MONTREAL

Jean-Claude SEGUIN

Montréal est une ville de la province de Québec (Canada). 

1896

Le cinématographe Lumière de Louis Minier et Louis Pupier (78 rue Saint-Laurent, 27 juin->10 juillet 1896)

Dès la mi-juin, la presse commence à évoquer l'arrivée du cinématographe Lumière : 

UNE MERVEILLE
M. Lumière, de Lyon (France) le célèbre inventeur du cinématographe, a envoyé à Montréal deux délégués, chargés de la mission d'y faire l'installation de ce merveilleux instrument. Ils ont choisi l’édifice de l’Eden Musée, rue St Laurent. M. le maire Smith et la presse ont été invités à voir l’installation lorsqu’elle sera terminée. Cet instrument est le perfectionnement du kynetoscope d’Edison, pour la reproduction du mouvement par la photographie. Joint au phonographe, il est destiné à reproduire d’une manière vivante n’importe quelle scène. C’est ainsi, qu'entre les quatre murs d’une chambre de Montréal, on pourra assister à une revue du champ de Mars à Paris, entendre le clairon, voir défiler les troupes assister à une escarmouche entre espagnols et Cubains entendre le crépitement de la fusillade, voir tomber les morts, etc. Comme on le voit, le spectacle ne manquera pas d’imprévu.


Le Courrier de St-Hyacinthe, 18 juin 1896, p. 2

 Peu après, les journaux donnent une description plus détaillée de l'appareil de la maison Lumière :

LE CINEMATOGRAPHE Le cinématographe de MM. Lumière est un ingénieux appareil qui permet non seulement d’enregistrer par la photographie, avec une admirable précision, tontes les scènes animées les pins variées sans omettre aucun des mouvements qu’elles comportent, mais aussi de les reproduire fidèlement, de grandeur naturelle, en les projetant sur un écran et les rendant ainsi visibles pour tonte une assemblée de spectateurs.
Il devient possible, grâce à cette remarquable invention, de développer les scènes de la vie réelle dans ses moindres détails : la vie est surprise là où s’est dirigé l’objectif et tout ce qui s’est passé se produit fidèlement comme, dans le phonographe d’Edison, la parole entendue autrefois se répète avec les moindres inflexions de voix.
Pour se faire une idée du principe sur lequel reposé cet appareil, il faut se reporter aux jouets bien connus désignés sous le nom de zootropes, praxinoscopes, dans lesquels des dessins, représentant assez grossièrement les diverses phases d’un mouvement, sont tracés à Intervalles très rapprochés sur une étroite bande de papier.
Cette bande est placée dans une boîte circulaire tournant rapidement devant une fente éclairée par une bougie en regard de laquelle on place l’œil, et la succession des images donne une illusion rapprochée du mouvement simple que représente le dessin, par exemple un saut, une danse, etc. C’est la persistance des impressions lumineuses sur la rétine qui donne, dans ces appareils, l’illusion au mouvement.
Grâce aux progrès réalisés par la photographie, on a pu arriver à substituer à ces dessins grossiers des photographies d’une fidélité scrupuleuse qui, disposées dans des appareils d’une grande perfection, donnent l’illusion parfaite de la vie.
C’est ce que réalise le cinématographe de MM. A. et L. Lumière. C’est un appareil complet permettant non seulement de prendre les vues, mais de les projeter ; les résultats qu’il donne sont vraiment merveilleux.
Les scènes animées sont photographiées sur une bande pelliculaire se dé­ roulant verticalement dans une boîte hermétiquement close, munie d’un objectif qui est successivement démasqué et obturé, à intervalles égaux, pendant que la bande pose ou, continue à se dé­ rouler. Grâce à un mécanisme d’une rigoureuse précision, la bande pelliculaire sur laquelle se photographient les images se déroule par mouvements successifs séparés par des arrêts. C’est le procédé créé par M. Marey pour ses belles études des mouvements des êtres animés.
Cette bande passe donc d’une vitesse maxima à une immobilité absolue et se trouve éclairée pendant tout le temps que l’épreuve est au repos, c’est-à-dire les deux tiers du temps total.
Le nombre des épreuves étant de 16 par seconde, une scène d’une minute comprend donc 900 photographies et tient une bande de 16 m. de long sur 3 cm. de largeur.


Le Prix courant, Montréal, 19 juin 1896, p. 29.

Le samedi 27 juin, une séance privée est organisée pour quelques invités :

LE CINÉMATOGRAPHE
On fera, ce soir, au Nº 78 rue St Laurent, une expérience privée du cinématographe, installé ici par les représentants de M. Lumière, de Lyon. Le maire, les directeurs de nos principales institutions, quelques-uns de nos citoyens les plus en vue ont été invités pour la circonstance, ainsi que les représentants de la presse.


