Les Frères RICHARD

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Jules
(Lyon, 1848-Saint-Mandé, 1930)
Félix Maxime "Max"
(Paris, 1856-Paris, 1949)
Georges
(Paris, 1863-Rouen, 1922)

Jean-Claude SEGUIN

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Félix Richard (Lyon, 01/02/1809-Paris 19e, 14/07/1876)

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Les origines (1809-1891)

Félix Richard, qui exerce déjà la profession d'opticien au moment de son mariage 1843), est un ingénieur constructeur, créateur du baromètre métallique, en collaboration avec E. Bourdon, la machine pneumatique à plusieurs cylindres avec Babinet. Il fonde également l'école municipale Diderot.

Son fils aîné, Antoine, Albert, connu comme "Froment-Richard" est un artiste-peintre céramiste, créateur de décors pour des services de table et des panneaux muraux à Creil, Montereau et Sarreguemines. Il a créé les services "Parisien" et "Enfants Richard" (1875).

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 Enfants Richards. Décor créé en 1875.

Son deuxième fils, Jules Richard, est apprenti, à 14 ans, dans l'atelier de son père et travaille comme mécanicien de précision. À 17 ans, il part dans différentes maisons, d'abord ouvrier, puis contremaître. De la classe 1869, il est exempté pour fracture de la clavicule droite mal réduite. Avec son frère Félix Maxime, qui a fait ses études au lycée Louis-le-Grand et à l'Ecole Turgot, ils reprennent la maison paternelle et fondent, la maison "Richard Frères", le 26 novembre 1876. ils vont se faire connaître grâce à leur baromètre enregistreur présenté à la Société de Météorologie de France. Par la suite, ils brevètent de nombreux appareils d'enregistrement, de contrôle, de mesure, de sécurité... Félix Maxime participe, avec Joseph Vallot, à la première expédition, faite au sommet du Mont Blanc, en 1887, pour prouver la possibilité d'y séjourner. Il collabore à l'installation des premiers postes créés par J. Vallot, entre Chamonix et le sommet. En 1888, Georges, le benjamin rejoint la société dont il est l'un des directeurs, après des études  à l'école Diderot et cinq ans de service militaire.

Alors que l'on est en train de construire la Tour Eiffel, en 1888, pour l'Exposition Universelle de 1889, ils obtiennent, de Gustave Eiffel la modification du sommet de la Tour afin d'y établir, à 300 mètres du sol, une station météorologique complète. Cette installation ainsi qu'une  exposition brillante dans la casse 15 leur valent un grand prix. Cette distinction qui aurait dû unir davantage les deux frères, va de fait les séparer. À l'origine de ces dissentions, une demande non aboutie pour obtenir la Légion d'Honneur et les soupçons de Félix Maxime Richard :

Ce fut l'origine des dissentiments qui naquirent entre Jules Richard et F. M. Richard, celui-là [Félix Maxime] ne reçut point la Croix de la Légion d'Honneur sur laquelle il comptait et imagina que ses frères avaient fait des démarches pour l'empêcher d'être décoré. Il en conçut une haine mortelle, si on peut dire, contre ses deux frères.


Félix Maxime Richard, Dossier Légion d'Honneur. Base Leonore.

En mars 1891, Jules Richard, seul, dépose auprès du Greffe du Tribunal de Commerce de la Seine la marque "Vérascope".

1891 03 10 richard verascope
Jules Richard
"Vérascope"
INPI. Photographie et Lithographie 1860-1895

La situation devient tellement critique que Félix Maxime et Georges Richard quittent la société, le 29 novembre 1891, et la laissent entre les mains de Jules Richard qui devient unique propriétaire et successeur de la "Richard Frères". Parmi les employés de Jules Richard, se trouve Victor Continsouza. Félix Maxime cède alors tous ses droits pour 300.000 francs, en renonçant à reprendre un commerce photographique. 

