- Détails
- Création : 24 mars 2015
- Mis à jour : 21 février 2023
- Publication : 24 mars 2015
- Affichages : 11192
Pierre CAUSSADE
(Bordeaux, 1859-≥ 1922)
Jean-Claude SEGUIN
collaboration de
Priska MORRISSEY
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Les origines (1859-1897)
Fils d'un menuisier, il travaille (1879) comme naturaliste au Muséum de Bordeaux, avant de faire son service militaire (classe 1879) au 4e régiment de zouaves, ce qui le conduira à plusieurs reprises en Afrique (1881-1884). Passé dans la réserve en 1885, il s'installe à Bordeaux (11, rue du Cerf-Volant) et retrouve son activité professionnelle jusqu'en 1898. C'est là sans doute qu'il fait la connaissance de Charles Lépine.
Chez Pathé (1898-1906)
Pierre Caussade et Charles Lépine se fournissent chez Pathé comme en témoignent les livres de compte de la société :
21 mars : Débiteurs divers : Lépine et Caussade (1296 : Livres ).
23 mars : 117. 209. Cinématographe : Lépine et Caussade reglt facture : 1594.
Compagnie Générale des Phonographes, Cinématographes et Appareils de Précision, Journal vol. 1 bis: 1898. Fondation Jérôme Seydoux-Pathé.
Les deux hommes partagent un intérêt pour le cinématographe. Ils vont fabriquer un appareil, imité de l'appareil Lumière, avec lequel ils vont présenter des films :
L'appareil Lumière était facile à copier, aussi les contrefacteurs ne manquèrent pas. En mai 1898 par exemple, deux collaborateurs du musée d'Histoire naturelle de Bordeaux, qui avaient essuyé un refus de vente, de la part des frères Lumière, se faisaient présenter à M. Chavanon, concessionnaire pour la région, et avec la complaisance de son opérateur, réussissaient à faire fabriquer un appareil servilement copié, qui fit ses essais à la fête foraine de Reims. M. Caussade nous a confié lui-même qu'éveillé par les compte rendus des journaux locaux, M. Grivolas le manda à Paris et le fit engager chez Pathé aussitôt la fête terminée, fin mai 1898, pour entreprendre des tournées et faire des vues ; il devait bientôt devenir l'opérateur officiel de la maison.
Guillaume-Michel Coissac, Histoire du cinématographe, Paris, Cinéopse/Gauthier-Villars, 1925, p. 265-266.
PIerre Caussade réside à Vincennes (30, rue de Paris), à partir du 11 septembre 1898, date qui correspond à son arrivée chez Pathé comme il l'indique en 1906 :
Je travaille depuis huit ans environ à la Compagnie de phonographes et de Cinématographes, avenue du Polygône nº 1, à Vincennes. Je gagne 350 francs par mois.
Archives de Paris, P. D2U6 149.
Avec Ferdinand Zecca, il s'occupe de réaliser des films pour les kinétoscopes :
ZECCA.-Il y avait Caussade et puis quatre femmes qui travaillent. On faisait des films pour le kinétoscope. C'est l'appareil Edison. On mettait de l'argent dedans et ça donnait un petit film très court (8 mètres). Ça bougeait.
MEYNEISSIER.- C'était à quelle époque, ça ?
ZECCA.-C'était en 1900.
Ferdinand Zecca interview par Musidora, Cinémathèque Française
Il participe, comme opérateur, au tournage d'une bande Pathé de George Monca, Un drame dans la montagne (1899), prévue pour être projetée avec la pièce de théâtre L'Auvergnate de Fernand Meynet. Pierre Caussade va initier Ferdinand Zecca au cinématographe comme s'en souvient Charles Pathé dans ses mémoires :
Je ne retournai à l'Exposition que dans la matinée du jour où le jury faisait sa visite. Je fus à ce point satisfait que je demandai à M. Zecca s'il lui serait agréable de faire du cinéma. Sur sa réponse affirmative, je l'emmenai à notre atelier de Vincennes, où, sans fonctions définies, je lui demandai de s'initier à tous les détails de la fabrication, en assistant M. Caussade, le directeur du moment.
Il l'assista si bien qu'au bout de quelques semaines et sans que j'aie rien fait pour cela, c'était M. Caussade qui était devenu en fait le secrétaire de M. Zecca, dont l'activité débordante avait les plus heureux effets sur le personnel, auquel on demandait tous les jours de produire davantage pour répondre à des besoins de plus en plus importants.
Charles Pathé, Souvenirs et Conseils d'un parvenu, Paris, imp. Pierre Latour, 1926, p. 103-104.
