre, etc...
La Cinématographie française, nº 934, samedi 26 septembre 1936, p. 192.
Avant que la mise en vente ne soit effective, Gabriel Lépée demande à Victor Continsouza de bien vouloir faire breveter l'appareil cinématographique :
En janvier 1896 et en collaboration avec M. René Bunzli, nous présentions un appareil à entraînement par Croix de Malte à M. Lépée qui se rendit concessionnaire de la vente de cet appareil.
A cette époque, nous avons loué un atelier 6, rue Fontaine au Roi, que nous avons installé et outillé pour construire en série. Au mois d'avril, époque à laquelle notes allions mettre l'appareil en vente, M. Lépée insista pour que nous déposions un brevet, ce qui fut fait le 28 avril 1896...
Le nouvel art cinématographique, Brest, nº 6, jeudi 8 septembre 1927.
Dans la foulée, la commercialisation de l'appareil cinématographique démarre :
Les appareils Lépée, fabrication Continsouza, se vendirent bien et facilement; parmi les clients, signalons Clément et J. Ginmer [sic], installés rue de Malte, Mazo, toujours installé sur le Boulevard en face de l'Ambigu, Piroux [sic], le photographe, Pathé; d’autres allèrent en Angleterre, etc...
En novembre 1896, Victor Continsouza dépose un nouveau brevet (FR262292, 14/11/1896) où il décrit la croix de Malte à 4 branches.
La question de l'application de la Croix de Malte au cinématographe va soulever bien des années plus tard, en 1927, une polémique due à Maurice Noverre et à Grimoin-Sanson qui se déclare inventeur du procédé. Victor Continsouza est conduit à faire publier dans la presse une lettre où il met les choses au point:
Monsieur,
Dans un article paru dans l'Illustration du 12 mars, consacré à la Photographie et à la Cinématographie, je constate que vous attribuez à M. Grimoin-Sanson, l’application de la croix de Malte, aux appareils cinématographiques.
Je proteste. L’application de la croix de Malte à la cinématographie est due à la collaboration de MM. Bunzli et V. Continsouza.
Le 28 avril 1896, je déposais le brevet n° 255.937 dans lequel je revendique comme mon invention un système d’entraînement du film où j’emploie la croix de Malte pour obtenir un mouvement de rotation intermittent et accéléré. J'ai depuis cette époque fabriqué et vendu plus de 100.000 appareils en utilisant ce dispositif.
Le brevet de M. Grimoin-Sanson, n° 254.515 du 5 mars 1896 s’applique bien aux appareils cinématographiques, mais n’a rien de commun avec un appareil d’entraînement par croix de Malte. Donc les appareils qui fonctionnent dans le monde entier à l’heure actuelle, comme vous le constatez dans votre article, utilisent le procédé d’entraînement par croix de Malte, tel qu’il est décrit dans mon brevet nº 255.937 et on n’y retrouve aucune des revendications du brevet de M. Grimoin-Sanson, n° 254.515.
Je vous prie, Monsieur le Directeur, puisque votre article présente M. Grimoin-Sanson comme l’inventeur du système d’entraînement par croix de Malte, de bien vouloir publier ma présente lettre de protestation, comme rectification.
Je tiens à votre disposition les documents qui établissent ma qualité d’inventeur du dispositif en question.
Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments les plus distingués.
V. Continsouza.
La Griffe cinématographique, Paris, 28 avril 1927, p. 1.
Finalement une commission est désignée pour arriver à une situation de compromis entre les deux inventeurs :
Priorité de la "Croix de Malte"
La commission désignée le 30 avril pour examiner et mettre au point, dans un but de concorde et d'union, le film Histoire du cinéma par le cinéma, de MM. Raoul Grimoin-Sanson et Louis Forest, vient de se réunir.