Le Comptoir Général de Photographie (1892-1896)

Pourtant, dès le début de l'année 1892, Félix, Maxime Richard rachète le Comptoir Général de Photographie de Léon Picard (57, rue Saint-Roch), ce qui n'est pas fait pour calmer les tensions familiales. Alors que Jules Richard vient de créer le "vérascope" (Brevet nº 227.316 du 21 janvier 1893), dont le nom a été déposé en 1891, un appareil stéréoscopique qui connaît immédiatement un énorme succès, Félix Maxime Richard lance à son tour, sur le marché, un appareil similaire : la photo-jumelle de J. Carpentier-Ruhmkorff (marque déposée le 15 janvier 1894) et la marque "Metropole".

richard felix maxime 1892 L'Amateur photographe revue de [...] bpt6k12694578 727 richard felix max 1893 publicitePhoto gazette revue internationale illustrée [...] bpt6k1159766r 311
L'Amateur photographe (supplément), 8e année, nº 6, 15 mars 1892. Photo-gazette 1893.
1893 03 06 richard felix metropole 1893 06 06 richard felix panchromatique
Félix Richard
"Métropole"
INPI. Photographie et Lithographie 1860-1895
Félix Richard
"Panchromatique"
INPI. Photographie et Lithographie 1860-1895

Félix dépose également les marques Stedick, Spido et Niklod (6 janvier 1894).

Jules se lance alors dans un procès contre son frère pour non respect des accords passés en 1891. Félix Maxime est condamné le 5 octobre 1893. La situation familiale conduit Georges à monter sa propre entreprise, en 1892, la maison "Georges Richard" (129, rue du Ranelagh).

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Georges Richard
"American Developer"
INPI. Photographie et Lithographie 1860-1895

Félix Richard, pour sa part, dépose de multiples marques : "Bonette d'approche", "Photo-Lunette", "Photo-longue vue", "Photoret" et "Trokonet" (15 mai 1894). Finalement, toujours en 1894, Georges et Max jettent l'éponge et fondent la Société d'Automobiles, "Etablissements Georges Richard" et la marque "(marque: le Trèfle à quatre feuilles)" La même année, le frère aîné, Jules, est fait Chevalier de la Légion d'Honneur (2 avril 1894).

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Jules Richard, Secrétaire Général de la Grande Chancellerie de la légion d'honneur, Paris, 28 avril 1894.

Au début de l'année 1895, le Comptoir Général de Photographie propose un équipement photographique complet à destination des cyclistes qu'il baptise tout simplement "1895". Grâce à la correspondance commerciale conservée, nous savons que Félix Maxime Richard est en contact direct avec Georges Demenÿ: un courrier en date du 25 février 1895 et un autre du 3 avril 1895. Quelques semaines plus tard, le 28 mai 1895, la condamnation de Félix Maxime Richard est confirmée en appel.

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Comptoir Général de Photographie, La Revue mensuelle, août 1895.
Collection privée
Reproduit dans CORCY, 1998, 38-39. 

Félix Maxime signe une ultime lettre, en date du 7 août 1895, adressée à Georges Demenÿ, juste trois jours avant la constitution de la nouvelle société. L'acte de constitution de la société en nom collectif L. Gaumont et Cie est fait à Paris le 10 août 1895 et à Chamonix, le 12 août 1895, enregistré le 2 septembre 1895. La société a pour objet " l'exploitation d'un fonds de Commerce, la fabrication et vente d'appareils photographiques et de fournitures spéciales pour la photographie, connu sous le nom du 'Comptoir général de Photographie', avec siège à Paris, 57, rue Saint-Roch, au capital de 200.000 francs. La formation est prévue pour une durée de 10 années, 4 mois et 16 jours, commençant le 15 août pour finir le 31 décembre 1905.

Les relations entre les Richard et Léon Gaumont vont toutefois se poursuivre au-delà de la constitution de la société. C'est un premier courrier agressif envoyé le 18 septembre 1895 par Jules Richard qui ouvre le bal. La réponse que lui adresse Gaumont est sans équivoque :

[à Jules Richard, Paris]
19 septembre 1895
Monsieur Jules Richard,
à Paris.
Je reçois votre lettre du 18...
[...]

Vous m'adressez quelques coups de patte bien gratuitement en me traitant de ceci, de cela. Vous nous mettez sur un terrain bien glissant... Je préfère m'en retirer pour conserver pour moi les rieurs et cette estime du public qui est si préférable.
[...]
Vous avez tort, Cher Monsieur, de croire que le Comptoir est commandité par la personne que vous citez, quant à l'autre, que vous ne citez pas, si vous voulez parler de votre frère, je vous affirme qu'il n'a plus aucun intérêt, direct ou indirect, dans la maison, et qu'il est même intégralement payé de son fonds de commerce.
Quelles preuves voulez-vous ?
Si vous tenez vos renseignements d'une agence, croyez-moi, changez-en; elle n'es pas à la hauteur ou elle a intérêt à vous faire voir trouble.
[...]
L. Gaumont.


