el grimh

GRUPO DE REFLEXIÓN SOBRE EL MUNDO HISPÁNICO

Émile ISOLA

Blidah, 1860-Paris, 1945

Vincent ISOLA

Blidah, 1862, Paris, 1947

isola emile isola vincent

Jean-Claude SEGUIN

1

 Antoine Isola (Torre del Greco, 30/03/1826-Kolea, 05/10/1903) épouse (Blidah, 30/06/1849) Joséphine Belvisi (Pantellaria, 13/01/1830-Blidah, 16/01/1873). Descendance :

  • Maria, Magdalena, Rose Isola (Blidah, 31/10/1851-Blidah, 10/07/1865)
  • Marie, Vincente Isola (Blidah, 24/04/1854-Blidah, 1920) épouse Pierre, Jacques Loubet (Notre-Dame-d'Ourtiguet, 29/12/1871-Kolea, 14/11/1922).
  • Louise, Marie Isola (Blidah, 29/10/1856-Blidah, 06/11/1876) épouse Pierre, Marie, Ernest Maguin (25/12/1849-04/11/1928).
  • Jean, Baptiste, Louis Isola (Blidah, 31/05/1858-1881)
  • Émile Isola (Blidah, 04/09/1860-Paris 17e, 17/05/1945) [naturalisé le 16/03/1891]
    • épouse (Paris 15e, 01/06/1889) Sidonie, Victorine, Martine Courbarien (Banize, 12/12/1849-Paris, 07/05/1937).
    • épouse (1937) Yvonne Cadet.
  • Vincent Isola (Blidah, 24/07/1862-Paris 10e, 31/08/1947) [naturalisé le 05/09/1894]
    • épouse (Paris 15e, 01/06/1889) Louise, Clara Thiesset (Paris, 16/07/1853). Divorce (Paris, 15e, 12/08/1897)
    • épouse (Paris, 22/12/1913) Anne, Anasthasie Bourgogne (Painblanc, 29/10/1875-Paris, 11/01/1933)
    • épouse (Paris, 12/07/1935) Christiane, Yvette Mangeard (Blois, 05/07/1913)
  • Giroux, Salvador Isola (Blidah, 08/07/1866-Blidah, 17/04/1896)

2

Les origines (1860-1895)

Fils d'un tailleur italien, installé à Blidah, Émile et Vincent Isola dès leur enfance s'adonnent à leur distraction favorite: les tours de carte :

Le père Isola, tailleur de son état, tenait un café fréquenté par les prestidigitateurs de passage en Algérie. Bosco, entre autres, s'y arrêta souvent. Dès leur plus tendre enfance, les Isola essayaient des tours; ils y réussissaient et, à l'âge de onze ans, à une distribution de prix, ils donnèrent leur première séance. Sans contrarier le penchant de ses fils, le tailleur-cafetier estima qu'un bon métier manuel les mettrait à l'abri des surprises et des risques de la prestidigitation. Il en fit des menuisiers.


GALTIER, 1913: 2.

Ils semblent avoir donné, malgré tout, quelques représentations à Alger selon le témoignage de Georges Moussat, reproduit dans les mémoires de son fils :

En virée à Blida, mon père remarqua un jour deux jeunes gens qui, sur la place publique, faisaient des tours de cartes et de prestidigitation. Entre artistes on sympathise ; il les félicita, il les incorpora dans le programme d’une fête qu’on organisait à Blida. Ce fut le début d’une amitié éternelle. Libéré du service Georges Moussat donna leur chance aux deux jeunes artistes en leur permettant de se produire non plus parmi les forains mais dans un théâtre à Alger.


MOUSSA, s.d.

