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- Création : 24 mars 2015
- Mis à jour : 6 juillet 2025
- Publication : 24 mars 2015
- Affichages : 763
Romeo BOSETTI
(Chiari, 1879-Suresnes, 1948)
Jean-Claude SEGUIN
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Giovanni Bosetti (Chiari, [1844]-Nantes, 09/01/1899) épouse Filomena Baresi. Descendance :
- Julie, Marie, Clara Bosetti (Chiari, 18/08/1876-) épouse (Bordeaux, 30/04/1898) Jean Glenadel (Bordeaux, 20/02/1877-Caudéran, 02/12/1962).
- Romulus dit "Romeo", Joseph "Giuseppe" Bosetti (Chiari, 18/01/1879-Suresnes, 27/10/1948)
- et Alice Livet Hervat (Paris 11e, 07/08/1884-Kaiserslautern, 04/10/1926). Descendance :
- Alexis, Lucien Bosetti (Paris 10e, 23/04/1905-) épouse (Philippeville, 01/09/1939) Alice, Marguerite Bouillon.
- épouse (Paris 20e, 19/02/1910) Alice Hervat. Descendance :
- Juliette, Alice Bosetti (Nice, 09/03/1913-Villeneuve-Loubet, 03/04/1972) épouse (Montreuil, 31/08/1935) Henri, Maurice Maucuit.
- Jeanne, Henriette Bosetti (Kaiserslautern, 06/09/1926-Bobigny, 04/08/2013) épouse Pierre, Joseph Del Fiol
- épouse (Versailles, 08/10/1929) Juliette, Joséphine, Angélique Valet (Versailles, 18/01/1898-Paris 10e, 23/03/1964).
- et Alice Livet Hervat (Paris 11e, 07/08/1884-Kaiserslautern, 04/10/1926). Descendance :
- [frère]
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Les origines (1879-1905)
Giovanni Bosetti, père de Romeo, est un musicien de cirque, qui arrive en France alors que Romeo n'est encore qu'un enfant. À la foire de mai de Versailles, en 1889, il dirige un petit orchestre pour le cirque Lockbart :
FOIRE DE MAI
[...]
Orchestre italien de 20 musiciens dirigé par M. Bossetti [sic].
Journal de Versailles et de Seine-et-Oise, Versailles, dimanche 28 avril 1889, p. 3.
En 1891, il rejoint le cirque Plège où ses enfants, Romeo et Mariette, apprennent le métier d'artiste. Peu après, Romeo aurait intégré le cirque populaire de Constant Laugier et présenté ses oies dressées, puis il aurait rejoint, en 1895, la troupe des Florenz, acrobates au tapis. En 1899, la presse nantaise annonce le décès de Giovanni Bosetti :
Terminons par une triste nouvelle. L'administration du cirque Plège vient encore de perdre un de ses pensionnaires, M. Bosetti, qui était musicien au cirque depuis plus de huit ans.
Le Phare de la Loire, Nantes, mercredi 11 janvier 1899, p. 2.
Roméo Bosetti aurait rejoint, après ses années de formation, une troupe équestre, les Lécusson avec laquelle il aurait parcouru plusieurs pays :
Véritable enfant de la balle, il a parcouru, depuis l'âge de 11 ans, toutes les contrées. L'Europe, les deux Amériques, le Japon l'ont applaudi tour à tour, comme mime et surtout comme dresseur d'animaux: Les Oies savantes, de Bosetti sont, notamment restées célèbres dans le monde des Cirques.
Roi des "casseurs d'assiettes", étonnant de brio et de fantaisie, véritable providence des marchands de meubles, il ne casse par moins de 365 mobiliers par an, et 366 pendant les années bissextiles.
Bulletin hebdomadaire Pathé Frères, nº 46, 1911.
Ces données restent assez imprécises, surtout d'un point de vue chronologique. On sait qu'en revanche sa soeur Mariette continue à faire partie de la troupe du cirque Plège au cours des années suivantes. En 1901, elle est à Nantes :
PLACE BRETAGNE
Pour les Pauvres !
Nous avions annoncé qu'une représentation serait donnée au Cirque Plège, au bénéfice des pauvres de notre ville.
