Raoul GRIMOIN, dit GRIMOIN-SANSON

(Elbeuf, 1860-Oissel, 1941)

grimoin raoul portrait  

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Louis, Eugène Grimoin (Caudebec-lès-Elbeuf, 31/07/1826-[Bruxelles], [01/05/1888]) épouse (Caudebec-lès-Elbeuf, 01/03/1851) Marie, Cécile Leroux (Saint-Nicolas du Bosc/Ambreville la Campagne, 07/03/1834-). Descendant :

  • Eugène, Henry Grimoin (Caudebec-lès-Elbeuf, 09/05/1852-) épouse Clémence, Ernestine Racine (Caudebec-lès-Elbeuf, 15/06/1851-). Descendance :
    • Abel, Adrien Grimoin (Caudebec-lès-Elbeuf, 22/10/1881-)
  • Marie, Florentine Grimoin (Caudebec-lès-Elbeuf, 28/10/1854-) épouse (Saint-Pierre-lès-Elbeuf, 22/12/1873) Antoine, Amédée Leloup (Martot, 17/12/1854-)
  • Raoul, Adrien Grimoin dit "Grimoin-Sanson" (Elbeuf, 07/05/1860-Oissel, 03/11/1941) épouse (Bruxelles, 12/01/1895) Palmyre, Françoise Allard (Montigny-sur-Saule, 29/03/1862-)
  • Cyprien, Gaston Grimoin (Caudebec-lès-Elbeuf, 22/10/1866-)
    • épouse (Bruxelles, 14/06/1887) Laure, Marie, Charlotte De Greef (Leuven, 27/04/1865-)
    • épouse (Saint-Maurice, 03/10/1912) Jeanne, Émilienne Murgeon.

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Les origines (1854-1895)

Fils d'un tisserand installé à Elbeuf, Raoul Grimoin, d'abord placé chez les Frères de la rue de la Justice, fait ensuite ses études à l’Institution Privée Ouin-Lepage.

grimoin raoul 1864 portrait grimoin raoul 1874 portrait
"Mon portrait à quatre ans, 1864."
GRIMOIN, 1926: 6.
"Mon portrait à quatorze ans" (1974)
GRIMOIN, 1926: 23.

grimoin raoul 1860 frabique
"La fabrique de mon père, en 1860."
GRIMOIN, 1926: 5.

L'invasion prusienne (1870) surprend la famille à Elbeuf où elle se voit contrainte de loger les soldats allemands. La science et la musique constituent alors les centres d'intérêts du jeune Raoul :

Mon père m'avait cédé un grand local dans un bâtiment attenant à l'usine. On y avait jusqu'alors visité les tissus par transparence, et le jour entrait par une grande baie vitrée. Il me fuit ainsi possible, plus tard, d'y installer un atelier de pose pour la photographie. Pour le moment, je poursuivais mes expériences, m'occupant uniquement de science et de musique. Je prenais maintenant des leçons de violon chez M. Payen, rue aux Ours, à Rouen.


GRIMOIN, 1926: 19-20.

En outre, il continue à s'adonner à la prestidigitation et poursuit quelques recherches sur la chimie pour teindre les tissus. Ses talents de musicien le conduisent également à composer de petites mélodies.

Appelé sour les drapeaux, il rejoint le 45e régiment d'infanterie, le 18 novembe 1881, manque à l'appel (27 novembre 1882) et est déclaré déserteur à l'étranger (1er décembre 1882).

grimoin raoul 1881 portrait
"Au régiment, en 1881"
GRIMOIN, 1926: 35.

Il a quitté la France pour la Belgique où il séjourne pendant plusieurs années. Il trouve un emploi de photomicrographe à l'université de Bruxelles où ses parents vont le rejoindre à partir de 1884. Sous le nom de Raoul Sanson, il dispose d'un studio photographique 16, rue Paul-Devaux (près de la Bourse).

grimoin raoul 1886 photographe 01 grimoin raoul 1886 photographe 02
Photographie Éclair. Raoul Sanson. Photographe Chimiste. 16, rue Paul Devaux. Bruxelles. 1886.

