VICHY

Jean-Claude SEGUIN

Vichy, ville de département de l'Allier (France), compte 10.870 habitants (1894).

1896

Le cinématographe Lumière (Rue du Casino, 14 juin 1896)

Le cinématographe Lumière est annoncé avec anticipation par la presse:

La cinématographie à Vichy.
Une des grandes nouveautés attractives de notre époque est annoncée à Vichy. Sur une toile de fond, aussi blanche qu'immaculée, au milieu d'une obscurité qui enhardit souvent les amoureux, viendront se dessiner en grandeur naturelle des photographies rendant une certaine quantité de scènes animées qui vous sembleront aussi mystérieuses qu'amusantes. La première et surprenante séance que j'ai eu le plaisir de suivre m'a tellement étonné et égayé, que je me permets de la reconstituer devant vous. Vous permettez ?
Nous avons devant les yeux un délicieux parterre de fleurs toutes di verses et, à voire grande surprise, on peut suivre les mouvements des tiges et des feuilles bercées par Eole ; tout à coup, à pas lents, arrive au tableau un bon vieux "Jardinier" qui s'arrête, contemple la nature qu'il sait rendre féconde, puis, fouillant dans la poche du tablier qu'il porte, l'homme en retire une pipe qu'il bourre et qu'il allume pour nous épaler ; ramassant ensuite la lance d'un jet destiné à l'arrosage, il vous surprend bien davantage, car l'eau jaillit avec force et fait remuer la feuillée et pencher les tiges ; tout à coup un gamin, à la mine joviale et rusée, arrive doucement derrière l'horticulteur et le jet de la lance s'arrête, à la grande stupéfaction de ce dernier. Que signifie ? doit-il penser. Il croit l'instrument bouché et, lorsqu'il s'apprête à le déboucher en soufflant dans l'extrémité de l'appareil, l'eau lui arrive dans la figure, à la grande satisfaction du bambin qui vient de lever le pied qu'il avait posé sur la conduite en caoutchouc... C'est tordant! Le Progrès marche, vous le verrez... La Photographie, mariée aux inventions appelées Electricité mécanique et optique, nous donne des résultats diaboliques. Pour arriver à la création qui nous intéresse en ce moment, on a trouvé le moyen de photographier, sur pellicules de celluloïd, mouvement par mouvement, les êtres et les choses qui doivent figurer au tableau. 800 photographies se succédant sans interruption, peuvent être prises en deux secondes pour établir la suite de continuité de mouvement des choses et des sujets. Par la vitesse combinée du passage régulier des clichés obtenus devant une lentille qu'éclaire l'éleclricité, on arrive aux effets surprenants de cette nouvelle lanterne magique. C'est un appareil curieux à voir. Nous en reparlerons.


Le Petit libéral de Cusset, Cusset, 7 juin 1896.

Quelques jours plus tard, l'inauguration a eu lieu:

Le Cinématographe Lumière vient de s'installer à Vichy, rue du Casino, pour toute la saison d'été. Tout le monde se souvient encore du Kinétoscope Edison établi l'année dernière dans la salle qui est à côté du passage de l'Eden, où l'on voyait des personnages à peine perceptibles, se mouvant dans un appareil électrique.
Imaginez-vous aujourd'hui ces personnages grandeur naturelle, étalant sur un écran les scènes les plus vivantes et les plus réalistes, avec une vérité frappante, et vous aurez à peu près une idée du cinématographe. Chacune des vues qui passe devant les yeux émerveillés du spectateur est composée d'une succession de 800 à 900 photographies se déroulant avec une telle rapidité qu'on ne voit pas de transition. L'image est grossie par un objectif et projetée sur un écran éclairé à la lumière électrique. A citer surtout : l'"Entrée en gare d'une locomotive" qui semble arriver sur vous, le va-et-vient des voyageurs, etc. ; l'"Arrivée de Guillaume Il" ; les "Bains de mer", avec des plongeurs qui font jaillir l'eau; la ''Promenade au Bois de Boulogne" ; une "Partie d'écarté'' ; une "Bataille" ; etc., etc. C'est un spectacle absolument merveilleux et que tout le monde voudra voir à Vichy.


Le Nouvelliste de l'Allier, 14 juin 1896.

