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- Creado: 24 Marzo 2015
- Última actualización: 30 Agosto 2024
- Publicado: 24 Marzo 2015
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Henri GALLET
(Saint-Ambroix, 1873-Ris-Orangis, 1964)
Jean-Claude SEGUIN
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Pascal, Henri Gallet (Remoulins, 27/03/1842-) épouse (Saint-Ambroix, 01/09/1872) Clémentine, Lucie Trélis (Saint-Ambroix, 23/11/1847-). Descendance :
- Henri, Auguste Gallet (Saint-Ambroix, 11/07/1873-Ris-Orangis, 18/03/1964)
- et Marie, Juliette Niel (Lyon 3e, 14/11/1900-Lyon 3e, 11/06/1965). Descendance :
- Serge Gallet (Lyon 2e, 18/08/1918-Contes, 12/05/1982) épouse (Lyon 3e, 20/01/1945) Émeraude Rico (Río Tinto, 28/10/1918-Nice, 24/03/2011).
- Henri, Frédéric Gallet (Lyon 2e, 31/05/1919-)
- épouse (Lyon 3e, 03/06/1920/Div. 22/10/1936) Marie, Juliette Niel. Reconnaissance :
- Serge Gallet (Lyon 3e, 31/05/1920)
- Henri, Frédéric Gallet (Lyon 3e, 31/05/1920)
- épouse (Lyon 7e, 22/01/1949. Divorce: 12/02/1952) Louise Tholin (Tarare, 08/01/1876-Givors, 05/10/1959).
- épouse (Ris Orangis, 13/10/1954) Jeanne, Désirée, Louise Maizerai (Molay-Littry, 14/09/1883-Etampes, 10/04/1971).
- et Marie, Juliette Niel (Lyon 3e, 14/11/1900-Lyon 3e, 11/06/1965). Descendance :
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Les origines (1873-1901)
Pascal Gallet est "propriétaire" à Remoulins à la naissance de son fils (1873). Par la suite, il exerce la profession de receveur des postes à Veynes (Hautes Alpes) où il figure avec son épouse Louise Clémentine Trelis et le jeune Henri au recensement de 1881, le couple est est encore recensé en 1886 et, avec leur fils Henri Gallet, à celui de 1891. Cette même année, il s'engage comme volontaire pour quatre ans (11 juillet 1891). Sur son matricule militaire, il est précisé qu'il "a suivi les cours de l'école d'application de cavalerie, en qualité d'élève télégraphiste, du 25 juillet au 25 octobre 1893: sorti avec le nº 78 sur 96 élèves classés de la mention 'assez bien'". Il passe dans la réserve de l'armée active le 11 juillet 1895. On le retrouve, avec ses parents, à Veynes, à l'occasion du recensement de 1896. Son père continue d'exercer la profession de receveur des postes, alors qu'Henri ne semble pas travailler. C'est après cette date qu'il part pour Paris où on lui connaît une première adresse, au 75bis rue des Martyrs, à partir du 6 juin 1900. Sans doute ne s'agit-il pas d'un simple hasard, car au 75 de la même rue se trouve l'un des cabarets les plus célèbres de Paris, le Divan Japonais, immortalisé par Toulouse-Lautrec.
Le Divan Japonais (début XXe siècle)
Au numéro 75 bis de la rue des Martyrs, se trouve un hôtel-restaurant tenu par M. Poignant et que ce dernier vend en novembre à M. Gély.
Tout aussi significative est sa suivante adresse, le 12 rue Cortot, où il s'installe à partir du 8 août 1901. Nous voici dans l'un des lieux les plus célèbres de Montmartre où vécut Claude, Rose de Rosimond, comédien de la troupe de Molière, mais aussi Auguste Renoir bien des années plus tard. Au moment où Henri Gallet habite à cette adresse, il y côtoie l'artiste peintre Alphonse Moluçon (1861-1903). Du 1er au 28 octobre 1900, il accomplit une période d'exercices au 22e Régiment d'Infanterie.
Montmartre: Façade de la Maison de Rose de Rosimond.
Comédien de la troupe de Molière. (début XXe siècle)
Au cœur de Montmartre, Henri Gallet va se faire connaître comme bonimenteur et, sans doute, déjà, comme "poète chanteur". Georges Sadoul, à qui l'on doit les rares informations sur les origines d'Henri Gallet, indique qu'il travaille au cabaret de l'Enfer :
Cet ancien bonimenteur montmartrois était passé en 1910 [sic] du cabaret L'Enfer au cinéma Dufayel qu'il dirigeait avec son ami Darthenay.
SADOUL, 1947, 380.
