Élise DE VÈRE

(Bruxelles, 1879-[Suisse], [1966])

de vere elise portrait

Jean-Claude SEGUIN

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Herbert Gardiner Shakespeare Williams "Charles" De Vère (Londres, 28/09/1843-Étrépagny, 23/12/1931)

  • et Ann, Amelia Darby (1846-1922)
  • épouse Marianne, Isabel, Maria, Vera de Almeida Portugal (1869-1944)
  • et Julia Ferrett (Sturminster, 12/12/1852-Paris, 16e, 27/07/1916). Descendance :
    • Herbert, Claude (1874-1930)
    • Caroline, Florence "Carrie" De Vère Williams (Londres, 19/07/1875-Paris, 9e, 26/06/1901) épouse (Londres, 24/03/1894) Paul, Charles, Georges Aubéry du Boulley (Pont-Leroy, 1868-Paris, 10e, 27/06/1917).
    • Charles Nevin Williams (1877-1882)
    • Constance, Élise Ferret dite "Elise de Vère" (Bruxelles, 04/05/1879-Suisse, 11/1966) épouse (Newark, 12/1917) Frank, Joseph Goldsoll{/tip} dit "Godsol" (Cleveland, 11/07/1874-Canton de Vaud, 12/1934)
    • Cyrille De Vère (Vilvoorde, 04/01/1881-Paris, 30/09/1964)
    • Camille Nevin De Vere (Bruxelles, 1883-Paris, 04/08/1909)
    • Clairette (1886-)
    • Clémentine, Lisine (Bruxelles, 21/12/1888-1973) épouse (Paris, 05/05/1904) Herman Wirtheim dit "Weedon" (New York, 19/10/1876-). Descendance :
      • Frank Herman Wirtheim (Paris, 16/12/1907-Fairfield, 04/11/1984)

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Les origines (1879-1895)

"Charles" De Vere est un illusionniste britannique qui est propriétaire de magasins pour illusionnisme.

de vere charles 1890 conjuror de vere charles 1900 mystificateur comique
Conjuror & Humorist.
1890
C.J. Culliford. Londres
Le Mystificateur Comique
1900
Lit. De Vere. 39 rue de la Trévise (Paris).

En 1878, il ouvre un établissement à Bruxelles. C'est dans la capitale belge que voit le jour Constance Elise Ferrett qui porte le nom de sa mère, Ferrett, et dont celui du père n'est pas indiqué sur l'acte de naissance. Sa mère est une artiste qui est connue sous le nom d' "Okita".

ferrett julia affiche ferrett julia affiche 02
Julia Ferrett "Okita". "Récréations Japonaises". Okita. 52x62 cm.
Affiches Americaines. Ch. Levy 4-rue Martel Paris.

Lit. De Vere. 39 rue de la Trévise (Paris).

Constance Elise monte sur scène alors qu'elle n'est qu'une enfant. C'est auprès de sa mère Julia Ferrett "Okita" et sa sœur Caroline "Carrie" qu'elle va faire ses débuts.

de vere elise 1887 reims
L'Indépendant rémois, Reims, dimanche 23 janvier 1887, p. 3.

On les retrouve par la suite à Paris (Eden-Théâtre, août 1887), à Lille (Théâtre des Variétés, mars 1889), Cherbourg (Théâtre Excelsior, juin 1889)...

Après la naissance de leur fille Clémentine, la famille va s'installer à Paris où le père, Charles De Vere, dispose d'un local (39 rue de Trévise) à Côté des Folies-Bergère. Le Panthéon de l'industrie va lui consacrer un article en janvier 1893 d'où sont extraites ces quelques lignes :

Prestidigitateur émérite, physicien d'une rare expérience, qui donne des leçons et dont les séances en ville et en province sont très recherchées, il est l'inventeur de plusieur tours qui dénotent une grande habileté, comme la Malle des Indes, le Fakir et la Galathée. On peut affirmer que sa haute compétence a beaucoup contribué à la perfection de tous les instruments et appareils qu'il construit. Cette perfection a été reconnue par tous les maîtres, et depuis longtemps le professeur De vere est fournisseur des physiciens et prestidigitateurs les plus célèbres tels que MM. Robert Houdin, A. Hermann, Buatier de Kolta, Okita, Heller, Hofmann, Dobler, Frikell, docteur Lynn, colonel Stodare, etc., etc.
Sa maison de la rue de Trévise, 39, près des Folies-Bergère, est bien connue des Parisiens. Il a en outre une autre maison, fondée en 1869, à Londres, (Strand, 283).
Une visite dans ses magasins est de plus haut intérêt: on trouve là tout l'arsenal du prestidigitateur et du physicien, et l'on ne peut manquer d'être étonné du prix réellement très modique de ces instruments et appareils si savamment construits. La variété des trucs, des appareils, des illusions pour théâtres, féeries, ballets, etc., est merveilleuse. Il y a là les objets les plus divers, dont les prix varient depuis cinquante centimes jusqu'à trois mille francs, mais qui, nous le répétons, sont toujours, eu égard à leur valeur respective, très avantageux.
[...]
STEVENS.


