Marie LINNARTZ dite Miss Titi SIDNEY

(Düsseldorf, 1876-Berlin, 1934)

sydney miss portrait 03

Jean-Claude SEGUIN
Rosario RODRÍGUEZ LLORENS

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Bertram Linnartz (-< 1908) épouse Elvire Kirschkamp (-> 1908). Descendance :

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Les origines (1876-1900)

Née en Allemagne, elle s'installe avec sa mère à Paris probablement au début des années 1890. C'est sous le nom de scène "Miss Titi Sidney" que Marie Linnartz commence à apparaître dans la presse parisienne en juin 1893, alors qu'elle n'est âgée que de dix-sept ans. Elle figure comme l'une des artistes du spectacle du Cirque Fernando (Boulevard Rochechouart et rue des Martyrs) où elle propose des exercices de "Steeple-Voltige" jusqu'en septembre. En juin 1896, on la retrouve aux Folies-Bergère :

Ce soir, aux Folies-Bergère, soirée d'adieux des sœurs Barrison.
Demain, débuts de miss Sydney, qui paraîtra dans des « tableaux vivants fin de siècle » absolument inédits.
La jolie Liane de Pougy continue son succès dans l'Araignée d'or. On voit que le programme de l'élégant établissement de la rue Richer, restera jusqu'à la fin de la. saison, digne de la vogue qui lui demeure fidèle.


Le Figaro, Paris, 2 juin 1896, p. 4.

Elle termine son numéro au début du mois de juillet. On la retrouve ensuite sous son nom d'actrice "Titi Sidney", à Hambourg (octobre 1896). De retour à Paris, elle reprend le spectacle, toujours aux Folies-Bergère, en janvier 1897 :

Les Folies-Bergère annoncent pour ce soir d'importants débuts. Citons en première ligne la jolie Paola del Monte dans ses suggestives chansons espagnoles; miss Sydney dans des tableaux vivants très fin de siècle; le clown Jigg, Granto et miss Maud, dans leurs prodigieux exercices sur le fil de fer. les Deltorelli, des désopilants excentriques musicaux et enfin la troupe russe Newsky dans leurs chants et danses.
C'est un renouvellement du programme qui comporte toujours le colossal succès Chand d'habits ! et le pimpant ballet Chez le couturier.
Léon MORTIER.


Le Messager de Paris, Paris, 5 janvier 1897, p. 4.

sydney miss tableaux vivants
Weylandt & Bauchwitz. Graphic Institute. Miss Sidney. Tableaux vivants fin de siècle.
Source: Gallica.bnf.fr. Bibliothèque nationale de France.

Le spectacle se prolonge jusqu'en mars. La première référence à sa carrière de danseuse est sa participation au ballet intitulé Phryné, avec un livret d'Auguste Germain, une musique de Louis Ganne et une chorégraphie de Madame Mariquita, la plus réputée des maîtresses et chorégraphes de l'époque, travaillant dans des théâtres aussi importants que l'Opéra-Comique, Le Châtelet ou les Folies-Bergère, où cette œuvre est représentée en février 1897. Le rôle de Sidney dans ce ballet est celui de la déesse Vénus, bien qu'il ne soit pas clair si ce rôle lui a été attribué pour ses talents de danseuse ou pour sa beauté : « Miss Sidney remplit le maillot de Vénus ; elle le remplit bien ».

Elle se lance alors dans une nouvelle tournée européenne. En avril 1897, elle à Budapest (Etablissement Somossy), en septembre, on la retrouve à Berlin (Wintergarten Theatre). C'est sans doute à ce moment-là que la danseuse va tourner une vue animée intitulée Titi Sidney, une production érotique de H. O. Foersterling. Quelques mois plus tard, en mars 1898, elle est de nouveau aux Folies-Bergère. La presse lui consacre quelques lignes :

Ensuite, miss Sydney, véritable statue vivante, gracieuse, svelte, délicieusement faits, compose des tableaux vivants avec un goût exquis, et Debriège se fait applaudir dans son répertoire très choisi.


L'Événement, Paris, vendredi 11 mars 1898, p. 1.