Outre la grossière erreur typographique sur la date, les renseignements doivent être pris avec prudence. Il est plus probable que l'année soit "1901", pour la simple et bonne raison que "l'ami" Darthenay - Lucien Picot, dit Lucien Darthenay - décède précisément en 1901. Quant au cabaret de l'Enfer, il ouvre ses portes en novembre 1892 sous la direction d'Antonin Alexander dit "Antonin".
Antonin dans le rôle de Méphisto au cabaret de l'Enfer.
Le Guide des plaisirs à Paris offre une description assez précise des lieux :
À côté du Ciel éclairé de ses électriques étoiles, à côté du Ciel à la façade blanche et bleue.-l'Enfer, tout noir et tout rouge, dont la porte est figurée par la gueule d'un diable qui vous avale d'un trait. Ses yeux verts, ses dents énormes sont terrifiants: "Entrez, chez damnés!" vous dit le portier de l'Enfer, tout vêtu de rouge. Et des diables vous accueillent sur le seuil: "Avancez, belles impures, asseyez-vous, charmantes pécheresses, vous serez flambées d'un côté comme de l'autre."
Les tables sont éclairées de feux rouges ou verts; et tout autour de vous, devant, derrière, au-dessus de votre tête, des damnés dansent une ronde infernale.
À droite, dans une grande marmite, deux damnés mijotent "depuis trois mille ans", et pour oublier leurs souffrances, ils jouent des airs de guitare et de mandoline.
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BON POUR PASSER
à la Chaudière
Les "chers damnés" passent dans "l'antre de Satan". La salle est plongée dans d'épaisses ténèbres. Sur la petite scène éclairée: tableaux vivants, transformations et visions d'autant plus charmantes qu'elles sont plus infernales. Un spectateur est invité à monter sur l'estrade. Il s'assied et le public le voit,- sans qu'il se doute de quoi que ce soit, - déshabiller une femme ! C'est là la besogne des damnés. Malgré cela, l'Enfer ne vaut pas le Ciel.
Guide des plaisirs à Paris, Paris, Edition Photographique, [1898-1899], p. 81-82.
Le Cabaret de l'Enfer. 53, boulevard de Clichy.
Guide des plaisirs à Paris, Paris, Edition Photographique, [1898-1899], p. 81.
Pourtant, dans la presse consultée, rien ne permet de savoir à quel moment Henri Gallet aurait participé aux activités du cabaret de l'Enfer. Tout porte à croire qu'il n'est attaché alors à aucune salle en particulier et qu'il est plutôt présent en différents endroits de Montmartre. Si l'on admet ce qu'écrit Georges Sadoul, il va donc s'intéresser au monde du cinématographe naissant dès 1901.
Le Cinématographe des magasins Dufayel (1901-[1902])
À la fin du mois de mars 1896, un cinématographe Lumière fonctionne aux Grands Magasins Dufayel et depuis il n'a cessé de présenter des vues animées. L'une des particularités de ce spectacle, c'est que les projections sont accompagnées de dialogues et de sons ou bruits qui "sonorisent" les films. La présence de Lucien Darthenay est attestée dès 1897 :
Demain jeudi, de trois heures à six heures, concert dans la Salle des Fêtes des Grands Magasins Dufayel. Séances du cinématographe Lumière. Scènes parlées par M. Darthenay et audition du chanteur automate, une nouveauté des plus intéressantes, dont M. Dufayel s'est assuré la vente exclusive. Il sera, en outre, distribué aux assistants, à titre de souvenir, un étui de Suprêmes Pernot et un flacon de Coca des Incas.
Le Gaulois, Paris, 3 février 1897, p. 3.
On peut penser qu'il poursuit ces "sonorisations" pendant plusieurs années, mais il est probable qu'il n'ait pas été le seul à accomplir cette tâche. Toujours selon Sadoul, Henri Gallet aurait rejoint "son ami" Lucien Darthenay pour animer les séances de cinématographe qui ont lieu aux Grands Magasins Dufayel. Aurait-il fait appel à lui alors qu'il est déjà malade ? Dans le dossier "Georges Hatot", de la Commission de Recherche Historique, on écrit de façon lapidaire :
Galet. Auteur speeker chez Dufayel.
De fait, les multiples articles de journaux, toujours très répétitifs, signalent que les tableaux sont expliqués :
Au programme, conférences sur la Bretagne, par M. H. Denanrès, vues cinématographiques animées, composées de tableaux d'actualité et de scènes comiques et à transformations avec explications à chaque tableau. Intermèdes par le graphophone le Stentor. Tous les jeudis, après-midi musical par le petit orchestre. Nombreuses attractions.
L'Intransigeant, Paris, 12 septembre 1901, p. 4.
