NÎMES

Thierry LECOINTE

Nîmes, chef lieu du Gard (France), compte 71.000 habitants (1894). 

1896

Le Kinématographe Edison de Leclerc (Grand café Tortoni, 22 juin-[5] juillet 1896)

L’annonce de la venue à Nîmes du premier appareil cinématographique paraît simultanément dans Le Petit Républicain du Midi et Le Petit Midi, le vendredi 12 juin 1896. Le texte édité dans ces quotidiens est strictement identique ; il s’agit d’une annonce publicitaire commanditée par le directeur, Monsieur Leclerc.

Le Kinématographe, dit cinématographe à Nîmes (pendant 15 jours seulement)
Mardi 16 juin, au Grand Café Tortoni, dans la salle du premier étage, dont l'entrée principale est située ruelle de la Salamandre, ouverture du Kinématographe, dit Cinématographe du célèbre Edison, permettant de voir en grandeur naturelle des photographies vivantes, scènes animées des principaux quartiers de Paris, tels que : La place de l'Opéra, les grands boulevards, la place de la Madeleine, les Champs-Élysées, les halles centrales, les chèvres au jardin des Tuileries, etc. etc., l'arrivée d'un train en gare, le bain d'une parisienne, les  nourrices aux Champs-Élysées.
En couleur naturelle sera présenté : Loïe Fuller, la fin du 4e acte de " Madame Sans-gêne " et la danse des papillons, etc. Sous peu de jours, le couronnement du tsar.
Entrée générale, 1 franc.
Les représentations auront lieu toutes les heures, de 2 heures à 7 heures et de 8 heures à 11 heures du soir.
Les personnes arrivant en retard recevront un ticket leur permettant d'assister à la représentation suivante.


Nîmes journal, Nîmes, 13 juin 1896, p. 2.

nimes tortoni

Ch. Bernheim, phot., Tortoni-Nîmes (début XXe siècle)

Il pourrait s'agir d’un projecteur De Bedts compte tenu de l’appellation de l’appareil, des films diffusés et de la corrélation de ces éléments avec d’autres appareils de même terminologie utilisés ailleurs en France. L’installation s’est effectuée dans une salle annexe d’un café, un peu à la manière du Cinématographe Lumière à Paris. Le café Tortoni est situé sur le boulevard Amiral Courbet, l’un des quatre boulevards les plus fréquentés qui ceinturent la vieille ville, à deux cents mètres des arènes. Ce café offre régulièrement des concerts gratuits dans ses locaux ; le public a donc coutume de le fréquenter pour ses spectacles récréatifs. Le 13 juin, Le Petit Républicain du Midi et Nîmes-Journal avise le public du report de l’ouverture. La première a enfin lieu le 22 juin, après de multiples turpitudes techniques et d’annonces d’ouvertures différées :

Le Kinématographe - Les séances ont commencé hier et le résultat obtenu après une installation des plus difficiles, a été des plus heureux.
Néanmoins, M. Leclerc, désireux d'apporter quelques améliorations à la marche de l'appareil et d'augmenter le nombre des vues par les sujets les plus nouveaux et les plus récents a interrompu ses séances si intéressantes pour les reprendre le jeudi 25 courant.
Nul doute que tout Nîmes défile dans la salle du Kinématographe. Tout le monde voudra voir la photographie animée.


Le petit méridional. Mardi 23 juin 1896.

Il y a ce jour-là quelques problèmes techniques car les séances sont de nouveau suspendues pour ne reprendre que le 26 juin. À partir de cette date, des représentations se déroulent sans interruption jusqu’au jeudi 9 juillet, à raison de quatre par jour. On y montre dix vues pendant une vingtaine de minutes pour un prix d’entrée établi à 1 franc les dix premiers jours, puis réduit à 50 centimes. Certaines vues sont annoncées en couleurs, mais la presse n’en fait jamais état. Du vendredi 3 au dimanche 5 juillet, M. Leclerc organise des séances de 16 à 23 heures toutes les demi-heures. Quel est l’impact de ce premier spectacle cinématographique sur le public nîmois ? La presse se fait l’écho d’un succès mitigé. C’est avec l’arrivée d’un second appareil que le constat de la performance technique moyenne du Kinématographe apparaît. Le kinématographe Edison va poursuivre sa route en direction de Béziers où il va rester quelques jours.

Répertoire (autres tires) : La Bourse de MarseilleLa Voiture de chèvres (La Chronique mondaine, littéraire et artistique, Nîmes, 27 juin 1896). 

Cinéphotographe (Boulevard de la République, [20] septembre-[13] octobre 1896)

À l'occasion de la foire Saint-Michel qui se tient boulevard de la République (actuel boulevard Jean Jaurès), très large artère en terre battue, un forain, M. Datigny, équipé d’un " cinéphotographe ", présente aux Nîmois des vues quelque peu analogues. Le communiqué publicitaire inaugural est édité le mardi 23 septembre 1896 :

Le Cinéphotographe à Nîmes
Nous engageons instamment nos lecteurs à aller voir le cinéphotographe installé au boulevard de la République, près de la Fontaine, qui obtient tous les soirs un grand succès avec ses photographies animées xiuvantes [sic: "vivantes"] et en couleurs. C'est illusion complète de la vie et de la nature dans tous ses mouvements.