Il va tourner Le Muet mélomane avec Ferdinand Zecca qui va vite le remplacer. Pierre Caussade, pour le compte de la société, se rend en Égypte ([déc. 1900-janv. 1901]). On le retrouve à Alexandrie et au Caire. Les livres de compte apportent les informations suivantes :
03/12/00 : Suivants à Caisse. Frais généraux. 194. Caussade voyageur. n/remise en compte voyage au Caire. 1000.
26/01/01. 594. Caussade employé. 1000. A Dépôt du Caire. n/remise espèces par Weiss.
31/01/01. 594. Suivants à Caussade. 589. Frais de voyage. Dépenses billet bateau Marseille Le Caire. 550. Dépenses billet chemin de fer et supplt. Bagages. 158.70. Dépenses billet chemin de fer Alexandrie Le Caire. 39. Dépenses diverses. 34.30.
Compagnie Générale des Phonographes, Cinématographes et Appareils de Précision, Journal vol. 2: mars 1899-janvier 1901. Fondation Jérôme Seydoux-Pathé (FJSP).
Ivatts, lors du conseil d’administration du 12 décembre 1900, annonce sa décision d’envoyer Caussade " recommandé par Pathé " afin de contrôler les agissements de Mr Ivy, voyageur de la compagnie. Malheureusement, la situation ne s’améliore pas et, lors de la séance du 22 janvier 1901, Ivatts souligne l’ « insuffisance absolue de Mr Caussade pour remplir la mission ». Il explique aux membres du conseil qu’il s’est vu contraint d’y envoyer Charles Pathé et Mr Weiss afin d’« éclairer la situation » jugée « déplorable ». Weiss remplace alors Ivy, tandis que ce dernier est envoyé visiter des villes d’Égypte et de Turquie au nom de la société. Caussade rentre probablement en France peu après l’arrivée de Weiss.
Malgré ses déboires, Pierre Caussade semble avoir gardé la confiance de la maison Pathé. Il participe, en effet, au tournage de Jésus marchant sur les eaux pour lequel il fait preuve d'ingéniosité:
[...] Quand il fallut porter à l'écran La Passion, film classique demandé et redemandé, une difficulté se présentait. C'était le tableau représentant Jésus marchant sur les eaux. La difficulté fut tournée (sans jeu de mots) par celui qui est actuellement le doyen des opérateurs de Cinéma. J'ai nommé Pierre Caussade. Il fit ce qu'on appelle une double impression, au moyen de la tireuse.
Dans cet appareil professionnel, à tirer les positifs, le mécanisme d'entraînement est analogue à celui des appareils de prise de vues. L'obturateur est réglable et le cadrage se fait par l'intermédiaire d'une bielle.
Le tirage du positif se fait à l'aide d'une lampe Nernst dont la position, par rapport au film, est réglée par un bouton extérieur.
Il commença par faire une impression du personnage sur fond blanc, de manière à ce qu'au négatif, le personnage incarnant le Christ soit isolé, c'est-à-dire entièrement entouré de noir (fig. 2), ceci afin qu'à l'impression positive, le personnage soit seul reproduit (fig. 3), ce qui permettait de surimpressionner à nouveau la mer (fig. 4) afin de donner l'illusion complète de la scène qu'il s'agissait de reproduire.
C'est donc une double impression (c'est-à-dire l'impression successive au moyen de la tireuse, de deux négatifs sur la même pellicule positive) qui nous procure la vision, aussi réelle que possible, de Jésus marchant sur les eaux (fig. 5).
Z. Rollini, " De la surimpression ", Cinémagazine, 2e année, nº1, 6 janvier 1922, p. 18.
Par ailleurs, selon le témoignage d'Hugues Laurent, Pierre Caussade fait office en 1904 de "caissier" aux laboratoires. Interrogé par la CRH, l’ancien décorateur se rappelle :
Les laboratoires de la maison Pathé Frères s’élevaient avenue du Polygone à Vincennes, Mr Broux [Alfred Broult] en était le directeur et Mr Caussade occupait le poste de caissier.
LAURENT, 1949. 1.
Il confirme sa déclaration quelques années plus tard :
Le caissier, M. CAUSSADE, enregistra nos noms et adresses. Nous débutions le 1er février 1904.
Peut-on y voir le signe d’une mise à l’écart suite à son "insuffisance absolue" ? Pas sûr : Caussade en réalité poursuit visiblement une belle carrière au sein des laboratoires puisqu’on le retrouve à la tête du service du tirage des négatifs et du coloris de Vincennes en 1906. Un rapport concernant le laboratoire de Vincennes, datant du 21 juillet 1906 nous apprend ainsi que :
Monsieur Tissier a été adjoint à Monsieur Caussade pour le tirage des négatifs et des positifs pour le service du coloris.