CORCY, 1998: 51.

De son côté, Félix-Max Richard ne semble pas avoir respecté ses obligations ce qui crée de nouvelle tensions :

[à Félix-Max Richard, Paris]
12 janvier 1896
Monsieur F. M. Richard, E. V
Cher Monsieur,
Lorsque vous m'avez offert, en juin dernier, de faire l'acquisition du Comptoir Général de Photographie, je vous ai fait remarquer combien le fond[s] de cet établissement avait peu de valeur et était loin de valoir cinquante mille francs si l'exploitation exclusive de la photo-jumelle ne lui était pas rnaintenue.
Quoique Mr J. Carpentier ne m'est [sic] donné personnellement aucun engagement précis, vous avez fait disparaître toute hésitation en m'affirmant que de votre côté Monsieur J. Carpentier vous avait promis formellement de continuer à votre successeur tous les avantages qu'il vous accordait, et ce, au moins au bout de 2 ou trois mois, soit, après la période d'organisation.
J'étais d'autant plus porté à vous croire que je n 'ai jamais mis votre parole en doute et que vous aviez renouvelé très formellement et à plusieurs reprises les mêmes promesses à mes commanditaires.
Or, depuis bientôt sept mois, non seulement l'exploitation de la photo-jumelle ne nous a pas été rendue, mais bien au contraire on m'a donné à entendre très catégoriquement rue Delarnbre qu'il était complètement inutile d'insister et d'y penser.
Cet état de choses se traduit naturellement par la baisse considérable du chiffre d'affaires et aussi par la perte de l'influence qu'avait le Comptoir sur le marché photographique, sans compter que cette situation empire tous les jours.
Au nom de mes commanditaires et au mien. je viens vous demander de quelle façon vous comptez nous dédommager du très grave préjudice que nous cause cette situation.
Nous faisons appel à votre loyauté.
Veuillez agréer, cher Monsieur, l'assurance de mes meilleurs sentiments.
L. Gaumont.


CORCY, 1998: 84-85.

Par la suite, les échanges épistolaires deviennent beaucoup plus occasionnels.

Et après... (1897-1949)

Au fil des années, les relations familiales ne vont guère s'améliorer. Jules Richard va continuer à la tête de son entreprise "Richard Frères" jusqu'en 1921, date à laquelle il crée la "Société Anonyme des Etablissements Richard." Les divers dossiers de la Légion d'Honneur - dont celui de Félix Maxime Richard - font état de manipulations qu'auraient effectuées Jules Richard pour faire en sorte que son frère Max n'obtiennent pas la Légion d'Honneur. Malgré tout, il finira par obtenir la rosette tant convoitée, en 1903. Par ailleurs, il va poursuivre sa collaboration avec Georges, son jeune frère, et occupe pendant plusieurs années la présidence de la Chambre Syndicale de l'Automobile et des Industries qui s'y rattachent. En 1906, une nouvelle société est constituée la Société de Construction d'Automobiles "Le Tréfle à 4 feuilles". En 1908, c'est au tour de Georges d'obtenir la Légion d'Honneur.

 richard georges Voiture Soc[iété] Trèfle à 4 [...]Agence Rol btv1b53208807p 1
Voiture Soc[iété] Trèfle à 4 feuilles 1897, mot[eur] 8 HP à l'arrière, courroie Max Richard [promenade des vieux tacots, 11 novembre 1906] : [photographie de presse] / [Agence Rol] Agence Rol. Agence photographique (commanditaire)
Source: Gallica

Antoine décède en 1921, Georges se tue dans un accident de voiture (1922), Jules disparaît en 1930 et Max, au terme d'une longue vie, s'éteint en 1949. 

Sources

CORCY Marie-Sophie, Jacques MALTHÊTE, Laurent MANNONI et Jean-Jacques MEUSY, Les Premières Années de la société L. Gaumont et Cie, Paris, Association française de recherche sur l'histoire du cinéma/Bibliothèque du Film, Gaumont, 1998, 496 p.

R.B., "Jules Richard", L'Instantané, Paris, nº 5, octobre 1930, p. 108-109.

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