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- Création : 24 mars 2015
- Mis à jour : 13 juin 2023
- Publication : 24 mars 2015
- Affichages : 12653
Georges DEMENY
(Douai, 1850-Paris, 1917)
Jean-Claude SEGUIN
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Philippe, Joseph Demeny (1767-1858). Descendance :
- Philippe, Joseph Demeny (Walhain Saint-Paul, 21/09/1817-Bruxelles, 24/07/1885) épouse (Paris 2e(a), 13/05/1843) Pauline, Caroline De Vignron (La Haye, 27/03/1812-Levallois-Perret, 15 /11/1893)
- Paul Demeny (Douai, 08/02/1844-Arcueil, 30/11/1918)
- épouse (Douai, 23/03/1871) Marie, Charlotte, Aimée, Joséphine Penin (Douai, 07/10/1851-[15]/06/1884)
- épouse (Neuilly-sur-Seine, 31/03/1887) Emma, Julie Legrand (Neuilly-sur-Seine, 04/12/1858-). Descendance :
- Marcel, Paul Laurent Demeny (Neuilly-sur-Seine, 05/03/1890-Clichy-la-Garenne, 19/03/1962)
- Georges, Émile, Joseph Demeny (Douai, 12/06/1850-Paris 18e, 26/10/1917) épouse (Paris 18e, 08/02/1916), Marie, Eugénie Vignarelle (Phalsbourg, 19/08/1858-).
- Paul Demeny (Douai, 08/02/1844-Arcueil, 30/11/1918)
Usage du tréma sur le "y" final
Philippe, Joseph Demenÿ utilise encore le "ÿ" sur sa signature, mais il déclare son premier fils sous le nom de "Paul Demeny" (1844). Pour la naissance de Georges Demeny, il signe sans tréma.
En ce qui concerne Georges "Demeny, il signe avec tréma "Demenÿ" dans la plupart des documents officiels. Ce signe diacritique n'a cependant pas été légalisé officiellement et pour l'état civil, il reste "Demeny" (naissance, mariage, décès).
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Les origines (1850-1891)
Philippe, Joseph Demeny est un élève du Conservatoire de Paris (cours de Zimmermann pour le piano, Reicha pour la composition, Panseron pour l'harmonie) avant de s'installer comme pianiste-professeur à Douai, en 1843. Il mène également une carrière de compositeur: La solitude (rêverie, 1845), La Fête nationale (petit divertissement, 1848), La Jolie Wallonne (valse de salon, 1851), Les Dames de Douai (quadrille élégant à 4 mains, 1852), Appendice au souvenir de la fête de Gayant (1856)... Ses deux enfants, Paul et Georges naissent à Douai. En 1852, Georges Demeny rentre à la pension des Dames de la Sainte-Union, puis, en 1860, au lycée. Il obtient son baccalauréat le 2 juin 1868. En juillet 1874, il s'installe à Paris. Il poursuit des études (École centrale des Arts et Manufactures, cours de licence à la Sorbonne) tout en donnant des cours particuliers pour pouvoir subsister. Son intérêt pour la physiologie se révèle par la suite et il suit des cours au Collège de France et de la Faculté. C'est finalement, à la fin des années 1870 qu'il va s'intéresser à la gymnastique. En 1880, Georges Demeny donne ses premiers cours de Gymnastique rationnelle :
L’ouverture des cours du cercle de Gymnastique rationnelle, dont le siège est rue Guillaume-Tell, 3, aux Ternes, aura lieu samedi 6 mars, à l’école de la rue Laugier, 16, dans le préau de l’école des garçons, sous la présidence d’honneur de M. de Hérédia.
Ces cours sont publics et gratuits, et ont pour but la polarisation des connaissances relatives à la gymnastique rationnelle.
Notre collaborateur M. Emile Corra, conseiller municipal de Neuilly, fera un cours de physiologie et d’hygiène élémentaires du corps humain ; celui d’anatomie élémentaire et mécanique des mouvements sera fait par M. Georges Demeny, professeur libre.
L'Événement, Paris, 4 mars 1880, p. 3.
C'est la même année que Georges Demeny fait la connaissance d'Étienne-Jules Marey Tout en continuant ses cours et conférences sur la gymnastique, il publie De l'éducation physique. À la Station physiologique de Marey, Georges Demeny va occuper une place importante au fil des premières années 1880 et le remplacer à plusieurs reprises lors des différents séjours de Marey à Naples. La collaboration entre les deux hommes va s'intensifier à partir de 1888, et, ensemble ou séparément, ils vont réaliser de très nombreuses séries chronophotographiques.
La photographie de la parole (1891)
L'année 1891 marque une nouvelle étape. S'il poursuit toujours, conjointement avec Marey, ses recherches sur la chronophotographie, il s'engage également sur une voie plus personnelle. Dès le mois de mars 1891, il inaugure l'Institut libre d'éducation physique avec une "causerie" sur les applications de la photographie instantanée à l'étude des mouvements humains :
Sous le nom général d'Institut libre d'éducation physique, va s'ouvrir, dans la salle de la Société de géographie, 184, boulevard Saint-Germain, une série de conférences et de cours sur toutes les parties de l'éducation physique. La première série de conférences sera faite par M. Georges Demeny, chef du laboratoire de la station physiologique (annexe du Collège de France) et collaborateur assidu de M. Marey. Elle s'ouvrira lundi soir, 9 mars, à huit heures et demie, par une causerie sur les dernières applications de la photographie instantanée à l'étude des mouvements humains. Cet attrayant sujet sera mis en lumière par de nombreuses projections de M. Molteni, d'après les clichés du laboratoire.
Le Petit Parisien, Paris, 6 mars 1891, p. 2.
Si l'on s'en tient au titre de la "causerie", on peut penser que Demeny propose de dévoiler les dernières avancées de la chronophotographie. Par ailleurs, en se rendant peu de temps après au Danemark et en Suède, il élargit ses connaissances sur les nouvelles méthodes de gymnastique scandinave. Il va en rapporter des instantanées qui illustrent ses conférences du mois d'avril :
La première série des conférences instituées à l'amphithéâtre de la Société de géographie par la Ligue nationale de l'éducation physique va se clore demain lundi par une causerie de M. Georges Demeny. Le chef du laboratoire de la station physiologique (annexe du Collège de France) rendra compte de sa mission récente en Danemark et en Suède ; les photographies instantanées qu'il a prises dans ce voyage et que des projections Molteni feront passer sous les yeux de l'auditoire forment une collection unique et qui éclaire d'un jour tout nouveau les méthodes gymnastiques de la Suede. Aussi cette conférence est-elle un véritable événement dans le monde de l'éducation physique.
Le Petit Journal, Paris, 26 avril 1891, p. 5.
C'est sans doute à cette époque que Georges Demeny présente pour la première fois à un public un montage chronophotographique sur lequel, un journaliste anonyme va apporter quelques précisions à la fin d'un article principalement consacré aux travaux d'Edison :
S'il n'y en a pas d'autres [images], elle nous semble insuffisante jusqu'à plus ample informé, et nous faisons toutes réserves : M. Marey nous a fait voir depuis longtemps à la station physiologique d’Auteuil, des photographies successives de coureurs et de sauteurs donnant l'illusion absolue du mouvement et de la vie. Ces admirables résultats ont été montrés, il n’y a pas deux mois, par M. Georges Demeny, à ses auditeurs de l’Institut libre d’éducation physique. Et l'on s'explique fort bien que la chose soit réalisable, quand on a vu sur une plaque de verre le même individu reproduit soixante fois dans une seconde, aux diverses phases de son mouvement, de manière à donner soixante images différentes qui se suivent à la file : de telle sorte qu'en faisant passer rapidement la plaque devant l'écrou d'une lanterne le mouvement se trouve fidèlement recomposé.
Mais reproduire, décomposer et recomposer un seul personnage, avec son attitude, son geste, son mouvement, sa physionomie, sa voix, — est une chose : reproduire, décomposer et recomposer toute une scène de théâtre en est une autre. Nous ne disons pas que ce soit impossible, — tant s’en faut, nous demandons simplement à le voir, avant d'admettre que c'est fait et parfait.