Elle est alors suffisamment connue pour que le journal Gil Blas lui consacre une longue interview :

CHEZ ELLES
MISS SIDNEY
Il est, en notre beau pays de France, de jolies filles aussi bien, peut-être même, mieux faites que Miss Sidney; mais elles ne pourront que difficilement s'exhiber au music-hall de la rue Richer qui ouvre toutes grandes ses portes aux importations étrangères.
Et peut-être M. Marchand a-t-il raison !
Miss Sidney sur l'affiche, cela vous a un petit air exotique, susceptible d'attirer le public parisien. Mettez à sa place Marthe Barichou, par exemple, on se demandera : « D'où sort-elle ? Pas du tout connue la Barichou ! »
Miss Sydney est donc une «attraction ».
De Vienne vient à Paris qu'elle quitte pour Londres où elle s'embarque pour New-York, montrant dans ces différentes villes, en des tableaux vivants dits « fin de siècle », son corps revêtu d'un simple maillot.
Avouons que ses formes sont impeccables. Ce qui est extraordinaire, c'est qu'elle ne se sert même pas de ce que l'on nomme en argot de coulisses « des tétines », c'est-à-dire des seins en carton.
Sapristi ! quelle poitrine ! s'écrie-t-on, en lorgnant un joli « tableau vivant.»
Eh bien ! neuf fois sur dix, cette poitrine n'est qu'un cartonnage.
Tout est donc nature, chez Miss Sydney, qui pousse la coquetterie jusqu'à ne pas mettre de corset !
Est-il besoin de dire que ses charmes lui attirent une avalanche de billets doux et de corbeilles de fleurs ?
Habite aux environs de la Madeleine le premier étage d'un « locati ».
C'est là que nous l'avons vue.
— Vous êtes Anglaise ?
— Non pas, Autrichienne, et seule de ma famille, suis au théâtre. J'aurais pu vivre tranquille, en mon pays, ayant un ami fort riche ; j'ai préféré avoir ma liberté tout entière,
— Paris vous plaît-il ?
— Enormément, mais me plaira davantage quand je connaîtrai plus de monde. J'ai ma mère et ma sœur avec moi, pas pour longtemps. Je sors fort peu, si ce n'est pour aller dans les magasins. Ce qui me gêne, c'est que je ne parle pas correctement le français.
 — Avez-vous débuté de bonne heure?
— Oui, je me suis lancée toute jeune... pour avoir de belles robes ! On prétend que je suis fière. Ma sœur me dit quelquefois en riant : « Tu es fière parce que tu connais des princes et que je ne connais que des barons ! C'est vrai, je connais des princes.
— Vous vous êtes montrée dans toutes les grandes villes de l'Europe?
— Saint-Pétersbourg excepté. Il paraît que, là-bas, mes poses, les. comment vous dites ?
—... exciteraient...
— C'est ça, les exciteraient trop et c'est défendu,
—Restez-vous longtemps parmi nous ?
—. Un mois encore ; mon désir est de ne pas quitter Paris. Je voudrais abandonner les poses plastiques et chanter dans un concert. J'étudie donc beaucoup votre langue et j'espère réussir. »
Nous croyons savoir, en effet, que miss Sidney a été trouver Rosés, le compositeur préféré des artistes de la Scala, Rosés qui en un mois transforme une demi-mondaine en une chanteuse di primo cartello.
C'est donc au boulevard de Strasbourg que nous pourrons applaudir la jolie Autrichienne... et il y en aura pour tous les goûts, car ses costumes seront, paraît-il, d'un léger !...
Ajoutons que Miss Sidney est une écuyère consommée, qu'elle conduit admirablement, et qu'elle danse tout comme si elle avait pris des leçons de Mlle Théodore ou de Mme Mariquita.
LUCIEN PUECH.


Gil Bas, Paris, 25 mas 1898, p. 1.

Après être revenue d'une tournée européenne au cours de laquelle elle a rencontré de nombreux problèmes dans des théâtres de pays comme la Suède, la Norvège, la Russie, la Hongrie…, où ses numéros de trapèze étaient considérés comme impudiques, Miss Sidney se consacre entièrement à sa carrière de danseuse :

Elle s'est alors adonnée à la danse, ne rêve que pointes, entrechats et jetés-battus, et nous l'applaudirons prochainement dans un numéro inédit et remarquable de danses à transformations, au cours duquel sa joliesse se parera successivement de dix costumes différents.


Gil Blas, Paris, 25 février 1900, p. 1.

sidney titi Gil Blas 25 février 1900
Gil Blas, Paris, 25 février 1900, p. 1.

