Émile GUYOT

(Lyon, 1876-Lyon, 1950)

Jean-Claude SEGUIN

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Camille, Léon, Eugène Guyot ([1834]) épouse Marie, Augustine, Stéphanie Gay ([1847]). Descendance:

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Fils d'un employé au gaz et d'une ménagère, Émile Guyot est né dans le 6e arrondissement de Lyon. Élevé à l'orphelinat de Lyon, il exerce ensuite différents métiers:

Faut vos dire qu'élevé à l'orphelinat de Lyon, à dix-neuf ans j'avais déjà été successivement garçon boucher, manœuvre, plâtier, maçon, employé du gaz, cimentier...


CASANOVA, 1936: 8.

Alors qu'il travaille au château Lumière, il se blesse et c'est Auguste Lumière qui va le faire rentrer comme opérateur :

Un jour, au château Lumière, à Monplaisir-la-Plaine, m'étant blessé en travaillant avec la manivelle d'un cabestan, je fus soigné par M'sieu Auguste, la bonté faite homme. Je lui confiai la dureté de mon métier, surtout étant donné mon jeune âge. Il me fit entrer à l'école d'opérateurs, sise à nº 1 de la rue de la République, où l'on projetait les films et qui fut de ce fait la deuxième salle de cinématographe établie dans le monde. Nous avons ainsi été  formés, une trentaine d'opérateurs par série de dix. Je suis sorti nº 1, et M'sieu Auguste m'expédia aux États-Unis, tandis que les autres, disparus aujourd'hui, partaient en Espagne, en Italie, en Russie.


CASANOVA, 1936: 8.

Il est formé par Alexandre Promio :

Un seul homme savait enregistrer les films : il s'appelait Fromiot [sic]. Agé alors d'une quarantaine d'années, il doit être mort maintenant ! Je suis d'ailleurs à peu près certain d'être le seul survivant des élèves de l'école Lumière.


CASANOVA, 1936: 8.

Il se souvient de quelques titres qui sont projetés rue de la République :

Les bandes dont la longueur variait de quinze à vingt mètres, étaient: "La partie de cartes de M. Antoine Lumière" (le père de Louis et Auguste); "L'arrivée du train en gare de la Ciotat"; "Le défilé du 99e de ligne"; "L'éboulement d'un mur"; "Le couronnement du tsar Nicolas II"; "La sortie des usines Lumière"; "Les chutes du Niagara"; enfin, le légendaire "Arroseur arrosé".


CASANOVA, 1936: 8.

Finalement, il embarque, au Havre, en août 1896 à bord de La Bretagne en compagnie d'Alexandre Vallet de Brugnières :

J'étais parti sur le cargo La Bretagne - le voyage de Paris à New-York en deuxième classe coûtait, tout compris, 345 francs - en compagnie de Valette de Brunières [sic], un noble "fauché", qui s'occupait d'enrouler les films après la projection. Car ceux-ci tombaient en vrac des bobines que je faisais marcher avec une manivelle à main.


CASANOVA, 1936: 8.

C'est finalement le 24 août 1896, que les deux hommes accostent à New York. Ils commencent immédiatement au Keith's Theatre où le succès est au rendez-vous :

Vous pouvez croire que ça en a déclenché un enthousiasme et du succès ! On criait, on trépignait, on sifflait, en signe de joie ! Mon compagnon et moi nous avons été portés en triomphe, la cabine arrachée fut promenée avec nous, toujours au milieu des hurlements d'allégresse ! Ils aiment le bruit les Américains, je peux bien vous l'assurer !
Nous donnions deux séances par jour au "Kits Theater" [Keith]. Nous passions avec un spectacle de music-hall, danseurs, patineurs à roulettes, chanteurs. L'entrée coûtait deux dollars et chaque fois c'était le gros succès, les mêmes félicitations. Malheureusement, ne sachant pas l'anglais, je n'ai jamais compris un mot de ces congratulations !


CASANOVA, 1936: 8.

Dans ses souvenirs, Émile Guyot se souvient comment le cinématographe est également l'objet de convoitise :

L'appareil, extrêmement simple, pesait environ 1 kilo 500, il servait à la fois à enregistrer les images et à les projeter sur une toile de trois mètres sur trois. N'empêche que les Américains ont tout fait pour s'emparer de ma précieuse petite boîte !
Ils sont bandits dans le fond, m'assure Emile Guyot, tandis qu'installé confortablement devant une sympathique bouteille de beaujolais chambré à point il continue à dérouler le film de ses souvenirs de jeunesse.
D'abord, ils ont voulu l'acheter pour 10.000 dollars, somme importante à l'époque. N'arant pu l'obtenir, ils ont tenté de voler l'invention. Un soir, en rentrant à l'hôtel où je gîtais, j'ai trouvé la porte de ma chambre forcée, les meubles fracturés. Mais ils n'ont rien pu découvrir, car l'appareil que j'emportais chaque soir avec moi était soigneusement mis à l'abri dans le coffre-fort de l'hôtelier ! Bien m'avait pris de me méfier !


CASANOVA, 1936: 8.

Après New York, ils vont continuer à présenter le cinématographe Lumière dans d'autres villes américaines dont Washington et Norfolk (Connecticut) :

Après New-York, nous avons émigré à Washington, Norfolk, dans le Connecticut, dans l'usine d'un riche soyeux, dans des villes dont j'ai oublié le nom. Songez que c'était en 1896 ! Il y aura quarante ans au mois de juillet.


CASANOVA, 1936: 8.

Les deux hommes vont parcourir le pays pendant plusieurs mois avant de rentrer :

Nous sommes rentrés après quatre mois de séjour. D'autres opérateurs avaient dû livrer le secret de la boîte magique, car le cinéma tomba vite dans le domaine public. Et je suis absolument sûr que MM. Lumière ont été lésés par leurs concessionnaires.


CASANOVA, 1936: 8.

Il es probable que les deux hommes soient restés, de fait, plus longtemps. En effet le poste Lumière de Washington est inauguré le 1er janvier 1897. De retour à Lyon, Émile Guyot va effectuer son service militaire. Son matricule signale qu'il est incorporé, le 29 novembre 1897, au 11e bataillon d'artillerie à pied. Un an plus tard, il passe au 13e bataillon d'artillerie à pied (1er novembre 1898) avant d'être mis en congé (23 septembre 1900). Il semble avoir regretté de ne pas avoir continué dans le cinématographe :

Rappelé en France par mon service militaire, j'abandonnai définitivement le cinéma pour d'autres occupations.
- Pourquoi n'avoir pas continué ?
- Pouvais-je imaginer que cette invention allait bouleverser l'univers ! Je croyais à un engouement passager ! Quand je m'aperçus de mon erreur, il était trop tard ! j'avais tout à rapprendre des nouveaux appareils infiniment plus compliqués, et un accident du travail m'ayant enlevé en partie l'usage d'un bras, je n'étais plus assez valide pour faire un bon opérateur. C'est pourquoi vous me voyez revendeur des quatre-saisons au coin de la passerelle du Collège, dans mon pays natal...


CASANOVA, 1936: 8.

Il décède à Lyon en 1950.

Sources

CASANOVA Jany, "Après avoir introduit le cinéma en Amérique Emile Guyot est devenu marchand des quatre-saisons", Lyon, 16 avril 1936, Paris-Soir, Paris, 19 avril 1936, p. 8.

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