Un autre journal complète les informations et propose le programme:

Le Cinématographe.- Vous êtes dans une chambre obscure, comme pour la lanterne magique. Sur un écran se déroulent des scènes si vivantes, si nature, que l'on a peine à se figurer que ce sont de simples photographies. Ce merveilleux instrument n'a pas volé son nom : le mouvement est pris en flagrant délit. Le principe est simple : c'est celui de la persistance des impressions sur la rétine. Quand nous regardons un objet, son image donne au fond de l'oeil une photographie qui impressionne les nerfs optiques encore un trentième de seconde après la disparition de l'objet. Exemple : Dans l'obscurité faites tourner très vite un tison brillant, vous verrez un cercle de feu. Les jouets d'enfants connus sous les noms barbares de zootropes, praxinoscopes, phénakisticopes étaient des applications de ce principe. Puis vient le kinétoscope d'Edison, déjà très perfectionné, qui fait passer sous nos yeux, en une minute, 2.400 photographies instantanées de la scène. Un kinétoscope a fonctionné l'an dernier à Vichy, rue Sornin. Combinez le kinétoscope et la lanterne magique vous avez le Cinématographe qui a sur le premier le grand avantage de donner des images de grandeurs naturelles et visibles pour toute une salle de spectateurs. Imaginez un appareil produisant par minutes 900 éclipses de lumière à l'aide desquelles se font automatiquement 900 substitutions d'images successives, disposées sur une pellicule flexible de 15 m. de long. Cette bande pelliculaire se déroule non uniformément, par des mouvements successifs séparés par des arrêts, pour permettre des substitutions. Le Cinématographe est un appareil réversible, c'est-à-dire qu'il sert aussi bien à projeter des photographies qu'à les faire, car c'est lui-même qui a pris sur le vif les scènes qu'il reproduit ensuite, grâce à une sorte de lanterne magique. Tel quel c'est une petite merveille de simplicité et d'ingéniosité. Il faut voir la "Locomotive", le "Jardinier" arroser ses fleurs, "La mer et les baigneurs", "Le mur" qui s'écroule, "La rue" avec les piétons, les cavaliers, etc., etc. Que sera-ce donc quand au lieu de projeter des photographies monochromes et muettes, on projettera des photographies colorées, et quand un phonographe reproduira en même temps les bruits et les paroles des choses et des personnages ! En attendant, je vous engage vivement à aller voir le cinématographe de MM. Lumière, rue du Casino, je vous certifie que vous serez satisfaits et que vous y enverrez les autres, ainsi que je me permets de le faire moi-même ici.
F.


L'Avenir de Vichy, Vichy, 14 juin 1896.

Les séances se prolongent jusqu'à la fin du mois:

À Vichy, le cosmorama et le cinématographe constituent un agréable passe-temps et la foule mondaine se presse là comme partout.


Le bavard, 28 juillet 1896.

Le Cinématographe Lumière (Casino, 9 juillet et 13 août 1896)

Le Casino de Vichy a passé un accord avec le cinématographe Lumière pour organiser une séance annoncée pour le jeudi 9 juillet. Afin de pouvoir l'organiser, M. Thomas, responsable du poste Lumière, repart à Lyon pour faire venir des électriciens:

LE TSAR AU CASINO
Qu'on ne se méprenne pas sur le sens du titre de ces quelques lignes. Sa Majesté, le vénéré Empereur de toutes les Russies n'est pas -encore- l'hôte du Casino (bien que nous conservions l'espoir de recevoir la visite de Nicolas II avant la fin de la saison), mais si nous n'avons pas la joie de l'avoir "en chair et en os" parmi nous, du moins, grâce à l'intelligente initiative de M. José Bussac, goûterons-nous la très vive satisfaction de voir le souverain russe en image, avec toutes les apparences de la vie, marchant, se remuant, saluant, remerciant la foule qui l'acclame et cela au moyen de projections cinématographiques.
Maintenant que le traité passé par la Direction du Casino, avec MM. Lumière est signé, maintenant que la date de cette très intéressante exhibition est fixée à JEUDI prochain, et que M. Thomas, représentant de la maison Lumière, est parti pour Lyon, afin d'y chercher les électriciens spéciaux qui sont nécessaires pour assurer le bon fonctionnement des projections, nous n'hésitons plus à rompre le secret qu'on nous avait demandé et à parler de la grosse surprise que nous avions annoncée précédemment à nos lecteurs.
Donc, jeudi, tandis que la salle du théâtre sera plongée dans l'obscurité, nous verrons apparaître sur un transparent blanc, la représentation exacte, photographique de toutes les scènes qui se passèrent à Moscou, lors du Couronnement du Tzar, scènes qui furent habilement prises sur le vif par un de nos confrères, M. C. Cerf, aidé des délégués de MM. Lumière.
La série des instantanés successifs nécessaires pour donner l'impression complète de la vie, n'occupe pas moins de quatre kilomètres de rubans de papiers.
Voici comment le Figaro, dans les salons duquel eut lieu, devant quelques intimes, la toute première présentation de ces documents captivants, ces jours derniers, analysait les spectacles appelés à défiler devant nos yeux.
[...]
Voici les prodigieuses et féériques visions qui seront évoquées, devant nous, jeudi.
Jamais la science ne fit plus attrayant miracle, on l'avouera.
Remercions M. José Bussac de nous faire admirer un spectacle que Paris-la grand'ville!- n'a pas encore été admis à contempler.
J.


