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- Création : 24 mars 2015
- Mis à jour : 15 septembre 2023
- Publication : 24 mars 2015
- Affichages : 12244
Antoine LUMIÈRE
(Ormoy, 1840-Paris, 1911)
Jean-Claude SEGUIN
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Nicolas Lumière (Jonvelle, 28/04/1797-Paris 5e, 04/06/1854) épouse (Jonvelle, 02/05/1821) Louise Huguenin (01/01/1800-Paris 9e, 25/04/1854). Descendance :
- Françoise Lumière (Jonvelle, 25/03/1822-) épouse (Ormoy, 09/04/1839) Alexis Lansard
- Marie Lumière (Jonvelle, 09/07/1826-) épouse (Anchenoncourt-et-Chazel, 10/02/1845) Célestin Petitrenaud (Anchenoncourt-et-Chazel, 03/06/1820-).
- Claude, Antoine Lumière (Ormoy, 13/03/1840-Paris 9e, 15/04/1911) épouse (Paris 5e, 24/10/1861) Jeanne, Joséphine Costille (Paris 5e, 29/07/1841-Lyon 3e, 20/12/1915). Descendance :
- Auguste, Marie, Louis, Nicolas Lumière (Besançon, 19/10/1862-Lyon 8e, 10/04/1954) épouse (Lyon 3e, 31/08/1893) Marguerite Wincker. Descendance :
- Andrée Lumière (1894).
- Henri Lumière (1897).
- Louis, Jean Lumière (Besançon, 05/10/1864-Bandol, 06/06/1948) épouse (Lyon 3e, 02/02/1893) Rose Winckler. Descendance :
- Suzanne Lumière (1894)
- Jean Lumière (1897)
- Yvonne Lumière (1907)
- Jeanne, Claudine, Odette Lumière (Besançon, 02/04/1870-Lyon 8e, 24/11/1926) épouse (Lyon 3e, 25/09/1890) René Winckler. Descendance :
- Marcel Winckler (1892)
- Madeleine Winckler (1895)
- Mélina, Juliette Lumière (Lyon 2e, 30/09/1873-Montpellier, 05/01/1924)
- épouse (Lyon 3e, 31/08/1893) Jules Winckler. Descendance :
- Georges Winckler (1894)
- épouse (Évian-les-Bains, 02/09/1901) Amand Gélibert. Descendance :
- Hélène Gélibert (1904)
- Marcelle Gélibert (1906)
- épouse (Lyon 3e, 31/08/1893) Jules Winckler. Descendance :
- Francine (France) (Lyon 2e, 18/09/1882-La Ciotat, 03/05/1924) épouse (Lyon3e, 09/06/1903) Charles Winckler. Descendance :
- Odette Winckler (1904)
- Henriette Winckler (1906)
- André Winckler (1909)
- Denise Winckler (1917)
- Jean Winckler (1920)
- Édouard Winckler (1924)
- Pétrus, Édouard (Lyon 2e, 18/11/1884-Saint-Sauveur, 17/04/1917).
- Auguste, Marie, Louis, Nicolas Lumière (Besançon, 19/10/1862-Lyon 8e, 10/04/1954) épouse (Lyon 3e, 31/08/1893) Marguerite Wincker. Descendance :
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Les origines (1840-1861)
Fils d'un vigneron et d'une sage-femme, Antoine Lumière voit le jour, en 1840, à Ormoy, petit village de la Haute-Saône. Quelques mois plus tard, la famille est recensée (1841) à Anchenoncourt-et-Chazel (Haute-Saône) où leur fille Marie épouse, en 1845, Célestin Petitrenaud. Nicolas Lumière exerce la profession de manouvrier et Louise, celle de sage-femme, quant à leur fils, âgé d'un an, il porte le prénom d'usage "François" Lumière. Au recensement de 1846 et recensement suivant (1851), les informations sont identiques, y compris le prénom d'usage "François" accompagné de la mention "vivant du travail de ses parents".
"Maison natale d'Antoine Lumière, père de MM. Auguste et Louis Lumière, à Ormoy (Haute Saône)" Source: L'Illustration, nº 4836, 93e année, 9 novembre 1935, p. 299. |
"Maison natale d'Antoine Lumière à Ormoy" Source: VIGNE, 1942: pl. III. |
C'est sans doute peu après - si l'on en croit le récit enlevé, qu'offre Le Panthéon de l'industrie, de l'existence d'Antoine Lumière - que la famille s'installe à Troyes :
Dès l'âge de onze ans, il donna des preuves non équivoques d'une vocation artistique très décidée.
La foi d'un enfant de onze ans en son avenir est assurément chose très remarquable; la même confiance qu'il sut inspirer à ses parents est un fait bien autrement curieux.
Les parents, d'après la tradition, sont créés et mis au monde pour contrarier la vocation artistique de leurs enfants. Ceux-ci, pour favoriser la vocation du leur, n'hésitèrent pas à vendre le pauvre petit bien qui les faisait vivre, et allèrent bravement s'installer à Troyes avec leur grand artiste en herbe. L'enfant passait ses journées à subir des leçons de grammaire; mais le soir, en revanche, il suivait avec avidité des leçons de dessin. Les progrès du jeune Lumière étaient merveilleux. Le bonheur de la famille, sans être tout à fait exempt de quelque gêne pécuniaire, était complet. Il dura huit mois, juste autant que les ressources de ces bonnes gens, qui étaient très restreintes. Après ce temps, il fallut se résoudre à abandonner Troyes et l'école de dessin, pour aller chercher à Marcilly-le-Hayer, près Nogent-sur-Seine, du travail y du pain.
Le jeune homme, qui avait déjà pu décider ses parents à le suivre à Troyes, réussit alors à obtenir d'eux une preuve plus décisive de leur foi en son avenir. Ils consentirent à se séparer de lui et à le laisser partir seul pour Paris, la grande patrie des artistes. Le voilà dans l'immense capitale.
Vital Bréard, "M. Lumière. Photographe.", Le Panthéron de l'Industrie, 22e année, nº 1024, 1896, p. 97.
Antoine semble ainsi avoir reçu sa première formation dans la préfecture de l'Aube. C'est donc vers 1852 ou 1853 que la famille se retrouve à Marcilly-le-Hayer, là où réside leur fille Marie. Nicolas et Louise laissent alors Antoine partir seul pour Paris :
Plus heureux que bien d'autres qui ont succombé à une pareille épreuve, il trouva immédiatement une place. Il entra, comme apprenti, chez un peintre d'enseignes. C'était dans la pensée de l'enfant, une entrée définitive dans cette carrière des arts qu'il avait toujours rêvée. Son patron, par un hasard heureux, se trouva être un excellent homme, qui offrit immédiatement un salaire journalier à son apprenti, et l'accrut progressivement jusqu'à 1 fr. 50. Quand Lumière se vit en possession d'un pareil revenu, il calcula qu'ayant vécu seul avec 50 centimes par jour, il pourrait faire vivre trois personnes avec un salaire triple.
Il n'hésita pas à appeler ses parents à Paris, et les bonnes gens n'hésitèrent pas non plus à répondre à l'appel de leur enfant bien-aimé.
Vital Bréard, "M. Lumière. Photographe.", Le Panthéron de l'Industrie, 22e année, nº 1024, 1896, p. 97.
Antoine est en effet apprenti chez Joseph, Honoré Blenner (Paris 2e, 06/04/1821-Paris 11e, 31/01/1878) qui figure, sur son acte de mariage (06/05/1854), comme "fabricant d'enseignes" demeurant au nº 3 rue Feydeau (ancien 2e arrondissement). Bien des années plus tard, Antoine conserve un souvenir ému de son premier patron :
Banquet offert à M. A. Lumière.
M. A. Lumière remercie tous ses amis présents et absents et, en termes émus, il retrace sa vie; il évoque le souvenir d'hommes tels que Honoré Blenner, son premier patron, qui a pris soin de lui, l'a éduqué lorsqu'il était à Paris à l'âge de quatorze ans, orphelin ; Auguste Constantin, Salère, Ganquet, Marin, qui l'ont soutenu lorsque l'adversité l'a touché.
Le Progrès, Lyon, 19 novembre 1906.
Les parents rejoignent alors leur fils pour quelques jours à peine. En effet, l'épidémie de choléra qui sévit à Paris au printemps 1854 va emporter, à quelques semaines d'intervalle, Nicolas Lumière et Louise Huguenin. Cette dernière, admise à l'Hôtel-Dieu le 23 avril, décède le surlendemain. À peine deux mois plus tard, le 3 juin, Nicolas Lumière, touché également par la pandémie, est admis à l'hôpital Saint-Louis où il s'éteint le lendemain. Il habite alors au nº 32 rue de l'Orillon (ancien 6e arrondissement) et exerce la profession de journalier. Ce double drame va le ramener chez sa sœur Marie Petitrenaud, toujours installée à Marcilly-le-Hayer (Aube) où il apprend le travail sur bois avec le menuisier-ébéniste Armand Douine. Chez ce dernier, travaille également Onésime Gayon depuis au moins 1851 et avec lequel Antoine va se lier d'amitié. Fils d'un instituteur de Villadin (Aube), Onésime va partager ses lectures avec Antoine comme le raconte Auguste Lumière:
Son ami pouvait disposer de livres de physique et de chimie qu'il prêtait à mon père, désireux de s'instruire pour tenter de sortir de la médiocrité dans laquelle ses jours paraissaient devoir s'écouler.
LUMIÈRE, 1953:11.
Les deux amis forment alors le projet de se rendre à Paris et partent, avant le 1er juin 1856, date du recensement de Marcilly-le-Hayer où aucun des deux noms ne figure. Dans la capitale, Antoine fait la rencontre du peintre Auguste Constantin (Paris, 1825-Paris 18e, 08/11/1895) qui va le prendre sous sa coupe et lui apprendre l'art du dessin:
Ce mentor, bon et compatissant, [...] lui enseigna le dessin, ce qui lui permit de devenir bientôt un adroit et habile peintre d'enseignes, profession qui lui assurait déjà des moyens d'existence fort convenables.