Le Panthéon de l'industrie, 19e année, janvier 1893, p. 7-8.

En juillet 1893, les deux sœurs, sans leur mère, font partie du spectacle de l'Olympia :

Olympia.-Sauf les débuts de Mlles C. de Vere, xilophoniste, et E. Vere, chant et danse anglaise, le programme est le même que celui de la semaine dernière.


Le Mirliton, 9e année, nº 118, Paris, 14 juillet 1893, p. 2.

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La Nature, Paris, 26 mai 1894.

Le cinématographe (1896-1899)

Le première apparition d'Elise de Vère à l'écran a lieu dans un film de Georges Méliès tourné dès l'année 1896 et qui porte le titre de Miss de Vère (gigue anglaise). Pourtant, au moment où la vue animée est tournée, Elise de Vère ne semble pas avoir encore dansé sous son nom. Il faut attendre l'année suivante pour que la presse se fasse l'écho de ses prestations qui ne soulèvent pas l'enthousiasme du journaliste :

Parisiana.
[...]
Mlle Elise de Vère a un chapeau orné de concombres, rigôle comme une petite fôle, a la respiration bruyante et danse un mélange de gigue anglaise, de pas de flèche et de chahut français à la mode des Irlandaises; c'est une jolie fille, mais est-il besoin d'aller jusqu'en Amérique pour trouver des chanteuses sans engagement ?


L'Art lyrique et le music-hall, Paris, octobre 1897, p. 7.

Cette même année, elle tourne une vue pour la maison Normandin où elle danse à nouveau une Gigue anglaise 

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Gigue anglaise (1897)

Au cours de l'année 1898, elle est en province : Lyon (Scala, février 1898), Bordeaux (Olympia, mars)...

Un troisième film date de 1899. En mai 1899, le journal Gil Blas organise un double concours de beauté. Dans le premier, les modèles posent nu et le second, celui de la tête et de la silhouette où les sujets défilent habillés. Elise de Vère participe au premier :

Trois nudités remarquables pourtant, Léa Darcy, Létha et Elise de Vère... Elise de Vère ! J'ai déjà vu des reins renflés comme les flancs d'une amphore dans la culotte de peau d'un jockey... d'un jockey de la Scala ! et de revue ! Parbleu ! dans : En voilà, de la chair !... Mes compliments mademoiselle.
[...]


RAITIF DE LA BRETONNE.Le Journal, Paris, 14 mai 1899, p. 2.

C'est à l'Olympia, le 17 juin 1899, que sont dévoilés les noms des lauréates de ces concours. C'est finalement Jane Dortzal, drapée à l'antique, la championne, alors qu'Elise de Vère finit deuxième :

Encadrant la championne de droite et de gauche, le deuxième et le troisième prix: Dorliac et Elise de Vère, délicieuse statuette de Tanagra, merveilleusement chiffonnée par la main des Grâces...


Gil Blas, Paris, 19 juin 1899, p. 2.

C'est probablement dans les semaines qui suivent que la maison Pathé tourne Miss de Vere 1er de beauté, concours 1899qui ne semble pas avoir été conservé. 

Et après... (1900-1966)

Dans les premières années du XXe siècle, Elise De Vère se fait remarquer dans Paris Frou-Frou au Carré Marigny où on la retrouve en 1902 dans la revue Miss ! Miss ! (juin) et l'année suivante dans une nouvelle revue :

La répétition générale de P'tites Femmes de Marigny est à présent fixée à mercredi prochain. Le lendemain jeudi aura lieu la première représentation. On sait que pour cette revue de réouverture, la direction a engagé les artistes que le public est accoutumé d'applaudir : l'exquise Mealy, Mlles Elise de Vère Gaby, Deslys, Eva Duperret. A cette brillante pléïade, il convient d'ajouter Mlle Angèle Héraud, que nous allons retrouver plus charmante, dans deux créations vraiment originales.


Le Figaro, Paris, dimanche 3 mai 1903, p. 4.

Elle est encore au Marigny en août, puis elle disparaît pratiquement de la presse française pendant quelques années... Au début des années 1910, elle pose dans des revues avec des tenues de mode.

de vere elise 1910 portrait
"Mlle De Vère.-Robe courte en voile perle. Bas de jupe en broderie renaissance sur tulle. Chapeau garni de chinchilla". Phot. Reutlinger.
The New York Herald, Paris, dimanche 6 février 1910, p. 3.