Reytinas, Rapport sur l’usine de Vincennes du 21 juillet 1906, FJSP, Cahiers des ingénieurs Pathé, cahier n° 33017.
Rappelons que cette partie laboratoire et coloris est alors en plein développement. En 1907, alors qu’on construit les laboratoires de Joinville, il est ainsi rappelé lors d’un conseil d’administration qu’ " il est nécessaire d’augmenter considérablement nos ateliers de développement rue des Vignerons à Vincennes ; il est en effet indispensable de développer à Vincennes tous les films positifs destinés au coloris, car le coloris arrive déjà à 6.000 mètres par jour exécutés à la main avec 200 ouvrières, et bientôt ce chiffre sera considérablement dépassé lorsque les machines à colorier entreront en activité ".
Parmi les activités multiples, il y a également celle du sous-titrage (ou inter-titrage) des films que nous connaissons grâce au témoignage peu flatteur que fait de lui Georges Fagot :
Quand je devins son [Zecca] collaborateur, la rédaction des sous-titres était confiée à un brave homme que s'appelait Caussade. Et ses textes n'avaient rien de bien palpitant. Le fin du fin consistait alors à trouver des sous-titres qui, mis bout à bout, fissent une phrase dont le sens résumait le film: La petite fille de M. Dupont... entre dans la chambre de son père... Elle le réveille... et il se fâche. Tout le texte était de ce style, et il commentait l'image sans nulle nécessité.
Je représentai à Caussade que, si l'on voyait sur l'écran un personnage se dévêtir et se glisser entre les draps, il n'y avait aucun besoin d'écrire: Durand se met au lit. Je fis en sorte que désormais les sous-titres fussent suggestifs; leur vrai rôle étant, ou d'expliquer ce qu'on ne peut voir, ou de piquer la curiosité du spectateur. C'est une formule qui nous paraît toute naturelle aujourd'hui, mais, comme l'œuf de Colomb, il fallait la trouver ; et c'est elle qui a subsisté jusqu'à l'avènement du film parlant.
Francis Ambrière, "Les souvenirs de Georges Fagot", L'Image, 1er janvier 1932, p. 27.
Après quelques années d'activité chez Pathé, Pierre Caussade va tenter l'aventure italienne.
Chez Rossi (1906-[1907])
En effet, le 4 avril 1906, il rencontre, par l'intermédiaire de Charles Lépine, le fondé de pouvoirs de la Société Rossi, Pineschi et Cie de Turin, Carlo Rossi, et signe un contrat :
[...]
M. Lépine m'a fait connaître qu'une société s'était fondée à Turin pour la fabrication des pellicules pour cinématographes et il m'a proposé d'entrer dans cette société comme Directeur de l'atelier de fabrication aux appointements de six cents francs par mois.
J'ai accepté immédiatement l'offre de M. Lépine.
Archives de Paris, P. D2U6 149.
Combien de temps est-il resté au service de Carlo Rossi et quand est-ce que son contrat a-t-il pris fin ? Nous l'ignorons.
Et après... (1907-≥1922)
Il semble bien être revenu, par la suite, chez Pathé et avoir poursuivi sa carrière à Joinville, toujours du côté des laboratoires, ainsi que le laisse entendre une photographie conservée dans le fonds M. Gianati à la Fondation Jérôme-Seydoux-Pathé qui représente "Groupe avec Caussade", non datée et qui a pour inscription manuscrite au verso : " Caussade, Dr de l'usine de Joinville de tirage Pathé frères rue du Polygone. "
Il semble, en outre, avoir maintenu de bonnes relations personnelles avec son ancien employeur puisque lors de son mariage, en 1907, parmi les témoins, se trouvent Ferdinand Zecca et Marie Foy, l'épouse de Charles Pathé, preuve des liens personnels qui unissent Pierre Caussade aux responsables de la maison Pathé. Par ailleurs, Pierre Caussade assistera, aux côtés des frères Pathé, de Zecca, Jacques Marette, etc. aux obsèques de Broult en 1914.
Sources
LAURENT Hughes, "Souvenirs sur la maison Pathé Fres des années 1904-1906", Commission de Recherche Historique, CRH105-B4
LAURENT H., "Le décor de cinéma et les décorateurs", Bulletin de l'AFITEC, 11e année, nº 16, 1957, p. 4.
Remerciements
Fondation Jérôme-Seydoux-Pathé.