Cette: commission, composée, de MM. Demaria, président; Barre, Coissac, Debrie, Decaux, Lobel, L. Maurice, Natan et Richard, après étude du dossier et audition de MM. Continsouza, Bunzli et Grimoin-Sanson, a décidé de clore la discussion ouverte entre MM. Continsouza et Grimoin-Sanson, au sujet de la priorité d'emploi de la Croix de Malte dans les projecteurs cinématographiques. Les deux parties intéressées ont accepté de signer le texte suivant rédigé par la commission :
A la même époque, différents constructeurs ignorant mutuellement leurs travaux, ont imaginé de changer l'entraînement du film cinématographique qui s'opérait par des griffes tel que l'avait réalisé l'illustre inventeur du cinématographe, M. Louis Lumière.
Parmi ces constructeurs, M. Grimoin-Sanson a imaginé d'employer un tambour denté entraîné par un échappement à ressort et bloqué par une croix, tétragonale, dispositif employé dans un appareil qui a fonctionné à cette époque.
A peu près simultanément, MM. Continsouza et Bunzli ont employé, de leur côté, pour commander le tambour, l'entraînement par croix de Malte, à entrée tangentielle, qui est encore employé sans modification dans la plupart des projecteurs cinématographiques.
Comoedia, Paris, 20 juin 1927, p. 2.
Dès le début de l'année 1897, "René Bunzli & V. Continsouza" ouvre une boutique pour la vente d'appareils cinématographiques.
Le Petit Journal, Paris, vendredi 26 février 1897, p. 4.
Le propre Pierre-Victor Continsouza donne quelques séances dans sa ville de Tulle en juin 1897.
L'entreprise devient la Manufacture Française d'Appareils de Précision :
Manufacture française d’Appareils de Précision. — Constitution. — Suivant acte sous seing privé, fait à Paris le 6 janvier 1898 et déposé chez Me Vian, notaire à Paris, il a été formé une Société anonyme ayant pour objet : L’acquisition et l’exploitation industrielle et commerciale des ateliers de fabrication et magasins de vente d’objets et d’appareils de précision exploités par MM. René Bunzli et Continzouza, rue Fontaine-au-Roi, n° 6, Paris ; l’achat, la construction, la location et la vente de tous immeubles ; la construction, l’achat, la vente et la location de tous appareils, instruments, systèmes accessoires, machines quelconques, brevets, concessions de brevets et autres, pouvant servir directement ou indirectement aux applications quelconques des arts, des sciences et de l’industrie. Le siège social est à Paris, 25, boulevard de la Villette. La durée est fixée à 99 aimées. Le fonds social est fixé à 350.000 fr. divisé en 3.500 actions de 100 fr. chacune sur lesquelles 850 sont attribuées au fondateur. Les 2.650 autres actions ont été souscrites et libérées du quart.
Sur les bénéfices nets, il sera prélevé : 1° 5 % pour la réserve légale ; 2° 5 % pour les actions à titre de dividende. Sur le reliquat, il sera attribué 10 % au Conseil d’administration. Le surplus pourra être affecté à un compte d’amortissement ou de réserve. L’excédent sera réparti aux actions à titre de 2e dividende. Ont été nommés administrateurs : MM. Léon Devilaine ; Claude Grivolas ; Jean Neyret. — A. P., 19 février 1898.
Cote de la Bourse et de la banque, vendredi 25 février 1898, p. 4.
L'un des administrateurs est Claude Grivolas. Lors de l'assemblée générale extraordinaire du 3 octobre le capital est augmenté:
3 octobre. 11 h. matin. extraord.-Manufacture française d'Appareils de précision.-Au siège social, 25, boulevard de Belleville, Paris.-Ordre du jour: Augmentation du capital social à porte de 350.000 francs à 1.000.000 de francs par l'émission de 6.500 actions nouvelles de 100 francs chacune. Pouvoir à donner au conseil d'administration pour l'exécution des décisions de l'assemblée générale.
L'Écho des mines et de la métallurgie, Paris, 1898, p. 4328.