Mais aussi que la "sonorisation" se prolonge même après le décès de Lucien Darthenay :
Scènes comiques et à transformations avec dialogues et imitations de tous les bruits.
L'Intransigeant, Paris, 23 octobre 1901, p. 4.
H. Laas. E. Pécaud & Cie. Paris. Grands Magasins Dufayel. Salle du Théâtre. (c. 1902)
Cette annonce est reprise dans les jours suivants. Si l'on admet qu'Henri Gallet a pu travailler pour les Grands Magasins Dufayel, on ignore, en revanche, jusqu'à quelle date. Ce que l'on peut dire c'est que les scènes "sonorisées" sont annoncées jusqu'au mois de novembre 1902 :
Après plus de huit mille séances, le cinématographe des Grands Magasins Dufayel obtient toujours un immense succès, grâce à ses spectacles exclusifs, intéressants et toujours nouveaux. Scènes d'actualité et vues comiques à transformations avec dialogues et imitation de tous les bruits. Accompagnement par un excellent orchestre. Les séances ont lieu, en semaine, à 2 h. 1/2, 3 h 1/2, et le dimanche matin à 10 et 11 heures. Exposition.
L'Autorité, Paris, mercredi 12 novembre 1902, p. 4.
L'année 1903 revêt une importance toute particulière pour Henri Gallet, car il va s'installer, à partir du 16 mai et ce jusqu'en 1920 au moins, au nº1 allée des Bains, toujours à Montmartre.
Rue Dancourt. Entrée de la Cité des Bains (petit immeuble au centre) | La cité des Bains (1902) |
Chez Gaumont (1903-[1905])
L'installation dans l'allée des Bains se situe vers le moment où Henri Gallet rentre chez Gaumont. Il faut encore revenir aux écrits de Georges Sadoul avec la nécessaire prudence à laquelle nous invite la biographie obscure d'Henri Gallet. Il aurait fait un bref séjour chez Pathé avant de rejoindre la maison Gaumont, ce qu'il nous est difficile de confirmer :
Après avoir tourné chez Pathé un film qui ne fut pas édité, il réalisa chez Gaumont la Fée aux choux, qui fut suivie d'une assez abondante production en 1904-1905.
SADOUL, 1947, p, 380-381.
Cette affirmation mérite une analyse détaillée. La Fée aux choux - dont Alice Guy s'attribue abusivement la paternité - a été tourné vers l'automne 1900 par un cinématographiste, pour l'heure, inconnu. Ni Alice Guy, ni Henri Gallet ne sont en mesure de filmer cette vue à cette époque. La première n'occupe alors qu'une place de secrétaire au Comptoir, le second est encore très probablement au cabaret l'Enfer. Deux ans plus tard, une nouvelle version est proposée au catalogue de la maison Gaumont, tournée très certainement au printemps 1902. Sur un thème similaire, elle porte le titre de Sage-femme de première classe. C'est cette dernière version que tourne Alice Guy avec la complicité d'Anatole Thiberville et qui constitue sa première réalisation comme cinématographiste. Il y a trop d'éléments, dont les photographies qu'apporte comme preuve Alice Guy, pour que l'on puisse contester ce tournage. Reconnaissant implicitement son erreur, Georges Sadoul, dans des rééditions successives de son Histoire Générale du Cinéma va supprimer la référence à La Fée aux Choux..
Si l'on peut penser qu'Henri Gallet arrive chez Gaumont vers la fin de l'année 1902, on peut également dire que le monde des cabarets montmartrois et la maison Gaumont entretiennent des relations. Ce qui retient en effet l'attention, c'est que dans les archives conservées à la Cinémathèque française (dossier Alice Guy) on trouve quatre cartes postales du cabaret du "Néant" qui se trouve à deux pas de ceux de l'Enfer et du Ciel, à Montmartre. Ces cartes postales partagées au dos sont donc postérieures à décembre 1903. Il s'agit d'une trace qui relie Alice Guy au monde des cabarets montmartrois et on peut penser qu'Henri Gallet n'y est pas pour rien.
Cabaret du Néant (après décembre 1903) source: Dossier Gaumont. LG371 B50. Cinémathèque française. |
Reste à savoir pour quelles fonctions Henri Gallet a-t-il été recruté par le Comptoir cinématographique. Dans une première version, Georges Sadoul indique qu'Henri Gallet aurait été embauché comme cinématographiste :
En 1904, la production Gaumont évolue nettement vers la mise en scène. Léon Gaumont s'était jusque-là contenté, pour diriger ses films, de sa secrétaire Alice Guy. À une époque où Ferdinand Zecca, temporairement brouillé avec Charles Pathé, en est réduit pour quelques mois à vendre du savon dans les rues de Belleville, Henri Gallet est engagé rue des Alouettes comme metteur en scène.