LUMIÈRE, 1953:12.
Lorsqu'en 1860, il se présente pour la conscription qui se fait alors par tirage au sort, ce dernier ne lui est pas favorable, mais grâce à l'appui financier de son mentor, il peut échapper à ses obligations militaires:
L'affection tutélaire d'Auguste Constantin devait encore, dans ce cas, venir à son secours, en lui procurant les mille cinq cents francs qu'exigeait son remplaçant.
LUMIÈRE, 1953:12.
L'année suivante, il épouse, à Paris, Jeanne Costille. Au nombre des témoins, on trouve, bien sûr, Auguste Constantin, mais également un peintre d'histoire Pierre, Joseph, Edouard Bisson, ce qui montre qu'Antoine Lumière bénéficie d'un environnement artistique favorable.
Photographe en Franche-Comté (1862-1870)
Pour des raisons non élucidées, le couple part s'installer à Besançon peu après son mariage. La mobilité de la famille au cours des quelques années dans la cité bisontine nécessite des précisions topographiques. Les deux plans suivants permettent de situer les différentes résidences d'Antoine Lumière et des siens. Certains noms, qui datent d'avant la révolution, disparaissent des cartes de la ville, mais restent dans la mémoire collective.
Plan de la ville de Besançon (1788)
Sur le plan de 1788, on peut identifier, en particulier, sur la rue des Granges, les Annonciades et les Dames de Battans, ainsi que la rue du Châteur. Quelques années plus tard, les références religieuses ont disparu et le nouveau plan permet d'identifier les différents lieux qui marquent la vie de la famille d'Antoine Lumière lors de son séjour à Besançon.
Plan de la ville de Besançon (1838)
1. Rue des Granges (nº 11). Les Annonciades. 2. Place Saint-Quentin (nº 1 et 3). 3. Rue Grande (nº 143). 4. (U) École de dessin. 5. Rue du Châteur (nº 5). 6. Rue des Granges (nº 59). Les Dames de Battans.
Son premier enfant, Auguste, va naître dans la cité bisontine en octobre 1862. Sur l'acte de naissance de son fils, Antoine figure comme "peintre". Comme témoins, on trouve Théodore, Auguste Berthelot et Achille Pe(s)cheloche, respectivement doreur et horloger. Les Lumière habitent alors au nº 1 place Saint-Quentin, adresse qui est toujours la leur au début de l'année 1863 lorsque Antoine Lumière s'inscrit comme électeur.
Besançon, Place Saint-Quentin
Source: CHARDÈRE/BORGÉ, 1985: 10.
Dans les mois qui suivent, Antoine va se perfectionner dans l'art photographique. Sur son apprentissage subsistent bien des zones d'ombre. On évoque ainsi la figure de Louis Amédée Mante (Paris, 04/05/1826-Seine-Port, 11/10/1913), celle aussi de Nicolas Alotte (Dijon, 17/05/1826-Vichy, 10/11/1911), photographe à Dôle, où il se serait formé... Il faut sans doute se fier davantage au témoignage de Georges Blondeau qui a eu des échanges épistolaires avec Antoine Lumière :
[Il] se plaça comme commis chez un photographe de Besançon, qui opérait dans l'ancien couvent des Annonciades. C'est là, qu'en 1863, Lumière fit la connaissance de Victor Jeanneney. "Jusqu'à son départ pour Vesoul", écrit-il "nous avons vécu comme deux frères, lui, comprenant ma situation, fit ses efforts pour me la rendre supportable, moi, faisant tous les miens pour lui en témoigner ma reconnaissance (1)".
(1) Lettre à l'auteur, datée de la villa "Soleil" à la Ciotat, du 17 décembre 1910.
BLONDEAU, 1912: 191-192.
"La maison où Antoine Lumière fit son apprentissage de photographe".
Source: CHARDÈRE/BORGÉ, 1985: 11.
L'artiste-peintre Victor Janneney (Besançon, 09/04/1832-Vesoul, 02/12/1885), qui figure sur les listes électorales depuis 1858 et 1862, va conseiller à Antoine Lumière de suivre ses cours de dessin à l'école des Frères de la Doctrine chrétienne afin de se perfectionner:
Très assidu aux cours du soir chez les Frères, le jeune photographe remporta à la distribution des prix, en août 1864, la grande médaille d'honneur.
BLONDEAU, 1912: 192.
Victor Jeanneney, Autoportrait
Source: musée Georges-Garret (Vesoul)
Quelques mois plus tard, Louis, le deuxième enfant des Lumière voit le jour en octobre 1864. Les témoins sont Victor Jeanneney et, à nouveau, Achille Pe(s)cheloche. La famille, qui a déménagé, habite alors au nº 143 de la Grand-rue et Antoine figure désormais comme "peintre" et "photographe". Les liens qui unissent Antoine et Victor conduisent ce dernier à faire de lui son successeur à l'école de dessin :
Lors de son départ de Besançon, Jeanneney obtint du frère Johannès que Lumière fût choisi pour être son successeur à l'école de dessin ; mais les maigres appointements alloués au nouveau professeur ne pouvaient suffire pour élever sa petite famille et il dut quitter l'établissement l'année suivante (1866). Il venait à ce moment de trouver à acheter le matériel du photographe St-Léger, dans la cour des Dames de Battant (rue des Granges, ancien Bazar Parisien).
BLONDEAU, 1912: 192.
C'est en effet dans ce local situé au nº 5 de la rue du Châteur que se trouve la "photographie parisienne" du photographe Adrien Saint-Léger qui va revendre son matériel à Antoine Lumière. Ce dernier ouvre ainsi son premier établissement photographique. Toujours à la même époque (1865), Antoine Lumière est reçu en maçonnerie à la Loge Sincérité, Parfaite Union et Constante Amitiés Réunies.
Photographie Parisienne Saint-Léger 5, rue du Châteur (en suite de celle des Oranges) Besançon |
A. Lumière 5, rue Chateur Besançon |
Parmi les photographes bisontins, Charles "Émile" Lebeau dispose d'un atelier photographique au nº 59 rue des Granges. C'est probablement au cours de l'année 1865 que ce dernier va proposer à Antoine Lumière de l'associer à son commerce photographique. Au dos des cartes-de-visite éditées alors, on peut voir que le dessin -une palette sur un appareil photographique- maintient la double compétence (peintre et photographe) au moment de l'association entre Lebeau et Lumière. Antoine a-t-il eu l'intention de suivre son collaborateur ? On pourrait le penser si l'on en croit les souvenirs d'Auguste Lumière:
Il y [Lyon] avait fait une premier séjour, vers 1865, à l'occasion d'une proposition d'association avec un peintre d'enseignes qui avait entendu vanter son habilité dans la profession et avait songé à s'assurer sa collaboration.
Mais, après quelques semaines d'essai, l'entente n'ayant pu aboutir, il ne restait plus à mon père qu'à regagner Besançon, et il allait quitte Lyon avec d'autant moins de regrets qu'il n'avait guère goûté le caractère froid et réservé des habitants et le peu d'amabilité et d'empressement des commerçants qu'il trouvait vraiment peu avenants.
LUMIÈRE, 1953: 18.
On sait que Lebeau quitte Besançon au cours de l'année puisqu'il est rayé des listes électorales établies le 14 janvier 1866. Quant à Antoine, il est recensée (1866) au nº 5 de la rue du Châteur où il a son atelier. Il est ainsi probable qu'il ait disposé, pendant quelque temps, de deux studios photographiques à Besançon. C'est sans doute à cette même époque qu'Antoine va ouvrir un autre local à Montbéliard (rue des Granges. Maison Berchem), comme semble l'attester la permanence des mêmes logotype et typographie au dos des cartes-de-visite. Il aurait également ouvert, toujours avec Lebeau, un atelier à Baume-les-Dames.
Lebeau Photographe 59, rue des Granges Maison Fachard Besançon |
Lebeau & Lumière Photographes 59, rue des Granges, 59 Maison Fachard Besançon |
A. Lumière Photographe Rue des Granges. Maison Berchem Montbéliard |
Quant à Charles "Émile" Lebeau peut-on penser qu'il a quitté Besançon pour Dôle où il est propriétaire de l'atelier photographique situé au 26, rue du Mont-Roland ? Il ne semble y rester que peu de temps avant de le revendre à Antoine Lumière et de s'installer à Lyon où il va conserver le même dessin au dos des cartes-de-visite.
Lebeau Photographe Rue du Mont-Roland nº 26 Dôle du Jura |
Lebeau Photographe 3 rue du Bat d'Argent Lyon |
Désormais seul propriétaire du local du nº 59 de la rue des Granges, Antoine Lumière va en profiter pour modifier légèrement son logotype. Au dos des cartes-de-visite, on peut voir comment tout en conservant le dessin (palette et appareil photographique) il ajoute au-dessus un angelot se regardant dans un miroir tendu par un autre chérubin avec pour décor un appareil photographique sur son pied dans un environnement végétal. On peut penser que cette petite composition est l'œuvre d'Antoine Lumière lui-même. Il se retrouve ainsi de façon presque simultanée avec trois ateliers photographiques. Au cours de l'année 1868, il dispose d'un établissement itinérant avec lequel il parcourt la région et il se rend même, à plusieurs reprises, à Porrentruy (Suisse) entre octobre 1868 et août 1869:
Certains noms sont comme prédestinés. Tel est celui de M. Lumière, photographe extrêmement habile, qui séjourne en ce moment à Porrentruy. Il est plus que simple photographe industriel, il est avant tout artiste, il copie la nature en l'embellissant; en un mot, il met la lumière au service de l'art: c'est pourquoi nous disions que son nom est prédestiné.
Le Jura, Porrentruy, 31 mars 1898, p. 3.
Le Jura, Porrentruy, 20 octobre 1868, p. 3. | Le Jura, Porrentruy, 6 août 1869, p. 4. |
Un article, plus tardif, offre quelques précisions sur l'atelier itinérant d'Antoine Lumière :
M. Lumière fut autrefois photographe à Porrentruy. Son atelier, des plus modestes, consistant en une baraque en bois, était établi dans l'ancien préau de la gymnastique, cour du Tirage, vers 1870.