Finalement en 1900, la société va fusionner avec l'entreprise Pathé frères. La nouvelle entité est fondée sous le nom Compagnie générale de Phonographes, Cinématographes et Appareils de précision:
Manufacture française d’appareils de précision. (Dissolution). — Par délibération prise le 7 août 1900, par l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la Manufacture française d’Appareils de précision, Société anonyme au capital de 1.000.000 de francs, siège à Paris, boulevard de Belleville, 25, l’assemblée a voté la fusion de cette Société avec la Compagnie générale des Cinématographes, Phonographes et Pellicules (aujourd’hui Compagnie générale de Phonographes, Cinématographes et Appareils de précision), ayant son siège à Paris, rue Richelieu, 93, par l’apport à cette dernière Société de tout l’actif de la Manufacture française d’Appareils de précision, moyennant l’attribution a son profit de 6.686 actions de 100 fr., entièrement libérées, de ladite Compagnie générale de Phonographes, Cinématographes et Appareils de précision, et aux conditions et charges exprimées en la délibération. A décidé que la dissolution anticipée de la Manufacture française d’Appareils de précision aurait lieu de plein droit a partir du jour où ladite fusion serait définitive. A nommé liquidateur la Compagnie générale de Phonographes, Cinématographes et Appareils de précision, représentée par son conseil d’administration.— A. P. 9-10 1900..
Cote de la Bourse et de la banque, Paria, 9 octobre 1900, p. 3.
Voyages en Extrême Orient et en Turquie (1898-1902)
Victor Continsouza, au cours des années suivantes, va parcourir différents pays où il présente su cinématographe :
Peu après, M. Continsouza séduit par l’idée du voyage, tenté par le succès des premiers concessionnaires qui avaient entrepris des tournées dans les capitales d’Europe, décida de quitter Paris et la France. Il pensait aller jusqu’aux Indes : il s’arrêta en Turquie, où trois ans durant, à Constantinople d’abord, puis dans les provinces turques, en Grèce et en Egypte, il promena son appareil et ses films.
MICHAUT, 1936: 100.
Il semble pourtant que Continsouza soit allé jusqu'en Extrême-Orient, si l'on en croit son matricule militaire. Il déclare, à l'automne 1898, se rendre au Tonkin où il réside à Haïphong à partir du 26 octobre 1898. Sur la route du retour, il fait une halte à Constantinople. Il est alors lourdement chargé de tout le matériel nécessaire pour organiser des séances cinématographiques :
Ce bagage pesait trois tonnes : il est vrai qu’il comprenait un moteur à pétrole, une dynamo... Cette dynamo a même une histoire dans les fastes pittoresques du cinéma. En ce temps-là, l’éclairage électrique était interdit en Turquie, on était sous le régime d’Abdul-Hamid.
M. Continsouza s’était muni, avant son départ, d’une lettre de recommandation du ministre Delcassé à tous nos agents diplomatiques : l’ambassadeur de France sur le Bosphore le reçut fort bien — c’était le fameux Constans, de l’affaire Boulanger — et le remit aux mains d’un drogman. Celui-ci tout en lui faisant connaître l’interdiction de l’électricité, le dirigea vers le directeur du Pera-Palace, qui avait énormément d’amis serviables dans la place, et qui en effet, le mit en relations avec un arménien nommé Abdullah. Un bakchich de trente livres turques (environ 700 francs), opportunément placé assura, auprès du directeur des douanes, les facilités nécessaires.
MICHAUT, 1936: 100.
C'est dans ces conditions qu'il organise, dès le 21 novembre, au Péra-Palace, des séances de projection et d'audition avec un cinématographe et un phonographe haut-parleur :
THÉÂTRES
Au Péra-Palace
CINÉMATOGRAPHE ET PHONOGRAPHE HAUT PARLEUR
M. V. Continsouza avait convié la presse hier soir, à une séance de cinématographie, pendant laquelle on devait donner aussi l’audition d’un phonographe haut parleur.