Le Temps, Paris, 5 juin 1891, p. 3.
On ne peut qu'être surpris par la lucidité de celui qui écrit ces lignes qui dit bien que ce que présente alors Demeny n'est qu'une suite de photographies. Il résume parfaitement la situation en [avril] 1891. Pour remarquables qu'elles soient, les recherches de Marey, secondé par Georges Demeny, n'en constituent pas moins qu'une simple étape sur un chemin que semble bien annoncer le journaliste, et dont une possible évolution future permettrait de reproduire "toute une scène de théâtre". Sans délaisser ses recherches sur la chronophotographie telle qu'il l'étudie à la station physiologique, Georges Demeny, peut-être influencé par H. Marichelle, professeur à l'Institution nationale des sourds-muets, va s'intéresser à ce qu'il va nommer la "photographie de la parole". Dès le mois d'août, il est en mesure de présenter à Thomas Grimm une série chronophotographique et de l'animer grâce à un zootrope particulier comme le raconte le journaliste :
N'en doutez point, chez lecteurs. Vous pouvez m'en croire sur parole. M. Demeny a bien voulu, dans une visite que je lui ai rendue ces jours derniers, faire tourner son zootrope,-un instrument spécial il est vrai, un peu plus délicat que nos joujoux habituels, -et donner, d'un simple tour de roue, la vie à la longue bande de clichés photographiques représentant, à des intervalles presque inappréciables d'un vingtième ou d'un trentième de seconde, les diverses figures de "l'homme qui parle".
Thomas Grimm, "La photographie de la parole", Le Petit Journal, Paris, 16 août 1891, p. 1.
Georges Demeny publie l'un des tout premiers textes consacrés à cette innovation, en octobre 1891, dans la revue de Nadar, Paris-Photographe. Il accompagne son article de la série chronophotographique "de la bouche d'un sujet prononçant la phrase 'Je vous Aime' obtenue par la méthode du Professeur Marey." Les vues sont présentées à une vitesse de 12 images par seconde.
Animation réalisée à partir de la série chronophotographique publiée dans DEMENY, 1891: 305.
Maurice Vuillaume, en novembre 1891, publie un long article consacré à "la parole photographiée" et explique de quelle manière, il serait possible d'animer les séries chronophotographiques :
Voyez plutôt ce qui se passe avec la bande de mince papier reproduisant les trente positions instantanées et consécutives de la parole photographiée. Insérez cette succession d'images dans un zootrope - vous savez, le zootrope est un petit jouet tournant que vous trouvez dans tous les bazars, qui vous montre un jongleur jouant avec des balles, ou un cavalier au trot, ou tout autre chose -et, en regardant par l'ouverture latérale, après avoir imprimé à l'appareil un mouvement de giration, vous serez tout étonné de voir votre image, par le fait de la superposition rapide, remuer les lèvres, parler enfin.
Le Radical, Paris, 24 novembre 1891, p. 1.
Quelques jours plus tard, Georges Demeny offre une conférence au Conservatoire national des Arts et Métiers, où il va présenter, de nouveau, plusieurs séries chronophotographiques au moyen de la lanterne magique d'Alfred Molteni. Il reste à inventer l'appareil qui permette de voir s'animer les séries chronophotographiques.
Le phonoscope (1892)
Quelques mois plus tard, grâce au soutien de la mairie de Paris, Georges Demeny va inaugurer, le 15 février 1892, à l'hôtel de ville, des cours sur l'éducation physique. Il dépose, peu après, un brevet pour un nouvel appareil, le phonoscope "reproduisant l'illusion des mouvements de la parole et de la physionomie par vision directe ou par projection au moyen d'une lumière" (FR219830. 03/03/1892).
C'est à l'occasion de l'Exposition de photographie, installée au Champ de Mars, en juin 1892, que Georges Demeny va présenter au public son phonoscope installé dans "une petite cabine" où le spectateur peut mettre son " œil en face d'une ouverture ménagée ad hoc" :
HOMMES ET. CHOSES
LA PHOTOGRAPHIE DE DEMAIN
Je me permets de vous conseiller d'aller, un de ces dimanches prochains, faire un léger tour à l'Exposition de photographie installée au Champ de Mars. On y voit des choses fort intéressantes, et même, laissez-moi vous le prédire, des choses absolument merveilleuses.
[...]
C'est une vieille connaissance que nous retrouverons du reste là, M. Georges Demeny, dont j'ai déjà eu l'occasion de vous parler, à propos de récentes recherches sur l'étude des mouvements appliquée à l'éducation physique. Sur l'initiative de nos amis du Conseil municipal et sur celle de Paschal Grousset, fondateur de la Ligue d'éducation physique, M. Demeny a été chargé de professer à l'Hôtel de Ville un cours fort utile qui est comme une sorte de préface à l'institution d'une école normale municipale de gymnastique.
Revenons à nos portraits. Lorsque vous aurez rencontré, dans l'une des salles de l'exposition le coin réservé aux admirables études de M. le professeur Marey sur la marche, le saut, le vol, et tout ce qui a trait au mouvement, il vous sera loisible d'entrer dans une petite cabine où le spectacle le plus curieux et le plus inattendu se révélera à vos yeux. C'est là le repaire où vous aurez le loisir d'admirer le portrait animé. Vous mettez votre œil en face d'une ouverture ménagée ad hoc, et, ô prodige, se détache, devant vous, une photographie violemment éclairée, vivante et remuante. La bouche s'ouvre et se ferme, la langue se meut, les yeux brillent, la face entière s'agite. C'est, en un mot, la photographie des traits en mouvement, l'original dont on a su emprisonner la vie pendant quelques secondes, pour la conserver éternellement.
Voyez-vous d'ici, lecteurs étonnés, tout ce que vous pouvez attendre de cette mirifique découverte de M. Demeny ? Votre imagination peut travailler à son aise sur ce chapitre. Vous n'avez jusqu'ici eu en main, que des portraits immobiles ; vous avez maintenant le portrait vivant. L'orateur célèbre dont vous ne pouvez saisir aujourd'hui le visage que dans une seule et froide attitude, vous pourrez vous le procurer chez le premier libraire venu, dans l'exercice même de ses hautes fonctions, prononçant et mimant l'une de ses phrases favorites. On vous vendra désormais M. de Bismark, jetant à la face du monde son fameux : la force prime le droit — phrase très peu authentique du reste — au lieu de vous le donner tout bonnement occupé à caresser son chien favori.
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Vous voudriez bien savoir comment on est arrivé à pareille merveille ? C'est au fond fort simple. M. Demeny photographie, à des intervalles excessivement courts, les phases successives de l'original qu'il s'agit de représenter, que le modèle parle, gesticule, ou accomplisse un acte quelconque émanant de sa volonté. Il peut obtenir ainsi dix, quinze poses d'un mouvement parseconde. Il réunit ensuite ces photographies successives, et instantanées dans un appareil de son invention, une sorte de zovtrope [sic] perfectionné, qu'il appelle phonoscope, et, par le moyen d'un simple mouvement rotatif, il en exécute la synthèse. Les photographies élémentaires, en se recouvrant l'une l'autre, donnent à l'œil l'impression très exacte des mouvements de l'original.
Et ce n'est pas seulement la parole même que l'on arrive ainsi à reproduire de la plus scrupuleuse et merveilleuse façon. C'est un phénomène quelconque. Au laboratoire de physiologie d'Auteuil, que dirige avec tant d'autorité et de science M. le professeur. Marey, M. Demeny m'a montré des séries d'épreuves photographiques successives représentant les sujets les plus divers : un personnage qui joue du violon, une jeune fille qui sourit, un compère qui éternue, et mille autres choses.