SADOUL, 1947, p, 380.
Quelques années plus tard, il revient sur cette version et rectifie le tir :
Il ne semble pas qu'il ait fait plus qu'interpréter des films dont il revendiqua la réalisation.
SADOUL, 1978: 348.
Pour ajouter à la confusion, on peut lire dans le dossier consacré à Georges Hatot une version différente :
Gallet et les autres ne faisaient que des scénarios.
Alors ? Gallet cinématographiste ? Scénariste ? Acteur ? Le catalogue Gaumont de 1905, conservé à la Cinémathèque française, est annoté par une main non identifiée qui a ajouté, pour certains films, "Gallet" sans qu'il soit permis de savoir à quoi cela se réfère. Mais où serait donc Henri Gallet parmi tous les personnages de ces films ? Pour l'identifier, nous ne disposons, au moins pour l'année 1904, que de la même source, celle de Sadoul :
Gallet n'a pas autant d'accent qu'un peu plus tard Heuzé. L'Assassinat du courrier de Lyon, les Petits Coupeurs de bois vert et Volée par les bohémiens imitent des modèles anglais. L'Assassinat de la rue du Temple est une réédition de l'Histoire d'un crime, assez habile d'ailleurs avec sa poursuite, qui est une nouveauté, et son acteur qui, dans la scène des constatations, s'est fait la silhouette du préfet de police Lépine. Bien entendu, la guillotine tient le centre du dernier tableau.
Le souci du réalisme avait été pour cette scène poussé fort loin, puisque c'est la véritable guillotine qui fonctionna sur un terrain de la rue des Alouettes et qu'elle fut manœuvrée par l'un des assistants du bourreau Deibler. Ce fut un authentique couperet qui s'abattit au-dessus de la nuque de Gallet, qui était l'assassin-vedette du film qu'il dirigeait. Bien entendu, un fort clou enfoncé dans un des montants bloquait à temps le couteau.
SADOUL, 1947, p, 381.
Ici encore, la prudence est de mise. Toutefois, s'il est toujours aussi délicat d'affirmer que Gallet est le cinématographiste de L'Assassinat de la rue du Temple, sa présence dans le film semble beaucoup plus crédible car la description dans ce cas est bien plus précise.
L'Assassinat de la rue du Temple (1904)
À partir de cette base, on pourrait peut-être le retrouver dans quelques films de cette année-là et, tout particulièrement, dans Mauvais cœur puni et Le Rêve du chasseur, mais l'absence de document filmique rend l'identification délicate et peut-être hasardeuse.
Le Pompon malencontreux | Mauvais cœur puni | Rafle de chiens | Cambrioleur et Agent |
Duel tragique | Électrocutée | Le Rêve du chasseur | L'Assassin de la rue du Temple |
Ce sur quoi il est donc possible de s'accorder c'est qu'Henri Gallet est l'interprète d'un certain nombre de film produit chez Gaumont entre 1904 et 1913. Pour certaines productions, a-t-il eu un autre rôle, celui de scénariste ou de cinématographiste ? On relèvera simplement que certains titres qui figurent dans le catalogue Gaumont de 1905 sont interprétés par d'autres acteurs (Pierrot assassin, Le Testament de Pierrot...) et même des enfants (La Première Cigarette) et qu'ils sont également estampillés "Gallet", ce qui autorise à penser que le rôle d'Henri Gallet pourrait être celui de scénariste ou de cinématographiste. Toujours d'après Sadoul, Gallet aurait joué le rôle qu'occupe Lucien Nonguet chez Pathé, à savoir celui de rabatteur d'artistes de variétés :
Mais Henri Gallet ne tarda pas à faire engager des artistes de théâtre ou de café-concert.
SADOUL, 1947, p, 381.
Au départ de Ferdinand Zecca, qui quitte Gaumont pour revenir chez Pathé, Henri Gallet va continuer à intervenir dans des films pendant plusieurs semaines ou quelques mois. Toutefois, sa situation va se dégrader singulièrement. L'ambiance et les tensions qui existent chez Gaumont - dont on trouve la trace à la fois chez Alice Guy et chez Georges Hatot - ne semblent pas s'apaiser avec le départ de Zecca. L'air est devenu irrespirable et dans cette ambiance délétère - les termes utilisés par Alice Guy, à l'encontre de Léopold Decaux, sont sans équivoques: "guerre", "ennemi"... - quelqu'un cherche à se débarrasser de Gallet. La cinématographiste, en une ligne, va faire un sort à Georges Sadoul - un historien ignare - et à Gallet - un figurant, un inconnu - dans une phrase parfaitement limpide :
Monsieur Sadoul auteur d'une histoire du cinéma des temps héroïques -qui, mal renseigné et en toute bonne foi sans doute (il dit lui-même qu'il ignore tout de cette époque et ne parle que par ouï-dire), avait attribué mes premiers films à des gens [sic] qui ne sont probablement rentrés dans les studios Gaumont que comme figurants et dont j'ignore même les noms - m'a fait involontairement de grands compliments à propos de la Esmeralda.