Le Jura, Porrentruy, vendredi 21 avril 1911, p. 2.
A. Lumière Photographe 59, rue des Granges 59 Maison Fachard Besançon |
Artiste peintre. Photographe |
Artiste peintre. Photographe A. Lumière Rue du Mont-Roland (Maison Cantenot) Dôle |
il est probable que les choses vont vite s'accélérer dans les années suivantes. En avril 1870, il est toujours à Besançon où sa fille, Jeanne, Claudine, Odette Lumière, voit le jour. Achille Pe(s)cheloche, désormais bijoutier, est à nouveau témoin. À son tour, Antoine Lumière va revendre l'affaire à un photographe d'origine polonaise Léon Romanowski (Varsovie, 20/04/1826-Montpellier, 10/07/1902) qui le cédera à son tour à un autre photographe d'origine polonaise Édouard, Maximilien "Max" Kraszewski (Kézieglowy, 1836-Besançon, 08/12/1904).
Léon Romanowski Photographe à Besançon (Doubs) Rue des Granges 59 |
Ancien maison Lumière & Romanowski Successeur Max 59 rue des Granges Besançon (Doubs) |
Les multiples activités photographiques d'Antoine Lumière nécessitent probablement l'aide de collaborateurs. Seul le nom de l'un d'entre eux nous est parvenu: Léon Pétua, lui-même élève de Jeanneney:
Un des apprentis-photographes de Lumière, durant son séjour à Besançon, Léon Pétua, né en cette ville le 4 novembre 1846 était, comme son patron, élève de Jeanneney au cours du soir et un des habitués de son atelier aux Annonciades. L'un et l'autre étaient animés du même enthousiasme pour la nouvelle méthode du maître. "Il nous conduisait" écrit celui-ci " devant la nature, nous apprenait à en voir le caractère et à le rendre. Il était pour nous un guide sûr ; nous l'estimions et l'aimions beaucoup, car il était pour nous non seulement un excellent maître, mais aussi un ami ; comprenant la jeunesse, il était lui-même très gai. De tous mes maîtres, c'est assurément à Victor Jeanneney que je dois le plus et aussi je conserve pour lui le plus reconnaissant souvenir" (1).
(1) Lettre à l'auteur du 24 décembre 1910.
BLONDEAU, 1912: 192.p. 193-194.
Avant de quitter Besançon, vers la fin de l'année 1870, Antoine Lumière vend tout son matériel à François-Joseph Enard (1843-1907) pour la somme de 600 francs :
Nous avions six et huit ans lorsque nos parents abandonnèrent, vers la fin de 1870, les bords du Doubs pour venir s'établir à Lyon.
Auguste et Louis Lumière, "Notre Vie", Je sais tout, 18e année, 1er semestre, 15 avril 1922, p. 153.
Photographe à Lyon (1870-1880)
À son arrivée à Lyon, Antoine Lumière va s'installer, avec sa famille, au 7, rue des Marronniers. Peu après, il s'associe à Alexandre Fatalot (Bar-le-Duc, 01/12/1824-Sainte-Foy-les-Lyon, 18/06/1896):
On lui offrait une association avec un photographe lyonnais: M. Fatalot, qui devait par la suite, lui laisser sa succession s'il en manifestait le désir. La famille Lumière quitta donc Besançon à cette époque, pour se fixer à Lyon.
L'association conclue avec M. Fatalot ne donna, d'ailleurs, pas les résultats espérés. La maison, quoique située dans un quartier achalandé, rue de l'Hôtel-de-Ville, était peu importante et sans avenir. Antoine se sépara donc de ce premier collaborateur.
VIGNE, 1943: 18.
L'établissement photographique de Fatalot est alors située rue de l'Hôtel-de-Ville - autrefois rue de l'Impératrice - et, en l'absence de carte-de-visite où figureraient les deux noms, il semble qu'Antoine Lumière ait été plutôt un employé qu'un associé. Alexandre Fatalot va également publier, sous les auspices de la société des Amis-des-Arts de Lyon, des albums photographiques (1865-1878).
A. Fatalot, Exposition de la Société des Amis-des-Arts de Lyon. Album photographique, 1875.
C'est donc vers son ancien collaborateur, Charles "Emile" Lebeau, qu'Antoine va se tourner:
Antoine [...] s'entendit provisoirement avec un autre photographe, M. Lebeau, rue Bât-d'Argent.
VIGNE, 1943: 18.
Cette entente n'est que de courte durée et, là encore, aucune association n'est attestée.
Photographie Artistique. A. Fatalot 49, rue de l'Impératrice. à Lyon. (novembre 1866) |
A. Fatalot. Peinture & Photographie d'Art. Rue de l'Hôtel de Ville, 49. Lyon. (>1871). |
Emile Lebeau 3, rue du Bât d'Argent. Lyon (1872). |
Finalement, Antoine Lumière décide de se lancer lui-même, et il ouvre une boutique rue de la Barre, toujours en plein centre ville:
Dans le cours de l'année suivante [1871], notre père reprenait son indépendance et louait une boutique rue de la Barre, "Boutique" est bien le mot, car on ne pouvait qualifier de magasin la petite baraque en planches qui servait à la fois de salon de pose et d'atelier.
La rue de la Barre ne ressemblait guère alors à ce qu'elle est aujourd'hui. Si l'un de ses côtés était bâti déjà de hauts immeubles modernes, l'autre, entre le quai de l'Hôpital, et la rue Bellecordière, où s'élève maintenant l'hôtel du télégraphe et du téléphone, n'était occupé que par de petites constructions légères à un étage ou même à simple rez-de-chaussée. La boutique paternelle s'appuyait à l'aile droite de l'Hôtel-Dieu, dans laquelle se trouvait installée, à cette époque, la Faculté de Médecine. Un bazar pour bourses pauvres étalait à côté ses éventaires en plein vent, et la devanture d'un marchand de marrons lui faisait suite. Nos premiers souvenirs de jeunesse sont indissolublement liés à la bonne odeur des châtaignes qui rissolaient dans la poêle en écumoire de l'Auvergnat voisin, et dont le parfum agréable venait caresser et faire frémir d'envie nos narines d'enfants.
Auguste et Louis Lumière, "Notre Vie", Je sais tout, 18e année, 1er semestre, 15 avril 1922, p. 153.
Lorsque son quatrième enfant, Mélina Juliette, voit le jour, en septembre 1873, la famille habite toujours rue des Marronniers. Le 9 décembre, Antoine Lumière signe un bail avec les Hospices civils de Lyon :
Bail pour quatre ans par les Hospices civils de Lyon, représentés par leurs administrateurs, à Antoine Lumière, photographe demeurant rue de la Barre à Lyon, d'une parcelle de terrain située même rue, moyenant un loyer annuel de 6000 francs, payable par semestre.
Archives Départementales du Rhône, 3E 17229.
Dès lors, l'appartement loué, de l'autre côté de l'atelier, au nº 16 rue de la Barre, devient la nouvelle résidence de la famille. Par ailleurs, les Hospices Civils de Lyon, qui ont récupéré le terrain sur lequel se trouve le baraquement d'Antoine Lumière, lui propose un nouvel espace, dans la même rue, au numéro 15, sur lequel il va faire construire une maison à un étage:
Cependant la rue de la Barre était très passante et l'achalandage de la boutique marchait au mieux de ce que l'on pouvait désirer. Il vint un jour - c'était en 1874 - où nos parents purent enfin réaliser ce rêve extraordinaire de remplacer la trop modeste baraque en bois par une maison sérieuse, une solide maison à un étage. Le rez-de-chaussée fut un vrai magasin avec des vitrines où, sur les glaces, s'étalait en lettres d'or l'inscription: "Antoine Lumière, photographe." Ce jour-là, il nous parut à tous que c'était le commencement de la fortune.
Dans l'un des importants immeubles qui faisaient face, de l'autre côté de la rue, à l'atelier de photographie, nos parents avaient loué, au nº 16, un petit appartement modeste mais que la bonne humeur de notre père, la bonté souriante de notre mère, l'affection de quelques amis fidèles transformaient pour nous en un paradis que, après les années écoulées, nous regrettons encore.
Auguste et Louis Lumière, "Notre Vie", Je sais tout, 18e année, 1er semestre, 15 avril 1922, p. 153.
Un article détaillé publié dans Le Progrès, en août 1894, offre de nombreuses précisions sur l'atelier d'Antoine Lumière qui vient d'être inauguré :
Depuis quelques jours les passants de la rue de la Barre s’arrêtent en face d’une construction nouvelle qui s'élève, blanche et élégante. un peu en retrait du bâtiment de l'Hôtel-Dieu, contre lequel elle s’appuie.
C’est le coquet atelier de photographie d'Antoine Lumière. On ne dit plus M. Lumière depuis que, devenu un des princes de l’objectif, l'habile artiste a été l’objet de justes récompenses.
Et d’abord constatons que Lumière a rompu avec un usage qui a fait de nombreux mécontents. Il n’expose plus de portrait devant la porte de sa maison. Non pas que cet usage n'ait eu pour certaines personnes un excellent côté : celui de faire parler d’elles ; mais enfin il y a des gens qui parfois se sentent peu flattés d’entendre l’opinion des curieux sur leurs charmes, ou sur leur manque de charmes.
A l'intérieur tout est compris avec une rare intelligence des besoins de la photographie.
Le sous-sol est transformé en un laboratoire spacieux et parfaitement agencé, d’où des plaques montent aux étages et en descendent à l’aide d’un ascenseur très discrètement placé.
Au rez-de-chaussée un salon où se trouve réuni tout ce qui touche au côté commercial. On y trouve de plus un élégant cabinet de toilette, d'où un escalier, non moins discret que l’ascenseur, conduit la cliente dans l'atelier du premier.