Journal de Vichy, Vichy, vendredi 3 juillet 1896, p. 2.

L'intégralité du programme est publiée le jeudi 9 juin en première page du Journal de Vichy:

vichy casino programme lumiereJournal de Vichy, Vichy, jeudi 9 juillet 1896, p. 1.

Le même journal publie un compte rendu peu après:

Le clou de la soirée était la séance de cinématographie dont le Journal de Vichy a publié le programme.
Le public déserte en foule les places de côté pour se masser dans le fond de la salle, afin d'avoir, bien en face, les tableaux annoncés.
Tous ces tableaux, les uns après les autres, ont été applaudis; tous méritaient de l'être.
La plupart étaient presque exempts de cette trépidation dont nous parlions l'autre jour, et qui, en général, rend le spectacle un peu fatigant pour les yeux.
Notons particulièrement les Rochers de la Vierte, à Biarritz, où l'effet animé est saisissant. On voit la mer qui s'avance, blanche d'écume, et qui dans son mouvement de flux et de reflux, couvre et découvre successivement les rochers. On se croirait aux bords de l'Océan. L'illusion est complète.
Signalons encore le Water-Teoboggaur, de l'Exposition de Genève et les Bains découverts de Milan. Les plongeons exécutés par les personnages de ce dernier tableau ont beaucoup amusé le public. L'effet des nageurs dans l'leau est fort curieux. Mais le plus drôle a été la reproduction, en sens inverse, du même tableau. En déroulant les pellicules dans un sens opposé, on obtient le jaillissement des bonshommes qui tout à l'heure se jetaient à l'eau, et qui maintenant bondissent des Bains sur le quai. Comme scène comique, c'est irrésistible.
Beaucoup de succès pour toutes les vues prises en Espagne. La Garde descendante, la Charge des Lanciers de la Reine, le Défilé du Régiment après la charge, etc., ont été fort applaudis. Les tableaux militaires excitent toujours une vive curiosité. Ici, on voit les chevaux s'avancer et venir sur vous. On croirait qu'ils vont se détacher du cadre et bondir dans la salle.
La séance s'est terminée par les Fêtes du couronnement du Czar Nicolas II, à Moscou.
Tous les tableaux, fort intéressants, présentaient, de plus, l'attrait de l'actualité. L'image de l'Empereur et de la tzarine ont été acclamés. Rien de plus saisissant que la vue de la foule, des soldats, des chevaux, des carrosses, des uniformes et surtout de l'animation qui règne au milieu de tout cela.
La cinématographie rend, en quelque sorte, l'âme même des personnages auxquels elle communique le mouvement. On voit les sentiments peints sur chaque physionomie. On entend la foule acclamer son souverain. On est présent à la scène.
C'est merveilleux de réalisme.
UNE LORGNETTE.


Journal de Vichy, Vichy, samedi 11 juillet 1896, p. 2.

Une seconde séance est organisée, un mois plus tard, toujours au Casino:

Au Casino:
Ce soir, Philémon et Baucis, le suave opéra comique de Gounod.
Puis, projections cinématographiques. De nouveaux numéros nous seront présentés. Parmi ceux qui divertiront le plus l'assistance, à citer les tableaux qui nous feront voir les gentilles ballerines du casino de Vichy, en trian de répéter leurs pas les plus séduisants.
Exactitude absolue et ressemblance parfaite, naturellement. Chacun reconnaîtra les danseuses et pourra s'amuser à les nommer au moment où leur silhouette apparaîtra sur la toile blanche.
Ce va être une soirée très gaie!


Journal de Vichy, Vichy, jeudi 13 août 1896, p. 1-2.