À cette époque, il multiplie les inventions: olographotypique, microphone compensateur, autophone postal... qui ne lui permettent pas de vivre. Il vit grâce à la musique et aux cachets qu'il reçoit du kursaal d'Ostende, ainsi qu'à la prestidigitation (Musée du Nord de Bruxelles).

grimoin raoul 1883 ostende
Ville d'Ostende. "Raoul Sanson". 25 août 1883.
GRIMOIN, 1926: 41.

C'est vers 1888 qu'il se lance dans une nouvelle invention, le téléphote, appareil qui doit permettre de voir la personne qui téléphone, qui ne verra jamais le jour. En octobre 1889, de retour en France, il régularise sa situation militaire et est réformé. À la fin de l'année 1891, Raoul Grimoin envisage d'établir au parquet un service de photographie et d'anthropométrie.

grimoin raoul 1891 parquet
Parquet du Tribunal de 1re instance, à Raoul Sanson. Bruxelles. 26 novembre 1891.
GRIMOIN, 1926: 54.

La presse française va se faire l'écho des démarches de Raoul Grimoin :

Bruxelles va être doté d'un service d'anthropométrie à l'instar de Paris -grâce à cette circonstance: M. Raoul Sanson, autrefois attaché au service de M. Bertillon, à la Préfecture de police, actuellement domicilié en Belgique, a donné à la police belge l'idée d'adopter un système dont l'utilité n'est plus à démontrer. Les expériences ont été concluantes et ont fort étonné nos magistrats.


Le Figaro, Paris, mercredi 24 février 1892, p. 3.

Son dossier de légion d'honneur (1926) va prendre ces activités effectuées en Belgique. À la fin de l'année 1892, Raoul Grimoin cherche à s'installer à Paris comme photographe :

Photographe désirant s'installer à Paris, prendrait immédiatement atelier avec logement.-Ecrire M. Raoul Grimoin, à l'Intransigeant


L'Intransigeant, Paris, 7 décembre 1892, p. 4.

Il finit par trouver un local au 142 rue Montmartre.

grimion raoul 1893 annonce
L'Intransigeant, Paris, lundi 8 mai 1893, p. 4.

C'est vers cette époque qu'il faut situer sa rencontre avec Etienne-Jules Marey :

Je collaborai bientôt avec Marey, qui, à ce moment-là, cherchait à décomposer, au parc des Princes, le mouvement du vol des oiseaux. Un fois chargé le "fusil photographique" du maître, on lâchait des pigeons qui s'envolaient profilés devant un grand mur blanc, qui n'existe plus aujourd'hui, et à la place duquel s'élèvent, précisément, les bâtiments de l'institut Marey. Mais il arrivait parfois que les pigeons se dérobaient, passant hors du champ de l'objectif. Marey entrait alors dans des colères folles, d'autant plus que nous ne pouvions nous tenir de rire !


GRIMOIN, 1926: 62.

À la Salpetrière, il côtoie également, Albert Londe, De Fontvielle, Infroid et Georges Demenÿ Toutefois ses activités scientifiques ne lui permettent pas de vivre correctement et il va revenir à la prestidigitation et au spiritisme. À l'occasion de l'exposition russe du Champ-de-Mars, il installe le Théâte du docteur Nosnaski, en mai 1895. Un bref article de L'intrasingeant donne quelques détails sur le spectacle :

Le docteur Nosnaski, le prestidigitateur spirite de l'Exposition russe, dont le splendide théâtre se trouve rue de Tiflis, en sortant de la Galerie des machines (Champ-de-Mars), donnera aujourd'hui plusieurs séances fort intéressantes.
La première partie du programme est entièrement réservée à ses exercices extraordinaires de prestidigitation, et la seconde partie aux expériences inédites de magnétisme et de spiritisme que personne n'a pu expliquer jusqu'à ce jour et dont le célèbre docteur Nosnaski a seul le secret. Pour terminer, la nouveauté à sensation, "La Disparition de Jeanne Darc".-Entrée libre.
Frivolet.


L'Intransigeant, Paris, 26 août 1895, p. 3.

Le Théâtre du docteur Nosnaski ferme ses portes dans les premiers jours du mois de septembre 1895.