Les frères Isola vont finalement prendre la décision de quitter l'Algérie afin de rejoindre la France et se hâtent d'assister aux spectacles fantastiques présentés alors dans la capitale :

A force de travail et d'économie, ils parviennent à mettre chacun 200 francs de côté et s'embarquèrent pour la France.
Après quinze jours de travail à Marseille, il arrivèrent à Paris par une belle matinée de mai 1880. Friands de spectacles fantastiques, ils se rendirent le soir même au Châtelet, où l'on jouait Les Pilules du Diable et le lendemain, chez Robert Houdin, où ils firent la connaissance du célèbre calculateur Inaudi, qui était alors âgé de 8 ans.


REMOND, 1929: 426.

Afin de pouvoir subvenir à leurs besoins, les frères Isola vont chercher du travail auprès d'un entrepreneur : 

Ayant appris qu'un entrepreneur de menuiserie, M. Morel, embauchait des ouvriers, ils allèrent le trouver, et lui demandèrent du travail. M. Morel avait l'entreprise du Crédit Lyonnais. C'est ainsi que les deux frères prirent part à la construction du siège central. Comme ils étaient payé aux pièces, ils commençaient leur journée à trois heures du matin. Aussi arrivèrent-ils à gagner chacun de 13 à 14 francs par jour. Mais au prix de quel travail et de quelles fatigues...
Ils économisèrent ainsi mille francs chacun et résolurent de tenter un grand coup.


REMOND, 1929: 426.

Ils vont essayer de se lancer dans le monde du spectacle dès 1882, avec des débuts assez peu probants :

Ils allèrent trouver M. Voisin, fabricant d'instruments de physique et de boîtes à double fonds, rue Vieille-du-Temple et achetèrent un certain nombre d'instruments. Puis, il demandèrent et obtinrent la salle Lancry, pour donner leurs représentations de prestidigitation. C'est là, en 1882, qu'ils firent leurs débuts.
Débuts peu brillants. Quand on en parle aux deux frères, il sourient: "Nous étions pleins de bonne volonté, raconte M. Emile Isola, mais cette bonne volonté était insuffisante pour réussir, car nous manquions totalement d'expérience et, l'émotion aidant, nous ratâmes tous nos tours avec un ensemble parfait."


REMOND, 1929: 426.

Après leurs échecs à Paris, ils vont tenter leur chance en province, sans plus de succès. ils reviennent dans la capitale en 1886 et sont embauchés aux Folies-Bergère. Emile Isola obtient la nationalité française le 16 mars 1891. C'est finalement en 1892 que les deux frères vont louer, à M. d'Erlincourt, leur premier théâtre, Les Capucines, connu comme " Théâtre Isola " au 39, boulevard des Capucines.

Ce que c'est que le succès !
Les frères Isola, dont nos five o'clock ont inauguré la vogue, donnaient chaque jour à la salle des Capucines des séances très suivies.
Mais ils n'en étaient que les locataires. Les voilà désormais chez eux : la faveur toujours grandissante du public leur a permis d'acheter cette jolie salle, qu'ils vont métamorphoser en un ravissant théâtre, où ils pourront corser leur répertoire, déjà si riche, de nouvelles attractions.


Le Figaro, Paris, 14 avril 1892, p. 1.

Ils y proposent de nombreuses attractions qui ont pour noms " Les Lyres isoléennes ", " L'Océan de lumière ", " La Fée aux fleurs "... Vincent Isola obtient la nationalité française le 28 août 1894.

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Louis Gallice, Salle des Capucines, Les Lyres isoliennes (1890) Les frères Isola, "Le Phénomène aérien"

La salle des Capucines se trouve non loin de l'Olympia et du Grand Café où se déroulent, à partir du 28 décembre 1895, les séances du cinématographe Lumière :

Le 29 décembre, la nouvelle de la projection extraordinaire s'étant répandue, le public faisait queue jusqu'à la place de l'Opéra.
Bien entendu, les frères Isola avaient assisté à la représentation, et ils auraient souhaité qu'une partie de ce public vînt aussi pour le spectacle de leur théâtre.


