- Détails
- Création : 25 mars 2015
- Mis à jour : 29 mai 2022
- Publication : 25 mars 2015
CAUX
Jean-Claude SEGUIN
Caux est un village du canton de Vaud (Suisse).
1903
Tournage (Les Roches de Naye, 11 octobre 1903)
Aux Rochers de Naye, un défi automobile oppose M. Cuénod et le capitaine Deasy. Un des essais est filmé:
Aux Rochers de Naye en automobile
(De notre envoyé spécial) Caux 12 octobre.
Les Rochers de Naye qui dressent leur masse énorme au-dessus de Montreux ne se contentent pas d'être un des plus beaux panoramas qu'il y ait en Suisse, ils possèdent depuis quelques jours la gloire d'avoir leur nom attaché à une performance sportive de premier ordre. Le télégraphe vous a déjà brièvement renseignés sur l'exploit accompli par M. Cuénod et le capitaine Deasy, la semaine dernière. Il est absolument extraordinaire tant au point de vue du merveilleux engin qui a accompli ce tour de force qu'au sang-froid merveilleux des auteurs de la tentative.
Elle est, on le sait, la suite d'un pari entre M. Ernest Cuénod, le sportsman bien connu, et le capitaine Deasy, un explorateur irlandais qui peut s'offrir toutes les fantaisies même celle de risquer sa tête dans une expérience. Une physionomie remarquable de volonté et de douce ténacité que celle du capitaine que ses voyages dans le Turkestan chinois et la région du Pamir ont familiarisé avec tous les dangers. Avant de se couvrir de gloire à Naye il a reçu la médaille d'or de la Société de géographie de Londres pour avoir exploré pour la première fois deux parties absolument blanches dans la géographie de l'Asie centrale.
L'exploit accompli il y a huit jours a fait tant de bruit dans le monde sportif qu'une nouvelle tentative a été demandée à laquelle ont été priés les représentants de nombreux journaux.
L'administration du Caux-Palace leur a offert à cette occasion une grandiose hospitalité et ceux qui ne connaissent pas cette maison ne peuvent se faire une idée des raffinements de confortable que peut offrir cet hôtel, une merveille du genre unique en Suisse et même en Europe. M. Eulenstein, l'actif directeur du Caux-Palace, ne fait pas les choses à demi. Il a logé votre représentant dans un véritable appartement avec salon et chambre de bains. Le salon d'angle, en pleine vue du lac, est une merveille. Empire, avec meubles, tentures, bibelots du style cher au grand empereur, et entièrement dans les tonalités vert et or. Cet appartement est d'un goût parfait et je comprends que les milliardaires américains s'y trouvent comme chez eux.
La Tribune de Genève, lors de l'inauguration du Caux-Palace avait déjà décrit les splendeurs de cette maison, de son hall, de son promenoir intérieur, de sa salle des fêtes et du quai extérieur, long d'un kilomètre, une promenade unique au monde. Je n'y reviens pas. Caux n'a pas besoin de réclame et je n'insiste pas davantage.
Cette après-midi le temps douteux n'a pas empêché le capitaine Deasy de renouveler en partie l'exploit de lundi dernier. On en sait l'origine. M. Ernest Cuénod ayant déclaré qu'il suivrait la voie ferrée du Glion-Naye de Caux au sommet, le capitaine Deasy lui offrit mille guinées (26,000 fr.) de la voiture sur laquelle il ferait cette prouesse. Cette voiture est une Martini licence Rochet-Schneider de fabrication suisse de 14 chevaux. C'est une machine de route nullement triée pour la circonstance et qui a déjà fait plusieurs milliers de kilomètres. Le pari tenu a été exécuté avec la facilité la plus remarquable. La voiture conduite à la montée par M. Cuénod franchit los rails et la crémaillère aux dents pointues sans que les pneus Continental aient l'air de s'en apercevoir. Elle s'installe des deux côtés de la voie, les roues en dehors des rails qui n'ont qu'un mètre d'écartement.
Elle file sur le ballast formé de pierres cassées, comme si elle était sur une route fraîchement cylindrée. La semaine dernière elle a fait le trajet complet. Aujourd'hui la neige tombée depuis vendredi n'a pas permis le renouvellement de la tentative complète mais l'essai fait est des plus concluants.
Aujourd'hui c'est le capitaine Deasy qui est monté sur la voiture — elle est bien à lui désormais. Il a gravi le plus aisément du monde cette rampe de 23 % — la Cité dans sa rampe la plus forte ne dépasse pas 12 % — A un seul moment sur les planches d'une passerelle, elle a patiné quelques secondes. Aucune panne quelconque comme d'ailleurs dans toute cette série d'expériences.
Le train spécial qui suivait la voiture a continué jusqu'à Naye. En route, quelques échappées de vue sur la région du Léman et sur la Gruyère. Au sommet, une véritable tempête nous a empêché de jouir du panorama. Il fallait s'arcbouter pour ne pas être emporté comme un simple fétu.
Au retour l'automobile attendait à l'endroit où nous l'avions abandonnée. M. le capitaine Deasy a bien voulu prier votre représentant, avec nos confrères MM. Pellarin, de la Suisse et Margot, du Nouvelliste vaudais de l'accompagner. M. Schiess, le représentant des pneus Continental, un des triomphateurs de la journée, a pris place sur le marche-pied et la descente a commencé.
Le sang-froid du capitaine est incroyable. Il conduisait sa machine comme il aurait fait sur une grande route et ses invités lui ont confié leur tête avec la plus entière confiance. Le chauffeur nous a avoué qu'il appréhendait le passage de la passerelle sur laquelle il avait patiné à la montée. Elle est juste assez large pour donner passage à la voiture et la pluie avait rendu les planches glissantes. Ce mauvais pas fut franchi sans encombre et en quelques minutes d'un voyage à peine cahoté, nous étions de retour à Caux. Cette excursion, qui n'est pas trop banale, laissera à ceux qui ont eu le plaisir de la faire un souvenir profond.
Inutile de dire que des nuées do photographes ont pris, pour la postérité la voiture et ses passagers comme ils l'avaient fait précédemment. Pendant un des essais, hier, il y a même eu un cinématographe qui reproduira les prouesses de la Martini du Capitaine.
C'est un exploit sans précédent qui fait le plus grand honneur à notre industrie nationale. Ceci soit dit d'ailleurs sans esprit de réclame. La marque Martini n'en a plus besoin, puisque toute la production do la fabrique pour cinq ans est vendue en Angleterre.
La Tribune de Genève, Genève, mercredi 14 octobre 1903, p. 3.