Cette représentation a eu un vif succès.
[...]
Au cours de la première partie de la soirée, trois des plus jolies pensionnaires de Mme Plège, Mlles Juliette Fabri, Mariette Bosetti et Elvira Baranco ont passé dans les rangs des spectateurs, quêtant au bénéfice des pauvres.
Le Nouvelliste de l'Ouest, Nantes, mercredi 16 janvier 1901, p. 3.
On la retrouve au cirque Plège à Nantes, en février 1903, puis à Reims en avril 1903.
Au début de l'année 1905, la troupe Lécusson retourne aux États-Unis chez Barnum & Bailey. La presse se fait l'écho de leur présence dès le mois de mars :
One of the greatest features of the Barnum & Bailey show this year is to be the LeCussons, a torupe of seven acrobats from the Nouveau Cirque, who do all sorts of amazing feats from the seat of a tallyho coach. The performers arrived on the St. Paul last week.
Kansas City Journal, Kansas City, dimanche 19 mars 1905, p. 19.
Leslie's Weekly, nº 2588, 13 avril 1905, p. 353.
"THE LECUSSONS"
The Scranton Truth, Scranton, samedi 20 mai 1905, p. 3.
La troupe parcourt les États-Unis et se rend dans l'Ohio, l'Illinois, le Minnesota (juillet), le Colorado, la Californie (août). Roméo Bosetti écrit de ce dernier état un courrier :
Encore deux mois et en route pour Paris. La Californie est très jolie, les fruits pas chers. Le raisin 4 kg pour 5 sous.
LACASSIN, 2023: 14-15.
Les Lecusson continuent leur route en Arizona, au Texas, au Mexique et leur tournée prend fin à Little Rock. De retour à Washington, Roméo Bosetti essaie de se faire engager à nouveau :
[14 août 1905]
Aujourd'hui on réengage pour la saison 1906. Je vais y aller demain pour moi.
RICHARD, 2001: 14.
Finalement, Romeo Bosetti embarque à New York, le 2 novembre à bord du Matendham et arrive à Paris avant la mi-novembre 1905. En son absence, son fils Alexis a vu le jour (avril 1905).
Le Cinématographe (1906-1914)
Chez Gaumont (1906-1910)
Lorsque Romeo Bosetti se présente chez Gaumont, vers le mois de février ou mars 1906, c'est toujours Alice Guy qui est responsable du secteur cinématographique et elle est secondée par Étienne Arnaud. Quant à Louis Feuillade, il est arrivé quelques jours avant Bosetti, à la mi-février. Dans le fonds familial, consulté par Jacques Richard, figure une photographie, tirée d'un magazine non identifié. Une légende manuscrit, ajoutée semble-t-il par Bosetti précise: "x Roméo. Scene Cinematographique. Un enlèvement. Gaumont. 1898."
"Les saltimbanques". s. d.
Fonds : Jeanne del Fiol.
source: RICHARD, 2001: 13.
Ces informations lacunaires, le titre possible et la date doivent être pris avec prudence et ne sauraient constituer des preuves d'une participation de Romeo Bosetti à la maison Gaumont dès 1898. Sans consolidation, il faut admettre pour l'heure que sa carrière au Comptoir ne commence qu'en 1906. Avant de devenir cinématographiste, Romeo Bosetti a d'abord fait ses armes sans doute comme artiste ou technicien. On a parfois évoqué une participation de Bosetti, comme acteur, dans le film Roméo pris au piège, ce qui est peu probable. En effet, ce film est annoncé dès le 15 octobre 1905, date à laquelle Bosetti n'est pas encore rentré de son voyage aux États-Unis, bien avant sa collaboration avec Gaumont qui date de février-mars 1906. Le prénom "Roméo" - dont Bosetti n'a pas l'exclusivité - dans le titre a sans doute était à l'origine de la confusion. En réalité l'acteur ne commencera sa série "Roméo" qu'après son arrivée chez Pathé.