ANDRIEU, 1943: 53

On comprend bien tout l'intérêt qu'il y a à pouvoir organiser des séances cinématographiques. Certaines annonces trahissent d'ailleurs le succès de ces projections :

En ce moment où les inventions prodigieuses se succèdent coup sur coup, il devient de plus en plus difficile d'étonner un peu le monde. Aussi faut-il que les frères Isola soient des enchanteurs bien habiles pour arriver encore à émerveiller leurs nombreux spectateurs. Rien n'explique mieux leur vogue toujours croissante.


Le Gaulois, Paris, 2 mars 1896, p. 3.

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Théâtre de la salle des Capucines, 1892
© Musée Carnavalet
Boulevard des Capucines, c. 1890 [D.R.]
La salle des Capucines se trouve à droite, troisième édifice environ

La photographie vivante (avril-juin 1896)

La vogue du cinématographe va donc conduire les frères Isola à s'intéresser à son exploitation. Le refus des Lumière de vendre leur appareil les conduit à s'orienter vers une autre solution. Afin de lancer les projections dans leur théâtre des Capucines, ils vont faire l'acquisition du kinétographe de Georges De Bedts, selon, le seul témoignage connu, celui d'Henri de Parville :

C'est une vogue ; depuis tantôt trois mois, c'est à qui ira voir les tableaux animés du cinématographe. L'appareil a pénétré aussi dans les salons. Et quand sur l'invitation, la banale mention : " On dansera " était remplacée par les mots : "A onze heures, cinématographe", on était bien certain d'avoir foule. Encore aujourd'hui, il faudra agrandir le rez-de-chaussée du boulevard de la Madeleine pour satisfaire les curieux. Aussi bien la concurrence va venir et déjà on voit un autre système, le système de Bedtz [sic], fonctionner en face chez les frères Isola.[...]


Henri de Parville, Les Annales politiques et littéraires, Paris, 26 avril 1896, p. 269.

Afin de nourrir leur répertoire, les frères Isola vont s'adresser, en particulier, aux frères Pathé qui vont leur fournir quelques vues animées :

À cette époque, ils firent la connaissance des frères Pathé qui leur vendirent des films, dont un colorié avec Loïe Fuller comme vedette ; ils songèrent même un moment à s'associer avec eux, et quand Pathé les rencontre, il n'oublie pas de le leur rappeler en leur disant :
" Vous avez manqué votre fortune ce jour-là. "
Les Isola firent ce que l'on pourrait appeler " une publicité monstre ", toutes proportions gardées. De petites voitures circulaient dans les rues de Paris, annonçant sur de grands panneaux, la présentation de " films en couleurs " au Théâtre Isola.


ANDRIEU, 1943: 54.

C'est dans les derniers jours de mars que la presse se fait l'écho de la prochaine inauguration des projections cinématographiques :

La merveilleuse découverte de la photographie vivante, grandeur naturelle et en couleurs, sera visible au théâtre Isola à partir de demain, tous les jours de deux heures à six heures. Vu la vogue des attractions des frères Isola, cette exhibition n’aura lieu qu’en matinée.


La Libre Parole, Paris, 31 mars 1896, p. 4.

La presse confirme bien que parmi les vues présentées, il y a une " Loïe Fuller " :

Très curieuses les photographies vivantes en couleurs que montrent les frères Isola. Cette ingénieuse application donne l'illusion complète et réelle de la vie. Il y a notamment une Loïe Fuller dont on bisse à chaque séance la danse serpentine.


L'Intransigeant, Paris, 7 avril 1896, p. 3.

Les " photographies vivantes " des frères Isola ont-elles rencontré le succès escompté ? On pourrait le croire en lisant le suivant entrefilet :

On peut se rendre compte du succès sans précédent obtenu par la " Photographie vivante ", l'innovation des frères Isola, par la foule qui se presse, à la porte de leur théâtre. On refuse du monde chaque soir.


Le Gaulois, Paris, 18 avril 1896, p. 4.