Cette représentation a pleinement réussi. Les appareils dont fait usage M.V. Continsouza sont très perfectionnés; ainsi, le phonographe parle et chante avec une puissance assez grande pour que tout les assistants l’entendent distinctement; on ne perd avec lui ni un mot, ni une note. Ajoutons qu’il chante clairement sans zézayer, comme le font tous les autres phonographes; cette fois, c’est bien la voix humaine: aussi rien n’était étrange comme ces effets de voix, ces fioritures et ces notes de tête de l’artiste qui paraissait chanter au fond du cornet: En sortant du bois j'ai trouvé trois filles.
Un autre numéro du phonographe est étonnant de vérité : c’est celui qui donne les cris d’animaux imités par un artiste excentrique parisien. Ce numéro permet de mieux comprendre encore quel merveilleux photographe du son est le phonographe. Le morceau : Ah ! quel plaisir d'être soldat, a été également vivement applaudi.
Le cinématographe de M.V. Continsouza fait usage de la lumière électrique, la seule lumière qui permet de projeter des images très nettes. C’est donc autre chose que ce qui a été offert à différentes reprises au public constantinopolitain à la salle Sponek, à l'Odéon et dans la salle du jardin du Taxim.
Les projections en couleur ont émerveillé l’assistance qui était, aussi, enchantée de voir danser, pour la première fois, la véritable Loïe Fuller son joli pas du papillon.
Trois scénettes ont eu également beaucoup de succès : celles des cambrioleurs qui jettent une femme par-dessus la terrasse d'une maison et jouent ensuite un mauvais tour au gendarme qui vient les arrêter ; la scène du pêcheur maladroit et la pantomime du manoir du diable, une pantomime qui dure environ dix minutes.
Les séances du Pera-Palace offrent donc au public un spectacle complet des plus intéressants, car pendant plus d’une heure et demie il pourra se croire transporté dans un théâtre parisien; aussi pensons-nous que M. Continsouza ferait bien d’organiser des séances populaires à plus bas prix, dix piastres, par exemple, ce qui permettrait à un plus grand nombre de personnes d’assister à ses belles séances.
Pour le moment, le prix d’entrée est fixé à un medjidié. Il y aura six séances publiques à partir de ce soir.
L. PRÉTEXTAT.
Stamboul, Constantinople, mardi 22 novembre 1898, p. 3.
Pera, Palace Hôtel. Salut de Constantinople. (1900)
Quelques jours plus tard, son épouse vient le rejoindre:
Orient-Express.-Sont arrivés ce matin: M. A. Vere; M. E. Halin; M. Joseph Newton; Mme Continsouza; le Dr S. Grouitch; M. M. Froelich; M. R. Dimtcheff.
Stamboul, Constantinople, 30 novembre 1898, p. 1.
Les projections au Péra-Palace se terminent à la fin du mois de novembre ou dans les tout premiers jours de décembre:
Les séances commencèrent, au Péra-Palace d’abord, puis ensuite, sur le conseil du barman, au Cirque de Péra mieux achalandé.
MICHAUT, 1936: 100.
Il va donc installer son cinématographe au Cirque de Péra, dirigé alors par l'espagnol Luis Roca Ramírez. Selon un article de journal contemporain, il semble que ce dernier soit également intervenu afin de pouvoir organiser des séances avec l'énergie électrique produite par la dynamo et le moteur à pétrole :
TURQUIE
L'électricité à Constantinople.— Un correspondant de la Gazette de Francfort adresse à ce journal une chronique expliquant les voies détournées, mais providentielles, par lesquelles l'électricité, jusqu'ici rigoureusement proscrite par le sultan comme complice des bombes, de la dynamite et des explosions, a forcé les portes de la capitale ottomane.
Don Ramirez, tel est le nom du mortel que Stamboul compare à Prométhée, est un Espagnol qui fut longtemps verseur de café dans un des innombrables établissements de Péra, où l'on savoure la décoction de la fève d'Arabie.
Don Ramirez eut de l'ambition. Don Ramirez fut directeur de cirque.