Sa filmographie établie, comme cinématographiste, ne permet pas de situer, pour l'instant, ses tournages liminaires qu'en 1907. Parmi les premiers films dont on peut raisonnablement penser qu'ils sont de Romeo Bosetti, on trouve Course à la saucisse que Georges Bazot lui attribue et où figure également son célèbre chien Barnum. Le tournage est à situer avant la fin du mois de mars. Quelques mois plus tard, il va créer une caisse de secours pour les artistes de cinéma :
Un oeuvre de solidarité
C'est avec le plus vif plaisir que nous apprenons la création à Paris d'une caisse de secours pour les artistes de cinéma. Cette heureuse initiative marquée au coin de la solidarité professionnelle, est due à M. Bosetti, de la maison Gaumont. Le fonds de l'oeuvre est alimenté par les intéressés eux-mêmes à l'aide de prélèvements volontaires sur leurs salaires. Une représentation donnée au Palais du Travail a déjà rapporté les deniers utiles à son premier développement. Nos félicitations à M. Bosetti et à ses collaborateurs.
Ciné-Journal, 25 août 1908, p. 4.
Pourtant, dès juillet 1909, la dissolution est annoncée :
On nous prie de dire que M. Roméo Bosetti, fondateur de la Société des secours immédiats pour artistes, après dissolution de cette Société, a décidé de partager entre l'Association des artistes dramatiques et la Société des artistes lyriques le reliquat des fonds qui se trouvent en caisse. Ces fonds s'élèvent à la somme de 480 francs. M. Poggi les versera incessamment à la caisse de ces deux associations.
Le Figaro, Paris, jeudi 22 juillet 1909, p. 5.
S'il est probable qu'une partie significative du répertoire Gaumont lui doit beaucoup soit comme acteur, soit comme scénariste ou cinématographiste, sa filmographie reste encore à établir pour l'essentiel. Selon des témoignages croisés, il semble pourtant que les relations entre Léon Gaumont ou Louis Feuillade n'ait pas été toujours sereine. Selon les souvenirs d'Ernest Bourbon "Onésime", qui met en doute l'honnêté de Roméo Bosetti, ce dernier aurait subtilisé du matériel et des animaux dans les locaux de la société :
M. LANGLOIS.-Quand on parlait de L'Homme aimanté, on disait que c'était de Feuillade.
M. MAX BONNET.-Non, c'était de Romeo Bosetti.
M. LANGLOIS.-Est-ce que Feuillade aidait Romeo ?
M. ONESIME.-Romeo a toujours travaillé en collaboration, avec Feuillade, avec Arnaud, ou quelqu'un d'autre.
Romeo Bosetti, lui, il volait sur les autobus. Feuillade aussi. Comme pour les repas au restaurant. Il y avait deux voleurs, c'était Feuillade et Romeo. Romeo avait un tas de matériel chez Gaumont, des singes, des chiens. Un jour, sous un prétexte quelconque, Romeo a fait partir un char à banc chez lui... C'était plein de meubles de Levinsky. Feuillade a prévenu le père Gaumont, et Romeo ne s'est pas gêné pour dire : "En admettant que j'emporte une salle à manger, demandez à M. Feuillade combien de fois il compte un repas..." Gaumont a foutu Romeo dehors, et Feuillade en a pris pour son compte. Ce n'est pas pour ternir la mémoire de Feuillade.
D'ailleurs, il n'y en a pas un qui ne l'a pas fait.
Commission de Recherche Historique. 10 décembre 1949. Cinémathèque française.
Un courrier de Louis Feuillade destiné à Léon Gaumont, semble aller dans le même sens et fait de Roméo Bosetti, une personne assez difficile à vivre :
Il y a encore un incident Roméo. Il aurait dit avec ostentation à ses camarades qu'il faisait "la grève des bras croisés" et, n'ayant pas eu de bande ce matin à la projection, il annonce qu'il n'en aura pas davantage mardi prochain. Il faudrait que cette situation cesse, soit dans le sens de la reprise du travail, soit dans le départ de Roméo. Je dois vous dire que nous n'avons pas échangé un seul mot depuis l'incident de l'autre jour en votre présence. Personnellement, je ne demande qu'à voir les choses s'arranger, mais est-ce bien à nous de faire toujours des avances si mal reconnues à la première occasion ? Et, naturellement, il cite à ses camarades les offres fantastiques que lui font les maisons concurrentes, tellement fantastiques qu'on ne peut y croire. [17 mai 1909].