Mais voilà, d'autres journaux parisiens publient le même texte... autant dire que ce sont les frères Isola qui font passer l'annonce. Un autre article, signé le 25 avril celui-là, figure également dans plusieurs organes de presse mais sans signature :

Grâce à l'ingénieuse idée qu'ils ont eue d'appliquer les couleurs à leurs projections animées, les frères Isola ont réalisé l'illusion complète de la vie, la véritable et merveilleuse Photographie vivante que tout Paris veut voir et admirer.
Adolphe Mayer.


Le Journal, Paris, 25 avril 1896, p. 6.

Les séances vont se prolonger jusqu'au mois de juin où la presse publie les dernières annonces relatives à la "photographie vivante". Une dernière annonce est publiée le 10 juin :

Au théâtre Isola, gros succès pour les Poupées Américaines et la Photographie vivante, qui complètent un programme des plus attrayants. C'est un des plus agréables spectacles d'été.


Le Journal, Paris 10 juin 1896, p. 4.

Resterait à confirmer que l'exploitation du kinétographe s'est vraiment prolongée jusqu'au mois de juin voire que cet appareil ait vraiment été utilisé par les frères Isola. Comment comprendre en effet que ces derniers exploitent un kinétographe dans leur théâtre alors qu'ils commercialisent un autre appareil, celui de Charles, avant le 22 avril 1896 ?

La fabrication et la commercialisation de l'appareil cinématographique breveté par Louis Henri Charles (mars-[juillet] 1896) 

Les déclarations des frères Isola, ou la transcription qui en est faite dans la presse, a pu jeter le trouble sur cet aspect de leur activité. En effet, ils apparaissent parfois comme les inventeurs d'un cinématographe comme on peut le lire dans leurs mémoires tardives. En réalité, s'ils n'ont pas la capacité technique d'inventer un appareil, ils ont celle en revanche d'assurer la production en série. Reste à trouver un inventeur disposé à travailler avec eux. Ce sera Louis Henri Charles, un mécanicien, qui a construit un cinématographe et dont on présume qu'il n'a pas les moyens de se lancer seul dans sa production. Après quelques essais, la fabrication de l'appareil commence, sans doute vers la mi-avril 1896 et le brevet est déposé le 20 avril :

La fabrication de leur premier appareil ayant réussi, malgré quelques imperfections techniques, tel un petit sautillement des images, ils décidèrent d'en fabriquer un certain nombre pour les vendre à des amateurs. Le prix était de dix mille francs et ils eurent des clients, non seulement en France, mais à Berlin, Vienne, Bruxelles, etc.
Un an après cependant, ils abandonnaient cette branche de leur activité car, fait assez curieux, le cinéma qui avait engendré à sa parution le plus grand enthousiasme, périclitait et subit pendant quelque temps une éclipse.


ANDRIEU, 1943: 54.

Dès lors, plusieurs commerçants ou exploitants vont se ruer sur ce cinématographe, l'un des rares disponibles à ce moment-là. La première trace de cette commercialisation nous la trouvons dans un courrier, daté du 22 avril 1896, et adressé à l'ingénieur César Félix Josz. Les frères Isola y détaillent les conditions de vente et proposent à ce dernier, pour une exploitation à Vienne (Autriche), un équipement complet et dix films pour 15.000 francs.

isola freres 1896 04 22 courrier

Théâtre Isola
39 Boulevard des Capucines
DIRECTION

Paris, le 22 avril 1896

Monsieur C. F. Josz
Ingénieur

Comme suite à nos pourparlers, jusqu'à ce jour, nous vous cédons un appareil de projections animées au prix net de quinze mille francs consistant en
La Machine.
La lanterne avec son arc.
La cuvette.
Plus une série de dix bandes dont cinq en couleur, le dit appareil devant fonctionner à Vienne Autriche.
Nous nous engageons à livrer cet appareil dans la huitaine et a envoyé un de nos employés qui sera [...]  