Le Petit Midi, Nîmes, mercredi 23 septembre 1896, p. 3.

Le cinéphotographe est commercialilsé par Gabriel Lépée.

lepee cinéphototographe nimes foire saint michel
L’Industriel Forain, Paris, 9 août 1896, p. 4. Aubat-Marion, Bourse Nîmes, Nîmes-Boulevard de la République-Foire de la Saint-Michel (début XXe siècle)

La machine utilisée à Nîmes semble de bonne facture au point d’être élogieusement comparée au Kinématographe :

Cinéphotographe - Après une visite rendue au cinéphotographe, dont nous sommes sortis émerveillés, nous recommandons à nos lecteurs d'aller voir les scènes de photographies animées qui donnent l'illusion la plus complète de la vie et de la nature dans tous ses mouvements.
Le dernier perfectionnement étant apporté par les couleurs qui ajoutent la plus grande exactitude aux scènes représentées, ce spectacle est bien supérieur à ce que l'on a pu voir jusqu'à ce jour dans notre ville.


Le Journal du Midi, Nîmes, dimanche 4 octobre 1896, p. 2.

Le forain propose dix séances quotidiennes pour 10 centimes chacune. En fait, ce tarif très attractif n’est pas uniquement dû à l’exploitant : l’installation des baraques foraines sur le champ de foire sont réglementée par la municipalité qui a fixé, outre la redevance journalière, un prix d’exploitation unique pour les petits établissements. La foire attire massivement un public populaire ne fréquentant pas forcement les cafés huppés du centre ville : le cinématographe se démocratise. Les vues en couleurs constituent l’atout majeur de ce petit cinéma forain : " le cinéphotographe perfectionné " est " le seul établissement donnant la photographie animée en couleur ", précision importante pour le public puisqu’un concurrent, le Cinématographe-Lumière, s’est implanté au centre ville depuis le 3 octobre. Les séances se prolongent jusqu'au 13 octobre.

Répertoire : Loïe Fuller dans la danse serpentine (23 septembre 1896).

Cinématographe Lumière (28, Boulevard Victor-Hugo, [31] octobre-8 novembre 1896)

La venue de la maison Lumière est planifiée puisqu’elle est annoncée par la presse dès le 5 septembre 1896 :

Cinématographe Lumière.
On annonce l’arrivée prochaine du cinématographe Lumière, dont le succès a été si grand dans la plupart des grandes villes, notamment à Montpellier.


Nîmes-Journal, Nîmes, 5 / 12 septembre 1896, p. 2.

Le Cinématographe Lumière s’installe sur l’un des quatre grands boulevards de ceinture dans un local situé au 28, boulevard Victor-Hugo. Les premières séances sont réservées aux notables de la ville, principe commercial systématisé chez Lumière. Le directeur du Cinématographe Lumière, conscient de la concurrence, multiplie les annonces publicitaires. Les arguments avancés pour vanter la suprématie de son spectacle sont le renouvellement permanent des vues (dix-neuf titres sont cités), la diffusion de vues récentes d’actualités (Les Fêtes lors du passage du Czar de Russie à Parisla Revue passée au camp de Chalonsles Inondations dans le Midi de la France...) ainsi que la projection d’une vue tournée à Nîmes quelques jours auparavant : La Sortie de la messe de onze heures de l’église Sainte-Perpétue (La Chronique Mondaine, Littéraire et Artistique, Nîmes, 31 octobre 1896.). Le directeur annonce même son intention de filmer la corrida du 11 octobre. Ce jour-là, la salle n’ouvre qu’à dix-sept heures (Le Petit Méridional, Nîmes, 11 octobre 1896), après la corrida, mais il ne semble exister aucune trace de ce tournage. Cette concurrence ouverte prend aussi la forme d’une campagne de dénigrement :

Cinématographe. - La maison Lumière [...] tient à faire remarquer que ces vues [ayant trait aux fêtes à Paris pour l’arrivée du tsar et la revue de Chalons] sont absolument prises d'après nature et non comme certaines maisons qui ne peuvent enregistrer que des scènes prises avec des mannequins articulés ne donnant que des projections grotesques.


Le Petit Méridional, Nîmes, 8 octobre 1896.

nimes victor hugo

Nïmes-Boulevard Victor-Hugo (c. 1905)

À quel film le directeur du Cinématographe Lumière fait-il référence ? Rien, dans la presse nîmoise, ne permet de le savoir. C’est en suivant le parcours de ce forain, Monsieur  Datigny, que la réponse peut être trouvée. Après Nîmes, il poursuit sa route vers Perpignan où il s'installe le 3 novembre 1896. Il y projette la Mort de Mary Stuart (L’Indépendant des Pyrénées-Orientales,14 novembre 1896) dont le contenu est relaté de manière précise : 

[...] à citer l’émouvante scène représentant “l’exécution de Marie Stuart” : la hache se lève, le sang jaillit, la tête roule sur le sol et le bourreau la saisit aux cheveux pour la montrer à son entourage.