Le phototachygraphe (automne 1895-1896)

L'invention (automne 1895-novembre 1896)

Dans son autobiographie Le Film de ma vie, Raoul Grimoin consacre de longues pages à ce qui constitue sa première invention significative dans le domaine des images animées. S'il faut rester prudent sur la chronologie des événements qu'il propose, on peut en revanche reprendre les étapes du processus de création tel qu'il le décrit dans son autobiographie. Dans un premier temps, Raoul Grimoin va s'intéresser à la projection des vues animées en adaptant, comme il l'explique, un kinestoscope Edison :

LES PROJECTIONS ANIMÉES
Mes essais de chronophotographie, malgré diverses aventures de ce genre, prenaient corps lentement. Il s'agissait à vrai dire, de deux procédés indépendants à raccorder. Le premier consistait à transformer le kinétoscope d'Edison en appareil de projection. Le second consistait à créer un appareil pour la prise de vues animées susceptibles d'être ensuite projetées. Chacune des deux inventions ne valait pratiquement que par l'autre. Réalisées isolément, elles seraient demeurées stériles, ou plus exactement vouées à la presque inutilité.
Dès mars 1895, le premier de ces résultats fut acquis, car j'avais construit un appareil permettant de projeter agrandies les images mobiles du kinétoscope. La bande pelliculaire ne mesurait que dix-huit mètres, et s'enroulait sur une bobine de bois. Les vues entraînées par une roue dentée passaient devant une petite fenêtre qui recevait la lumière captée d'une fort ampoule, renforcée encore par un condensateur dans le genre de celui d'Edison. L'intermittence était obtenue par un mécanisme ressemblant aux anciens échappements d'horlogerie, commandée par un excentrique. Une roue à encoches, déclenchée par un ressort, faisait glisser la bande très rapidement et de façon à ce que le temps de repos fût une fois et demie plus long que celui de marche. Mais je n'obtenais ainsi que des tableaux d'une surface d'un mètre cinquante sur quatre-vingt-dix centimètres, et, à franchement parler, ces projections n'étaient agréables ni à regarder, ni à entendre. Elles papillotaient tant qu'elles en blessaient les vue, et le mécanisme à main de la machine produisait un bruit formidable. L'obturation était trop lente, d e même surtout que la succession des images, car il n'en pouvait passer plus de quatorze à quinze à la seconde, tant la manivelle était dure et fatigante à manœuvrer. Il me fallut de longs mois de labeur et de recherches, concrétisés par plusieurs appareils successifs, avant d'arriver à une projection plus liées, et surtout plus nette.


GRIMOIN, 1926: 74-75

Dès les premiers mois de 1895, le Britannique Robert William Paul a inventé son projecteur Theatrograph qui permet, en effet, de projeter les vues kinetoscopiques. L'idée n'est donc pas neuve et, de l'aveu même de Raoul Grimoin, les résultats qu'il obtient laissent pour le moins à désirer. Il indique avec précision que ce premier appareil servant uniquement à la projection aurait été terminé en mars 1895. On peut toutefois émettre quelques doutes sur la chronologie qu'il nous propose. En tout état de cause, aucun brevet ne semble avoir été déposé pour cet appareil de projection au cours de l'année 1895. On peut comprendre, humainement, que Raoul Grimoin cherche à ancrer ses recherches au mois de mars 1895, ce qui ferait de lui l'égal ou presque des frères Lumière, qui présentent leur cinématographe en mars 1895, et de Robert William Paul et son Theatrograph (ou animatographe). La vérité est sans doute différente. On sait que sa situation personnelle ne lui permet pas vraiment de se consacrer à ses recherches au cours de l'année 1895 et ses activité de spirite l'occupent de mai à septembre. Par ailleurs, il n'existe pas la moindre trace de ce prototype. Ce qui est vrai, c'est qu'au cours de l'année 1895, l'idée de la réversibilité des appareils (prise de vue et projection) a fait son chemin grâce, en particulier, au cinématographe des frères Lumière. Raoul Grimoin propose alors une seconde date dans son ouvrage :  

Enfin, à l'automne 1895, j'obtins un appareil viable que je baptisai le phototachygraphe.


GRIMOIN, 1926: 75.