Théâtre Isola, Monsieur C. F. Josz, Paris, 22 avril 1896.
REMOND, 1929: 427.

Parmi leurs autres clients, on compte Oskar Messter, le cinématographiste et inventeur allemand, qui organise des projections de vues animées à Berlin au nº 21 de l'avenue Unter den Linden. L'historien Guillaume-Michel Coissac lui consacre quelques lignes :

De son côté, le vétéran des cinégraphistes d’Allemagne, M. Oskar Messter dont on voulut faire un inventeur après coup, a étalé toute la vérité dans une très intéressante conférence à la Société allemande de Technique cinématographique. Non, Messter ne se pose pas en inventeur, ni même en génial « perfecteur », et pourtant il a fait beaucoup plus que certains revendiquant aujourd’hui d’avoir précédé d’un point... inconnu, Marey et Lumière ! Fabricant avec son père des instruments de médecine et spécialisé dans les appareils « Rœntgen » il avoue qu’il ignorait tout de Friese-Green, des frères Skaladanowski, de Demeny, voire d'Anschutz, en 1896. L’événement universel que fut la présentation de M. Lumière, à Paris, l’intrigua. Il voulut, dit-il, connaître le merveilleux instrument, mais ne put l’acquérir. Il s’ingénia donc de résoudre le problème avec les bandes d’Edison et bâtit un appareil dont il n’eut guère satisfaction. Il se procura peu après un « Isolatograph », instrument d’origine française, qu’il examina, modifia, dont il se servit sans arriver à satisfaisante solution. Il put enfin examiner un appareil Lumière, le seul d’ailleurs reconnu à cette époque comme capable de faire du cinématographe, c’est- à-dire de projeter des films sur un écran pour un public — car toute la question est dans ce résultat. Messter adapta une croix de Malte à 7 branches, puis à 5, dont il munit, le 2 juin 1896, le premier appareil de fabrication allemande pour projections animées.
Une fois muni d’un appareil, Oskar Messter songe à tourner des films ; non sans difficultés il y parvient. Il crée, à cet effet, le premier laboratoire et le premier studio d’outre-Rhin. Son premier film avait pour titre Bismarck et son chien ; il obtint un immense succès. Avec le Pr Schaffer, l’infatigable chercheur innove la microcinématographie ; il aborde le film astronomique avec le Pr Archenholdt, établit une série de documentaires et de films d’enseignement, idée méritoire pour cette époque. En un mot, on peut dire que M. Oskar Messter est bien le grand artisan du cinéma en Allemagne, ayant depuis 1896 consacré toute son application aux appareils, aux films et à l’industrie cinématographique, dont il est vraiment le fondateur en Allemagne. Son nom doit avoir place d’honneur, d’autant plus, répétons-le, que ce travailleur de grand mérite, ce « trouveur » de notoriété, ne prétend pas avoir inventé ce qui était. Grâce à lui, le cinématographe, en Allemagne, est entré avec un beau chapitre dans l’histoire. On ne doit pas oublier, chez nos voisins, qu’avec le Biorama de Messter, furent projetés les premiers films allemands, Unter den Linden et ensuite à l’Apollo-Variété de Berlin.


COISSAC G.-M., "Le Cinéma. Hier-Aujourd'hui-Demain", La Revue française de photographie et de cinématographie, nº 238, 1er août 1929, p. 351.

Les séances berlinoises sont inaugurées le 25 avril 1896 et quelques jours plus tard un article local évoque le début des projections et l'origine de l'appareil utilisé qu'Oskar Messter léguera plus tard au Deutsches Museum de Munich.