En mai de cette même année, après avoir présenté au Parisiana le spectacle annoncé de danses à transformations sous le nom de Sidney Joujoux, l'artiste raconte avec plus de détails les problèmes de censure qu'elle a rencontrés lors de sa tournée, notamment lors de sa visite en Russie. Là-bas, sa performance au trapèze est jugée inappropriée en raison de sa tenue suggestive et légère, mais il lui est cependant permis de chanter et de danser dans cette même tenue :

Et cette délicieuse blonde, fraîche, gracieuse, spirituelle, qui a débuté par des tableaux vivants, a fait du chant et du trapèze, réalisera ainsi le vœu du gouverneur de Moscou qui, la recevant un jour où elle devait débuter, lui demanda : « Que faites-vous ? — Du trapèze. — En quel costume? — Mais celui de gymnaste que vous montre, cette photographie: — Oh ! trop léger pour que je puisse autoriser cet exercice. Que faites-vous encore ? Je chante. — Eh bien, dansez maintenant. — Avec plaisir !... » Et le soir même Tity Sidney dansait... avec son costume de gymnaste. La police n'y vit que du feu : la morale était sauve. Gloire et profit soient à la malicieuse Tity Sidney.


Le Figaro, Paris, 17 mai 1900, p. 5.

Le cinématographe et la photographie (1900-1902)

Au printemps 1900, la salle de spectacle, le Parisiana (Paris), dont les directeurs sont les frères Isola, prépare donc un nouveau spectacle avec pour vedette Miss Sidney. Il s'agit de reprendre une idée déjà exploitée sur scène à de multiples reprises. Dans le catalogue Gaumont de juillet 1901, on trouve une série de dix vues animées intitulée "Sydney's Joujoux" : Le BébéL'ArlequineLe MatelotLe LapinLa PaysanneL'ÉcossaiseLa Poupée noireLe PolichinelleLa Reine des jouets et Dans les coulisses. Il s'agit du tournage d'un spectacle inauguré, le 13 mai, au Parisiana (Paris), salle dont les directeurs sont les frères Isola :

 A Parisiana.-le nouveau numéro des frères Isola obtient tous les soirs un gros succès. Miss Sydney danse les douze personnages d'un ballet au milieu de 60 jouets animés et revêtus de délicieux costumes. Le décor de Menessier est fort gracieux.


La Justice, Paris, 17 mai 1900, p. 3.

Au cours de l'été, le spectacle est également présenté en Normandie :

De Dieppe:
"La ravissante Miss Sidney vient de terminer sa série de représentation à succès: Sydney's joujoux. La jeune artiste va continuer sa très intéressante tournée par le Tréport."


Le Figaro, Paris, mardi 21 août 1900, p. 5.

Le divertissement est repris, à Paris, jusqu'à la mi-septembre, preuve de son incontestable succès. Elle présente ensuite son spectacle à Bruxelles :

Palais d'Été.-Changement complet de spectacle ce soir, vendredi, au Palais d'Été. Débuts des trois sœurs Lars, Larsen, acrobates; du comique Laurvald, de l'équilibriste Alfred Arnesest, de Titi Sidney dans Sidney joujoux, de la chanteuse hongroise Irma Takacsy, de la piquante gommeuse Blanche de Mendès et des trois Babys. Dernière semaine de la dompteuse Marguerite.


Journal de Bruxelles, Bruxelles, vendredi 12 octobre 1900, p. 3.

La presse bruxelloise consacre plusieurs articles à la vedette :

AU PALAIS D'ÉTÉ
Bruxelles possède déjà une des étoiles de l'exposition de Paris : Miss Tisi [sic] Sidney, en ce moment en représentation au Palais d'Été, où elle a conquis aussi complètement notre public qu'elle a conquis celui de la rue de Paris.
Danseuse élégante et jolie, elle a trouvé une expression nouvelle de son art en animant sur la scène décorée de jouets, les poupées blondes de Jumeaux, l'espiègle Arlequin, le gigottant matelot, le tambourinant lapin blanc et jusqu'à ce grand Monsieur Polichinelle lui-même, dont l'évocation réveille chez les spectateurs tant d'enthousiasmes d'autrefois, endormis dans le souvenir.
Miss Titi Sidney ne nous eût-elle procuré que cette joie que déjà nous lui en serions reconnaissants; elle a fait mieux, grâce à son talent, à la beauté de ses costumes et à tout l'esprit qu'elle peut mettre dans un chassé-battu ou dans ses pointes sapantes.