Cet atelier, qui est très vaste, est disposé de façon à distribuer le jour selon que cela est nécessaire pour obtenir le succès le plus complet et le plus assuré. Il y a là des combinaisons de rideaux dont il n’est possible de comprendre l’utilité qu’alors que Lumière, sa bonne grâce habituelle, vous en donner l'explication.
Il en est de même de l’atelier du second étage.
C'est dans ce temple de la photographie, que Lumière produit maintenant les admirables portraits qui lui valent chaque jour de nombreuses visites.
C'est là, qu'après avoir choisi avec un soin extrême le jour qui convient et la pause la plus avantageuse pour le modèle, Lumière prononce le mot sacramentel : Ne bougeons plus.
L’expérience s’acquiert, mais on n’apprend pas à avoir du goût, et Lumière est de ceux qui, à l’expérience, joignent le meilleur goût. En lui, à côté de l’opérateur habile, on trouve l’artiste, qui avant d’être l’un des grands prêtres du Collodion, a manié le pinceau avec talent.
C’est là ce qui explique la faveur que lui accorde le public.
Nous félicitons Lumière d’avoir si heureusement établi son atelier, et nous faisons des vœux, pour qu’il continue d’occuper le rang flatteur qu’il a su conquérir aux dernières expositions.
Le Progrès, Lyon, dimanche 9 août 1874, p. 3.
Outre la photographie, Antoine Lumière est également un talentueux chanteur qui n'hésite pas à participer à de multiples concerts lyonnais comme celui de Charles Boudot :
Depuis quand M. Antoine Lumière sacrifie-t-il au culte public d'Euterpe ? C'est pour tout le monde une agréable surprise de voir cet artiste populaire dérober un rayon du soleil auquel il commande si habilement dans ses ateliers pour le jeter sur les antiques Pins de Pierre Dupont. M. A. Lumière est le chanteur de la nature. Sa voix robuste se prête à merveille au pittoresque, comme dans le chant de l'Homme à la mer, de Marc Burty.
Le Salut public, Lyon, 27 mars 1876, p. 2.
Antoine Lumière en 1872. VIGNE, 1943: pl. II. |
Jules Sylvestre La rue de la Barre avant la construction de l'aile sud de l'Hôtel-Dieu de Lyon, Lyon, c. 1880. Source: Bibliothèque Municipale de Lyon |
A. Lumière. Lyon |
Le Salut public, Lyon, 30 août 1874, p. 4. |
Antoine Lumière en 1875. VIGNE, 1943: pl. II. |
Antoine Lumière, Auto portrait au salon photographique, Lyon, c. 1880. |
Antoine Lumière. Photographe Rue de la Barre. Lyon |
Photographie Antoine Lumière. |
"En-tête de lettre". Antoine Lumière. Photographe. Rue de la Barre. source: CHARDÈRE/BORGÉ, 1985: 28. |
Si l'on observe le revers des photographies cartes-de-visite d'Antoine Lumière, il semble n'avoir fait mention d'aucune adresse précise avant 1874, date de l'édification de son nouvel atelier de la rue de la Barre. Le salon photographique d'Antoine, dans les souvenirs de ses enfants, voit défiler de nombreuses figures plus ou moins connues:
Dan l'atelier de mon père ont défilé, pendant de longues années, un très grand nombre de personnalités lyonnaises ou de passage dans notre ville, attirées par la réputation que mon père avait su acquérir dans son art.
LUMIÈRE, 1953: 24.
Les frères Lumière se souviennent tout particulièrement du capitaine Thiers :
De cette époque, la figure qui nous est demeurée la plus vivace et la plus fraîche à la mémoire, est celle du capitaine Thiers. Jeune encore, il était auréolé de la gloire que lui avait value la défense de Belfort, à laquelle il avait héroïquement collaboré aux côtés de Denfert-Rochereau. Esprit brillant et cultivé, nature ardente et généreuse, il portait en lui, sous des dehors un peu réservés, un bouillonnement d'ardeurs et d'enthousiasmes qui ne demandaient qu'à s'extérioriser.
Auguste et Louis Lumière, "Notre Vie", Je sais tout, 18e année, 1er semestre, 15 avril 1922, p. 153.
S'il se consacre surtout au format carte-de-visite, le plus diffusé à l'époque, Antoine Lumière va découvrir le ferrotype aussi appelé "photographie japonaise" qu'il va exploiter dans une baraque en bois :
Antoine Lumière avait monté, pour ce genre de manipulations, une baraque en bois, bien indépendante, à côté de son atelier. Dans ce réduit, une équipe de trois ou quatre personnes voyait défiler devant les objectifs jusqu'à deux cents clients - quelquefois davantage - dans une journée.
VIGNE, 1943: 21.
L'atelier fonctionne à plein régime et tout au long de la journée:
PHOTOGRAPHIE Antoine LUMIÈRE, rue de la Barre, Lyon.
Les ateliers de pose sont ouverts tous les jours sans exception, de neuf heures du matin à six heures du soir.
Le Salut public, Lyon, mercredi 17 mars 1880, p. 2.
Mis à part les membres de sa famille, on connaît le nom de l'un de ses collaborateurs, le photographe itinérant Léon, Ulysse, Constantin Moulin dit Léon Doriol (Langogne, 13/02/1856-Bourg-en-Bresse, 15/03/1932), qui se présente comme un "ex-opérateur Lumière".
Les débuts de l'industrie photographique (1881-1893)
À la suite des travaux de Richard Leach Maddox (1837-1920), Charles Bennett découvre, en 1878, qu'en chauffant l'émulsion au gélatinobromure d'argent quelques heures, sa sensibilité est accrue de façon considérable. Dès lors, il devient possible d'envisager une industrialisation de la fabrication des plaques photographiques. Antoine Lumière va ainsi se lancer dans l'aventure :
Notre père avait deviné l'essor formidable que la photographie allait prendre dans l'avenir; ce fut son trait de génie de pressentir qu'elle était appelée à devenir l'art populaire.
Le procédé au gélatino-bromure d'argent venait d'être découvert, mais il fallait encore de nombreuses recherches pour le mettre au point et le rendre vraiment pratique.
Auguste et Louis Lumière, "Notre Vie", Je sais tout, 18e année, 1er semestre, 15 avril 1922, p. 156.
Sans doute inspiré par un article publié, en janvier 1880, dans le Bulletin de la Société Française de Photographie où le belge Van Monckhoven (1834-1882) détaille le procédé de fabrication du gélatino-bromure d'argent, Antoine Lumière se lance avec autant de fougue que d'inexpérience dans la fabrication de ces plaques photographiques. De nombreuses tentatives infructueuses vont avoir raison de sa santé comme semble le suggérer la presse locale :
Nous recevons de M. Lumière, notre très sympathique ami, la lettre suivante:
"Pour tranquilliser mes amis que certains bruits sur ma santé peuvent inquiéter, je vous serais bien reconnaissant de vouloir insérer les quelques lignes suivantes:
"J'ai toujours été et suis encore à la disposition de mes clients, de 9 heures à midi, et de 1 heure à 5 heures, tous les jours.
Agréer, etc.
Antoine Lumière."
Le Républicain du Rhône, Lyon, jeudi 2 février 1882, p. 3.
En fait, les Lumière sont encore recensés rue de la Barre en 1881 . En réalité, le bail consenti par Mr Galoffre, négociant demeurant à Paris, pour l'immeuble situé aux 21, 23 et 25 rue Saint-Victor est signé le 3 juin 1882 et enregistré le 4 août suivant. La famille habite toujours rue de la Barre, en septembre 1882, comme cela figure sur l'acte de naissance de France Lumière. On peut donc légitimement penser qu'Antoine va conserver son logement et son usine pendant quelque temps. Malgré les efforts pour mettre en place le nouveau projet, la situation économique va vite devenir intenable comme il l'explique à son fils Auguste, en novembre 1882, au retour de son service militaire :
Le lendemain de mon arrivée, mon père me fit appeler dans un laboratoire obscur de son usine en construction, n'osant pas m'entretenir au grand grand jour de sa situation qui était lamentable.
Il n'avait pu encore arriver à rien, avec un passif de plus de deux cent mille francs, et m'avouait, les larmes aux yeux, qu'il était menacé de faillite par ses créanciers; avec cinq enfants et sans aucune ressource, il se trouvait dans un état de désespoir qui me bouleversa profondément.
LUMIERE, 1953: 28.
Louis Lumière va alors reprendre les recherches de son père et parvenir à une solution plus satisfaisante, mais la situation financière reste très précaire. On peut la mesurer à la lecture de l'acte de fondation de la société en nom collectif "Antoine Lumière et ses fils" :
Mr Lumière le reconnaît grevé de dettes s’élevant à une somme équivalente de cent quatre-vingt mille francs ; il s’engage à acquitter lui-même ce passif, mais la société y sera complètement étrangère.
Cette première société Lumière, fondée le 5 janvier 1884, associe le père et ses enfants Auguste et Louis, émancipé pour l'occasion. Elle a pour objet l’"exploitation de la photographie dans tous les genres et la fabrication et la vente des plaques photographiques au gélatino-bromure d’argent." Son siège est établi à Lyon, au nº 19 rue de Barre. Seul Antoine Lumière dispose de la signature sociale et le droit d’engager la société. Au début de l'année 1885, l'atelier est toujours à l'adresse officielle du photographe comme l'atteste le courrier suivant transmis à Pierre Petit.
Antoine Lumière, Mon cher Pierre, Lyon, 11 janvier 1885.
Source: Bibliothèque Nationale de France
En 1885, les choses semblent s'accélérer. Le 5 mars, Antoine Lumière récupère les brevets d'invention de Georges, Auguste Balagny:
Cession de brevets d'invention par Georges Auguste Balagny, inventeur et fabricant de papiers photographiques, demeurant 11, rue Salneuve, à Claude Antoine Lumière, fabricant de plaques photographiques, demeurant 22, rue Saint-Victor à Lyon, directeur de la société en nom collectif Antoine Lumière et ses fils, fondée à Lyon le 5 janvier 1884 et dont l'objet est l'exploitation de la photographie dans tous les genres et la fabrication et la vente des plaques photographiques au gélatino-bromure d'argent, ayant pour objet la fabrication des dits papiers photographiques.