1896 04 25 charles berlin 1896 messter oskar projecteur
Berliner Tageblatt, nº 218, Berlin, 30 avril 1896, p. 9-10. Oskar Messter. Projecteur. (1896)
Source: Deutsches Museum de Munich 

La revue allemande Photographische Rundschau apporte une nouvelle précision :

Gegenwärtig werden in Berlin - und auch wohl in anderen grösseren Städten - zwei Apparat dieser Art öffentlich vorgeführt: der eine ist der Kinematograph von Lumière in Lyon (ausgestellt Friedrichstr. 65a und in der Gewerbe-Ausstellung), der andere der Kinematograph nach dem französischen lsola-Patent (ausgestellt Unter den Linden 21).


Photographische Rundschau, vol. 8, nº 7, Berlin, juillet 1896, p. 1996.

Dès cette époque. comme on le voit, les frères Isola se présentent comme les inventeurs de l'appareil cinématographique alors qu'ils n'en sont que les fabricants et les diffuseurs.

Un troisième client, et non des moindres, est le propre Georges Méliès. Le concernant, les informations sont plus imprécises. Dans un premier temps, il s'est tourné vers le britannique Robert W. Paul qui commercialise son theatrograph dès le mois de mars. Il est difficile de savoir exactement à quel moment le mage de Montreuil fait l'acquisition de l'appareil Charles. Le plus vraisemblable c'est qu'il ait récupéré les droits acquis par les frères Isola afin d'exploiter à leur tour l'appareil, sans doute après la fermeture du théâtre des Capucines, à l'été 1896. Il baptise alors l'appareil du nom de "kinétographe Robert-Houdin" et dépose un brevet, le 4 septembre 1896, qui n'est qu'une réplique à peine modifiée de celui de Louis Henri Charles. C'est ainsi que les frères Isola vont passer la main et laisseront désormais les affaires cinématographiques à d'autres.

Quant au nom "isolatographe", il semble qu'il n'ait été utilisé que bien plus tard et on le trouve sous la plume de Guillaume-Michel Coissac (voir supra), dans l'article de Lhoste ou dans les mémoires des frères Isola :

D'autre part, les débuts de Lumière leur avaient ouvert des horizons insoupçonnés. Bientôt, ils inventaient eux aussi un appareil de projection baptisé " Isolatographe ", breveté quatre ou cinq mois après la découverte de Lumière.


ANDRIEU, 1943: 53-54.

Et après (1897-1947)

Leurs activités d'homme d'affaires les conduisent à abandonner les spectacles de prestidigitation et ils offrent leur dernier spectacle au casino d'Aix-les-Bains, le 20 avril 1897. Dans la foulée, il s'installer  au Parisiana (avril 1897-1905) où ils présentent leurs attractions nouvelles : le Looping the loop et La Flèche humaineLittle Tich et Frégoli. Peu après, ils prennent les commandes de l'Olympia (avril 1898-1908), puis celles des Folies-Bergère (mars 1901-1908) et le théâtre de la Gaité (mars 1903-1908). À la mort de leur père et fatigués par des années d'effort, les frères Isola vont faire une halte et vendre leurs théâtres à M. Ruez, avant de reprendre leurs salles de spectacle qui périclitaient:

Les affaires de M. Ruez ne marchant pas, ils reprirent Parisiana, les Folies-Bergère et les lui louèrent avec l'Olympia. Ils gardèrent seulement le théâtre lyrique populaire de la Gaîté qu'ils inaugurèrent une seconde fois avec la Vivandière, interprétée par Marie Delna.


REMOND, 1929: 427.

isola freres 1906 Les freres Isola dans leur cabinet de travail
Les frères Isola dans leur cabinet de travail
Musica, février 1906.
Source: Bibliothèque du conservatoire de Genève.

C'est en 1912 qu'Émile Isola est fait chevalier la Légion d'honneur et Vincent Isola obtient le même grade dans la  Légion d'honneur. En 1913, le ministre Louis Barthou leur confit la direction de la Comédie Française et l'Opéra-Comique :

Propos de Paris
Nous avons enfin connu cette semaine les nouveaux directeurs de nos théâtres subventionnés, la Comédie-Française et l'Opéra-Comique. Nous serons bientôt fixés, j'imagine, sur le sort de l'Opéra. Mais en attendant, les choix du ministre de l'Instruction publique ont rencontré l'approbation du public parisien. Ce public connaît, à des degrés divers, les personnalités élues. Celles qui lui sont le plus familières, grâce à la revue et à l'image, c'est le couple presque siamois des frères Isola.