Le Peuple, Bruxelles, jeudi 18 octobre 1900, p. 3.

Un nouvel article permet de compléter la connaissance que nous avons du spectacle :

Vous rappelez-vous la Fêe des poupées, le célèbre ballet viennois que l'on vit il y a quelques mois au Concert-Noble ? Elle est à Bruxelles en ce moment, au Palais-d'Été, la fée des poupées !
Dans un décor de joujoux éclatant de tons comme un Chéret, tandis que les jouets s'animent, que PIerrot allonge curieusement le col, que les chevaux de bois basculent, que le moulin tourne, que la mère l'Oie dodeline de la tête, apparaît en scène, gracieuse et jolie, jolie comme peut l'être une Anglaise quand elle s'en mêle, miss Titi Sidney, vêtue en poupée et dansant avec des gestes saccadés comme un bébé descendu de son rayon.
La voici qui s'éloigne... pour revenir quelques secondes après transformée en Arlequin. Un fugue nouvelle amène une nouvelle transformation en un matelot sautillant, auquel succèdent un lapin blanc, une paysanne coquette et enfin le grand Polichinelle !
Chaque pas a son caractère original, spirituel et charmant; les costumes sont d'un goût parfait; - et le succès, très mérité, est énorme.


L'Indépendant Belge, Bruxelles, vendredi 19 octobre 1900, p. 2.

Les dates de cette tournée belge permettent de déduire que le tournage des dix vues animées par la maison Gaumont a eu lieu avant cette date, lors du séjour de Miss Sidney à Paris. À Reims, en août, le pionnier Étienne Sababier, présente le film Miss Sidney (de Parisiana) dans ses danses à transformations qui correspond au spectacle Sydney's Joujoux.

Son nom va revenir sur le devant de la scène en 1901 pour une affaire liée au droit à l'image et à son utilisation : 

Un petit procès photographique.
Un photographe a--t-il le droit de dénaturer les "poses" d'une artiste, et de livrer au public, sans autorisation, les photographies de cette artiste ?
Telle est la question intéressante dont vient de saisir la première chambre, par l'organe autorisé de Me Le Barazer, la très jolie Mademoiselle Sydney, la charmante créatrice des "Sydney's Joujoux".
Miss Sydney se propose de faire passer sous les yeux de Messieurs les juges la cinématographie de ses poses et de ses créations pour bien établir que les épreuves mises en vente sans son autorisation sont absolument fantaisistes.
Cette administration de preuves par cinématographe est, croyons-nous, sans précédent jusqu'à ce jour.


L'Écho de Paris, Paris, lundi 9 décembre 1901, p. 1.

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Editeur I. H. Phot. Reutlinger. Nos étoilesMiss Sidney.

Dans un autre journal de la même période, le journaliste avec quelques détails rapporte une anecdote liée au procès à venir :

Les infortunes d'un huissier.
La blonde et délicieuse miss Sydney, la jolie Sydney Joujou, peut se vanter de faire, sans le vouloir, des mistoufles à un austère huissier, qui se double d'un grave père de famille.
Il y a quelque temps, la chronique judiciaire nous informait que miss Sydney intentait une action judiciaire à un photographe, à qui elle reproche de l'avoir reproduite en des poses antiartistiques et ainsi exposée à la vente.
Le tribunal écouta d'une oreille favorable les plaintes de miss Sydney — qui n'écouterait pas d'une oreille favorable le joli babil de la ravissante artiste? - et ordonna une saisie chez tous les marchands de photographies, des portraits délictueux : l'huissier commis à cette opération judiciaire fut Me X., un grave huissier, marié et père de plusieurs enfants, comme je vous le disais plus haut. 
Or, vous voyez d'ici les opérations auxquelles se livre Me X...
Il se présente dans les bureaux de tabac, où on trouve actuellement plus de cartes postales grivoises que de cigarettes fumables, il demande :
- Avez-vous des photographies de nu?
- Comment donc, monsieur? fait la marchande avec un sourire en coulisse; et elle lui donne l'album.
L'huissier feuillette attentivement, et, pendant ce temps-là, les clients, dans la boutique, l'observent en riant.
- En voilà un libertin!
— Il s'allume ! le vieux marcheur !
Et la marchande, qui ne le voit pas acheter, murmure, mécontente.
— En v'là un vicieux qui vient s'exciter à l'œil chez moi !
Et cela dure jusqu'au moment où M. X... ayant découvert ce qu'il cherche, se relève soudainement et prononce la phrase sacramentelle :
- Madame! au nom de la loi, je saisis ces photographies.
Ce n'est pas tout : sa cueillette faite, M. X... rentre chez lui, la poche bondée de femmes nues, et il reçoit des abatages de son épouse irritée et scandalisée.
-Tu n'es pas honteux de te promener ainsi avec des femmes nues dans ta poche !
Plaignez ! plaignez le pauvre huissier ! et souhaitez que bientôt arrive devant la chambre correctionnelle le croustillant procès qui va mettre fin aux tourments de M. X... et nous révéler, ce qui ne s'est jamais encore vu au Palais, le troublant défilé cinématographique des poses plastiques de la jolie miss Sydney.