Courrier cité dans LACASSIN, 1995: 95.
Roméo Bosetti, en novembre 1911, se défend pourtant d'avoir été remercié par Léon Gaumont, laissant entendre que les choses ne se sont pas passées de la sorte :
Or, et c’est là ce qui motive ma lettre, j'ai été désagréablement surpris par l’intrusion d’un certain M. P..., appartenant à la Grrrande Administration du Cinéma Gaumont Palace (en sous-titre : Eau chaude à tous les étages), qui s’est permis de me faire des observations tout à fait déplacées.
Je n'ai pas eu le temps dans ma prime jeunesse de piocher les classiques, mais j'avais toujours entendu dire et surtout dans notre milieu que la critique :
"Est un droit qu'à la porte on achète en entrant !"
Or, je l'ai acheté 23 francs ! C'eest bien payé et la controverse étant permise, je n'aurai soulevé aucun inconvénient si ce Monsieur, parlant de "moi" à un de ses voisins, n'avait dit : "Laissez donc ! c'est un ancien metteur en scène de la Maison et qui en a été évincé". (Quelle erreur fût la vôtre, Monsieur P..., et que vous me paraissez pauvrement documenté !)
Le Courrier Cinématographique, 1re année, nº 20, 25 novembre 1911, p. 4.
À supposer qu'il y ait eu, en effet, du tiraillement entre Roméo Bosetti et Léon Gaumont et ses collaborateurs, il va rester au service du Comptoir pendant tout de même près de cinq ans.
La collaboration avec Pathé (1910-1914)
L'arrivée de Roméo Bosetti chez Pathé est sans doute à situer à l'automne 1910. À cette époque, la société envisage de monter des sortes de "sous-traitants" pour développer ses activités cinématographiques au sud de l'Hexagone : "Comica" et "Nizza" à Nice et "American Kinematograph" à Marseille. Les différentes marques sont déposées en décembre 1910. À cette date, Roméo Bosetti est déjà, très probablement, arrivé sur la côte d'Azur.
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Marque "Comica" INPI "Photographie et Lithographie" (1910-1915) |
Marque "Nizza" INPI "Photographie et Lithographie" (1910-1915) |
C'est à l'Est de la vie de Nice que la société installe ses ateliers de prise de vues. Dans l'annuaire de la ville de 1912, ils sont situés au 152 de la route de Turin, au "Clos des Moulinets".
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Annuaire des Alpes-Maritimes, 1912. Source: Archives Départementales des Alpes-Maritimes |
Le Studio Pathé de la route de Turin à Nice (s.d.) [D.R.] Source: BOUSQUET, 1993 : 135. |
La société "Comica" dirigée par Roméo Bosetti compte dans ses rangs des figures comiques de premier rang : "Rosalie" (Sarah Duhamel), Lantini "Bigorno", et Little Moritz, qui totalisent chacun plusieurs dizaines de films. Roméo Bosetti, lui-même, renoue avec l'interprétation avec la série "Roméo" où il a le rôle principal. Dans l'équipe technique, on trouve Louis "Rollini", frère de Ferdinand Zecca, responsable de la société "Nizza", metteur en scène et scénariste, tout comme Henry Gambart. La production de la "Comica", comme son nom l'indique, est composée de comédies à caractère souvent burlesque. Elle reprend également les scènes de course poursuite, ce qui permet de filmer les paysages environnants (les décors naturels vers Saint-Paul-de-Vence dans Little Moritz enlève Rosalie), et aborde parfois des sujets plus "engagés" comme dans le cas de La Cherté de la vie.
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Little Moritz enlève Rosalie (Henry Gambart, 1911) | La Cherté de la vie (1911) |
Voici ce qu'écrit René Prédal sur ces deux "filiales" :
Les acteurs de cette école niçoise venaient presque tous du Caf' Conc' ou des troupes foraines de cirque. Les thèmes abordés dans leurs films étaient les plus nettement populaires parmi ceux traités alors en France par les troupes rivales et l'audace de certains scénarios réalisés est aujourd'hui assez étonnante.