L’Indépendant des Pyrénées-Orientales, Perpignan, 21 novembre 1896.

Avec ce film, l’allusion prend tout son sens. Cette concurrence tourne à l’avantage du Cinématographe Lumière. M. Datigny quitte la foire le 13 octobre, soit vingt jours avant la clôture officielle prévue le 2 novembre. Les projections Lumière, douze par jour, sont constituées de huit vues pour un tarif établi à 1 franc. La concurrence du spectacle forain et le faible pouvoir d’achat des Nîmois doivent contraindre le directeur à diminuer son tarif de moitié dès le cinquième jour d’exploitation. Au vingt-troisième jour de représentations, il ajoute deux tableaux à chaque séance. À la demande du maire et des autorités religieuses, il distribue plus de 400 cartes d'entrée gratuite pour les élèves des écoles communales et chrétiennes (Le Petit Républicain du Midi, 29 octobre 1896 et Le Journal du Midi, 1er novembre 1896). Le 22 octobre, il est contraint de fermer exceptionnellement ses portes en raison " de la rupture du canal adducteur des eaux de Nîmes, […] la société d'électricité n'ayant pas d'eau pour alimenter ses chaudières et par ce fait ne pouvant produire le courant " (Le Petit Républicain du Midi, 23 octobre 1896). Devant un succès qui semble avéré, le Cinématographe-Lumière prolonge son séjour d’une semaine avant de quitter définitivement Nîmes après les séances du dimanche 8 novembre 1896. 

Répertoire (autres vues) : Fêtes du couronnement du Tsar (Le Petit Méridional, Nîmes, 7 octobre 1896), L'Entrée du tsar et du président dans le hall de Cherbourg, La Tsarine sortant de l'église russe à Paris (Le Petit Méridional, Nîmes, 16 octobre 1896), Le Débarquement des souverains à CherbourgDéfilé des caïds tunisiens, spahis et chasseurs d'Afrique, Le Cortège impérial traversant la place de la Concorde, Escorte d'honneur du Tsar (Le Petit Méridional, Nîmes, 17 octobre 1896), La Bourse à Marseille, Les Joueurs de cartes arrosés (Le Petit Méridional, 20 octobre 1896), L'Arrivée du train en gare, L'Arroseur arrosé (Le Petit Méridional, Nîmes, 25 octobre 1896), L'Écroulement du mur, La Traversée de la Saône par les dragons à chevalLe Labourage en NormandieLes pêcheuses de crevettes (La Chronique mondaine, littéraire et artistique, 7 novembre 1896), La Manœuvre des pompiers à LyonBaignade en mer, Vues des inondations (, Le Petit Républicain du Midi, Nîmes, 7 novembre 1896).

Le cinématographe de Ferdinand Itier (Café du Palais, 19 décembre 1896-31 décembre 1896) → 1897

La saison cinématographique 1896 n’est pas terminée. Un concitoyen d’origine lyonnaise (Lyon, 13/06/1861-), Ferdinand Itier, tient depuis 1891 un magasin de photographie au centre ville, 30, boulevard Gambetta (troisième boulevard de ceinture), à l’angle de la rue Corconne (n°1). Séduit par le Cinématographe, il achète à la fois un appareil de projection Méliès ainsi qu’un appareil de prise de vues (il utilise aussi un projecteur Perret-Lacroix d’après les souvenirs de sa fille.) Avant les fêtes de fin d’année, il installe son " nouveau cinématographe " dans une salle du premier étage du café du Palais (actuel Palace), situé sur le boulevard de l’Esplanade (quatrième boulevard de ceinture).

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Café Palais, Nîmes (début XXe siècle)

Cette nouvelle salle fut dévoilée au public le samedi 19 décembre 1896 dans Le Journal du Midi. Le programme mentionne six films dont quatre vues locales tournées par Ferdinand Itier lui-même :

Un nouveau cinématographe possédant une très jolie collection de vues animées est installé, à partir d'aujourd'hui, boulevard de l'Esplanade, salle du premier étage du café du Palais (entrée par la rue Régale). Le directeur variera les représentations qui auront lieu tous les soirs à partir de 5 h et les dimanches et lundi à partrir de 3 h de l'après-midi. Le cinématographe, réellement perfectionné, projettera des vues animées nouvelles et prises à Nîmes. Programme de la première soirée : 1. " Arrivée d'un train à Saint-Césaire " ; 2. " Une partie de mazet " ; 3. " La mer à Grau-du-roi " ; 4. " M. X..., dessinateur express " ; 5. " L'arche de Noé, chemin d'Avignon " ; 6. " Le ballet des petits Incroyables ".


La Chronique mondaire, littéraire et artistique, Nîmes, 19 décembre 1896.

Dès cette date, ce photographe s’inscrit comme un acteur essentiel de la vie cinématographique régionale. Cette première installation lui pose sûrement quelques difficultés techniques car la salle ne peut ouvrir que le 27 décembre. (Le Petit Républicain du Midi, 26 décembre 1896).

1897