DURAND, 2015: 53.
Puis, le 1er décembre, Antoine Lumière vend au photographe Léopold, Marius Jullien (Taulignan, 21/08/1844-Lyon, 5e, 28/06/1886) son fonds de commerce:
Etude de Me C. Vachez, notaire à Lyon, quai de Bondy, 17.
VENTE DE FONDS
Suivant acte reçu par Me Vachez et un de ses collègues, notaires à Lyon, les trente novembre et premier décembre mil huit cent quatre-vingt-cinq, M. Marius-Léopold Jullien, photographe, demeurant à Lyon, rue du Plat, 2, a acquis de M. Antoine Lumière et ses fils le fonds de photographie que ceux-ci exploitaient en société à Lyon, rue de la Barre, nº 15.
Les personnes qui auraient des droits à faire valoir sur le prix, sont invités à produire leurs titres de créance, dans le délai de dix jours, à Me Vachez, notaire à Lyon, quai de Bondy, 17.
Le Salut public, Lyon, 14 décembre 1885, p. 4.
A. Lumière. M. Jullien Succr. | A. Lumière. M. Jullien Succr. | Photographie Lumière. M. Jullien, Succr. |
Sur le matricule militaire d'Auguste Lumière Lumière, on peut voir qu'il réside encore en novembre 1885, rue de la Barre et que ce n'est que le 13 mars 1886 que figure la nouvelle adresse, nº 21, 23 et 25 chemin Saint-Victor. Dès 1887, les publicités montrent l'importance que revêtent désormais les "étiquettes bleues" dans la production dans la société. Leur rapidité est illustrée par une célèbre photographie d'Auguste sautant par dessus une chaise. À l'occasion de l'Exposition de 1889, un ouvrage est publié, Lyon à l'Exposition Universelle de 1899, où un article est entièrement consacré aux Lumière et à l'usine de Monplaisir.
L'Amateur photographe, Paris, 5e année, nº23, 1er décembre 1887. | "Essai de rapidité des plaques instantanées" VIGNE, 1943: pl. IX. |
La situation qui ne cesse de s'améliorer dans l'entreprise va conduire à transformer la société en nom collectif en la Société Anonyme des Plaques et Papiers Photographiques A. Lumière & ses Fils, en 1892. Le succès commercial de l'entreprise va pourtant être mis à mal par les dépenses somptuaires d'Antoine Lumière:
Grisé par le succès de notre entreprise, il fit bientôt l'acquisition d'une propriété à La Ciotat, sur laquelle il construisit une grande et belle villa, puis créa un vignoble avec des caves monumentales; il éleva encore d'autres constructions à Évian, à la Turbie et, enfin, à Monplaisir, où il édifia une magnifique demeure pour la famille, mais qui ne fut jamais habitée que par ma chère maman.
Mon père avait un remarquable talent de bâtisseur; il était lui-même son architecte et son entrepreneur, commandait directement les ouvriers, dirigeait tous les travaux avec une compétence incomparable et un goût artistique peu commun.
Selon une expression consacrée: il avait la "maladie de la pierre" invétérée.
LUMIERE, 1953: 31.
Sur un terrain acheté en 1891, Antoine Lumière inaugure (3 avril 1893) la Villa Lumière à la Ciotat. Il rachète aussi (1896), la future Villa Lumière à Évian, plusieurs villas au Cap d'Ail, le Château Lumière de Lyon-Monplaisir (1902)...
La Ciotat. Château Lumière | Évian. La villa Lumière | Lyon Monplaisir. Château Lumière |
Ces constructions dispendieuses et la vente de multiples actions vont conduire les enfants Auguste et Louis Lumière a écarté leur père des affaires, à la fin de l'année 1892.
Le cinématographe (1894-1895)
Même s'il est conduit à renoncer à ses activités proprement industrielles, Antoine Lumière reste, malgré tout, une figure essentielle qui incite, stimule et impulse les projets qu'il délègue à ses enfants avant de les avoir mis en place. Cela n'entame pas pour autant la grande affection qu'Auguste et Louis portent à leur père :
Notre père, grand, fort, vigoureux, plein d'exubérance et de vie, passionné pour son art et pour toutes les formes d'art, imaginatif plus que réalisateur, l'esprit continuellement en éveil, s'enthousiasmant pour une cause ou pour une idée, était, avant tout, profondément bon. S'il se montrait parfois sévère, sa sévérité était toujours tempérée par un souci de la justice, qui gardait à ses réprimandes leur valeur.
Auguste et Louis Lumière, "Notre Vie", Je sais tout, 18e année, 1er semestre, 15 avril 1922, p. 154.
Antoine Lumière
source: CHARDÈRE/BORGÉ, 1985: 20.
Le 24 avril 1894, il est promu chevalier de la Légion d'honneur. L'invention du cinématographe doit beaucoup à l'"aiguillon" Antoine Lumière. Il est probable que sans sa curiosité et son intérêt pour les innovations, l'appareil n'aurait pas vu le jour. Sur ces origines, il existe de nombreuses versions incertaines qui se heurtent à la matérialité des faits : Paul Vigne (1943), Auguste Lumière (1953), Louis Lumière (1946)...
L'année 1894 est essentielle à plus d'un titre pour Antoine Lumière dans la mesure où ses activités vont le conduire à se rendre à Paris à plusieurs reprises. Il y a un ami proche, le photographe Clément Gratioulet, dit Clément-Maurice :
L. MAURICE.-Son atelier occupait les 3e et 4e étages d'une maison sise au 8 boulevard des Italiens, dont l'escalier de service débouchait sur le Passage de l'Opéra ; de l'autre côté du boulevard, REUTLINGER était établi à l'angle de la rue de Richelieu.
J.V..- C'est donc par la photographie que votre Père était entré en relation avec la maison LUMIERE ?
L. MAURICE.-Très exactement; Monsieur Antoine LUMIÈRE qui avait fondé en 1882 [sic] son usine de plaques photographiques à Lyon-Monplaisir, avait apprécié les talents de mon Père et lui donnait automatiquement toutes les émulsions à essayer: ils devinrent amis très intimes au point que, dans notre appartement, il y avait la "chambre pour Antoine" où celui-ci couchait à chacun de ses passages à Paris.
" Léopold Maurice témoin des débuts du cinéma ", Bulletin de l'AFITEC, 23e année, nº 29, 1969, p. 3.
Dans le cadre de ses activités professionnelles, Clément-Maurice collabore fréquemment avec le Petit Parisien qui expose ses photographies dans sa salle des dépêches, située au 20 boulevard Montmartre. C'est ainsi le cas au début du mois de juillet 1894 :
Il y avait foule dans notre Salle des Dépêches. [...] Très appréciée également la série de M. Clément Maurice, propriétaire de la photographie Tourtin; ces épreuves sont d'une netteté étonnante. Mais ce qui a le plus émerveillé nos visiteurs, ce sont les deux immenses agrandissements de clichés de M. Maurice, représentant le char funèbre et M. Casimir-Périer, entouré de sa maison militaire. Ce sont là deux véritables oeuvres d'art; tout le monde reconnaît les personnages officiels qui y figurent. Ces superbes photographies, obtenues avec le papier et les plaques de la maison Lumière, font le plus grand honneur à leur auteur.
Le Petit Parisien, Paris, 5 juillet 1894, p. 2.
Quelques jours plus tard, à la mi-juillet, cette même salle des dépêches accueille, pour la première fois, non seulement en France, mais en Europe, le célèbre kinetoscope d'Edison :
Photographies Animées
Depuis deux jours, une invention nouvelle, d'un rare intérêt, est présentée au public dans la Salle des Dépêches du Petit Parisien.
Toutes les revues scientifiques ont signalé déjà, mais sans le connaître encore, le fameux kinétoscope d'Edison, un instrument qui enregistre des images animées et les reproduit sous nos yeux avec une merveilleuse précision.
Ce kinétoscope, sorti tout récemment du laboratoire de Menlo-Park, n'a pu être exhibé à Chicago qu'après la fermeture de l'Exposition, et c'est la première fois qu'il franchit l'Océan. On ne l'a vu jusqu'ici ni à Londres, ni à Berlin, ni dans aucune autre ville d'Europe. Par l'intermédiaire de notre Salle des Dépêches, le boulevard Montmartre en a la primeur.
Aussi les visiteurs sont-ils nombreux. Des savants, des professeurs du Collège de France, des hommes du monde se mêlent déjà aux curieux. Hier, M. Marey, membre de l'Institut, quittait la séance de l'Académie pour venir voir cette invention qui intéresse au plus haut point la station physiologique du Bois de Boulogne où, comme on le sait, de profondes études sont faites des fonctions musculaires de l'homme et des animaux et où l'on est arrivé à photographier le vol des oiseaux et des insectes.
Le Petit Parisien, Paris, mercredi 18 juillet 1894, p. 2.
C'est le concessionnaire d'Edison, George Georgiades, qui est à la manœuvre :
Un électricien qui a travaillé pendant deux ans dans le laboratoire d'Édison à Orange (New-Jersey), M. Georgiadeo [sic], vient d'apporter à Paris un kinétoscope; c'est le premier dont on signale l'apparition en Europe.
Henri Flamans, “Le Kinétoscope d’Edison”, Le Magasin pittoresque, Paris, 1er août 1894, p. 247-248.
La nouveauté, dont la presse entretient ses lecteurs depuis longtemps, attire vite les curieux, mais aussi les scientifiques comme Étienne-Jules Marey ou les photographes comme Clément-Maurice :
En 1893 [sic], mon Père fut parmi les premiers à aller voir le "Kinétoscope" EDISON en fonctionnement à l'angle du Bd Montmartre et du Fg. Montmartre.
" Léopold Maurice témoin des débuts du cinéma ", Bulletin de l'AFITEC, 23e année, nº 29, 1969, p. 3.