Placez l'une ou l'autre de ces épreuves dans le phonoscope, et vous voyez — oui, vous voyez très nettement — non plus les photographies distinctes, mais un seul portrait, vivant, remuant, qui éternue, sourit, joue du violon, en pleine vie. Je vous dis que c'est tout ce qu'il y a de plus étonnant. Bien sûr, on va en parler pas mal d'ici peu. Pour mon compte, j'éprouve la plus grande joie à saluer un des premiers la curieuse idée de M. Demeny. Un jour ou l'autre, l'industrie s'emparera de cette joyeuse invention, et, ce jour-là, la photographie actuelle sera dépassée de cent coudées. Le portrait animé est certainement la photographie de demain. Allez-y voir, et vous verrez que j'ai raison de vous l'annoncer.
MAXIME VUILLAUME.
La Radical, Paris, 7 juin 1892, p. 1.
Maxime Vuillaume (Saclas, 18/11/1844-Neuilly-sur-Seine, 25/11/1925)
Le journaliste dans les dernières lignes de son article fait preuve d'une grande clairvoyance.
La Société Générale du Phonoscope (1892-1895)
Le lancement et les premières difficultés (1892-1894)
Sans doute convaincu que son phonoscope a de l'avenir, Georges Demeny va fonder une nouvelle société. Dans des conditions non éclaircies, il rentre en contact avec Ludwig Stollwerck, fabricant de chocolat et de bonbons, et William Gibbs Clarke, beau-frère de François-Henri Lavanchy-Clarke. La société a pour but "l'exploitation industrielle et commerciale de l'appareil dit phonoscope destiné à reproduire l'illusion des mouvements de l'homme ou des objets animés, soit par vue directe, soit par projections lumineuses."
Statuts de la Société Générale du Phonoscope (Paris. 20 décembre 1892) Source: Schokoladen Museum Stollwerck, Cologne. Reproduit dans : LOIPERDINGER, 1992: 14. |
En outre, Georges Demeny ouvre un laboratoire chronophotographique à Levallois-Perret (Villa Chaptal) au moment de la fondation de la société.
En 1893, nous allions souvent rendre visite à M. Demeny, à la villa Chaptal, 17, à Levallois-Perret. M. Demeny possédait là un laboratoire bien installé, quoique modeste. Dans ce laboratoire, on faisait aussi de la bonne musique, car M. Demeny était très artiste. Dans le monde scientifique et photographique on parlait alors beaucoup de la découverte de M. Demeny: aussi de nombreux visiteurs, industriels et financiers, se succèdent-ils à la villa Chaptal.
DUCOM, 1924: 43.
Au cours des premiers mois de l'année 1893, dans un registre conservé, on peut suivre les recettes et les dépenses ainsi que les initiatives pour le développement commercial de la Société Générale du Phonoscope. Par ailleurs, les rapports avec Étienne-Jules Marey sont alors très dégradés, même s'ils cosignent Études de physiologie artistique. Son patron lui reproche ses multiples absences. Craignant sans doute que Demeny ne profite de ses recherches, il dépose un brevet (FR231.209. 29/06/1893) pour un "appareil chronophotographique applicable à l'analyse de toutes sortes de mouvements." Le point de rupture est atteint en juillet 1893 comme en témoigne le courrier que lui envoie Étienne-Jules Marey :
Paris, 25 juillet 1893
Mon cher ami,
Je vous ai prié de m'envoyer sans retard votre démission, c'est pour vous une manière honorable de vous retirer et je ne voudrais pas que l'Administration fût obligée d'intervenir. Vous sentez bien que cette mesure est nécessaire, que vous vous êtes entièrement désintéressé des recherches scientifiques et que je ne puis me passer du concours d'un préparateur effectif.
En vous priant de vous hâter, j'ai dû ajouter que nous n'avons que le temps de régler cette affaire avant les vacances. J'attendrai donc votre lettre jusqu'à jeudi matin.
Bien à vous.
MAREY.
Reproduit dans : DEMENY, 1909: 60.
Georges Demeny va retarder le plus possible son départ de la Station Physiologique pour pouvoir continuer à percevoir son salaire, mais il ne se consacre plus qu'aux projets de sa société. Ses ambitions finissent pas coûter cher, il en est de sa poche, et ses associés vont finalement s'inquiéter de la situation. Afin de remettre à flot les finances de l'entreprise, ils lui proposent l'émission de "parts d'intérêt", émises en septembre 1893.
Société Générale du Phonoscope, "Part d'intérêt au porteur" (nº 418) (1893)
Source: Cinémathèque française
Reproduit dans: MANNONI, 1995: 321.
Mais le statut de la société (association en participation) ne permet pas d'émettre ce type de "part d'intérêt". Voici la version qu'en donne Georges Demeny :
J'apportai cette nouvelle invention à la Société du Phonoscope, mais mes collègues ne la comprirent point; du reste, je connaissais la valeur de mon apport et j'exigeai des conditions plus avantageuses. On résolut alors de se transformer en société d'exploitation et d'émettre des parts d'intérêts. Un registre d'actions fut imprimé et 300 parts attribuées aux apports, les 200 autres devaient être émises pour se procurer l'argent nécessaire à l'exploitation.
Averti de l'illégalité de cette manière de faire contraire aux lois françaises sur les sociétés, je sommai la Société du Phonoscope de se dissoudre et je fis saisir les actions portant ma signature avant leur émission. Mais j'étais toujours lié par mon premier engagement et obligé ainsi, si j'exploitais seul, de partager mes bénéfices avec les deux autres tiers. Je fis toutes les démarches nécessaires pour mettre fin à cette situation intolérable. J'avais dépensé 40.000 francs en recherches et installations. Je cherchai des concours financiers pour rentre dans mes débours.
Si Georges Demeny semble renvoyer la responsabilité sur ses deux associés, il faut tout de même rappeler que la Société Générale du Phonoscope n'a pu être fondée que grâce à leur apport financier. Pressé sans doute par la situation délicate de l'entreprise, il dépose un brevet (FR233337. 10/10/1893) en octobre pour un "appareil destiné à prendre des séries d'images photographiques à des intervalles de temps égaux et très rapprochés sur une pellicule sensible". Cet appareil chronophotographique n'est en fait qu'une évolution du chronophotographe d'Étienne-Jules Marey. Dans le registre, on peut lire que le 28 octobre 1893, le constructeur Otto Lund livre un premier exemplaire de la caméra qui va lui permettre de réaliser les séries chronophotographiques à la villa Chaptal. À la fin de l'année 1893, les dépenses dépassent les investissements initiaux et toutes les économies de Georges Demeny y passent. Sans doute aidé par Ludwig Stollwerck, Georges Demeny parvient à augmenter la production de phonoscopes dont la construction semble s'effectuer à Sainte-Croix (Suisse).
Les informations figurant sur le registre, pour les premiers mois de l'année 1894, mettent en évidence la lenteur des opérations. À la date du 25 avril, figure la mention "Course chez Mr. De Bedts" qui semble marquer un premier contact avec cet autre pionnier. On sait également (14-30 juin) que Demeny se déplace à nouveau à Sainte-Croix. Par ailleurs, sa situation personnelle n'est toujours pas réglée à la Station Physiologique d'où Étienne-Jules Marey finit de le débarquer en juillet 1894. En outre, dès le 16 juillet, à Paris, Le Petit Parisien a installé, dans la salle des dépêches, un kinétoscope qui attire de nombreux visiteurs, au rang desquels on trouve Marey lui-même. On imagine que Georges Demeny se déplace également pour découvrir l'invention de Thomas Alva Edison qui est plutôt de nature à inquiéter le savant. La solution de l'Américain offre un débouché satisfaisant et rentable pour les images en mouvement. Curieusement, Georges Demeny ne dit mot du kinetoscope dans son opuscule Origines du Cinématographe, à l'exception de la mention du brevet (p. 6). De son côté, il dépose un certificat d'addition à son brevet de 1893, le 27 juillet 1894 avec un nouveau système dit de "came battante" qu'il présente d'ailleurs le jour même, à l'hôtel Continental, en tentant de séduire le public des photographes amateurs avec son appareil chronophotographique :
Ainsi construit, l'appareil chronophotographique devient d'un volume et d'un poids tels qu'il constitue absolument un appareil d'amateur : on peut facilement l'emporter avec soi comme un appareil de touriste. Une foule d'adeptes de la photographie vont donc désormais pouvoir faire non seulement le portrait vivant, mais encore l'étude de tous les mouvements ; car, en plaçant ensuite ces épreuves dans un zootrope, on reconstituera le mouvement lui-même. Ces épreuves, qui avaient, jusqu'à présent, été considérées comme devant être obtenues par quelques privilégiés, dans des laboratoires spéciaux, sont maintenant à la portée de tout le monde. C'est un réel progrès sur lequel le Génie Civil aura l'occasion de revenir.