Progressif et ingénieux, il intercala le cinématographe entre "Auguste" et la haute école. Seulement, il lui fallait la lumière électrique. Il l'eut : le marquis Camposagrado, ambassadeur d'Espagne, parla au sultan en sa faveur. Le chef des croyants dit oui entre deux bouffées de cigarette et ajouta qu'il souhaitait voir l'appareil fonctionner au palais.
La Tribune de Genève, Genève, vendredi 31 mars et samedi 1 avril 1899, p. 6.
Si les deux versions ne sont pas totalement convergentes - qui donc intercède auprès du sultan ? -, l'intérêt d'Abdul-Hamid pour le cinématographe est bien évoqué dans les deux cas :
Deux mois s’écoulèrent ainsi. M. Continsouza fut appelé trois fois au Palais du Sultan pour montrer ses films. Le programme comportait notamment une "actualité" sur la visite du roi de Siam à Paris, et l’on voyait M. Félix Faure saluer largement la foule.
MICHAUT, 1936: 100.
On retrouve, avec quelques nuances, les mêmes informations dans l'article de La Tribune de Genève :
La représentation au palais valut à Don Ramirez deux cents livres turques et un ordre ottoman !
Trois fois le sultan fit rappeler au palais la machine et son metteur en œuvre. Trois fois Don Ramirez emporta deux cents livres.
La Tribune de Genève, Genève, vendredi 31 mars et samedi 1er avril 1899, p. 6.
Les séances vont se poursuivre jusqu'en février 1899, époque à laquelle il est décoré, sans doute à la suite de ces présentations appréciées par le sultan :
M. Continsouza, directeur du cinématographe du Cirque de Péra, a été décoré de la 4e classe du Medjidié.
Stamboul, Constantinople, 27 février 1899, p. 2.
Il revient en France, avant de repartir pour la Turquie au début de l'année 1900 où il donne à nouveau des représentations. Il se rend à Smyrne (juillet 1900) et s'installe de nouveau au Cirque de Péra ((17 novembre 1900-[10] janvier 1901) :
Cirque de Péra
Le cirque de Péra va redevenir théâtre-variétés, M. Contin Souza [sic] qui vient d'arriver, avec sa troupe de concert et son grand cinématographe devant y donner un certain nombre de représentations.
M. Contin Souza a laissé un bon souvenir ici et comme on nous dit beaucoup de bien de sa troupe, on peut espérer que le cirque de Péra va retrouver son ancienne vogue.
Stamboul, Constantinople, lundi 12 novembre 1900, p. 3.
Il y est encore au début de l'année 1901. Victor Continsouza va également se rendre dans de nombreux pays au cours de ces voyages :
A Beyrouth, le gouverneur avait dû lire trop vite car il revint cinq et six fois; à Adana le bandit de la ville, inaugurant la "resquille", s’installa d’autorité dans la loge du Gouverneur et celui-ci survenant s’assit tout simplement à côté de ce singulier compagnon. Mêmes aventures comiques un peu partout, en Egypte, dans les îles Grecques...
MICHAUT, 1936: 100.
C'est en février 1902 qu'il déclare sa nouvelle résidence à Paris (8, rue du Chalet) et qu'il met ainsi un terme à plus de trois ans d'itinérance en Europe, au Moyen-Orient et en Egypte.
Et après (1903-1944)
Dans les années qui suivent, Victor Continsouza va continuer à construire des appareils pour le compte de la nouvelle société, la Compagnie générale de Phonographes, Cinématographes et Appareils de précision. Il construit, en particulier, un nouveau matériel fondé sur l'emploi de la Croix de Malte. En 1909, Victor Continsouza se lance dans la constitution d'une nouvelle société (assemblée générale 1909), les Établissements Continsouza, Le siège est fixé nº9 ru des Envierges (Paris 20e). Il va construire (1912) le projecteur familial "Kok" pour fiilms de 28 mm..