Antoine Lumière reçoit alors un courrier de son ami qui lui demande de monter à la capitale :
[...] il écrivit au "père LUMIÈRE" en lui demandant de monter à Paris; ce que fit celui-ci et, ayant vu le "kinétoscope" chargea mon Père de lui en procurer un modèle."
Léopold Maurice témoin des débuts du cinéma ", Bulletin de l'AFITEC, 23e année, nº 29, 1969, p. 4.
On imagine qu'il ne tarde guère, fin juillet ou début août, et il rentre vite à Lyon pour en parler à son fils Louis, comme le rapporte le mécanicien Charles Moisson :
Durant l'été 1894, le père Lumière est arrivé dans mon bureau, où j'étais avec Louis, et a sorti de sa poche un morceau de bande de kinétoscope qu'il avait eu des concessionnaires d'Edison, et dit textuellement à Louis: "Voici ce que tu devrais faire, parce qu'Edison vend cela à des prix fous, et les dits concessionnaires [Werner] [sic] cherchent à faire des bandes ici en France, pour les avoir meilleur marché."
Ce bout de bande que j'ai encore devant les yeux, et qui avait à peu près trente centimètres de long, était exactement le même modèle que le film actuel; quatre perforations par image, même largeur et même pas. Elle représentait une scène chez un coiffeur.
SADOUL, 1964: 10.
Georges Sadoul, en voulant préciser ces souvenirs, commet l'erreur de penser que Moisson parle des Werner alors qu'il est question du concessionnaire George Georgiades qui ne peut donner qu'un fragment de film à Antoine Lumière. Peu après, Clément-Maurice présente, à la salle des dépêches, des photographies des félibres :
Clément Maurice, propriétaire de la photographie Tourtin, qui a suivi la caravane des félibres pour le Petit Parisien, nous a rapporté une série d'intéressantes épreuves qui sont exposées dans notre Salle des Dépêches.
A signaler le superbe agrandissement de 80 centimètres, représentant les préparatifs de la représentation d’Antigone au théâtre d'Orange, obtenu avec tes flaques et le papier A. Lumière.
Le Petit Parisien, Paris, 15 août 1894, p. 2.
Le mois suivant, il présente de nouveaux agrandissements :
Notre salle des dépêches.
M. Pierre Petit nous a rapporté, du voyage de M. Casimir-Périer à Châteaudun, une série d'instantanés très intéressants. D'après ces clichés, M. Clément Maurice a bien voulu nous faire quelques agrandissements sur papier Lumière, que nous avons exposés dans notre hall et qu'on a beaucoup regardé.
Le Petit Parisien, Paris, dimanche 23 septembre 1894, p. 2.
Clément-Maurice dispose d'un atelier situé au-dessus du théâtre Robert-Houdin de Georges Méliès, dans des locaux loués depuis 1889 par le photographe Gaston Floret et qu'occupait antérieurement le photographe Tourtin :
[...] Il s'était ainsi établi photographe à Paris.
Son atelier occupait les 3e et 4e étages d'une maison sise au 8 boulevard des Italiens, dont l'escalier de service débouchait sur le Passage de l'Opéra ; de l'autre côté du boulevard REUTLINGER était établi à l'angle de la rue de Richelieu.
" Léopold Maurice témoin des débuts du cinéma ", Bulletin de l'AFITEC, 23e année, nº 29, 1969, p. 3.
À cette date, on ne sait pas si le kinetoscope fonctionne encore dans la salle des dépêches, mais la presse reste silencieuse. On peut penser, par ailleurs, qu'à Monplaisir, l'idée de fabriquer du film pour les kinétoscopes fait son chemin, d'autant plus qu'Edison n'a pas breveté son invention qui ne tardera pas à être plagiée. Toujours est-il qu'Antoine Lumière se rend à nouveau à Paris au mois d'octobre. Sans doute avec la complicité de son ami Clément-Maurice, il va donc signer un bail chez Me Dufour, notaire à Paris, avec Charles, Gérard, Louis Joseph Marie de Rohan Chabot, propriétaire de l'immeuble. Le document porte sur :
1. Le deuxième étage au-dessus de l'entresol de cette maison [...]
2. La terrasse entière existant au-dessus du deuxième étage au-dessus de l'entresol [...]
3. Les deux appartements sis au quatrième étage du bâtiment au bout du couloir conduisant à l'escalier Bbis des passages de l'Opéra, galerie de l'Horloge et communiquant par une passerelle couverte à la terrasse et aux constructions légères ci-dessous désignées: Les deux appartements ayant leur entrée par l'escalier Bbis des passages de l'Opéra. Cave située sous la galerie de l'horloge, prenant son entrée par l'escalier du restaurant.
Bail par M.M. de Rohan-Chabot à M. Lumière, 5 novembre (24 octobre) 1894, p. 3-5.
Georges Méliès signe également un bail avec le même propriétaire, chez le même notaire et les mêmes jours. Coïncidant avec la signature de ce bail, les frères Werner viennent d'ouvrir un kinétoscope parlor, au 20, boulevard Poissonnière :
Le Kinétographe [sic], ce merveilleux appareil dû à Edison et dans lequel on voit défiler toutes les scènes de la vie par des personnages qu'on croirait vivants, vient d'être installé 20, boulevard Poissonnière.
Gil Blas, Paris, 21 octobre 1894, p. 3.
Les Werner, qui n'ont pas obtenu la concession des kinétoscopes Edison, ont acheté finalement, le 29 septembre, six kinétoscopes auprès de la Edison Phonographs Works afin d'ouvrir leur kinetoscope parlor. C'est là que va se rendre Antoine Lumière, accompagné de Clément-Maurice quelques jours après l'inauguration :
Monsieur Antoine Lumière se trouvant à Paris, je le conduisis voir les petites photos animées du Kinétoscope que Messieurs Warner [sic] montraient sur le boulevard Poissonnière vers 1893 [sic].
M. Antoine Lumière fut vivement intéressé et en sortant de l'établissement, je lui fis cette réflexion: "Quel dommage que ces images mouvantes ne soient pas projetées sur un écran."
Poursuivi par cette idée, le soir même M. Antoine Lumière acheta à Messieurs Warner un kinétoscope pour le prix de 4.000 francs et l'emporta à Lyon.
"Le cinéma sur les boulevards. Notre enquête", Ciné-journal, 7e année, nº 297, 21 mai 1914, p. 17.
Pourtant, comme le raconte son fils Leopold Gratioulet, dit Léopold Maurice, l'achat n'est pas aussi simple car les frères Werner ne disposent alors que d'un nombre très limité d'exemplaires dont ils ne souhaitent pas forcément se défaire :
[...] en fait, l'appareil ne put être acquis qu'après de laborieuses tractations, et ce fut à prix d'or: 5000 francs... ce qui était très cher pour l'époque !
Léopold Maurice témoin des débuts du cinéma ", Bulletin de l'AFITEC, 23e année, nº 29, 1969, p. 4.
Si Clément-Maurice se garde le beau rôle - au fond, c'est lui qui aurait suggéré à Antoine Lumière l'idée du cinématographe -, les éléments de l'anecdote font sens et l'on voit ainsi poindre l'idée d'une projection sur grand écran. On se doute bien que tant Louis qu'Auguste n'ont pas été insensibles aux intuitions, fussent-elles d'Antoine Lumière ou de Clément-Maurice. Louis a donc beau jeu d'insister sur le fait que seul son père a pu acheter un kinetoscope, ce qui ne fait pas le moindre doute, c'est que l'idée de fabriquer des films pour les kinetoscopes, surgie à l'été 1894, va prendre corps dès l'automne. Il ne reste plus qu'à mettre au point un appareil de prise de vues qui deviendra le cinématographe, mais bien des problèmes techniques restent encore à résoudre.
Les frères Lumière, d'abord Auguste, puis Louis s'attellent à la tâche et, en décembre 1894, ce dernier met la dernière main au cinématographe. Quelques semaines plus tard, le 13 février 1895, les deux frères déposent leur brevet. C'est probablement quelque temps plus tard qu'Antoine va faire découvrir le cinématographe à Jules Demaria :
En ce moment, je puis m'empêcher de me reporter à trente années en arrière, au jour où, de passage à Lyon, probablement peu de temps après la prise de leur premier brevet, Antoine Lumière m'avait conduit dans le laboratoire de ses fils Louis et Auguste, pour me montrer, un soir, une projection nouvelle qui pour ne pas dire plus, me combla d'étonnement.
Conseil Municipal de Paris, 1926: 1995.
Au cours de l'année 1895, presque toutes les présentations organisées en France, le sont sous l'autorité de Louis, ce qui, soit dit en passant, montre l'importance de ce dernier dans l'invention du cinématographe, alors qu'Auguste Lumière est pratiquement absent de cette phase de divulgation scientifique. Antoine Lumière est, en revanche, le maître d'œuvre de la séance organisée, le 23 septembre 1895, à La Ciotat.
Très tôt, la question de la commercialisation va se poser, et Antoine Lumière entend jouer un rôle dans l'exploitation du cinématographe. Un échange de courriers permet de comprendre que l'enjeu est d'importance :
Mon Bon Père,
Nous avons causé avec Auguste, de la question de l'exploitation du Cinématographe. Tu sais que nous avons reçu de nombreuses demandes de diverses natures, à l'heure actuelle. Ici, à Lyon, par exemple, en ce qui concerne l'exhibition, Le Lyon [Lyon-républicain] et Le Progrès demandent l'affaire, se chargeant de toute la publicité et nous réservant, après prélèvement du droit des pauvres, soixante pour cent de la recette.
A Paris, le Casino de Paris nous a fait faire des offres analogues et tu sais que cet établissement a un traité de publicité avec tous les journaux, en outre il est très bien placé quant au nombre des spectateurs. Nous n'avons pas accepté cette offre puisque tu désires que nous réussissions quelque chose dans la capitale. Mais il nous paraît équitable que tu fasses réserver quarante pour cent de la recette après prélèvement du droit des pauvres. Ce n'est pas exagéré étant donné les propositions qui nous ont été faites.