GUY, 1976, 72.
Si Georges Sadoul n'est pas exempt de tout reproche historique, il y a tout de même des choses pour le moins troublantes dans ce qu'il rapporte des échanges qu'il a eus avec Henri Gallet. Voici ce qu'il écrit se référant probablement à la fin de l'année 1904 ou au début de l'année 1905 :
Quelques mois auparavant Gallet, dont tous les films avaient été systématiquement copiés par Zecca redevenu tout puissant à Vincennes, fut accusé par Gaumont, fort injustement d'être à la solde de Pathé, et il quitta la rue des Alouettes.
SADOUL, 1947: 382.
Qui a intérêt à se débarrasser d'Henri Gallet ? Toujours est-il qu'il quitte Gaumont, chassé ou dégoûté, au plus tard dans les premiers mois de 1905.
Chez Pathé ([1905]-1906)
Tout comme l'a fait Ferdinand Zecca, Henri Gallet va rejoindre Pathé pendant une courte période. De cette collaboration, il reste une trace, un document de 1906, de la société Pathé, dont on ne connaît qu'une reproduction publiée en 1929 dans la revue Pour vous.
Pour vous, nº 23, Paris, 25 avril 1929, p. 2.
Le scénario d'Un joli coup de revolver, approuvé le 20 février 1906, a été rédigé sur une fiche de la Compagnie Générale des Phonographes, Cinématographes, anciens Établissements Pathé Frères. Le document permet non seulement de connaître le scénario, mais également le budget détaillé pour un tournage qui est prévu au théâtre de Montreuil.
Le retour chez Gaumont (1907-1913)
Dès qu'Alice Guy a quitté Paris et qu'elle embarque, le 9 mars, avec Herbert Blaché, pour New York, Henri Gallet fait son retour chez Gaumont et tourne, sous la direction de Louis Feuillade, Le Thé chez la concierge qui sort sur les écrans parisiens le 25 mars 1907 (Plaisance-Cinéma) et par la suite de nombreux films. Mais on ne peut lui attribuer la paternité de certaines oeuvres faute de documents. Pourtant, des informations existent qui permettent de confirmer qu'Henri Gallet a bien été metteur en scène chez Pathé et chez Gaumont. Un courrier transmis par Thomas Graf, directeur de l'agence Edison de Londres à Frank L. Dyer (Président de la National Phonograph Company) ne laisse aucun doute là-dessus :
EDISON MANUFACTURING CO., LTD
PROJECTING KINETOSCOPES AND FILMS
PRIMARY BATTERIES, FAN MOTOR OUTFITS
EDISON WORKS
WILLESDEN JUNCTION.
London, February 12th 1909
Dear Mr. Dyer,
I cabled you to-day as follows:
[...]
which translates:-
"Referring to our letter of the 7th Desfossez was employed Pathé Frères several years, left two months ago; Doctor Luciow was employed Lux and Théophile Pathé, Saint-Loup was employed Théophile Pathé, speaks English; Gallet was employed Pathé Frères, Gaumont; full particulars will follow by mail."
Of the stage directors who have so far visited us I find the four names in my cablegram the most suitable. I herewith enclose report about them, and under separate cover, registered, I am sending you catalogues or photographs referrint to their work.
Package 1) has been supplied by Mr. A. Desfossez.
Package 2) has been supplied by Mr. Luciow.
Package 3) has been supplied by Mr. G. Saint-Loup.
Package 4) has been supplied by Mr. Henri Gallet.
Please return to me these packages as soon as possible, with the exception of that of the party you wish to engage.
Yours very truly,
p. Thomas Graf.
MANAGING DIRECTOR
Edison Papers: Edison Microfilm 193.
Aux termes de cette lettre, datée du 12 février 1909, Henri Gallet semble avoir été pressenti pour être recruté par Mr. Dyer, mais c'est finalement G. Saint-Loup qui est retenu. Elle prouve également que Gallet a déjà travaillé pour Pathé et Gaumont depuis plusieurs années. Quelque temps plus tard Georges Hatot déclare à son tour que "Galet" a été l'auteur de certains films chez Gaumont :
M. HATOT : " Avec douleur ", c'est d'un nommé Calet [Gallet] auteur. Ce sont des films qui ont été fait quelques huit-dix mois avant.