Le Génie civil, nº 634, 4 août 1894, p. 214.
Malgré ses efforts, la Société Général du Phonoscope piétine. Il peut certes compter sur Georges De Bedts qui offre une vitrine à son chronophotographe et son phonoscope :
ECHOES OF SCIENCE
M. George Demeny has invented a chronophotographic camera, by which a quick succession of photographs of a person smiling can be taken, suitable for combining in a zoetrope apparatus, so as to give an animated reproduction of the future, in short a “speaking likeness.” The problem to be solved is the same as that of Edison’s kinetograph, but M. Demeny’s apparatus is much simpler than Edison’s and quite portable. We have not space to describe the mechanism, but the instrument can be seen at the Anglo-American Import Office, 368, Rue Saint-Honoré, Paris.
The Globe, London, Friday, October 5, 1894, p. 6.
De leur côté, les associés se font de plus en plus pressants et demandent des résultats, là où ils ne voient rien venir. Georges Demeny part alors en quête de nouveaux collaborateurs possibles.
Les contacts infructueux avec les Lumière (1894-1895)
Il faut en effet trouver des capitaux pour relancer l'affaire. Les premiers auxquels Georges Demeny s'adresse, ce sont les frères Lumière qui sont des industriels prospères et connus pour leur entreprise de plaques photographiques. Ce n'est pas la première fois qu'il est en contact avec eux et, antérieurement, Demeny a écrit aux Lumière afin de se fournir en matériel photographique (lettre du 10 octobre 1893). En octobre 1894, alors que la Société Générale du Phonoscope bat de l'aile, il s'adresse aux Lyonnais pour leur proposer de rentrer dans la société après avoir exposé l'état de ses recherches :
J'ai eu pour m'aider dans mes essais, deux commanditaires, mais l'affaire est assez importante pour être mise sur un plus grand pied et je suis à la veille d'étendre notre petite Société d'études.
Georges Demeny, A Messieurs Lumière Fils, Paris, 5 octobre 1894.
Georges Demeny passe sous silence la véritable raison de sa missive, à savoir, les difficultés qu'il rencontre avec Ludwig Stollwerck et François Henri Lavanchy-Clarke et, plus généralement, avec la société qu'il a fondée. Dans un nouveau courrier, en date du 1er novembre 1894, il propose un rendez-vous aux Lumière, à Paris auquel ils répondent favorablement le 21 novembre 1894. C'est peu après que se situe la rencontre entre Georges Demeny et Louis Lumière, objet de nombreux débats et polémiques. La date de cette rencontre est loin d'être anodine et elle a pu être déterminée grâce à un dossier conservé par la famille Demeny où figurent des courriers de la maison Lumière et des croquis représentant différents éléments chronophotographiques.
"Croquis et projets présentés à M. Louis Lumière lors de sa visite à mon laboratoire de chronophotographie à Levallois-Perret en 1895. On aura la date en consultant L'Illustration. Légende de Faust." MANNONI, 1997: 80. |
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"Grand projecteur. Projets présentés à M. Louis Lumière lors de sa visite à Levallois-Perret dans mon laboratoire de chronophotographie" MANNONI, 1997: 80. |
"pointes s'enfonçant dans la pellicule" MANNONI, 1997: 80. |
Dessin 3 MANNONI, 1997: 80. |
Dessin 4 MANNONI, 1997: 80. |
Cette liasse de documents a été constituée plusieurs années après leur date de création et les mentions figurant sur la couverture sont difficiles à dater (une fourchette possible: 1900-1917), mais elles sont, en tout cas, bien postérieures. On peut lire : "Croquis et projets présentés à M. Louis Lumière lors de sa visite à mon laboratoire de chronophotographie à Levallois-Perret. On aura la date en consultant L'Illustration. Légende de Faust." À l'occasion de la 1000e représentation de Faust à l'Opéra de Paris, les journaux illustrés rendent hommage à Gounod. Si L'Illustration consacre bien un article à Faust, c'est L'Univers illustré qui en fait sa une.
L'Univers illustrée, 37e année, nº 2073, samedi 15 décembre 1894.
La revue paraissant le samedi, on a tout lieu de croire, si l'on tient pour vraie l'information donnée par Georges Demeny, que le rendez-vous à Levallois-Perret a eu lieu dans la semaine du 17 au 23 décembre. Il convient de rapprocher cette datation d'une information publiée dans la presse lyonnais. Alphonse Seyewetz (A.S.), collaborateur et proche des frères Lumière, tient la chronique scientifique du quotidien local, Lyon-Républicain. Ces articles paraissent de façon irrégulière. Le 26 décembre 1894, il publie, sous le titre "La Photographie Vivante", un long article consacré presque de façon exclusive à Edison, le kinetographe et le kinetoscope (le nom n'est pas cité). À la toute fin, le journaliste scientifique nous fait part d'une indiscrétion :
Ajoutons enfin, au risque de commettre une indiscrétion que nos deux savants compatriotes les frères Lumière, auxquels la science photographique est particulièrement redevable d’un grand nombre d’ingénieuses inventions, travaillent actuellement à la construction d’un nouveau kinétographe, non moins remarquables [sic] que celui d’Edison et dont les Lyonnais auront sous peu, croyons-nous, la primeur.
Lyon républicain, Lyon, 26 décembre 1894.
Le rendez-vous a donc lieu à une date cruciale, et l'on comprend qu'il ait suscité autant de débats et de polémiques. Si l'on veut bien admettre que la parole de Louis Lumière vaut bien celle de Georges Demeny, il faut se reporter également aux déclarations du premier :
Profitant d'un voyage à Paris, je lui rendis visite. Mais nous ne causâmes nullement de questions techniques. Il s'étendit sur les difficultés qu'il avait avec ses commanditaires et insista pour que nous nous intéressions à son affaire. Il s'agissait de son phonoscope sur plaques de verre. Je ne vis aucun appareil. Il m'est d'autant plus facile de le dire qu'à l'heure actuelle j'en suis encore au même point, n'ayant jamais vu fonctionner aucun appareil de Demeny.
Je lui fis connaître qu'il nous était impossible d'entrer alors dans sa Société et que ce n'était que lorsqu'il serait dégagé vis à-vis de ses associés que nous pourrions peut-être nous occuper de la question.
Je lui appris, en outre, que depuis longtemps déjà, j'étudiais la possibilité de projeter les images cinématographiques en longues séries.
Là se bornèrent nos relations verbales.
