MM. Elhem et J. Meudrot, dans leur spirituelle revue des fêtes franco-russes, Paris-Gala, donnée à la Bodinière, ont eu l'idée originale de montrer au public à l'aide du cinématographe Lumière et de projections simples, de nombreuses et fidèles reproductions des différents épisodes des journées russes qui, se déroulant ou se succédant tour à tour sur un écran transparent encadré en forme d'album, constituent en quelque sorte le canevas de la Revue sur lequel les auteurs ont brodé de gais et charmants couplets.
Quand nous aurons ajouté que Mlle Marguerite Deval et M. Tarride en sont les interprètes, nous serons forcé d'avouer que la partie photographique, malgré la lumière électrique qui l'inonde, est bien un peu éclipsée aux yeux du public par le talent tout spécial et vraiment inimitable de la commère et du compère. Mais cependant les yeux des spectateurs ont encore leur part de plaisir dans les moments d'obscurité, et la tentative intelligente des auteurs, couronnée d'un plein succès est intéressante pour l'avenir de la projection au théâtre. La lanterne de projection montre tous les principaux épisodes de ces inoubliables journées, depuis l'entrée du yacht impérial à Cherbourg jusqu'aux agapes patriotiques sur l'herbe humide à la revue de Châlons. Le cinématographe Lumière, un peu émotionné à la première, nous fait assister au débarquement à Cherbourg, à plusieurs défilés du cortège impérial à Paris, au départ des turcos, à l'arrivée des troupes sur le terrain de la revue et finalement nous donne l'illusion frappante d'une charge de cavalerie dont le public forme le point de direction, et la vérité du mouvement est telle que les premiers rangs des fauteuils d'orchestre semblaient, à la première, vouloir se conformer aux principes de la théorie qui prescrivent aux cavaliers figurant l'ennemi de se dérober à droite et à gauche quand la charge est engagée à fond.
Citons aussi une charmante petite série d'instantanés pris par M. Elhem, qui ne se contente pas de ses succès de théâtre et chasse sur nos terres représentant la galante entrevue d'un' officier russe dont la silhouette rappelle celle de M. Tarride et d'une élégante Parisienne qui est tout le portrait de Mlle Deval. Cela sert de prétexte à un charmant rondeau détaillé par Mlle Deval avec la finesse incisive à laquelle elle nous a habitués. Les attitudes du modèle dans les projections qui se succèdent rapidement sont si parfaitement appropriées aux paroles chantées par l'artiste que sa voix dans l'obscurité de la salle, semble sortir de l'image lumineuse projetée sur l'écran l'effet est extrêmement réussi.
La projection a donc conquis son droit de cité au théâtre et nous devons en remercier MM. Elhem et Meudrot qui lui ont donné une si bonne place et ont su l'encadrer d'une façon peu commune entre de jolis couplets dont la pointe satirique n'a pas été exclue dits, vous verrez comme, par deux artistes qui n'ont pas leur égal dans ce genre difficile et délicat de la chanson d'actualité. Profitons de notre qualité de photographe pour terminer par le cliché connu : cette revue fera le tour des salons cet hiver ! R. D.
Bulletin du Photo-club de Paris, 1897, p. 26-27