À cette époque Cyril, son frère, se fait connaître comme coureur automobile et il participera à de nombreuses courses tout au long de sa vie.

Il est difficile de savoir à quel moment elle rencontre Frank, Joseph Goldsoll. Ce dernier, fils de juifs russes est né à Cleveland et, en 1911, à 36 ans, il accomplit ses obligations militaires en France afin d'obtenir sa naturalisation (31 décembre). À cette époque, il réside 60 avenue du Bois de Boulogne. Il fait des affaires dans le monde su spectacle et se lance, en 1912, dans un projet américain qui ne verra pas le jour :

According to the plans announced by the man behind the project, F. J. Goldsoll, the new Ice Palace is to be built back of the Astor theatre on Forty-Fifth street as soon as possible.
The Ice Palace will be patterned after the Berlin palaces and will have two balconies and a restaurant, seating 2,000.


Variety, vol. XXVI, nº 2, mars 1912, p. 6.

L'essentiel de ses activités se trouve alors en Allemagne et, plus spécialement, à Berlin. Il construit ainsi une salle de cinéma sur la Nollendorfplatz. Dès l'année suivante, il crée la société Woods-Goldsoll Company qui contrôle plus d'une douzaine de salles. En 1913, il enregistre la marque "Miracle" pour "Films cinématographiques".

goldsoll frank 1913 miracle
Les Marques internationales, Paris, v. 20-21, 1912-1913.

La presse américaine donne une idée de l'étendue de ses affaires :

The claim is made that never in the history of theatricals, was a circuit of theatres organized so quickly as the Woods' theatral in Germany and France, which will be devoted to high, class vaudeville and feature motion pictures. A. H. Woods and his associate F. J. Goldsoll will control fourteen theatres in the important cities of Germany, and as many in France, besides two in Vienna and three in Brussels. Six are located in Berlin, and eight are divided between Hamburg, Dresden, Cologne, Bremen, Munich, Leipsic, Hanover and Frankfort. Leases have been made for two theatres in Paris, and one each in Tours, Nantes, Rouen, Lyons and Marseilles. In a number of those houses the famous "Quo Vadis" picture is now being exhibited to enormous receipts. The Woods-Goldsoll combines control the rights for "Quo Vadis" in Germany.


The New York Clipper, 24 mai 1913, p. 2.

Frank Joseph Goldsoll détient pour un temps les droitx exclusifs d'exploitation des films Ambrosio avant d'en devenir directeur général commercial :

A l'Ambrosio
La Société anonyme Ambriosio de Turin vient de faire un coup de maître en engageant comme directeur général commercial M. F.-J. Goldsoll.
Le nouveau directeur de l'Ambrosio est fort connu à Paris où il réside. Il est justement estimé dans le monde du Cinématographe où il jouit d'une notoriété incontestable.
Rappelons que M. F.-J. Goldsoll fut autrefois associé de la Cinès de Rome. Il contribua pour son compte personnel beaucoup à l'essor que prit ces temps derniers la grande firme romaine. Il apporte dans sa nouvelle Société des idées nouvelles et un esprit d'initiative extraordinaire.
Aussi s'est-il empressé de conseillet à la Maison Ambrosio d'engager une Companie d'artistes composée des vedettes les plus cotées et un metteur en scène ainsi que des régisseurs de haute valeur, notamment M. Caserini, qui est considéré, après avoir fait brillamment ses preuves à la Gloria, comme le premier metteur en scène du monde.
L'Ambrosio est l'une des Sociétés cinématographiques les plus renommées. Cette réorganisation grandit encore son prestige universel.


Le Courrier cinématographique, 4e année, nº 28, Paris, juillet 1914, p. 27.

Quelques semaines plus, la mobilisation générale va l'envoyer sur le front comme le rapporte le Moving Pîctures World :

F. J. Goldsoll, proprietor of the Cines Palast, Berlin, and president of the newly formed Ambrosio Company, is now fighting with the French army. Goldsoll was born American but for business purposes became naturalized French a few years ago.


Moving Pictures World, New York, vol. 21, Nº 11, 12 septembre 1914, p. 1499.

Il semble, selon son matricule militaire, que son comportement n'ait pas été exemplaire au cours du conflit. 

goldsoll frank portrait 2
"FRANK J. GODSOL,
Retired French soldier, charged with making fortune out of French war automobile contracts."
The Washington Times, Washington, jeudi 7 mars 1918, p. 1.