Cinémathèque Française, Les Débuts du Cinéma, Souvenirs de M. Hatot, 15 mars 1948, p. 3.CRH52-B2
Un autre document, plus tardif, précise à son tour qu'Henri Gallet a occupé plusieurs fonctions chez Pathé et chez Gaumont. Il s'agit d'un article de journal publié dans la presse chalonnaise :
M. H. Gallet, en plus de ses titres à l'Opéra-Comique, fut durant quatre années, attaché aux maisons Pathé et Gaumont en qualité d'auteur, metteur en scène et vedette d'une quantité de films. Il est poète-chansonnier montmartrois et sera inscrit dans une partie du programme en cette qualité...
Le Courrier de Saône-et-Loire, Chalon-sur-Saône, 4 janvier 1934, p. 2.
On sait qu'Henry Gallet est attaché à l'Opéra-Comique depuis, au moins 1910 et qu'il fait souvent équipe avec Gaby Gerkins ([1880->1931). Connus également comme les "Gallet-Gerkins", ils font des tournées en France et à l'étranger : Reims (janvier 1909), Nogent-sur-Seine (avril 1909), Troyes (avril 1909), Cayeux-sur-Mer (juillet 1909), Nogent-le-Rotrou (juillet 1909), Lisbonne (septembre 1910), Chaumont (juillet 1914)...
Une nouvelle phrase de l'entrevue entre Georges Sadoul et Henri Gallet jette le trouble. Outre que ce dernier n'est pas passé directement de la société Gaumont au Cosmorama, rien ne permet de connaître réellement le rôle que Gallet a pu jouer dans ce nouvel établissement cinématographique :
Quelques mois auparavant Gallet, dont tous les films avaient été systématiquement copiés par Zecca redevenu tout puissant à Vincennes, fut accusé par Gaumont, fort injustement d'être à la solde de Pathé, et il quitta la rue des Alouettes pour fonder bientôt une grande salle, le Cosmorama (l'actuel Max Linder).
SADOUL, 1947: 382.
Presque en face du Parisiana, le Kosmorama, dont le propriétaire est le Norvégien Halfdan Nobel Roede, est une salle de 1.200 places qui ouvre ses portes le 14 mai 1912 au 24, boulevard Poissonnière. C'est Jacques Munoz - qui a constitué la société "J. Munoz et Cie." - qui fait office de directeur de la salle et présente des films comme Les Chasses africaines de Paul-J. Rainey ou Les Trois Mousquetaires qu'il inaugure au Casino de Paris avec lequel il existe également des liens :
On ouvre toujours.
À Paris :
On a inauguré, mardi dernier, 24, boulevard Poissonnière, un nouveau cinéma : Le Kosmorama. Théâtre.
Cette première fut un succès. La salle est ravissante. Elle est aussi très confortable. Quant au spectacle, la Direction se propose de choisir les plus beaux films entre les meilleurs.
L'éclairage extérieur est à citer. Il est d’un genre nouveau et d’un heureux effet.
Le Courrier cinématographique, 2e année, nº 21, Paris, 18 mai 1912, p. 34.
Après la dissolution de la société, en mai 1913, le Kosmorama va changer de nom pour s'appeler Pathé-Journal à partir du 10 octobre 1913, puis Ciné Max Linder, dès le 18 décembre 1914. Pourtant, le nom d'Henri Gallet n'apparaît à aucune moment et l'information fournie par Georges Sadoul ne peut être vérifiée.
Et après... (1913-1964)
Sa filmographie, encore bien incertaine, semble bien se prolonger encore à la veille de la 1re guerre mondiale, si l'on en juge par son intervention dans La Momie de 1913. Par ailleurs, Henri Gallet, alors chansonnier du Chat Noir, anime des spectacles où il se change en une sorte de bonimenteur ou commentateur de films :
CASINO-THEATRE: Vendredi 8 mai, la direction organise une soirée de gala avec le concours de deux grandes vedette parisiennes qui se feront entendre dans des numéros les plus inédits jusqu'à ce jour.
Mme Gaby Gerkins du Théâtre lyrique de Paris et de la Monnaie de Bruxelles, qui vocalisera les plus beau(x) morceau(x) de son répertoire d'opéra-comique.
Le poète chansonnier Henri Gallet du Chat Noir, qui dans son merveilleux décor de cabaret montmartrois nous présentera ses oeuvres et personnifiera ses principaux confrères de la Butte dans leurs plus jolies chansons. Répertoire spécialement choisi pour pouvoir être entendu par tout le monde.
Enfin la grande nouveauté du jour, le dernier progrès du cinéma. La revue cinématographique "Au bout du Film", nous fera assister sur l'écran aux actualités les plus drôlement tournées de l'année, tandis que Mme Gerkins, la commère, et M. H. Gallet, le compère, animeront ces tableaux par des dialogues et des couplets les plus spirituels, signés des meilleurs auteurs parisiens.