Gil Blas, Paris, lundi 23 décembre 1901, p. 1.

Il faut attendre quelques mois pour que le procès ait lieu et qu'une jurisprudence se mettent en place sur la question de la "reproduction photographique" : 

La reproduction photographique
Les règles qui concernent le droit de reproduction relativement aux photographies d'artistes méritent d'être notées, car on ne peut plus maintenant faire un pas sur les boulevards et dans les rues sans admirer les silhouettes et minois de nos plus jolies actrices. Ce genre de publicité illustrée en préoccupe certaines au point de vue artistique et c'est ainsi que Mlle Sidney, de son vrai nom Marie Linnartz, bien connue par sa science à manier le trapèze en déshabillé et par son art de transformations à la Frégoli, se plaignait qu'une Société de photographie ait édité et mis en vente, sous forme de cartes postales, des photographies la représentant dans des poses plastiques.
Elle n'a jamais autorisé cette exhibition et c'est par le plus profond des hasards qu'elle vit un jour dans les kiosques du boulevard son portrait ainsi présenté.
Aussi Mlle Sidney, considérant que les circonstances dans lesquelles elle avait été photographiée lui causaient un préjudice considérable, et qu'elle était en droit de faire procéder à la saisie de toutes les cartes postales en question, demandait hier aux magistrats de la première chambre du Tribunal d'ordonner. la confiscation des clichés et pierres servant à la reproduction desdites photographies et de lui allouer une somme de 10.000 francs à titre de dommages-intérêts.
La- Société de photographie, partie au procès, répondait qu'elle était en droit de reproduire et d'éditer les photographies litigieuses et elle apportait, entre autres arguments, celui-ci : c'est que depuis plusieurs années, Mlle Sidney ayant parcouru la France et diverses autres, contrées de l'Europe et contracté avec différents directeurs de cafés-concerts ou music-halls des engagements au cours desquels elle devait chaque soir paraître devant le public, soit dans des poses plastiques, soit dans des « tableaux vivants fin de siècle », soit en se déshabillant sur un trapèze ou autres exercices du même genre, elle s'était fait photographier au cours de ses pérégrinations sous différentes poses plastiques, notamment chez un photographe de Berlin.
Or, en Allemagne, les œuvres photographiques ne sont pas traitées comme des œuvres d'art et sont régies par une loi spéciale du 10 janvier 1876 : ce qui fait que les photographies éditées dans ce pays, mais déposées et vendues en France, rie sont pas protégées et tombent dans le domaine public.
Le Tribunal, après avoir entendu les plaidoiries de Me Daniel Le Barazer pour miss Sidney et de MDaniel Cogniet, pour l'indiscrète Société de photographie, n'a pas admis ces raisons. Il a ordonné la destruction des clichés des photographies et a accordé avec tous les dépens du procès un billet de 100 fr. à la « Bartet du- trapèze volant », ainsi que l'a dénommée à la barre son spirituel avocat.
A propos du droit des photographies, le jugement dit ceci :
« Attendu qu'il est de principe que l'image d'une personne ou son portrait obtenu d'une manière quiconque ne peut être classé parmi les choses qui sont dans le commerce, et qu'il ne saurait être permis d'en trafiquer sans l'autorisation préalable, expresse ou au moins tacite de l'intéressé, et à la condition formelle de ne pas sortir des strictes limites dans lesquelles son consentement a été accordé ;
» Que si les artistes photographes demeurent détenteurs de leurs clichés, suivant les habitudes de leur profession, ils ne sauraient cependant être autorisés à en faire usage pour reproduire en nombre plus ou moins considérable, au profit des tiers, les portraits qu'ils ont été chargés d'exécuter ou qu'ils ont pu reconstituer, à moins toutefois, ainsi que le commandent les exigences de l'actualité ou de l'information moderne, qu'il ne s'agisse de l'image de personnes qui, par leurs fonctions ou leurs professions, l'éclat de leurs exercices, leur notoriété présente ou passée au, point de vue de l'histoire, de l'intérêt ou de la curiosité publiques, sont entrées dans le domaine de la publicité ou de la critique et appartiennent à l'art, sous réserves néanmoins de leurs droits au cas où cette publicité s'accompagnerait de circonstances qui seraient de nature à porter atteinte à leurs intérêts matériels ou à leur considération. »
Dans l'espèce, ajoute le Tribunal, Mlle Sidney s'est avec juste raison émue des photographies qui pouvaient nuire à sa réputation et causer un préjudice à son art, mais il y a lieu cependant de tenir compte dans la plus large mesure de ce fait qu'aussitôt avertie, la maison de photographie a retiré de chez tous ses dépositaires les cartes postales qui représentaient-l’artiste.