Pathé Frères. Cinématographe de salon "Kok". (c.1912)
À titre d'exemple, en 1913, 93% des appareils vendus en Europe sortent des ateliers de l'entreprise. Cette société occupe, en 1914, un millier d'ouvriers et exporte, pour 7 millions de francs de matériel cinématographique représentant 60% de la production européenne. Il lance également une machine à écrire la "Contin" qui va connaître un vrai succès. En 1919, les Etablissements Continsouza sont constiutés en société anonyme dont le capital est porté, en 1921, à 20 millions de francs. Elle dispose de trois usines à Paris, à Levallois-Perret et à Tulle. À la demande de Pathé, Victor Continsouza va mettre au point, un projecteur familial, mondialement connu sous le nom de Pathé-Baby :
L’action Continsouza, sur laquelle nous avons attiré l’attention à plusieurs reprises, vient de parcourir, au cours des précédentes séances, une nouvelle étape de hausse et s’établit aujourd’hui à 135 50.
S’il est exact qu’on ne saurait envisager, pour la période de transition qu’a été l’exercice 1921, un dividende supérieur à une dizaine de francs par action, la situation industrielle actuelle de l’entreprise permet de considérer les perspectives prochaines avec beaucoup d’optimisme.
Ainsi que nous l’avons déjà dit, la fabrication des machines à écrire « Contin » s’accroît rapidement et la Société compte pouvoir sortir 80 machines par jour environ vers la fin de l'année.Cette fabrication s’affirme comme un gros succès industriel et commercial.
De même, la production de l’appareil à projections "Baby" répond aux prévisions les plus favorables: 50.000 de ces appareils sont déjà commandés. Les appareils de prise de vues ont eu un succès très considérable et la Société a déjà 10.000 de ces appareils commandés ferme.
Quant aux allumages Delco, leur vente suit naturellement les fluctuations de l’industrie automobile; après avoir subi les conséquences de ralentissement général, elle tend à redevenir progressivement normale.
Ces indications permettent de penser que, si les heureuses conjonctures actuelles se maintiennent, l’exercice en cours donnera des résultats favorables qui rendront possible une intéressante rémunération du capital social, dont les 200.000 actions concourront dorénavant au partage des bénéfices.
Cote de la Bourse et de la banque, Paris, 18 avril 1922, p. 1.
Administration et Entrée des Usines Continsouza (!922)
Mon bureau, Paris, 15 mai 1922, p. 356-357.
Victor Continsouza va par la suite abandonner l'entreprise qu'il a créé pour constituer (1er mars 1928) la société "Mécanique Industrielle de Précision (M.I.P.) dont il partage l'administration avec L. Aubert., responsable des Etablissements L. Aubert. Il occupe les fonctions de directeur technique jusqu'en 1939. En outre, il fonde, en 1932, la Société des Machines Coutin, au capital de 5 millions de francs et dont l'objet est de frabriquer et de vendre des machines à écrire et des machines similaires. Parmi les administrateurs on retrouve René Bünzli.
Il décède à Tulle en 1944.
Sources
HEC Albert, "Le Cinéma sur les boulevards", Ciné-journal, nº 292 (28/03/1914, p. 29, 33, 35, 39, 41), nº 294 (11/04/1914, p. 9, 10, 11), nº 296 (25/04/1914, p. 16), nº 297 (02/05/1914, p. 17, 22, 23), nº 299 (16/05/1914, p. 113, 117), nº 302 (06/06/1914, p. 53, 55), nº 305 (27/06/1914, p. 21, 24).
"In Memoriam. P.-V. Continsouza", Bulletin de l'Association française des ingénieurs et techniciens du cinéma, "LIvre d'or", 4e année, nº H.S., 1950, p. 13-14.
MICHAUT Pierre, "M. Continsouza et la Croix de Malte", La Cinématographie française, nº 934, samedi 26 septembre 1936, p. 99-101.
"La Machine à écrire Contin", Mon bureau, Fascicule XCIX, 13e année, 15 mai 1922, p. 356-357.
"La Mécanique de Précision. Etablissements Continsouza", Supplément industriel à L'information, Paris, 26 juillet 1922, p. 2.