PRÉDAL, 1964: 223.
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Ciné-journal, 17 août 1912, p. 63. | Cliché Pathé. Romeo Bosetti L'Illustrazione Cinematografica, Milan, 1re année, nº 22, 5-10 décembre 1912, p. 1238. |
Pour Roméo Bosetti, les années niçoises constituent une période faste dans sa carrière qui lui vaut ces quelques lignes publiées dans la revue de la maison Pathé :
Roméo Bosetti
Petit, mais trapu, des yeux vifs et pétillants, la figure énergique, tel est Roméo Bosetti, un des meilleurs metteurs en scènes de la marque Comica, dont les établissements Pathé Frères sont éditeurs.
Véritable enfant de la balle, il a parcouru, depuis l'âge de 11 ans, toutes les contrées. L'Europe, les deux Amériques, le Japon l'ont applaudi tour à tour, comme mime et surtout comme dresseur d'animaux: Les Oies savantes, de Bosetti sont, notamment restées célèbres dans le monde des Cirques.
Roi des "casseurs d'assiettes", étonnant de brio et de fantaisie, véritable providence des marchands de meubles, il ne casse par moins de 365 mobiliers par an, et 366 pendant les années bissextiles.
Qui ne se rappelle ces bandes ultra-comiques qui déchaînèrent le rire, tant par leur irrésistible drôlerie que par le jeue endiablé de la troupe qu'il commande avec tant de bonheur.
Citons, parmi les plus connues: Rosalie et Léontine au théâtre, Le Cambriolé récalcitrant, Le Marchand de chaussures électriques, Corrida mouvementée, Rosalie veut en finir avec la vie, etc., qui furent toutes un succès de fou rire.
Cette semaine encore, Roméo nous présente une scène, digne des précédentes, où nous retrouvons, avec joie, sa verve intarissable.
Bulletin hebdomadaire Pathé Frères, nº 46, 1911.
Outre sa carrière professionnelle, Roméo Bosetti déploie des activités syndicales. Il est ainsi élu, en 1912, président d'Honneur du Syndicat des Exploitants de Cinéma de la Côte d'Azur. Il est également partie prenante du Groupe Amical des Opérateurs de Cinéma de la Côte d'Azur qui organise sa fête le 24 juillet 1912.
Le Banquet/Les Convives. Fête du 24 juillet 1912.
Ciné-journal, 17 août 1912, p. 62
À son tour, Ciné-Journal consacre un article élogieux à Roméo Bosetti qui vit alors l'apogée de sa carrière de cinématographiste :
M. ROMÉO BOSETTI
M. Roméo Bosetti est un de nos metteurs en scène cinématographiques les plus connus et les plus appréciés. Venu dès la première heure au cinéma dont il avait flairé d'instinct l'avenir prestigieux, il fut de ceux qui résumaient en une seule personne les talents divers dont notre industrie a fait aujourd'hui des spécialités. C'est dire qu'il connaît tout le métier de la cinématographie théâtrale, depuis l'interprétation la plus audacieuse jusqu'aux travaux de tirage en passant par la composition des scénarios et la mise en vente complète des scènes "à tourner". M. Roméo Bosetti est un de nos praticiens les plus avertis: il sait toutes les ressources de son art.
Attaché tour à tour aux plus importantes maisons d'édition du marché français, il vit depuis quelques années à Nice, où il réalise avec précision et méthode les films les plus variés, les plus joyeux, les plus difficiles qui figurent aux programmes Pathé Frères. Car M. Roméo Bosetti est l'entrain même. Il crée de la vie autour de lui, il est tout en acte et sa volonté s'exprime avec force et rapidité. C'est un maître et qui sait l'art d'être obéi, ce qui n'est pas au cinéma, une petite qualité.
Son nom ne saurait être séparé de toutes les oeuvres syndicales ou amicales qui resserrent sur la Côte d'Azur les liens professionnels entre tous les cinématographistes. Aussi bien sommes-nous heureux de publier aujourd'hui dans les colonnes du Ciné-Journal son portrait, en hommage à notre industrie qu'il sert bien et honore avec une rare conscience.