Nous croyons qu'il est sage de ne pas prendre d'autres décisions avant d'avoir vu ce que donneront les exhibitions dans ces deux villes et dès à présent, je dois te dire que nous ne sommes pas d'avis d'organiser la chose comme tu le proposais.
Cette organisation présente, selon nous, les inconvénients suivants:
1) Mise de fonds importante.
2) Frais d'exploitation assez considérables.
3) Surveillance constante dans toutes les villes où se feront des exhibitions de façon à modifier à chaque instant et suivant les cas, les frais, la publicité ou arrêter l'exploitation lorsque l'intérêt a disparu pour les habitants.
4° Enfin, nous te verrions avec peine faire le bamum qui montrerait la lanterne magique. Nous entrevoyons cette exploitation d'une autre façon :
Comme nous avons de nombreuses demandes, il nous suffirait d'avoir un employé un peu intelligent pour répondre à la correspondance et offrir l'appareil en location à tant par soirée : 100, 200 francs ou plus suivant l'importance des localités.
Nous formerions quelques expérimentateurs dont les frais de voyage seraient payés par les preneurs et qui sauraient faire fonctionner l'appareil.
Ce procédé aurait, il nous semble, bien des avantages :
1) Aucune mise de fonds ou à peu près aucun frais de publicité, aucune organisation de salle à établir.
2) Nous profitons des installations parfois considérables qui existent déjà.
3) Nous avons ainsi des points de repère qui nous permettent de marcher avec sécurité. Si, en effet, les appareils sont très demandés aux prix les plus élevés que nous pourrons fixer d'après le résultat des expériences de Paris et de Lyon, nous tiendrons les prix. Lorsque, au contraire, on commencera à l'user nous baisserons en nous guidant sur l'offre et la demande.
4) On n'a d'engagement avec personne, on est libre et tout compte fait, nous ignorons ce que cela peur produire.
Même si l'on constituait une Société, nous croyons que ce mode d'exploitation serait le mieux.
Voilà, mon Bon Père ce que nous pensons de la question. N'est-ce pas logique?
Les voyageurs sont arrivés à bon port hier et nous avons tous dîné à la maison. La santé est bonne aujourd'hui sauf celle de Suzanne. Notre petit moucheron paraît s'être enrhumée.
Il fait froid et nous avons allumé du feu partout.
Quand viendras-tu à Lyon ?
Tour le monde se joint à moi pour t'embrasser mille fois comme nous t'aimons mon Bon Père, du fond du cœur.
L. Lumière.
LUMIÈRE, 1994: 46-48.
Comme on peut le voir, le père et les fils ne sont pas vraiment sur la même ligne. Ces derniers émettent plusieurs réserves sur la conception qu'Antoine Lumière a de la possible exploitation du cinématographe dont il aurait en somme la responsabilité générale. Afin sans doute de tempérer ses ardeurs, Auguste et Louis vont céder sur la concession parisienne qui sera de la double responsabilité d'Antoine Lumière et de son vieux complice Clément-Maurice Les souvenirs de l'historien Guillaume-Michel Coissac permettent d'avoir une idée sur l'organisation de la présentation du cinématographe à Paris :
Il me faut revenir à l'année 1895 et rappeler une autre visite de M. Antoine Lumière, père, chargé par ses fils de découvrir dans la capitale un local susceptible d'être transformé rapidement en salle de spectacle. Il va explorer les grands boulevards, où tout est plaisir et fascination; pour réussir, il compte beaucoup sur l'aide des photographes malheureusement installés sous les toits, alors qu'il désire un rez-de-chaussée.
Il a songé à un de ses anciens collaborateurs aux usines de Lyon , M. Clément Maurice, venu à Paris diriger un laboratoire photographique. Comme à moi, mais avec plus d'enthousiasme peut-être, il va un matin narrer à Maurice les possibilités du cinématographe (on ne connaissait pas encore les diminutifs cinéma et ciné) et lui fait part de ses projets. L'exploitation de cette merveille sourit au brave Maurice qui, plein de confiance, accepte de liquider son atelier et de prendre en mains les destinées de l'invention des frères Lumière. Vainement les deux amis interrogent les agences de la place de la République à la Madeleine, comme ils questionnent les commerçants. Fatigués par des courses pénibles ils vont désespérer quand ils aperçoivent un groupe de déménageurs sortant des meubles d'un sous-sol ; le local où siégeait jusque-là une académie de billards est vide !
M. Antoine Lumière se précipite chez le propriétaire, M. Volpini, qui dirige le Grand Café. Celui-ci l'entraîne visiter le local beaucoup trop exigu, à son jugement. Une rapide conversation et le bail est signé. Après s'être entendu avec M. Maurice du temps nécessité par la mise en état rapide du futur théâtre cinématographique, M. Lumière rentre à Lyon et rend compte de ses démarches à ses fils qui l'approuvent ; dès ce moment, la famille n'obéit qu'à une préoccupation : celle de préparer un programme digne de l'ouverture.
Peu de jours après, M. Clément Maurice, investi du titre de concessionnaire du Cinématographe Lumière, pour Paris et la banlieue, fait aménager son sous-sol et lui donne le titre de Salon indien.
Guillaume-Michel Coissac, "Le Cinématographe est né en France en 1895", Hommage à Louis Lumière, Ville de Paris. Musée Galliéra, Décembre 1935-Janvier-Février 1936.
Le photographe Clément-Maurice témoigne pour sa part sur les dissensions au sein des Lumière et sur les conditions matérielles du fonctionnement de la salle du Grand Café :
Ce n’est que plusieurs mois après, que M. Antoine Lumière eut l’idée de l’exhiber en public, un peu contre l’avis de ses fils Auguste et Louis, qui dans leur modestie bien connue, n’auraient jamais espéré le succès de ce genre de spectacle.
Le but de M. Antoine Lumière était surtout de faire de la réclame sur les produits photographiques Lumière, c’est pourquoi les sous-sols du Grand Café, 100 places environ, nous parut suffisant.
Le sous-sol fut loué à raison de 30 francs par jour ; M. Volpini (propriétaire du Grand Café), regretta plus tard de n’avoir pas accepté les 15% sur la recette que nous lui avions offert. En effet, la première journée donna 33 francs de recette et trois semaines après nous encaissions plus de 3.000 francs par jour, dans cette salle contenant à peine 100 places.
"Le cinéma sur les boulevards. Notre enquête", Ciné-journal, 7e année, nº 297, Paris, 21 mai 1914, p. 17.
Afin de pouvoir organiser la séance du 28 décembre 1895 et l'inauguration du cinématographe, une équipe va se constituer. Outre Antoine Lumière et Clément-Maurice, il faut également y ajouter le mécanicien de la maison Lumière, Charles Moisson, et le futur historien du cinématographe, Jacques Ducom qui conserve le souvenir de cette "première" :
La première exhibition publique et payante à Paris de cette invention eut lieu dans les sous-sols du Grand-Café sur les Boulevards, cela remonte à décembre 1895. Dans tous ces travaux, MM. Lumière avaient eu comme aide et collaborateur modeste, mais très savant, M. Moisson. Le succès fut énorme. Comme la salle était très petite, le public ne redoutait pas de faire plus d'une heure de queue pour jouir, pendant vingt minutes, de ce spectacle si nouveau et si attrayant pour lui (1). Les vues qu'on lui montrait alors étaient aussi bonnes que celles que nous voyons actuellement, mais elles étaient très courtes, chaque sujet n'avait environ que 18 m. de long; cela n'empêchait pas de trouver l'arroseur arrosé très amusant, l'arrivée du train en gare d'une vérité achevée et la dispute et les pleurs des deux bébés on ne peut plus naturelle.
(1) Le jour de l'inauguration c'était M. Moisson qui tournait la manivelle et chargeait l'appareil, c'était votre serviteur qui réglait la lampe et réembobinait les bandes, M. C. Maurice tenait la caisse et recevait les invités avec M. Lumière père.
Le Cinématographe scientifique et industriel, Paris, Albin Michel, [1911], p. 43.
Attaché également à l'usine de Monplaisir, Francis Doublier, à peine dix-sept ans, a également revendiqué sa participation modeste à cette inauguration :
J'ai participé modestement à la première séance du cinématographe Lumière, au grand café de Paris. J'étais assistant du chef-mécanicien Charles Moisson et de l'opérateur de projection Ducom. L'un réglait la lumière et l'autre tournait la manivelle. Ils ne s'absentaient qu'à l'heure des repas. C'est ainsi que le 28 décembre 1895, comme Moisson et Ducom déjeunaient, j'ai présenté "Le Maréchal Ferrant", "La Partie de Cartes" et "La Querelle enfantine" sur l'écran du Salon Indien. Mais on m'avait envoyé là surtout pour porter les films !
GILSON, 1945 : 5.
A-t-il été simplement omis par Jacques Ducom ou bien Francis Doublier confond-il les dates ? Toujours est-il que celui qui a été bel et bien oublié, non pas comme organisateur, mais comme spectateur, c'est Jules Carpentier dont on sait qu'il est en train de mettre au point, le prototype que doit servir à la construction en série du cinématographe. Un peu confus, et au grand dam de ses enfants, Antoine Lumière va tenter de rattraper le coup.
Le pneumatique posté le 28 décembre 1895 par Monsieur A. Lumière père informant J. Carpentier que l'installation du Cinématographe au Grand Café sera prête à 6 h. du soir. Collection de la famille Carpentier Bulletin de l'AFITEC, 1971, nº 31, 25e année, p. 32. |
Mais, prévenu trop tard, Jules Carpentier ne peut assister à la séance inaugurale. Dans sa réponse, Louis Lumière précise le rôle tenu par son père dans l'organisation de la séance. Parmi les premiers spectateurs, on compte Georges Méliès.