Cette revue vient de faire courir tout Paris, Lyon, Genève, et ne manquera pas d'attirer au Casino-Théâtre d'Oyonnax tout le public de notre ville, qui voudra affirmer ainsi une fois de plus à M. Perret, l'habile directeur, sa reconnaissance de ne reculer devant aucun sacrifice pour être agréable à sa clientèle.
L'Éclaireur de l'Ain, Oyonnax, dimanche 3 mai 1914, p. 3.
Ce que l'on sait c'est qu'Henri Gallet réside toujours à Paris au début de la 1re Guerre Mondiale. Il est d'ailleurs:
...rappelé à l'activité le 6 août 1914 aux auxiliaires d'artillerie de Briançon. Renvoyé le 20 août 1914. Rappelé aux auxiliaires d'artillerie de Lyon (54e Régiment d'artillerie) le 16 novembre 1914. Passé au 10e régiment d'artillerie à pied en exécution de la D. M:. nº 19816 1/11 du 28 décembre 1915. Passé au 11e Régiment d'Artillerie à pied le 1er septembre 1917. Libéré du service militaire le 5 décembre 1918.
Le conflit ne va pas l'empêcher d'exercer ses talents de chanteur et poète, car il édite plusieurs partitions de chants patriotiques.
Henri Gallet. Berceuse 1914 ! © Le Grimh |
Henri Gallet. Quand ils reviendront ! © Le Grimh |
En 1917, il va faire la rencontre, probablement à Lyon, de la très jeune téléphoniste Marie, Juliette Niel (17 ans) dont il va avoir deux garçons nés en 1918 et 1919, avant de l'épouser en 1920, alors qu'il est toujours domicilié au nº 1, Allée des Bains (Paris). Il constitue alors, avec son épouse, un duo humoristique les "Gallet-Niel" qui se donne en spectacle sur différentes scènes : Le Cinéma-Splendid-Music-Hall (Saint-Quentin, 1921), Crystal Palace (Paris 10e, 1922), Excelsior-Cinéma (Chalon-sur-Sâone, 1922), Variété-Kursaal (Dijon, 1923), Théâtre (Viviers, 1924) et Le Pouzin:
Le Pouzin
THEATRE. Dans notre belle salle de Cinéma, dimanche soir, une véritable solennité artistique nous a été donnée par la troupe du Familly-Théâtre, Direction Maillet.
Programme de circonstance, pendant les jours qui précèdent Pâques, mais d’un goût, d'un choix, d'une tenue qui obtinrent tous les suffrages.
Partie dramatique qui rappelle nos plus belles tournées avec comme premiers plans Mme et M. Max Pearly du grand théâtre de Toulon.
Partie lyrique toute de charme avec la jolie pécheresse du beau tableau biblique «L’ENTREE DE JESUS A JERUSALEM », Mme Gallet-Niel. Avec elle ce n'était plus la Magdeleine désolée, mais une divette exquise nous détaillant ses fantaisies avec le talent qui lui ont valu les mêmes ovations qu’hier dans les plus grands Music-Halls de France et de l'étranger.
M. Gallet-Niel est bien le baryton-Martin d’opéra-comique à la voix rare, chaude et de charme à la fois, que l’on nous avait fait pressentir. A lui les lauriers pour les Rameaux de Faure, les stances de Lakrné et le chants de nos Cloches.
A son public heureux d'une telle re présentation. la direction affirme que cette excellente troupe reviendra prochainement. Nous sommes heureux de l’espérer et nous en reparlerons en temps voulu.
Journal de Montélimar, Montélimar, mercredi 16 avril 1924, p. 2.
On retrouve également le couple sur d'autres scènes : Brasserie Chansonnia (Aix-en-Provence, 1925), Concert-Bal des ouvriers teinturiers et tisseurs (Nîmes, 1926), Moulin-Rouge (Strasbourg, 1926), Le Casino (Lille, 1928)...
Henri Gallet (Bruant) © Le Grimh |
Henri Gallet (Botrel) © Le Grimh |
Henri Gallet (Vieux) © Le Grimh |
Henri Gallet (Paysan) © Le Grimh |
Henri Gallet (Torero) © Le Grimh |
Henri Gallet (dessin) © Le Grimh |
Henri Auguste Gallet. Lille. 17 juillet 1922. © Le Grimh |
On peut penser qu'au cours de ces années il est basé dans la région lyonnaise, puisqu'on le retrouve en 1931, directeur de cinéma à Condrieu (Rhône) (Recensement 1931). Il cède son affaire en août de la même année :
Cabinet de M. P. GRANGE mandataire près le tribunal de Commerce de Lyon
14, rue des Archers, LYON
Premier Avis
Suivant acte sous seings privés en date à Lyon, du vingt-quatre août mil neuf cent trente et un, enregistré à Vienne, le vingt-cinq août mil neuf cent trente et un, fº 42. ce 9.