Les positions sont-elles pour autant aussi différentes qu'on a bien voulu l'écrire et le croire ? Il faut tout d'abord revenir à l'objet même de cette rencontre sur lequel les deux savants s'accordent : Georges Demeny, qui se trouve dans une situation délicate, cherche à intéresser Louis Lumière à sa Société Générale du Phonoscope. Malgré l'insistance de Demeny, Louis Lumière reste prudent et n'a pas l'air, au moins dans l'immédiat, de vouloir s'engager sur une voie qu'il juge incertaine. Si l'on en croit Georges Demeny, c'est donc incidemment qu'il aurait montré à Louis Lumière ces quelques croquis encore à l'état d'ébauche (la présentation même permet de dire que ce sont plutôt des brouillons). Dans quel but ? Sans doute pour convaincre Louis Lumière de l'intérêt de rentrer en participation dans son entreprise, en lui faisant miroiter des perfectionnements aux appareils qu'il a déjà brevetés, le phonoscope et l' "appareil destiné à prendre des séries d'images photographies", Louis Lumière a-t-il vu ces croquis ? Pourquoi pas ? Il n'en dit mot. Il signale simplement qu'il n'a vu "aucun appareil" et Demeny n'a jamais prétendu qu'il lui en avait montré un. Mais finalement, n'a-t-on pas monté en épingle, pour des enjeux d'une autre nature, une simple rencontre dont la banalité se manifeste doublement. D'une part, si Georges Demeny avait pensé que ses croquis pouvaient avoir un réel intérêt pourquoi avoir attendu alors le 25 mai 1895, soit 5 mois après le rendez-vous de Levallois-Perret, pour déposer un nouveau certificat d'addition pour un "perfectionnement ayant pour but d'obtenir des images photographiques aussi nombreuses que l'on désire sur une pellicule continue." D'autre part, Louis Lumière, dont on sait que son "kinétographe", nom que lui donne Alphonse Seyewertz, est alors pratiquement finalisé et sur le point d'être présenté, a-t-il besoin de ces ébauches ? Ce qui préoccupe réellement Georges Demeny, c'est de faire fléchir Louis Lumière. Pour cela, il n'hésite pas à demander à son associé, François-Henri Lavanchy-Clarke, de se rendre à Monplaisir afin de rencontrer l'entrepreneur lyonnais et, à cet effet, il envoie un nouveau courrier le vendredi 28 décembre :
MONSIEUR,
J'ai vu M. Lavanchy Clarke, un de mes associés, dont je vous ai parlé ; il doit partir dans le Midi quelques jours et compte vous donner rendez-vous sur la route dimanche ou lundi.
Vous m'obligeriez beaucoup si vous pouviez vous entretenir un instant avec lui au sujet de notre affaire, car il est très probable que vous trouverez une solution pratique afin d'utiliser le travail que j'ai produit.
Le temps est trop mauvais pour le tirage des épreuves, je vous en enverrai dans quelques jours et croyez à ma sympathie.
L'empressement de Georges Demeny est manifeste surtout que les dates fixées - lundi 31 décembre 1894 ou mardi 1er janvier 1895 - ne semblent guère propices à un rendez-vous entre Louis Lumière et François-Herni Lavanchy-Clarke. L'objet de cet entretien tient en une ligne, mais il n'est pas très explicite pour un lecteur non averti. On peut penser toutefois que Georges Demeny relance Louis Lumière sur sa prise de participation dans l'entreprise, la Société Générale du Phonoscope, en lui proposant ce qui pourrait apparaître comme une collaboration scientifique : Louis Lumière serait susceptible de résoudre de façon pratique, un "travail" (une idée ? une invention ?) qu'il a produit. Nous n'en savons pas davantage et nous ignorons même si cette entrevue a bien eu lieu. Ce que l'on sait, en revanche, c'est que les collaborateurs de Georges Demeny s'impatientent et ne voient guère arriver les améliorations promises par Demeny, ce dont témoigne la lettre de Stollwerck , datant du 10 février 1895 où le commerçant allemand exprime son mécontentement :
Pour conclure ces lignes, soyez encore une fois assuré que je regrette extrêmement à titre personnel le cours de toute l'entreprise. Mais vous ne devez en aucun cas en rejeter la faut sur M. Lavanchy ou moi-même, car vous devez réfléchir à ce qu'en tant que spécialiste vous nous aviez promis il y a deux ans. Dans le domaine de la photographie, vous étiez et êtes encore un spécialiste, tandis que M. Lavanchy et moi-même, nous sommes des commerçants et des profanes.
Lettre à Georges Demeny.10 février 1895. Citée dans: DEMENY, 1997: 70-71.
La promesse de parvenir à une solution technique et pratique satisfaisante d'un appareil chronophotographique - les croquis sont des propositions théoriques dont il faut trouver les applications possibles - n'est pas tenue et face à la pression de ses associés, Georges Demeny relance, le 19 mars 1895 Louis Lumière qui est de retour à Paris, le 22 mars, pour présenter son cinématographe à la Société d'Encouragement pour l'Industrie Nationale :
MONSIEUR,
J'ai appris avec plaisir votre arrivée à Paris pour une conférence relative à la photographie.
Je viens vous demander de me donner quelques minutes comme suite à l'entretien que nous avons déjà eu ensemble.
Recevez mes salutations cordiales.
DEMENY.
Je vous prie de me prévenir par dépêche télégraphique, les lettres n'arrivant ici que comme en province.
Geroges Demeny, croyant que Louis Lumière ne souhaite pas lui répondre, lui renvoie un courrier un peu amer :
MONSIEUR,
Lors de votre présence à Paris tout dernièrement, je vous avais écrit un mot à votre hôtel (Rougemont) pour vous prier de conférer avec moi.
Je ne sais si vous l'avez reçu, et je regrette vivement de n'avoir pas connu à temps votre conférence, surtout depuis que je sais que vous avez traité avec succès les questions que je travaille spécialement.
Je viens vous demander si vous êtes toujours disposé à étudier avec moi et à joindre à vos résultats ceux que j'ai obtenus et qui sont tout à fait pratiques.
En attendant un mot de réponse, je vous présente mes meilleures salutations.
DEMENY.
Dans cette dernière lettre, Georges Demeny reconnaît implicitement que Louis Lumière l'a pris de vitesse et qu'il a "traité avec succès les questions" qu'il "travaille spécialement". En réalité, le Lyonnais va bien lui répondre dans un courrier qui permet d'éclairer bien des points.
Louis Lumière à Georges Demeny, Lyon, 28 mars 1895. BESSY, 1948: 101. |
La lettre de Louis Lumière est sans appel. Il confirme qu'il lui a parlé de ses recherches lorsqu'ils se sont vus en décembre et il constate qu'ils suivent des chemins différents. À la fin du courrier, l'inventeur lyonnais lui dit que l'avenir est aux appareils réversibles. La collaboration que souhaite Georges Demeny ne se fera pas.
L'ensemble des documents dont nous disposons conduit à penser que, sous la pression de ses deux associés, Georges Demeny a donc cherché, dans un premier temps, à intéresser Louis Lumière à sa Société Générale du Phonoscope afin de régler la situation financière critique de l'entreprise. Face aux réserves de l'industriel lyonnais, Demeny lui a montré l'avancée théorique de ses travaux sur quelques croquis vite lancés sur quelques feuilles et qui, si une solution pratique était trouvée, permettrait à la Société Générale du Phonoscope d'avoir d'autres ambitions. Louis Lumière a-t-il pu s'inspirer d'une ou plusieurs de ces propositions théoriques ? Sa réponse permet d'en douter. Lors de cet entretien les deux savants ont échangé sur leur projet respectif qui semble alors déjà assez éloignés l'un de l'autre.
En février 1909, Georges Demeny donne une conférence à la Ligue Française de l'Enseignement dont une version est publiée, curieusement, dans A provincia, un journal de Recife (Brésil). Les Origines du cinématographe reprend le texte de la conférence sans doute revu et amplifié. Voici ce qu'il écrit au sujet de ces contacts infructueux :
M. G. Richard, alors directeur du Comptoir de Photographie, signa avec moi un contrat assez avantageux, mais il dut abandonner l'entreprise à cause d'un procès en cours que lui intentait son frère. Je demandai le concours de la maison Lumière qui m'offrit sa précieuse collaboration et une somme importante à la condition de me débarrasser de mes associés; mais j'étais lié par des traités qui ne purent être résiliés que le 6 juin 1895. En mars de cette même année, les frères Lumière montraient, sous le nom de cinématographe à la Société de Physique, un appareil d'un mécanisme différent du mien et l'on sait avec quel succès. J'étais ainsi dépassé.