Louis Lumière, Mon Cher Monsieur Carpentier, Lyon-Monplaisir, 31 décembre 1895. Source: Collection Trarieux-Lumière. |
Le succès des séances organisées au Grand Café vont dès lors renforcer l'idée que l'exploitation du cinématographe est parfaitement rentable, et Antoine Lumière, secondé par Clément-Maurice, va se mettre en quête de nouveaux lieux de projections. Pourtant la situation avec les frères Lumière n'est pas aussi claire qu'il n'y paraît. Il n'est pas question pour eux de laisser la bride sur le cou à leur père et à Clément-Maurice comme en témoigne un courrier envoyé à ce dernier où Charles Rossel
17 Février 6 Mon Cher Maurice, |
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Lumière, Lettre à Clément Maurice, Lyon, 17 février 1896. Cahier Lefrancq [D.R.] |
En quelques mois, les présentations de l'appareil vont se multiplier. D'une part, le cinématographe devient la coqueluche des soirées mondaines ou scientifiques et on ne compte plus ce type de présentation : chez le sculpteur Antonin Mercié, au Cercle de l'Union artistique, à la Société Français de Photographie, au Congrès des sociétés savantes, à l'Automobile-Club de France... Le Gaulois ne s'y trompe pas lorsqu'il écrit :
Le grand succès de la saison est décidément au Cinématographe Lumière. Non seulement on voit, chaque jour, une foule énorme assiéger l'entrée de la salle du boulevard des Capucines, mais encore on s'arrache dans les salons le merveilleux apparei.
Il n'est pas de belle soirée, aujourd'hui, sans voir figurer au programme les projections animées de MM. Lumière.
Le Gaulois, Paris, lundi 9 mars 1896, p. 3.
D'autre part, la première initiative commerciale va consister à installer un cinématographe à l'Olympia. Dès le mois de février, il en est question, même si l'inauguration n'a lieu, finalement, qu'en mars :
Aujourd'hui dimanche, à deux heures, ouverture, au premier étage de l'Olympia, de la nouvelle salle du Cinématographe Lumière.
Les projections animées continueront, en même temps, dans la salle du Grand-Café.
Le Journal, Paris, 22 mars 1896, p. 3.
Un bail a été signé entre Antoine Lumière et Clément-Maurice, en avril 1896, pour une durée de quatre mois (Archives de Paris, série DP4). Les projections vont prendre fin en juillet. De façon presque simultanée, deux autres salles vont présenter un cinématographe Lumière: l'Eldorado de M. Marchand dont l'inauguration à lieu le 29 mars et des vues animées sont offertes jusqu'au [1er] mai, et les Grands Magasins Dufayel où l'on peut admirer les vues Lumière à partir du 29 mars. C'est finalement le 2 mai 1896 qu'Antoine Lumière va lancer l'exploitation du cinquième cinématographe. Il a signé pour cela un bail dès le 2 février avec la propriétaire Eugénie-Célina Duplaquet, mais l'exploitation de la salle située au 6, boulevard Saint-Denis n'intervient que trois mois plus tard.
Le Cinématographe Lumière de la Porte Saint-Martin
© B. Chardère, Institut Lumière
Une fois mis en place ces différents lieux de projection, il n'est pas certain qu'Antoine Lumière ait assuré le suivi des projections. Il semble bien plus probable que le véritable responsable de la diffusion du cinématographe ait été Clément-Maurice dont le nom revient avec fréquence dès lors qu'une présentation du cinématographe se produit.
Et après... (1897-1911)
Antoine Lumière va encore tenter quelques activités comme sa {Journal officiel de la République Française, Paris, 10 novembre 1898, p. 6870.}demande en concession{/tip} de Mines d'Anthracite (21 juillet 1898) sur les territoires des communes des Allues et de Sain-Bon (Savoie), puis il se consacre à la peinture :
M. Antoine Lumière s'est retiré des affaires et jouit d'un repos bien mérité, tantôt dans son château de La Ciotat, tantôt dans sa coquette villa d'Evian, véritable musée, où il occupe ses loisirs à faire de la peinture.
BRÉGAND, 1899.
Ami des peintres Alexis Vollon et Ferdinand Roybet, il produit des œuvres intéressantes: Un puits au Mottet et Embouchure de la Dance (Salon 1902) présentés au Salon de 1902, Vue de Venise et La Maison du Tintoret (1903) en 1903, Vue de Venise, La Maison du Tintoret à Venise, Portrait du général Dodds (1904), Portrait de Paul Destray (1905), Portrait de Lanessan, Portrait de Claude Terrasse...
Frances Benjamin Johnston, Antoine Lumière [painting portrait of posing man], (c. 1905)
Source: Library of Congress.
Antoine Lumière est aussi le sujet des portraits que lui consacrent Alexis Vallon, Paul Bertnay, Ferdinand Roybet (1902)... En août 1904, il se rend à l'Exposition de Saint-Louis en tant que membre du jury :
A l'Exposition de Saint-Louis
Embarquement au Havre.-Une Nombreuse Caravane.-Les Membres du Jury.-Officiels et Touristes.
Hier a eu lieu au Havre un important exode de Français qui se rendent à l'Exposition de Saint-Louis, pour prendre part aux opérations des jurys dont le fonctionnement débute le 1er septembre.
[...]
Les Membres de l'"Expédition".
[...]
M. Antoine Lumière, industriel (plaques et papiers photographiques), membre du jury.
Le Petit Parisien, Paris, 21 août 1904, p. 2.
En 1906, il est promu officier de la Légion d'honneur.
Antoine Lumière | Ferdinand Roybet, Antoine Lumière (1902) Source: Institut Lumière. |
Il semble pourtant qu'il ait repris ses activités professionnelles, en rapport avec l'usine Lumière de Burlington où travaille Francis Doublier. Ainsi, il enregistre la marque "Photodoses" (nº 44.293) (1905 ou 1906). Il semble que son fils Édouard ne soit pas étranger à ce bref retour aux affaires industrielles. Ce dernier a déposé, le 5 mars 1907, un brevet pour un "appareil cinématographique" (FR375406). Peu après, le 20 mars 1907, c'est Antoine Lumière qui en fait autant, pour un "perfectionnement aux cinématographes" (FR 375931) dont il existe une version américaine. Quelques mois plus tard, en septembre 1907, il part pour les États-Unis, avec Édouard, à bord de la Provence. L'assemblée générale de la Société se tient en octobre et offre une explication à cette nouvelle activité d'Antoine Lumière :
Les traités intervenus le 27 avril 1897 [sic], aux termes desquels la Société a consenti à M. Claude-Antoine Lumière père une option pour la vente de l'usine de Burlington, des marchandises et approvisionnements qui y sont contenus, et pour l'obtention du monopole pour la vente des plaques autochromes dans les Etats-Unis d'Amérique et au Canada, et du monopole pour la vente des pellicules noires, dans les même pays. Pour le cas où M. Lumière père lèverait l'option qui lui a été consentie, l'assemblée relève ce dernier de l'engagement pris par lui dans les statuts de la Société (art. 6) de ne jamais s'intéresser personnellement à une entreprise analogue à celle de la Société.
Gil Blas, Paris, jeudi 31 octobre 1907, p. 4.
Le 7 novembre 1907, un dîner est organisé par The Publisher en son honneur et la presse évoque sa présence :
M. Antoine Lumiere, the French inventor and camera enthusiast whose inventions made photography in colors possible, is visiting the United States and receiving the hoonor due him.
The Argonaut, San Francisco, 4 janvier 1908, p.
Il dépose un nouveau brevet, en décembre 1907, pour un "châssis articulé pour l'examen par transparence des plaques de photographie en couleurs".
Antoine Lumière décède en 1911.
Sources
BLONDEAU Georges, "Victor Jeanneney. Artiste peintre et professeur de dessin (1832-1885)", Séance du 25 mars 1911, Mémoires de la Société d'Émulation du Doubs, Huitième Série, Sixième volume, 1911, Besançon, Imprimerie Dodivers et Cie, 1912.
BRÉARD Vital, "M . Lumière. Photographe", Le Panthéon de l'Industrie, 22e année, nº 1074, 1896, p. 97-98.
BRÉGAND Georges, "Comment on devient riche. MM. LUMIÈRE", Le Matin, Paris, 7 août 1899, p. 4.
BRISSON Adolphe, "Promenades et Visites. M. Lumière", Le Temps, Paris, 7 avril 1896, p. 2.
Conseil Municipal de Paris, "Inauguration d'une inscription apposée 14, boulevard des Capucines, pour commémorer la première représentation publique de cinématographe à Paris", Bulletin municipal officiel (Supplément), Paris, vendredi 16 avril 1926, p. 1993-1996.
D'EON C., "Les Maîtres de l'Or. Lumière !", Le Public, Paris, 27 mai 1905, p. 1.
DURAND Marc, De l'image fixe à l'image animée 1820-1910, Pierrefitte-sur-Seine, Archives Nationales, 2015.
ELBERT E., "Chez Lumière", Le Petit Marseillais, Marseille, 3 mars 1897, p. 1.
GILSON Paul , "J'ai tourné la manivelle ce 28 décembre 1895 au Grand Café", L'Écran français, Paris, nº 25, Noël 1945.
Lumière. L'Album de famille, Lyon, Archives Municipales, 1995, 168 p.
LUMIÈRE Auguste, Mes Travaux et Mes Jours, Paris, La Colombe, 1953, 190 p.
LUMIÈRE Auguste et Louis, Correspondance, Paris, Cahiers du Cinéma, 1994, 400 p.
SADOUL Georges, Louis Lumière, Paris, Seghers, "Cinéma d'aujourd'hui", 1964, 192 p.
STORCK Adrien et Henri MARTIN, Lyon à l'Exposition Universelle de 1899, Lyon, Imp. A. Storck, 1890, 314 p.
VIGNE Paul, La Vie laborieuse et féconde d'Auguste Lumière, Lyon, Imprimerie Durand-Girard, 1942, 440 p.
VIVIE J., "Sous le signe des Archives du Film... Souvenirs de 75 ans. Léopold Maurice témoin des débuts du cinéma", AFITEC, 23e année-nº 29-1969-p. 3-15.
Remerciements
Bibliothèque Municipal de Lyon.
Thierry Lecointe.