Ciné-journal, 17 août 1912, p. 623
Dans sa vie privée, l'année 1913 est marquée par trois événements majeurs : la naissance de sa fille Juliette (mars), sa naturalisation (mars), à l'issue de laquelle il passe son conseil de révision, et la distinction d'Officier d'académie (mai-juin). Il faut également y ajouter l'ouverture (29-31 rue de la République) de la salle "Roméo-Cinéma", l'ancien Electro cinéma (1912).
Romeo-Cinéma, Façace Entrée principale.
Source: Demande de permis de transformation, août 1913. Barbier architecte. Archives Nice Côte d'Azur. 2T291 491.
À ses activités d'exploitant de salle, Roméo Bosetti poursuit son engagement syndical et il devient vice-président du Syndicat Cinématographique de la Côte d'Azur :
Un nouveau Syndicat.
Décidément, le mouvement mutualiste n'est pas prêt de s'éteindre en France. Voici qu'on nous annonce la fondation à Nice du Syndicat Cinématographique de la Côte d'Azur.
La présidence de cette nouvelle organisation échoit à M. Royet, directeur de l' "Excelsior Cinéma", et la vice-présidence à M. Roméo Bosetti.
La première assemblée générale aura lieu le 9 décembre et les adhérents ont d'ores et déjà pris la décision de s'affilier à la Chambre Syndicale Française.
Le Courrier Cinématographique, 6 décembre 1913, p. 20.
Si le Romeo-Cinéma trouve son public, son propriétaire va avoir maille à partir avec la justice en raison du fonctionnement peu orthodoxe de la salle et du respect très approximatif des consignes de sécurité. Finalement, comme le rapporte Le Petit Niçois, Roméo Bosetti est relaxé.
Et après... (1914-1948)
Roméo Bosetti, depuis sa naturalisation, est devenu citoyen français et à ce titre, il est appelé au moment de la mobilisation générale. Il arrivé ainsi au 163e régiment d'infanterie le 2 août 1914. Ciné-Journal porte un intérêt tout particulier au sort de ceux qui appartiennent au monde du cinéma. C'est évidemment le cas de Roméo Bosetti comme on peut le voir dans ces différentes notes : "M. Roméo BOSETTI, 163e d'infanterie, 26e Cie, 8e escouade, Caserne Réquier, Nice." (Ciné-journal, 1er février 1915, p. 19), "M. Roméo BOSETTI, directeur de "Roméo-Films", a quitté le dépôt où il était, à Nice, son régiment ayant été dirigé sur le front." (Ciné-journal, 15 mars 1915, p. 27), M. Roméo BOSETTI a été blessé à la tête le 15 courant et est en traitement à l'hôpital Bautzen, à Toul." (Ciné-journal, 1er juillet 1915, p. 11), "M. Roméo BOSETTI, directeur de Roméo-Film, est à l'hôpital Boileau, nº 40, à Lyon." (Ciné-journal, 1er août 1915, p. 25). En septembre 1915, le même magazine écrit :
SUR LE FRONT
[...]
Nos Convalescents
M. ROMÉO BOSETTI, le distingué metteur en scène, dont nous avons annoncé l'évacuation dans un hôpital de Lyon, vient de subir une très délicate opération.
Nous apprenons avec la plus vive satisfaction que le sympathique malade est en bonne voie de guérison.
Cine-Journal, 8e année, nº 319, 1er septembre 1915, p. 19.
Roméo Bosetti est maintenu au service auxiliaire à partir d'avril 1916. Il va dès lors tenter de relancer ses affaires avec l'annonce d'une nouvelle marque :
Une nouvelle Marque
Nous apprenons avec plaisir que M. Roméo Bosetti va lancer prochainement une nouvelle marque, la Nicaea Films.
Nos compliments à notre ami et nos voeux de succès.
Le Courrier cinématographique, 22 septembre 1917, p. 10.
Pourtant, cela reste sans lendemain. Roméo Bosetti va malgré tout faire encore parler de lui lors d'un passage à Paris :
Ceux qui passent.