Monsieur Henri GALLET, domicilié aux Roches-de-Condrieu (Isère), a vendu à Monsieur Louis MATHERN et Madame MATHERN, son épouse, née Benoite-Joséphine SELLIER, domiciliés ensemble à Rive de Gier (Loire), 1, cours Gambette, son établissement cinématographique dénommé: Cinéma Variétés, sis aux Roches-de-Condrieu (Isère).
Adresser les oppositions s'il y a lieu dans les dix jours du second avis, en l'étude de Me GUILLLAUD-LAVOUTE, avoué à Vienne (Isère), domicile élu.
Journal de Vienne et de l'Isère, Vienne, samedi 20 août 1931, p. 5.
À cette époque, Henri Gallet intervient également sur la radio Lyon-la-Doua dans un programme où il propose ses "Gallet-jades" :
LYON-LA-DOUA.- 466 M. 2,3 KW.
[...]
20 H 45
[...]
Le poète-chansonnier Henry Gallet dans ses œuvres: Les Gallet-Jades du jour, revuette; Tyrolienne printanière (Saint-Servan), M. Delsonn; Le marché aux choux (Mme Juliette Niel); Rien qu'une nuit (Marie Cazes), M. Zileff; J'ai vendu mon âme (Doumel et Valfy), M. Jabel; Le poète-chansonnier Henry Gallet dans ses oeuvres: Don José; Le Toril; Le langage des yeux, mélodie (Verdelet-Baron)...
L'Annonce, supplément "L'Antenne-programmes", Paris, dimanche 13 septembre 1931, p. 5.
En 1934, Henry Gallet crée un nouveau duo avec Noël Delsonn, un ancien membre du trio Les Minstrels Parisiens :
CHALON
Le gala de l'Indépendante.-Si pour le 21 janvier, l'Indépendante, afin de satisfaire ses nombreux amis, a engagé le grand fantaisiste Darcelys, elle n'a pas limité à ce seul nom son effort.
Les organisateurs ont été assez heureux de pouvoir retenir également deux grands artistes qui, sous le titre "Les Joyeux Bohémiens de la Chanson", viennent de reconstituer un trio fameux "Les Minstrels Parisiens".
Ces deux artistes sont Noël Delsonn, ex-trial des Minstrels, et l'agréable baryton martin de l'Opéra-Comique, Henry Gallet.
Vous viendrez donc entendre les Gallet-Delsonn, mélomanes, instrumentalistes, tyroliens, ventriloques, mais surtout chanteurs sachant chanter... Ils sauront à la fois vous faire rire et vous enchanter.
Ajoutons pour compléter les références de ces réputés artistes, que le nom de Noël Delsonn a brillé en lettres de feu au fronton de l'Alhambra de Paris.
M. H. Gallet, en plus de ses titres à l'Opéra-Comique, fut durant quatre années, attaché aux maisons Pathé et Gaumont en qualité d'auteur, metteur en scène et vedette d'une quantité de films. Il est poète-chansonnier montmartrois et sera inscrit dans une partie du programme en cette qualité...
La salle Marcel-Sembat ne sera-t-elle pas trop petite le dimanche 21 janvier prochain ?
Le Courrier de Saône-et-Loire, Chalon-sur-Saône, 4 janvier 1934, p. 2.
Après avoir divorcé de sa première épouse (1936), il se remarie avec Louise Tholin, puis avec Jeanne, Désirée, Louise Maizerai.
Il décède à Ris-Orangis en 1964.
Sources
BASTIDE Bernard, "Aux sources des tournages en décors naturels. L'exemple de Louis Feuillade à la Cité de Carcassonne, en 1908", 1895, nº 55, 2008.
HATOT Georges, "Les Débuts du Cinéma. Souvenirs de M. Hatot.", Commission de Recherche Historique, 15 mars 1948, CRH52-B2.
SADOUL Georges, Les Pionniers du cinéma. 1897-1909, Paris, Éditions Denoël, 1947, 628 p.
SADOUL, Georges, Histoire Générale du Cinéma. 2. Les Pionniers du Cinéma (De Méliès à Pathé) 1897-1909, Editions Denoël, 1978, 574 p.
Remerciements
Priska MORRISSEY.
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La filmographie d'Henri Gallet reste à préciser et à compléter.
Georges Hatot évoque également un titre non identifié :
"Avec douleur" c'est d'un nommé Galet, auteur.