GALTIER, 1913: 2.

Ils doivent alors renoncé à la direction de leurs autres salles :

-Mais comme un directeur de subventionné n'a pas le droit de cumuler...
-Nous avons vendu nos quatre théâtres. Et nous avons monté MaroufLa Reine PédauquePolyphèmePénélope...


LHOSTE, 1943: 2.

Peu après, la guerre va mettre un terme temporairement aux représentations. En 1922, Émile Isola obtient le grade d'officier de la Légion d'honneur, puis c'est au tour de Vincent d'obtenir la même distinction en 1924. L'année suivante, ils abandonnent la direction de l'Opéra-Comique et achètent Mogador et Sarah-Bernhardt où ils vont monter, entre autres pièces, Mon curé chez les richesL'AiglonCyrano de BergeracLa Dame aux caméliasL'Auberge du cheval blanc... Frappés par la crise du théâtre, ils abandonnent la direction des salles de spectacle et déposent le bilan (5 avril 1936). Sur les conseils de Sacha Guitry, ils reprennent leur ancien métier :

Qu'est-ce que vous allez faire ? Vous ne savez pas. Si mon père vivait, nous dit-il, lui qui m'emmenait souvent vous applaudir lorsque vous étiez prestidigitateurs, il vous dirait de reprendre votre ancien métier.
-Après avoir bien hésité, huit jours plus tard nous lui écrivîmes: "Mon cher Sacha, en effet votre père avait raison."
-Et pendant six ans, nous avons parcouru toutes les scènes de France.


LHOSTE, 1943: 2.

En [1937], il essaie de faire un retour en s'installant au théâtre de la Potinière qui devient le "Théâtre Isola", mais ils vont finir dans une grande précarité. Ils s'éteignent, respectivement, en 1945 (Emile) et 1947 (Vincent).

Sources

ANDRIEU Pierre (recueillis par), Souvenirs des Frères Isola, cinquante ans de vie parisienne, Paris, Flammarion, 1943, 238 p.

COISSAC, Guillaume-Michel, "Le Cinéma. Hier-Aujourd'hui-Demain", La Revue Française de Photographie et de Cinématographie, 1927-1930, nº 206, 208, 210, 212, 221, 228, 229, 234, 235, 236, 237, 238, 240, 241, 242, 243, 244, 245, 246 et 247.

CONSTANT Jacques, "Les Frères Isola. Empereurs du théâtre", Dimanche illustré, 13 février 1938, p. 5.

GALTIER Joseph, "Propos de Paris", Excelsior, 19 octobre 1913, p. 2.

GOERGEN JeanPaul, "Der Kinematographe. Unter den Linden 21", KINtop nº 6, octobre 1997, p. 143-165.

LHOSTE Pierre, "Cinquante ans de vie parisienne ou un quart d'heure avec les frères Isola", Paris-midi, Paris, 6 mai 1943, p. 2.

MALTHÊTE-MÉLIÈS Madeleine, Méliès l'enchanteur, Paris, Hachette Littérature, 1973, 446 p.

MANNONI Laurent, "Méliès contrefacteur ?", 1895, nº 22, 1997, pp. 16-32.

MOUSSAT Émile, Mémoires d'un fossile, manuscrit inédit, (http://claude.loubet.free.fr)

REMOND Jean, "Les Frères Isola", Vu, nº 63, mai 1929, p. 426-427.

ROSSELL Deac, "Beyond Messter: Aspects of Early Cinema in BerlinKINtop nº 6, octobre 1997, p. 167-184.

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