Le Journal, Paris, samedi 7 juin 1902, p. 2.

Il semble bien que ce soit son séjour à Berlin qui ait donné lieu à ces manipulations photographiques dans lesquelles semblent bien impliqué H. O. Foersterling.

sidney titi carte postale
Druck u. Verlag v. Fr. Schöler, Wien-Döbling. Miss Titi Sidney. (c. 1903).
© Le Grimh

Et après (1903-1934)

Après l'affaire du procès, le nom de "Miss Sidney" réapparaît encore à l'occasion de certaines déclarations où elle confirme son intérêt croissant pour la danse après avoir abandonné le trapèze. En 1903, elle signe elle-même un résumé amusant mais succinct de sa vie et de ses performances théâtrales :

“Nos artistes crayonnés par eux-mêmes. De "miss SIDNEY, l'exquise mime des Folies-Bergère, de l'Olympia, de la Scàla, de Parisiana, des Capucines, etc., etc. :
Cher ami,
Ça ma vie, pas toute !
Née en Allemagne, pris nom anglais, sans raison, ç'en est une bonne ! Débuts : tableaux vivants, Folies-Bergère, Allemagne, Russie... partout grand succès « mais pas comme il faut !!! » Chanté Scala, Russie, ça « comme il faut », mais four ! Essayé de faire du trapèze, demi-succès, un peu trop fatigant, lâche trapèze. Sidney Joujoux, numéro danses transformations à Pairisiana, Exposition rue de Paris, villes d'eaux ; Fregoli embêté quitte France, comme le trouve amusant, veux qu'il revienne, je cesse lui faire concurrence, ça gentil ! Pantomime aux- Capucines, la Tentation de sainte Antoinette, gros, gros succès; pas étonnant, pantomime ravissante. Pour passer temps « CakeWalk », ça joli, distingué et comme il faut. 1er prix concours Nouveau-Cirque. Flatteur, hein ?? et puis avantage pour personne étrangère permettre parler « petit nègre ». En profite.
Bonjour.
T. SIDNEY”


Le Figaro, Paris, 4 août 1903, p. 5.

Elle fait encore parler d'elle l'année suivante alors qu'elle participe à un spectacle du Nouveau-Cirque :

Au Nouveau Cirque.
Samedi dernier, en une représentation de gala, a eu lieu un concours de Cake-Walk, Boston-ball et Transatlantic, auquel ont pris part bon nombre de danseurs de diverses nationalités. Le Grand Prix a été décerné à Miss Titi Sidney, de l'Olympia et du Nouveau Cirque, et à son excentrique cavalier, Little-Tich, de l'Alhambra.


Le Nouveau Journal, Paris, samedi 23 avril 1904, p. 1.

Par la suite, la presse ne fait plus mention de Titi Sidney, puis en 1908, elle épouse le banquier Georg, Julius Tietzer. Elle décède à Berlin en 1934.

Sources

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