Cette deuxième indication temporelle est, elle aussi, sujette à caution. D'une part aucune autre source ne permet de corroborer cette donnée. D'autre part, il faut attendre le mois de février 1896 pour que la presse se fasse l'écho de l'invention de Raoul Grimoin. Sous la plume de "Taleb", le quotidien L'Intransigeant fait paraître un long article sur la photographie en mouvement qui fait la part belle à l'invention nouvelle de Raoul Grimoin :

La Photographie du mouvement
Les dernières découvertes.-Où il n'est plus question de l'invisible.-Kinétoscope et Cinématographe.-Le Phototachygraphe de M. Raoul Sanson.
[...]
Le nouvel appareil, ou Phototachygraphe, que nous avons vu fonctionner chez M. Raoul Sanson, son inventeur, nous paraît déjà fort supérieure aux Kinéostcope et Cinématographe.
[...]
Le Phototachygraphe, lui, n'a pas cet inconvénient. Il fait passer, grâce à un mécanisme ingénieur, douze à quatorze épreuves par seconde sous les yeux des observateurs, tout en respectant les tons et les demi-tons qui font l'harmonie d'une bonne photographie.
M. Raoul Sanson fixe ses clichés sur une pellicule sensible, montée sur celluloïd, d'une longueur de 25 à 50 mètres, suivant la durée qu'il donne à la scène animée. Un mécanisme spécial, assez compliqué amène juste au foyer de l'objectif la bande sensible. Au moment où l'obturateur -qui n'est formé que d'une segment de cercle mesurant 90º- tournant sur son axe, passe entre l'objectif et la pellicule pour parcourir la circonférence que lui fait décrire un mouvement d'horlogerie relié avec la poulie d'entraînement de cette pellicule, la lumière éclaire la partie de la bande vue par la spectateur. Au moment précis où la lumière pénètre dans l'objectif, la pellicule est immobilisée par un système très simple qui ne lui permet d'avancer que lorsque l'obturateur, en passant devant l'objectif, substituera un nouveau cliché au premier, et ainsi de suite.
Dans le Phototachygraphe, il n'y a donc plus de ces interruptions fâcheuses et pénibles pour l'œil du spectateur: on voit le mouvement sans décomposition; et c'est là, croyons-nous, un progrès qui touche à la perfection.
***
On sait que les différentes couleurs du spectre solaire impressionnant d'une façon toute différente les matières sensibles. Avec une grande pratique et à l'aide de l'observation micrographique, on peut déterminer les colorations d'un cliché quelconque. On peut reconnaître, par exemple, dans un portrait de la Maison Pirou ou de la Photographie de "l'Etoile", la couleur des yeux, de la barbe, des cheveux, du teint ou de l'habit du sujet portraituré. M. Sanson a utilisé ces données pour son Phototachygraphe, et il prépare une scène, dont nous avons vu les pellicules coloriées, qui fera le plus grand effet.
En résumé, les derniers essais de M. Raoul Sanson nous ont paru presque définitifs: ses projections sur un écran sont très nettes; grâce à un assemblage de lentilles puissantes dont les foyers ont une conjugaison spéciale, il supprime l'aberration de sphéricité; enfin, les images ont du relief, et les mouvements des êtres qui se meuvent sous nos yeux ne sont plus saccadés et interrompus comme dans les cinématographes antérieurs.
Le Phototachygraphe de M. Raoul Sanson fera son chemin dans les deux mondes. Avant peu on en parlera: voilà qui nous paraît démontré.
Taleb.


L'Intransigeant, Paris, 25 février 1896, p. 2.

Outre les nombreuses informations d'ordre technique, on retiendra que le journaliste a vu fonctionner - sans doute quelques jours plus tôt - une version non encore définitive du Phototachygraphe. Ce n'est que 5 mars que Raoul Grimoin va déposer son brevet, puis une version britannique un mois plus tard. Afin de rétablir une chronologie plus crédible, on peut penser qu'il ne s'attaque réellement à son projet qu'au cours de l'automne 1895 et que les premiers résultats satisfaisants ne sont obtenus qu'en février-mars 1896. Dans ses mémoires, dans les pages qui suivent, Raoul Grimoin entretient une certaine confusion entre l'appareil de projection et celui de prise de vues, alors que les projets déposés portent sur des appareils réversibles. On peut penser que c'est peu après le mois de mars 1896 que l'inventeur va faire ses premiers essais :

J'avais remanié mon ancien appareil de chronophotographie, et lorsqu'il fut au point, je pris une vue animée de la Madeleine et une autre de la fontaine de la place de la Concorde. Mais ces deux premiers films - le mot ne fut importé que plus tard - ne mesuraient que vingt mètres chacun et duraient à peine une minute. J'arrivai néanmoins à les projeter, chez moi, et me proposais de les présenter en public. Nous étions en décembre 1895 [sic] et je mettais la dernière main à l'appareil de projection pour obtenir des vues aussi claires que possible. J'avais alors réalisé et construit un système d'échappement par croix tétragonale - dite croix de Malte - celui que tous les cinémas du monde utilisent aujourd'hui encore.