Cet échec conduit Georges Demeny à chercher de nouvelles collaborations comme il le raconte lui-même :
Mon affaire passa alors entre d'autres mains sans aboutir à l'exploitation. MM. de Bedts, Otto, Krauss, Martin, Prieur, Watillaux, Barbou, etc., l'eurent tour à tour sans oser l'entreprendre. Autant de projets de contrats, autant d'insuccès, autant de ruptures.
Au début de l'année 1895 - peut-être même avant -, Georges Demeny est également en contact avec l'un des frères Richard, Félix Maxime avec lequel il a des échanges épistolaires : un courrier en date du 25 février 1895 et un autre du 3 avril 1895. Le procès qui oppose entre eux les frères Richard met un terme à ces contacts, d'autant plus que le Comptoir Général de Photographie va bientôt passer entre les mains de Léon Gaumont, fondé de pouvoir de l'entreprise.
Au cours de ces quelques années, Georges Demeny va réaliser une série de vues chronophotographiques dont on ignore avec précision le nombre.
Danseuse exécutant un entrechat (Georges Demeny, c. 1894) [disque phonoscopique]
Alors que la Société Générale du Phonoscope est moribonde, Georges Demeny va déposer, le 25 mai 1895, un nouveau certificat d'addition à son chronophotographe dont l'objet principal est de le rendre réversible :
L'emploi de mon appareil à séries photographiques tant de ses principes essentiels que de ses différents organes à la synthèse du mouvement, c'est-à-dire à l'usage inverse de celui de prendre des séries d'images négatives et quelles que soient les variations apportés dans le mode d'entrainement de la bande.
Peu après, en juin 1895, la Société Générale du Phonoscope disparaît. Quelques jours plus tard, Georges Demeny va officialiser ses relations commerciales avec Georges De Bedts avec un projet de contrat, en date du 15 juillet 1895 qui envisage de formaliser une réelle commercialisation exclusive de l'ensemble des appareils inventés par Georges Demenÿ :
Mr. Demenÿ concède à Mr. de Bedts qui accepte sous les conditions suivantes, le dépôt général exclusif pour la France et ses Colonies, des appareils et inventions brevetées lui appartenant relatives à la photographie du mouvement, savoir : 1º L'appareil à séries photographiques, modèle pour amateurs, 2º L'appareil " Phonoscope " de salon et pour projections animées, 3º Les disques à images positives pour phonoscopes et zootropes ordinaires.
Ne sont pas compris dans le dépôt, les appareils destinés à projeter les positifs en longues bandes pour illusions théâtrales, les appareils à séries photographiques pour professionnels donnant de grandes images négatives et les appareils phonoscopes automatiques. Les appareils précédents n'étant pas encore construits feront l'objet d'une autre branche d'exploitation que se réserve Mr. Demenÿ.
Cité dans Laurent Mannoni, Le Grand Art de la lumière et de l'ombre, Nathan Université, 1994, p. 387.
Finalement, il ne semble pas que le contrat ait été signé puisque à peine quelques jours plus tard, Georges Demeny va trouver une autre solution autrement satisfaisante.
La collaboration avec Léon Gaumont (1895-1900)
Le bioscope et le le biographe (1895)
Après une série d'échecs, Georges Demeny va se tourner vers Léon Gaumont afin de relancer ses recherches. Dès le 25 juillet 1895, ce dernier envisage une collaboration :
[à Georges Demeny, Levallois-Perret]
Paris, le 25 juillet 1895
Monsieur Demeny
17, Villa Chaptal.
64 rue Chaptal. Levallois-Perret.
Je vous accuse réception de votre honorée du 23 courant par laquelle vous voulez bien me faire connaître les conditions auxquelles vous seriez disposé à céder au Comptoir général l'exploitation des Inventions que vous avez brevetées, pour l'obtention et la reproduction des épreuves Chronophotographiques.
Ainsi que je vous l'ai dit, pour des questions aussi importantes, j'ai à prendre l'avis de quelques personnes amies qui veulent bien me servir de Conseil. J'espère que vous voudrez me faire savoir le plus tôt possible si je puis faire prendre chez vous (quel jour et à quelle heure) l'appareil en acajou que nous considérerons comme modèle définitif, ainsi que le Phonoscope de salon que vous m'avez montré, et qui peut servir au besoin pour des projections.
Je vous demanderais aussi de vouloir bien me spécifier exactement la liste du matériel que vous pourriez mettre à ma disposition pour l'exploitation des disques, etc. etc.
Dans l'attente de vous lire, je vous prie d'agréer, Monsieur, mes salutations les plus distinguées.
L. Gaumont & Cie.
CORCY, 1998: 34-35.
Encore fondé de pouvoir lorsqu'il écrit ces lignes, Léon Gaumont est sur le point de prendre la main sur le Comptoir Général de Photographie, chose faite quelques jours plus tard. L'acte de constitution de la société en nom collectif L. Gaumont et Cie est fait à Paris le 10 août 1895 et à Chamonix, le 12 août 1895, enregistré le 2 septembre 1895.
Dès lors c'est cette nouvelle société qui prend en charge, tout d'abord, la récupération des appareils qui sont en dépôt chez Georges De Bedts. Ce dernier d'ailleurs trouve le moyen de dépanner en pellicule la jeune entreprise comme le rapporte Léon Gaumont :
Paris, le 7 septembre 1895
Monsieur Demeny,
Chez Monsieur Desjobert,
à Locquiree, près Morlaix, Finistère
Cher Monsieur,
J'attendais, pour faire l'expédition des pellicules, de pouvoir faire un envoi de quelque importance. En dehors des trois rouleaux que vous avez emportés, la maison Debetz [sic] n'en avait que trois autres en magasin. Pour nous donner satisfaction, Monsieur Debetz a bien voulu faire couper en deux des bobines de 12 cm, ce qui me procure le plaisir de vous adresser aujourd'hui, par colis postal, à l'adresse que vous nous avez indiquée, 15 bobines de 60 mm de largeur.
J'espère que vous nous rapporterez des vues intéressantes de votre voyage.
Monsieur Debetz m'a appris qu'il venait d'obtenir la concession pour la France, d'appareils genre Edison, il m'a montré de petites vues en bandes de 10 mètres de long que j'ai trouvé très réussies.
Veuillez agréer, Monsieur, mes bien sincères salutations.
L. Gaumont & Cie.
CORCY, 1998: 41.
À ce moment-là, Georges Demeny se trouve à Locquirec par Lanmeur, près de Morlaix - où il sera encore le 17 septembre - afin de prendre des vues pour le phonoscope. En parallèle, la production est relancée. Si l'on se fie à la correspondance conservée, on peut établir que le 24 septembre, aucun appareil n'est encore sorti : "On pourrait de cette façon faire une comparaison, et de plus avoir au moins un disque à mettre d. le premier phonoscope qui sera monté ?". Avant de les inclure dans son catalogue, la maison Gaumont va déposer, le 17 octobre 1895, les marques "bioscope" et "biographe" qui ne constituent qu'un changement de nom pour le "phonoscope" et le "chronophotographe". Deux autres marques sont également déposées le même jour.
Bulletin officiel de la propriéé industrielle et commerciale, année 1895, p. 965. |
Le bioscope commence sa commercialisation en novembre 1895, et le biographe, en février 1896, mais ils ne trouvent pas leur public. Les temps ont changé et l'heure est désormais au spectacle cinématographique :
Mais, hélas ! un disque ne pouvait porter qu'une quarantaine d'images et, lors de la projection, le rendement lumineux sur l'écran était si faible qu'une exploitation dans ces conditions en pouvait être envisagée.-Quoi qu'il en soit, un certain nombre de ces appareils furent construits avec l'espoir que les photographes professionnels les utiliseraient pour la réalisation de portraits sous une forme plus vivante.
GAUMONT, 1935: 6.
Léon Gaumont se rend ainsi compte que ces appareils sont dépassés, d'autant plus que depuis le 28 décembre 1895, le cinématographe Lumière est présenté au Grand Café et qu'il propose une solution techniquement et économiquement mieux adaptée :
Mais à ce moment apparut le Cinématographe L. Lumière qui anéantit brusquement et complètement tous les efforts faits pour le "Biographe" et le "Bioscope". Le coup fut dur pour Demeny de rendre son Biographe réversible, et d'employer la bande perforée pour obtenir plus de régularité dans la prise de vue et dans la projection.