Un très long compte rendu est publié peu après:

LE CINÉMATOGRAPHE AU CASINO
Quelle étonnante invention que le cinématographe!
Le génie humain a trouvé le moyen de galvaniser la photographie et de lui donner toutes les apparences de la vie.
Voilà des êtres, des animaux, des chevaux, des chiens, des oiseaux. La scène est déjà saisissante de vérité, puisqu'elle est la reproduction exacte de la réalité. Le cinématographe fait mieux: il rend à ces êtres le mouvement. On voir les hommes marcher, les animaux courir, les oiseaux battre des ailes.
C'est la reproduction exacte, vécue, de scènes antérieures.
C'est l'emmagasinement, la conservation et comme la mémoire du mouvement.
***
Pour le moment, ce n'est qu'amusant; mais cela peut devenir le point de départ de découvertes merveilleuses.
Au Casino, à la soirée de jeudi, les reproductions cinématographiques ont obtenu le plus vif succès. Toutes ont été applaudies; mais particulièrement les scènes militaires, les  bains de Milan et les tableaux empruntés à Vichy: le jeu de boules, les exercices choréographiques de nos ballerines, le bal d'enfants.
Les représentations militaires sont toujours très appréciées.
Rien de curieux comme de voir, dans un lointain à peine perceptible, une tache noire qui tout à coup se meut, grossit, et offre à nos regards, des cavaliers lancés à toute vitesse qui, se détachant de plus en plus, arrivent sur vous. On croirait qu'ils vont bondir hors du cadre.
Jeudi, dans la séance de cinématographie du Casino, ces cavaliers étaient des cuirassiers qui ont chargé, qui se sont mêlés, qui ont donné le simulacre d'un combat.
On voyait la poussière s'élever sur le champ de manoeuvre, et on entendait le bruit des pas des chevaux. L'illusion était saisissante.
Le défilé d'un régiment d'infanterie a été également très applaudi.
Le succès de rire a été pour les bains de Milan, surtout pour la seconde scène; celle où l'on voit les baigneurs jaillir hors de l'eau comme ils sont représentés dans le tableau.
Les mêmes photographies servent pour les deux scènes: la seule différence, pour obtenir des effets opposés, consiste à les dérouler en sens inverse. Un personnage qui est représenté en train de marcher, recule si l'appareil fonctionne à rebours. Voilà tout le secret facile à deviner de cette scène qui rend pourtant perplexe une petite partie du public.
***
Le clou de la séance, c'était les exercices choréographiques de nos ballerines.
On a d'abord donné une vue d'ensemble du ballet; puis, séparément, on nous a fait assister aux ébats de Mlle Diereick, de Mlle Porro, de Mlle Térésita Riccio. On aurait comme un écho des représentations d'opéra précédentes.
Ce qui ajoutait à l'illusion, c'était le violon d'accompagnement dont on entendait les sons. Ces demoiselles se trémoussaient aux accords de la musique. Une vraie répétition.
Très amusant aussi, le bal d'enfants, avec sur la figure des bébés, ces expressions naïves qui sont si drôles à observer. Les mille petits incidents qui se produisent dans les scènes de ce genre, conservés par la photographie, et animés par le cinématographe, ont fort égayé la salle. Les rires, les pleurs, les chûtes, tout y était.
***
Nous avons dit, tout à l'heure, qu'à l'illusion des yeux on avait joint celle de l'oreille. Pendant l'exposition du tableau des rochers de Biarritz, on entend le bruit de la mer. Plus tard, quand le régiment défile, c'est la musique militaire qui joue une marche connue. Pendant la charge, le clairon sonne. Le bruit des sabots des chevaux retentit. Le canon tonne pendant les manoeuvres de l'artillerie espagnole. Les ballerines dansent au son du violon.
Il semble difficile de pousser plus loin le réalisme du vécu, l'imitation de la vie.
Attendons-nous cependant à voir prochainement le phonographe entrer en jeu et contribuer à son tour, à la reconstitution de ces scènes animées où la fixité de l'image disparaît et où la lumière devient mouvement.
JEAN DE BALLORE.


Journal de Vichy, Vichy, samedi 15 août 1896, p. 1.

Le cinématographe Lumière (Éden-Théâtre, 3 septiembre 1896)

Une séance est donnée dans les premiers jours de septembre à l'Éden-Théâtre

vichy eden theatre 1896 09
Journal de Vichy, Vichy, 3 septembre 1896, p. 1.

Peu après le même journal publie un bref compte rendu des projections:

A L'ÉDEN
[...]
Comme de coutume la merveilleuse invention de MM. Lumière a enthousiasmé le public. Vingt-cinq tableaux cinématographiques ont défilé devant nos yeux, tous plus intéressants les uns que les autres: scènes intimes, vues prises en Russie lors du couronnement du Tsar, instantanés militaires, sujets aussi variés qu'adroitement pris sur le vif.


Journal de Vichy, Vichy, samedi 5 septembre 1896, p. 2.

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