Le lendemain déjà, je pus tourner le film que j'avais tant convoité. Une nuée de cavaliers avait été mobilisés dans les environs par le caïd. Montés sur leurs petits chevaux fringants, ces Arabes se mirent à galoper autour des appareils de prise de vues, dont sans doute ils ignoraient la destination. Bientôt les « harkas » se mirent à décrire des virevoltes vertigineuses. On les voyait s'enchevêtrer, se croiser, se dénouer avec une aisance merveilleuse. Ils jetaient leur fusil sur le sol, puis repassant au même endroit, et se cramponnant d'une seule main à la selle, ils arrivaient à toute vitesse le ramasser. Ou bien ils jetaient des cris terribles et tiraient des coups de feu pour énerver leurs chevaux. Ou encore, forçant l'allure, ils bondissaient d'une bête à l'autre. Confondus en un immense tourbillon, ils soulevaient tant de poussière et de sable que l'on aurait pu croire à une chevauchée de légende, apparue sur un nuage lumineux. Ce soleil d'Afrique, ce ciel passionné, cette plaine blonde, ces cavaliers de neige et ces chevaux d'ardoise se confondaient en une féerie étincelante, invraisemblable de couleur et de mouvement. Mais à peine fut-elle enregistrée que tout disparut, comme si les « harkas » avaient été spontanément happées par les dunes.
J'en conservais un film d'une netteté extraordinaire, jamais encore atteinte en Europe. Nous l'avions pris au deux centième de seconde et avec diaphragme réduit. Je pouvais désormais affronter les critiques les plus sévères, car je rapportais un spectacle unique et de toute beauté.
GRIMOIN-SANSON Raoul, Le Film de ma vie, Paris, Les Éditions Henry-Parville, 1926, p. 110-111.