M. Roméo Bosetti, un de nos metteurs en scène les plus connus qui s'était spécialisé autrefois dans le genre comique et auquel nous devons des films tels que les Rosalie, les Caroline, les Calino, est aujourd'hui de passage à Paris, venant de Nice.
Notre ami est démobilité. Il est rentré dans la vie civile après avoir fait campagne au début de la guerre. Il nous a fait part de ses projets au cours d'une aimable visite au Courrier et nous savons qu'il est homme à tenir plus qu'il ne promet.
D'ici très peu de temps, nous dirons comment l'aimable metteur en scène fera une brillante rentrée sur l'écran.
A l'heure où ces lignes paraissent, notre ami est en route vers la Côte d'Azur.
Le Courrier cinématographique, 9e année, nº 17, 26 avril 1919, p. 27.
Il est encore question de lui à l'occasion de sa citation et sa croix de guerre :
Notre bon ami Roméo Bosetti, l'aimable directeur artistique des Studios Pathé de Nice est, lui aussi, porté au tableau d'honneur avec la citation suivante qui lui apporte la croix de guerre:
"Bon soldat qui, malgré une santé délicate, a tenu à rester au front jusqu'à l'extrême limite de ses forces.
A été blessé grièvement le 15 juin 1915, à son poste de combat sous un violent bombardemenent.
Le Courrier cinématographique, 6 septembre 1919, p. 30.
L'année 1920, marque un changement radical dans l'existence de Roméo Bosetti. S'il réside encore en juin à Nice (Chalet le Film. Av. Isidore), en décembre, il est installé en Allemagne (Kaiserslautern) où il exerce la profession d'importateur et marchand de vins français. En 1926, à un mois d'intervalle, sa vie bascule à nouveau : son épouse Alice donne naissance, en septembre, à leur fille Jeanne avant de décéder en octobre. Elle est inhumée au Cimetière d'Ivry le 9 octobre 1926. Deux mois plus tard (15 novembre 1926), il déclare aux autorités militaires sa nouvelle résidence : 8, rue de Montreuil à Versailles. Il y poursuit ses activités et exerce la profession de marchand de vins. En 1928, son cellier est victime d'un incendie :
Un incendie s'est déclaré dans le cellier de M. Bosetti, marchand de vins, 8, rue de Montreuil. Les dégâts sont importants ; plusieurs fûts d'alcool ont été détruits.
Le Semeur de Versailles, Versailles, jeudi 12 juillet 1928, p. 3.
Moins d'un an après, son établissement est mis en liquidation :
Liquidations judiciaires du 25 mai 1929.
Bosetti Roméo, marchand de vins, 8, rue de Montreuil. Juge-commissaire: M. Baillet. Liquidateur: Me Masson.
Les Nouvelles de Versailles, Versailles, mardi 28 mai 1929, p. 4.
Pourtant, il poursuit ses activités commerciales dans sa cave à vins. Le journal satirique local, Le Cri de Versailles, va dresser de lui un portrait haut en couleurs :
À LA MANIÈRE DE...
Les personnalités versaillaises
ROMEO BOSETTI
Nous allons parler cette semaine du marchand de pinard et tous poisons dénommés apéritifs ou digestifs. En effet, notre brave Rhum et Eau, est en train d'organiser le train du Poison qui circulera dans les rue de Versailles, remorqué par sa 50 H. P., avec escales, place Charost, rue de Montreuil, de Satory, etc...
Bosetti n'est pas le premier venu. Sorti de contenter sa clientèle, il se balance des qu'en dira-t-on !!
Lorsqu'il débarqua d'Amérique, son tube posé sur l'oreille gauche, cigare aux lèvres, boutonnière fleurie, l'air narquois, Bosetti pressait contre son sein un portefeuille bien garni, et surtout !... fort bien gagné sous les tentes du cirque Barnum.
Tel le Pingeon, il vint planter sa tente à Versailles, où malheureusement, il ne rencontra que des gens toujours disposés à nuire à son commerce... n'allons pas plus loin.
Il eut aussi son temps de célébrité dans ce beau cinéma d'autrefois ! qui était bien supérieur en tous points à celui de nos jours. Trente ans de cela !