La Presse, Montréal, samedi 27 juin 1896, p. 16.

Deux jours plus, le journaliste de La Presse consacre un article élogieux au Cinématographe de Minier et Pupier, malgré quelques rares réserves :

LE CINEMATOGRAPHE
Une des merveilles de notre siècle.
LA PHOTOGRAPHIE ANIMÉE
Intéressante expérience samedi soir.
Dire que samedi soir a eu lieu, au No 78 de la rue St-Laurent, devant un petit nombre de privilégiés, l'inauguration du cinématographe de M. Lumière de Lyon, c’est annoncer en termes bien peu enthousiastes, une grande chose, un événement des plus intéressants. On est arrivé à rendre la photographie animée. Cette merveilleuse découverte, fruit de savantes expériences, de patientes recherches, est une des plus étonnantes de notre siècle, pourtant si fécond en surprises, en victoires sur les mystères de l’électricité.

Nous avons eu d’abord le télégraphe, puis le téléphone, puis le kynétoscope d’Edison, et, maintenant, nous sommes arrivés au cinématographe. Où s’arrêtera-t-on ?
Jusqu’ici, la photographie ne reproduisait les êtres que dans l’immobilité ; aujourd'hui, elle les saisit en quelque sorte au passage, dans leurs mouvements si rapides, si variés qu’ils soient, et en donne l’image vivante, animée.
L'instrument fonctionne avec une rapidité telle que, dans l’espace d’un quinzième de seconde, il peut reproduire 960 mouvements difficiles. C’est ainsi que, dans la salle citée plus haut, l’on a rendu, comme dans une espèce de fantasmagorie étrange, des scènes prises en divers endroits de la France.
Ce fut d’abord l’arrivée d’un train à la gare de Lyon-Perrache. On voyait les voyageurs attendant sur la plateforme. Bientôt apparaît le convoi dans le lointain ; il approche en grossissant ; il vient avec rapidité ; on voit sortir la vapeur et la fumée de la locomotive. Il arrive, s’arrête ; les portières s’ouvrent et l’on assiste à la scène qui se passe pendant le temps d’arrêt ; des voyageurs descendent, d’autres montent : on se presse, on se bouscule : vous distinguez chacun des personnages. Rien de plus vivant : vous êtes vraiment à la gare. Le train part et tout disparaît.
Les invités ont ensuite assisté à une charge de cuirassiers. Au premier plan le général donne des ordres à un officier ; son cheval se cabre, piaffe, s’agite : A l’horizon, un point noir ; c’est le régiment. Il se met en mouvement sur un signal : il avance au grand galop des montures : bientôt, chaque cavalier devient distinct : les drapeaux flottent au vent, les armures étincellent ; cette masse se balance sur la plaine soulève des nuages de poussières. Elle approche, elle approche ; vous voyez chaque homme dans toute sa grandeur; ils sont un millier : ils arrivent à toute vitesse jusque sur le devant de la scène ; vous allez être écrasés ; mais non, tout disparaît à ce moment critique et vous restez là, bouche bée.
Et la mer ? Nous l’avons vue, non pas dans une image immobile, mais roulant ses flots : nous avons vu ses vagues déferlant mollement sur la plage ou se brisant sur les rochers; puis retombant en flots d’écume. Rien de plus frappant.
—Ça rafraîchit, s’est écrié un doux loustic.
Puis ce fut une autre charge de cavalerie : une partie d’écarté entre M. Lumière et des amis dans un jardin : la mimique de deux prêtres ; la démolition d’un mur, un exercice de voltige et autres scènes tout aussi vivantes.
Ces scènes sont reproduites sur un écran, comme on le fait pour les représentations avec la lanterne magique.
MM. Minier et Pupier, qui ont installé l’appareil, ici, n’entendaient pas arriver d’un seul coup à la perfection ; mais simplement faire une expérience toute scientifique ; les trépidations de l’instrument, par exemple, fatiguaient l'œil, nuisaient à la netteté de la perception et parfois, donnaient aux objets cette teinte vague de choses entrevues comme en un rêve : mais, malgré ces légères imperfections inhérentes à tout début et qui peuvent facilement se corriger, on peut dire que le résultat obtenu est vraiment étonnant. Pour rendre l’illusion complète, il ne manquait que les couleurs et le phonographe, reproduisant les sons. On y arrivera sous peu, croit-on.


La Presse, Montréal, lundi 29 juin 1896, p. 1.

Les séances sont encore annoncées en juillet:

Cinématographe ou photographie animée, 78 rue St Laurent. Séances tous les jours de 1 à 12 heures, fêtes et dimanches compris.


La Presse, Montréal, vendredi 10 juillet 1896, p. 1.

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