GRIMOIN, 1926: 78-79.

La question de l'application de la Croix de Malte au cinématographe va soulever bien des années plus tard, en 1927, une polémique due à Maurice Noverre et à Grimon-Sanson qui se déclare inventeur du procédé. Victor Continsouza est conduit à faire publier dans la presse une lettre où il met les choses au point:

Monsieur,
Dans un article paru dans l'Illustration du 12 mars, consacré à la Photographie et à la Cinématographie, je constate que vous attribuez à M. Grimoin-Sanson, l’application de la croix de Malte, aux appareils cinématographiques.
Je proteste. L’application de la croix de Malte à la cinématographie est due à la collaboration de MM. Bunzli et V. Continsouza.
Le 28 avril 1896, je déposais le brevet n° 255.937 dans lequel je revendique comme mon invention un système d’entraînement du film où j’emploie la croix de Malte pour obtenir un mouvement de rotation intermittent et accéléré. J'ai depuis cette époque fabriqué et vendu plus de 100.000 appareils en utilisant ce dispositif.
Le brevet de M. Grimoin-Sanson, n° 254.515 du 5 mars 1896 s’applique bien aux appareils cinématographiques, mais n’a rien de commun avec un appareil d’entraînement par croix de Malte. Donc les appareils qui fonctionnent dans le monde entier à l’heure actuelle, comme vous le constatez dans votre article, utilisent le procédé d’entraînement par croix de Malte, tel qu’il est décrit dans mon 
brevet nº 255.937 et on n’y retrouve aucune des revendications du brevet de M. Grimoin-Sanson, n° 254.515.
Je vous prie, Monsieur le Directeur, puisque votre article présente M. Grimoin-Sanson comme l’inventeur du système d’entraînement par croix de Malte, de bien vouloir publier ma présente lettre de protestation, comme rectification.
Je tiens à votre disposition les documents qui établissent ma qualité d’inventeur du dispositif en question.
Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments les plus distingués.
V. Continsouza. 


La Griffe cinématographique, Paris, 28 avril 1927, p. 1.

Finalement une commission est désignée pour arriver à une situation de compromis entre les deux inventeurs :

Priorité de la "Croix de Malte"
La commission désignée le 30 avril pour examiner et mettre au point, dans un but de concorde et d'union, le film Histoire du cinéma par le cinéma, de MM. Raoul Grimoin-Sanson et Louis Forest, vient de se réunir.
Cette: commission, composée, de MM. Demaria, président; Barre, Coissac, Debrie, Decaux, Lobel, L. Maurice, Natan et Richard, après étude du dossier et audition de MM. Continsouza, Bunzli et Grimoin-Sanson, a décidé de clore la discussion ouverte entre MM. Continsouza et Grimoin-Sanson, au sujet de la priorité d'emploi de la Croix de Malte dans les projecteurs cinématographiques. Les deux parties intéressées ont accepté de signer le texte suivant rédigé par la commission :
A la même époque, différents constructeurs ignorant mutuellement leurs travaux, ont imaginé de changer l'entraînement du film cinématographique qui s'opérait par des griffes tel que l'avait réalisé l'illustre inventeur du cinématographe, M. Louis Lumière.
Parmi ces constructeurs, M. Grimoin-Sanson a imaginé d'employer un tambour denté entraîné par un échappement à ressort et bloqué par une croix, tétragonale, dispositif employé dans un appareil qui a fonctionné à cette époque.
A peu près simultanément, MM. Continsouza et Bunzli ont employé, de leur côté, pour commander le tambour, l'entraînement par croix de Malte, à entrée tangentielle, qui est encore employé sans modification dans la plupart des projecteurs cinématographiques.


Comoedia, Paris, 20 juin 1927, p. 2.

Ce premier modèle connaît une actualisation en novembre 1896 avec un nouveau mécanisme à échappement.