Roméo fut l'un des meilleurs parmi les dresseurs d'oies, aujour'hui qu'il se contente de dresser sa pie, son chat, sa tortue, les grenouilles de son aquarium (avé son anguille, coquin de sort !)
Ah ! son aquarium " Qui n'a vu Bosetti grimper sur le toit de sa boutique, le tonneau d'eau devant alimenter le jet de l'aquarium, n'a rien vu !! ah ! non !
Roméo a trouvé sa gentille Juliette. Ce sont de jeunes mariés. Quoi ! Cela vous épate " Juliette et Roméo, avec la petite chérie du ménage mènent ensemble une vraie vie d'anges.
HARRY-KOVER
Nous ajoutons que le camarade 4846, est le fournisseur en pinard des Croix de Feu - c'est une référence indiscutable, attendu que tout ancien combattant doit choisir et surtout apprécier ce qui "fait du bien par ousque ça passe"-F.
Le Cri de Versailles, Versailles, samedi 31 mai 1930, p. 3.
La situation de Roméo Bosetti se dégrade et il se retrouve même mêlé à une affaire d'escroquerie pour laquelle il est condamné à quatre mois de prison avec sursis :
TRIBUNAL CORRECTIONNEL
Poursuivi pour abus de confiance, Louis Lemoine âgé de 34 ans, domiciliée à Versailles, rue des Tribunes, a été condamné à dix mois de prison.
Représentant d'appareils de T.S.F., Lemoine pour désintéresser ses créanciers, s'était fait consentir par diverses personnes des prêts se montant à une quarantaine de mille francs; et pour obtenir ces prêts il s'était fait seconder par un complice Roméo Bosetti et donnait en gage à ses prêteurs, des titres frappés d'opposition, appartenant à d'autres personnes.
Bosetti, s'en est tiré avec quatre mois de prison avec sursis.
Journal de Versailles et de Seine-et-Oise, Versailles, 25 février 1932, p. 2.
Dans les années qui suivent, la situation de Roméo Bosetti se dégrade encore et il se consacre à des activités de gardiennage avant d'accepter une place d'huissier-réceptionniste des Constructions automobiles Latil-Saviem à Suresnes où il finit ses jours en 1948. Il est inhumé au cimetière parisien d'Ivry.
Sources
BALDET Colin, Contribution à l'histoire de l'exploitation dans la France hexagonale (1905-1919) : étude comparée de la sédentarisation des premières salles de projection cinématographique à travers trois espaces urbains", Université Paris sciences et lettres, 2024.
BOUSQUET Henri, "L'année 1913 chez Pathé Frères", 1895, nº hors-série "L'Année 1913 en France", octobre 1993, p. 129-139.
LACASSIN Francis, Maître des lions et des vampires Louis Feuillade, Paris: Pierre Bordas & fils, 1995, 328 p.
LACASSIN Francis, "Un maître oublié du burlesque: Roméo Bosetti", Cinémathèque, nº 21, printemps 2002, p. 55-71 et nº 22, printemps 2003, p. 26-49.
LACASSIN Francis, Pour une contre-histoire du cinéma. Tome II. (Édition sous la direction d'Éric Le Roy et Nicolas Tixier), Aix-en-Provence, Rouge profond, 2023, 268 p.
Le Petit Niçois, Nice, dimanche 29 mars 1914, p. 6.
PRÉDAL René, Le Cinéma muet à Nice : Exploitation et réalisation (1896-1930), ("Diplôme d'Études Supérieures" sous la direction du professeur Guiral), Aix-en-Provence, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, 1964, 353 p.
RICHARD Jacques "Les acrobates du rire. Aux sources des burlesques française", Archives, nº 89, septembre 2001, 20 p.
RICHARD Jacques, Dictionnaire des acteurs du cinéma muet en France, Paris: Editions de Fallois, 2011, 212 p.
V., "Les Éditions Pathé frères. Comica", L'Écho du cinéma, nº 12, 5 juillet 1912, p. 2.
Vis "Comica", 1895, revue d'histoire du cinéma, 1986, nº 1, p. 19-21.
Remerciements
Bernard Bastide.