GAUMONT, 1935: 6.
Georges Demeny ne va pour autant renoncer comme le prouvent les nombreux certificats d'addition qu'il dépose au cours de l'année 1896 (10/04/96. 11/04/96. 28/04/96. 21/07/96. 10/10/96. 09/12/96).
Le chronophotographe 60 mm (58 mm) (1896)
Les premières projections publiques et payantes du cinématographe Lumière, le 28 décembre 1895, vont changer totalement la donne. Le succès qui s'amplifie de jour en jour va poser à Léon Gaumont une question délicate : Si le bioscope au même titre que le kinetoscope vont vite être rangés au magasin d'antiquités, quid du biographe ? L'appareil dont le brevet date du 10 octobre 1893 a connu un premier certificat d'addition (27 juillet 1894), puis un second (25 mai 1895). Au début de l'année 1896, les enjeux sont désormais très différents. Peut-on alors faire évoluer le biographe vers un appareil qui pourrait concurrencer le cinématographe Lumière ? Le 24 février 1896, Léon Gaumont transmet un courrier à Georges Demeny où il lui fait part de ses inquiétudes sur la situation que traverse le Comptoir Général de la Photographie :
[à Georges Demeny]
24 février 1896
Cher Monsieur Demeny,
J'apprends à regret votre indisposition, j'espère qu'elle ne sera que passagère & qu'avant peu nous aurons le plaisir de vous revoir.
Je désirerais beaucoup connaître votre avis sur l'opportunité de la vente des appareils construits, les mois s'avance & je ne sais comment nous arriverons à nous entendre.
Le modèle 4 1/2 x 6 réversible en construction me semble pouvoir soutenir la concurrence qui s'annonce comme terrible sur cet article... Devons-nous l'arrêter ou le vendre ? Une solution s'impose & il me serait agréable que nous la trouvions au plus tôt.
A vous bien cordialement.
L. Gaumont & Cie.
CORCY, 1998: 93.
D'une part, il évoque "les appareils construits" dont la vente ne lui semble plus opportune. À cette date, les seuls dont il peut être question sont le "bioscope" et le "biographe". Il ajoute en outre qu'il ne sait pas "comment nous arriverons à nous entendre", marque de problèmes de communication entre les deux hommes. D'autre part, il est question du "modèle 4 1/2 x 6 réversible en construction" dont on imagine qu'il s'agit du "chronophotographe". Gaumont, évoquant la situation bien des années après, raconte :
Mais à ce moment apparut le Cinématographe L. Lumière qui anéantit brusquement et complètement tous les efforts faits pour le "Biographe" et le "Bioscope". Le coup fut dur pour Demeny de rendre son Biographe réversible, et d'employer la bande perforée pour obtenir plus de régularité dans la prise de vue et dans la projection.
Très bien secondé par M. R. Decaux, à qui j'avais confié la direction de notre premier atelier mécanique, nous présentâmes en 1896 un premier appareil de projection qui eut par la suite un certain succès. Toutefois, nous dûmes remplacer l'entraînement à came Demeny par la Croix de Malte qui permettait d'avoir sur l'écran une stabilité presque parfaite de l'image.
GAUMONT, 1935: 6.
La situation interne teintée d'une sorte de rivalité entre le projet imparfait de Georges Demeny et la réalisation du nouveau chronophotographe conduite par René Decaux - et avec la collaboration de Jacques Ducom - ne fait qu'inquiéter Léon Gaumont qui en parle à Jacques Ducom : "C'est vous dire à quel point je suis préoccupé par la mise au point de l'appareil Demeny." En outre, le silence de Georges Demeny l'exaspère.
[à Georges Demeny, Paris] |
|
Léon Gaumont, Lette à Jacques Ducom, Paris, 4 avril 1896. © Le Grimh |
CORCY, 1998: 113. |
Si Georges Demeny ne donne pas de nouvelles, c'est qu'il s'obstine à améliorer son biographe, pour lequel il va déposer pas moins de trois certificats d'addition au mois d'avril (10/04/96. 11/04/96. 28/04/96). Grâce au courrier du 9 avril, nous savons que le chronophotographe 60 mm n'est pas encore terminé, mais quelques jours plus tard, Léon Gaumont organise une projection avec cet appareil au Comptoir Général de Photographie, le 27 avril.
Le Comptoir Général de Photographie, Monsieur Demenÿ, Paris, 26 avril 1896.
© Cinémathèque française
[reproduit dans CORCY, 1998: 118)
Le 6 mai 1896, Léon Gaumont et Georges Demeny signent un nouveau contrat qui actualise celui d'août 1895. Parmi les nombreux points que l'on y trouve, l'un des plus importants est sans nul doute, la décision prise de ne pas commercialiser immédiatement le chronophotographe: "Elle s’interdit toutefois de vendre des appareils réversibles avant six mois de ce jour." Quant à Georges Demeny, il accepte de tourner des films avec cet appareil: "La Société Gaumont & Cie versera également à Mr Demeny une redevance de dix pour cent sur le prix de vente des pellicules positives : mais Mr. Demeny s’engage à remettre à la Société Gaumont & Cie toutes les pellicules négatives qu’il exécutera directement ou indirectement, ces phototypes originaux restant la propriété de la Société."
Quelques semaines plus tard, Georges Demeny dépose le brevet (nº 257.257 du 15 juin 1896) pour un " appareil chronophotographique réversible à images continues ", brevet auquel il ne semble avoir apporté que sa came battante qui sera d'ailleurs remplacée, des années plus tard, par la Croix de Malte :
Enfin, en 1896, M. Gaumont construit, en collaboration avec M. Decaux, le "Chronophotographe", utilisant le principe de la came d'entrainement breveté par M. Demeny. Cet appareil est, immédiatement après le cinématographe Lumière, un des prédécesseurs des appareils cinématographiques actuels.
ÉTABLISSEMENTS GAUMONT, 1935: 1.
Léon Gaumont, qui se rend vite compte que la vente des appareils est nécessaire pour sauver l'affaire, écrit à Georges Demeny pour lui demander de modifier le contrat :
Paris, le 18 juillet 1896
Monsieur Demeny,
En raison de la concurrence qui existe actuellement sur le marché pour ll'exploitation des appareils chronophotographiques, nous venons vous demander de bien vouloir accepter les modifications suivantes à notre contrat du 6 mai 1896.
1º. Vous nous autorisez à vendre à partir de ce jour jusqu'à fin 1896 les appareils les appareils à projections animées en vous réservant sur le prix de vente une remise de 25%. Ces appareils n'étant pas vendus à moins de Deux mille francs d'ici le 30 Septembre prochain.
2º. Sur le prix des bandes vendues pour ces appareils, il sera réservé à Mr Demeny une remise de 5%. Mr Demeny s'interdisant de vendre des positifs ou négatifs directement tant qu'il ne sera pas livré d'appareils à négatifs, et aussi de traiter directement avec des tiers, sans l'entremise du Comptoir.
Les exploitations théâtres restant régies comme il est dit à l'article 3 du Contrat du 6 mai 1896.
Agréez, Monsieur, nos sincères salutations.
L. Gaumont & Cie.
CORCY, 1998: 129.
Manifestement, Georges Demeny ne s'intéresse plus aux affaires du Comptoir Général de Photographie et Léon Gaumont se voit contraint de prendre seul la décision :
Paris, le 17 août 1896
Monsieur G. Demeny,
3, rue de l'Arc de Triomphe.
Paris.
Vous nous avez laissé espérer votre visite pour vendredi ou jeudi dernier.
Ne vous ayant pas vu, et étant donné la situation dans laquelle nous nous trouvons vis-à-vis de la concurrence pour les appareils à projection animée, nous devons vous informer que nous nous voyons dans la nécessité de mettre dans le commerce l'appareil à prendre les vues.