C'est au début de la guerre que son frère Cyril De Vère va prendre des parts dans une société qui prendra le nom de "Société des Phonographes Automatiques Bussoz Frères et de Vère )120-1923). 

Si l'on peut penser qu'Elise De Vère et Frank Joseph Goldsoll sont en couple depuis plusieurs années - la naturalisation pourrait aussi s'expliquer par cette relation -, en 1915, Elise de Vere quitte le port de Bordeaux, le 24 octobre, à bord du Rochambeau, à destination de New York où elle arrive le 7 novembre. Sur la liste des passagers, elle figure comme "single" (célibataire) et déclare résider "60 avenue du Bois de Boulogne at Paris", adresse qui est également celle de Godsoll. Quelque temps plus tard, Elise figure comme sa femme sur le Turrialba qui quitte La Havane, le 5 février 1916, avec le couple à son bord, à destination de Paris, où ils se rendent chez "Mlle L. Goldsoll" (67 avenue Victor-Hugo). Cette période est assez trouble et Elise et Frank en profitent pour régler plusieurs questions en suspens. C'est bien ce qui ressort des déclarations de leur femme de ménage :

Les papiers de Goldsoll
Le capitaine Mangin-Bocquet, on s'en souvient, fut, au cours de l'instruction de l'affaire Goldsoll, amené à perquisitionner au domicile que ce dernier possédait avenue du Bois-de-Boulogne, avec Mlle Elise de Vère, artiste lyrique et chorégraphique.
La perquisition permit au magistrat de constater que les foyers de toutes les cheminées de l'appartement étaient encombrés pas une quantité anormale de cendres.
Hier, il a interrogé Mlle Bertholon, ancienne femme de chambre de Mlle de Vère, et Mlle Bertholon confirma qu'avant le départ de Foldsoll et de son amie pour l'Amérique ceux-ci, pendant une huitaine de jours, brûlèrent des quantités de papiers.
A quoi pouvaient se rapporter ces papiers ? C'est ce que se demande l'instruction.


Excelsior, Paris, dimanche 24 février 1918, p. 3.

À n'en pas douter, le couple se débarrasser d'un nombre important de documents compromettants. Ayant fini leur tâche, Elise et Frank quittent la France pour rejoindre les États-Unis où il se marient, en décembre 1917, à Newark. Peu après, on comprend les raisons de l'empressement à détruire ces preuves, car on apprend que Frank, Joseph Goldsoll est poursuivit pour des trafics lors du conflit mondial :

Ever since Godsol left New York February 22 for Palm Beach, agents of the New York attorney general's office have been shadowing him. they tell a story of much gayety and wild extravagance by Goldsol and his wife. Godsol's wife was Constance Elise de Vere. They were married suddenly and quietly in Newark, N. J., last December.


The Washington Times, Washington, jeudi 7 mars 1918, p. 2.

Un autre journal évoque également ces malversations :

Goldsoll is accused by the French embassy of having approprieted to his own use huge commissions on war contrats which he was sent to the United States to execute for his government.


The Independent, Willoughby, 14 mars 1918, p. 1.

Le couple semble avoir résidé quelque temps en Angleterre, car Constante E. De Vère et Frank Joseph Goldsoll arrivent à Southampton, le 22 novembre 1921, en provenance de New York. Par la suite, le couple s'installe en Suisse où Frank décède en 1934. Deux ans plus tard, Constance Elise Godsol quitte Genève (où elle réside encore le 25 février 1936), pour se rendre à New York, à bord du Queen Mary, où elle arrive le 30 novembre 1936. On peut la suivre encore en Floride où l'annuaire local la recense dans ses pages de la manière suivante :

Golsol Constance E (wid Jos) h125 Via Del Lago (West Palm Beach, Florida, City Directory, 1942.

Puis, en 1959, Constance E. Godsol: 24 septembre 1959 est signalée au Domaine de l'Oujonnet, Burseinel, Vaulx.Suisse. En 1966, sa dépouille est ramenée au cimetière des Batignolles où elle repose auprès de ses parents et de ses soeurs.

 ferrett julia sepulture
Sépulture de la famille De Vère. Cimetière des Batignolles.

Sources

LECOINTE Thierry, Des fragments de films Méliès disparus ressuscité par des flip books (1896-1901), John Libbey, 2020, 272 p.

LOEW Katharina & Michael COWAN, "Augmenting cinema: The Kino-Variété (1913-14) Early Popular Visual Culture, 18:4, 383-399, DOI: 10.1080/17460654.2021.2016209.

Société des Phonographes Automatiques Bussoz Frères et de Vère (1920 - 1923)

Remerciements

Jacques Malthête.

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