La Course de taureaux de Barcelone

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La Course de taureaux de Barcelone

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1 Raoul Grimoin  
2 Raoul Grimoin  
 

J'arrivai tout heureux à Barcelone, où I’on se souvient que j'avais installé, trois ans auparavant, un appareil de phototachygraphe, à la Rambla Sancta Monica, non loin du Passéo de Colomb. Je retrouvai des amis, entre autres un pharmacien qui m'avait fourni pour plus de cent francs de médicaments, et qui avait refusé de se faire payer sous prétexte que j'étais Français. Un photographe, Napoléon Fernandez, mit lui aussi son laboratoire à ma disposition, et me procura de nombreuses fournitures, ne réclamant, en échange, que l'estime de l'«inventeur».

1899 02Arènes de Barcelone-Les appareils enregistrant les courses de taureaux.

Il en alla toutefois quelque peu différemment lors qu'il s'agit de traiter avec le directeur des courses pour' installer ma tour et mes appareils au beau milieu des travées de l'amphithéâtre. J'occupais ainsi une cinquantaine de places et il fut impossible de se mettre d'accord sur un prix. Par bonheur, un toréro me donna le conseil de tourner la difficulté en offrant un petit cadeau... des louis d'or, par exemple, «dont M. le directeur pourrait faire une parure de plastron». J'offris donc cinq louis français tout neufs et l'affaire fut réglée. Tout se passa normalement pendant les premières courses. Mais lorsque le taureau réservé pour la fin entra dans l’arène, il parut comme pétrifié par le ronronnement de mes appareils. Il arriva le plus près possible de mon échafaudage et demeura là à me contempler avec cet air de malice traditionnelle de la vache qui regarde passer une locomotive. Le public se mit à manifester bruyamment contre moi, d’autant plus que le fauve ne paraissait très ému ni des coups de pique, ni des banderilles qui lui labouraient le garrot. On me somma de m'interrompre et la course reprit sans entrain. Mais lorsque retentit la lugubre sonnerie du supplice et que le matador alla se placer en face du taureau épuisé, les dix appareils déclenchés à la fois répandirent leur vrombissement de moteur. La pauvre bête releva subitement la tête et me regarda, immobile autant qu'une statue de bronze. Un tollé formidable éclata et les invectives et les menaces m'accablèrent, accompagnées d'injures. Je n'en persévérai pas moins à tourner cette scène, l'une des plus saisissantes que je pouvais rapporter. Alors la foule des gradins supérieurs, dans sa rage, mit le feu aux travées en allumant un énorme tas de journaux. Une sorte de panique s'ensuivit, et la police fit évacuer tout le théâtre. Le taureau, lui, sauvé par le cinéorama, repassa dare-dare sous la poterne des étables. Je tenais un fort beau film, et pour finir par une mise à mort, j’intervertis plus tard la troisième et la sixième course. L’incident ne comporta pas de suite et je rentrai par Biarritz, où je pris des vues magnifiques de la mer se brisant sur les rochers.


GRIMOIN-SANSON Raoul, Le Film de ma vie, Paris, Les Éditions Henry-Parville, 1926, p. 98-101.

3 10-11/1899 70 mm
4 Espagne. Barcelone. El Torín de la Barceloneta.  

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