Ainsi que nous vous l'avons dit dans une de nos précédentes, nous vous réservons une remise de 5 % sur le prix des pellicules positives, tant que vous ne vendrez pas directement soit des négatives soit des positives.
Laissez-nous vous dire en terminant combien nous regrettons le peu d'intérêt que vous semblez porter au fonctionnement de l'appareil : vous savez comme nous qu'il est loin d'être parfait.
Agréez, Monsieur, nos bien sincères salutations.
CORCY, 1998: 143-144.
Le chonophotographe est mis en vente en octobre 1896. Georges Demeny dépose trois nouveaux certificats : 21/07/1896, 10/10/1896 et 09/12/1896
Les mois qui suivent ne font que confirmer la situation antérieure, et Georges Demeny continue à prendre ses distances. Un nouveau courrier, en date du 19 mars 1897, montre combien les relations se sont tendues, et la maison Gaumont ne peut que constater le silence de Georges Demeny et regretter certains de ses agissements :
19 mars 1897
Monsieur DEMENY
3 rue de l'Arc de Triomphe, PARIS
Nous vous avons écrit plusieurs lettres ces j ours derniers. Ne recevant pas de réponse, nous vous serions très obligés de vouloir bien nous faire connaître le motif de votre silence.
Par la même occasion, nous devons vous informer que nous sommes très vivement contrariés d'apprendre, par Monsieur Gustave Brunnariius envoyé à vous par nous pour avoir un renseignement, que vous semblez avoir été lésé dans le règlement de l'affaire de Wien. Nous croyons cependant agit avec assez de droiture pour ne pas mériter un semblable reproche. Au cas où vous auriez désiré une [ex]plication, il nous semble que vous auriez pu au moins nous en témoigner le désir avant de vous adresser à un tiers.
Pour l'affaire de Wien, nous vous avons versé ainsi que nous le devions la moitié des recettes que nous avons encaissés, déduction faite des frais suivant conventions, le surplus n'a été destiné qu'à payer les appareils. Comme il y a eu quatre postes fournis et un grand nombre de pellicules, en même temps que l'échange d'appareils et la remise en état des premiers et faux frais divers, nous ne voyons pas en quoi vos intérêts ont été lésés, puisque sur chacun des appareils livrés vous avez touché 150 frs.
Désirant traiter les affaires le plus ouvertement possible, nous aimons à croire que vous ne refuserez pas de nous donner une explication.
Il nous semble que pour les capitaux que nous avons engagés dans votre affaire et pour les versements que nous avons toujours effectués, vous n'avez pas précisément le droit de vous plaindre. Les différents paragraphes de notre précédente précisaient, du reste, les sacrifices que nous avons faits pour lancer le Chronophotographe.
En résumé, nous croyons que dans cette affaire un tiers a dû chercher à ébranler les bonnes relations que nous avons toujours eues avec vous. Est-ce votre avis ?
Dans l'attente de vous lire, veuillez agréez, Monsieur, nos bien sincères.
L. Gaumont & Cie.
CORCY, 1998: 219.
Même sans disposer des réponses - éventuelles - de Georges Demeny, cette lettre met, encore une fois, en évidence un trait de caractère qui consiste à ne pas répondre aux missives qu'il reçoit dès lors qu'elles ne lui conviennent pas ou qu'une situation de tension se fait jour. C'est une pratique qui rend délicates les relations avec la maison Gaumont, puisque Demeny préfère s'adresser à un tiers plutôt qu'à la Société avec laquelle il a signé un contrat. En réalité, ce comportement date de ses échecs de la fin 1896 et de la décision prise par Léon Gaumont de lancer la fabrication du "chronophotographe 60 mm" et à sa suite le "chronophotographe 35 mm". Georges Demeny va répondre finalement à ce dernier courrier dont le contenu peut se déduire de la réponse qu'il reçoit : il demande à la Société de reprendre en charge la prolongation de l'exclusivité pour la nouvelle année 1898 :
19 mars 1897
Monsieur DEMENY
3 rue de l'Arc de Triomphe, PARIS.
[...]
Nous avons trouvé votre lettre d'hier. Les arguments que nous vous avons exposés pour la prolongation de l'exclusivité pendant l'année 1898, sont dus à ce que nous sommes très perplexes pour la mise en fabrication sur une grande échelle de divers modèles de Chronophotographes employant votre came, et vous comprendrez facilement que nous ne tenons pas à faire les frais et les recherches de nouveaux modèles pour être servilement copiés à la fin de l'année par le premier venu qui n'aura pas à tenir compte dans son prix de revient des frais d'études, de recherches et divers. Il nous semble que ces arguments sont suffisamment concluants pour que vous vouliez bien les examiner avec soin et nous donner une réponse favorable. [...]
L. Gaumont et Cie.
CORCY, 1998: 221.
Finalement, en octobre 1897, la maison Gaumont et Georges Demeny semblent s'être mis d'accord sur une nouvelle convention afin que la société conserve "l'exclusivité, en France et à l'étranger, de la fabrication et de l'exploitation des appareils chronophotographiques de votre système, jusqu'au 31 Décembre 1898, à l'exclusion du Bioscope et appareils similaires." Le 25 mai 1898, il prend, avec Abraham Martin, un dernier brevet (FR278285) pour un "système d'appareil destiné à prendre des séries d'images photographiques et pouvant servir aussi à la vision ou à la projection de ces images." Un nouveau contrat va renouveler la licence d'exploitation des appareils chonophotographiques de Georges Demeny pour les années 1899 et 1900. Les dernières collaborations sont l'élaboration d'une caméra amateur (1900) et l'installation du matériel de l'exposition de l'enseignement de Paris à l'occasion de l'Exposition Universelle de 1900.
Et après (1901-1917)
Avec le nouveau siècle, Georges Demeny va se désintéresser des activités cinématographiques pour se consacrer à l'étude et à l'enseignement de l'éducation physique. Ces années commencent à voir surgir des polémiques qui, pour certaines, durent encore aujourd'hui, sur le rôle respectif des pionniers du cinématographe et, en particulier, Georges Demeny. Il est fait chevalier de la légion d'honneur, le 31 décembre 1904. Dès l'année 1905, la revue Phono-ciné-gazette, va publier un long article signé Francis Mair et intitulé "Les débuts du Cinématographe", presque entièrement consacré à Demeny et dont la teneur est assez hagiographique, même s'il nuance certains aspects de ses recherches et de son influence sur d'autres pionniers:
Pendant de temps-là,, d''autres inventeurs se livraient à des recherches sur le meilleur moyen d'obtenir des projections animées; parmi eux M. Louis Lumière qui, connaissant les travaux de Demeny, pensait trouver chez lui la solution du problème. Il faut croire que la visite n'eut pas de résultat décisif puisque M. Louis Lumière prit en 1895 un brevet tout à fait différent.
MAIR, 1905: 288.
Le 1er février 1909, Georges Demeny donne une conférence sur les Origines du cinématographe, où il évoque, avec une certaine amertume sa contribution aux débuts de la nouvelle invention.
Peu de temps avant son décès, il épouse sa compagne, Marie Eugénie Vignerelle. Il disparaît 1917.
Sources
BESSY Maurice et LO DUCA, Louis Lumière inventeur, Paris, Prisma, 1948. 132 p.
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LEFEBVRE Thierry, Jacques MALTHETE et Laurent MANNONI, Lettres d'Étienne-Jules Marey à Georges Demenÿ. 1880-1894, Paris, AFRHC/Bibliothèque du Film, 1999, 542 p.
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MANNONI Laurent, Donata Pesenti Campagnoni et David Robinson, Lumière et Mouvement. Incunables de l'image animée 1420-1896, Le Giornate del Cinema Muto, Cinémathèque française-Musée du Cinéma, Museo Nazionale del Cinema, 1995, p. 393-396.
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"Société générale du Phonoscope" (association en participation) [siège social 3 rue Saussier Leroy (Paris) 17e
Remerciements
Thierry Lecointe.