C'est à Nîmes que nous débutâmes. J'avais loué à Olivier, alors directeur des arènes, le cirque pour un après-midi. Le matador célèbre à cette époque était Machaquito, une idole que j'étais moi-même désireuse de connaître.
Olivier me fit les honneurs des arènes. Je visitai chaque salle, y compris la chapelle, l'hôpital et la morgue, car la course se terine parfois de façon tragique. Je fis connaissance avec les picadors, les malheureux chevaux dont la dernière heure approchait.
Les gradins étaient encore vides, mais on entendait, au-dehors, le bourdonnement de la foule impatiente.
Dans la porte réservée au personnel, une grande arche que la lumière inondait. Olivier me signala l'arrivée de Machaquito. C'était un jeune homme pas très grand, mince, musclé, presque trop gracieux. Son costume d'un rose très doux entièrement rebrodé d'or rayonnait sous le soleil. Il vint à nous. Olivier fit les présentations, Machaquito s'inclina simplement et gagna ses appartements. L'impression était bonne. Je rejoignis mes compagnons dans une loge réservée à la droite de la loge du président des arènes.
La porte s'ouvrit au public : les gradins s'emplirent à craquer, le brouhaha s'atténua peu à peu, et Machaquito, à la tête de la quadrilla et accompagné de la musique traditionnelle fit son entrée dans l'arène, salué par une ovation iindescriptible. Il s'arrêta devant la loge du président qui lui jeta la clef du toril puis, se tournant vers notre loge, il y lança son chapeau nous dédiant ainsi la course... et les taquineries de mes camarades augmentèrent. Comment se procurèrent-ils les banderilles sanguinolantes dont ils emplirent ma valise ?Ç...
Je ne vous décrirai pas la course, où six taureaux furent mis à mort. Malgré la cruauté du spectacle, le courage du matador m'émut plus d'une fois. La course terminée, Olivier, s'amusa fort de mon émotion.
- Puisque Machaquito a fait votre conquête, me dit-il, je dois aller lui payer sa course à l'hôtel, voulez-vous m'accompagner ?
J'acceptai.
Machaquito s'était retiré dans le patio de l'hôtel. Vêtu d'une vieille veste d'intérieur, en pantoufles, il fumait un énorme cigare (je n'en ai revu de semblables qu'en Espagne). Il reçut l'argent et nos félicitations avec flegme et nous vit partir certainement sans regret.
Alice Guy, Autobiographie d'une pionnière du cinéma 1873-1968, Paris, Denoël/Gonhier, 1976, p. 97-98.