L'exploitation commerciale (1896-1898)

Raoul Grimoin évoque dans son autobiographie une tentative de commercialisation du projecteur - et non pas de l'appareil réversible - dont il envisage une exploitation et, pour ce faire, il rentre en contact avec le marchand de confections M. Freygefond propriétaire de la maison "A la ville de Londres", sur le faubourg Montmartre. L'affaire va tourner court. Raoul Grimoin décide alors de construire lui-même les appareils :

J'entrepris donc seul la construction de mon appareil. Avec les maigres ressources de mon atelier de photographie et de mes analyses, je me procurai quelques outils mécaniques, tours et perforeuses. Plus tarde, lorsque les commandes affluèrent, je montai un petit atelier à Montrouge.


GRIMOIN, 1926: 83.

Si l'on en croit Raoul Grimoin, le phototachygraphe aurait rencontré un succès certain tant en Europe qu'aux États-Unis. Parmi les projections attestées, il y a celle du 4 mars à Paris : 

Le prochain dîner de la Croûte aura lieu lundi prochain au Grand-Hôtel à 7 h. 1/2.
Au programme de la soirée qui suivra le diner :
Le Divorce de Pierrot, de M. Lenéka, joué par Mlle Créhange et M. Duthilloy; Paris-Flirt, revue de M. F. Oudot, joué par Mlle Stephani, MM. Dubosc et Carbogni ; les Lettres de faire part et Expériences inédites sur le Phototachygraphe.


Le XIXe siècle, Paris, mercredi 4 mars 1896, p. 4.

L'appareil est également présenté quelques semaines plus tard à l'Exposition Nationale et Coloniale qui se tient à Rouen (mai-octobre 1896). L'appareil serait resté jusqu'à la mi-juin. Un entrefilet publié dans la presse basque indique d'autres projections :

Le Photochygraphe [sic], qui a obtenu tant de succès à Paris, à l’Exposition de Rouen et en ce moment à Madrid, sera à Biarritz pendant la saison d’été.


Le Courrier de Bayonne, Bayonne, 19-20 juillet 1896.

L’évocation de la présence d’un appareil Sanson à Madrid pendant les mois de juin ou de juillet n’a pas pu être confirmée par nos recherches dans la capitale. A cette époque-là, le seul appareil connu à Madrid est celui des frères Lumière, puisque celui de Rousby a pris le chemin du Portugal. En revanche, sa présence à Barcelone est bien attestée. Il ouvre un local sur la rambla Santa Mónica en août 1896 où il propose des "fotografías animadas". Dans un autre article de la presser biarrote, il est également question de l'Exposition de Bordeaux, mais on ne connaît de trace de cette projection :

Le PHOTOCHYGRAPHE [sic] SANSON, qui a obtenu tant de succès à Paris, à l’Exposition de Bordeaux et à Madrid, en ce moment, sera à Biarritz, pendant la saison d’été.


 Le Petit Courrier de Biarritz, Biarritz, 19 juillet 1896, p. 2.

Il est également probable que cet appareil ait été connue sous le nom de "biographe en couleurs". C'est en tout cas que ce que suggère une affiche de l'Atheneum Theâtre d'Abraham Dulaar où le nom est suivi de "Grandeur naturelle, de l'ingénieur Sanson."

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Programme de l'Atheneum Théâtre
Jacques Deslandes et Jacques Richard, Histoire comparee du cinéma, Paris, Casterman, 1968, p. 179.

Le Cinéorama (1897-1901)

Raoul Grimoin-Sanson associe de nouveau son nom à un nouvel appareil, le Cinéorama. En novembre 1897, il dépose un brevet pour "Nouvel appareil permettant de photographier et de projeter sur un écran circulaire des vues animées panoramiques en couleur par le Cinecosmorama Sanson" à l'occasion de l’Exposition Internationale de Paris (1900). Il s'agit, de fait, de tourner dix films à partir de dix cinématographes installés de façon circulaire.

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Le Cinéorama de Raoul Grimoin-Sanson (1900).
Source: CNAM

En 1899, à l'occasion d'une conférence qu'il donne à l'Association amicale du quartier de la Santé, il projette quelques vues animées :

Association amicale du quartier de la Santé, passage Dareau, 2.-Samedi 8 avril, à neuf heures précises du soir, conférence sur les "Procédés et appareils chromophotographiques"; projections cinématographiques animées en couleur par l'inventeur Grimoin Sanson, ingénieur. Deuxième partie: concert de famille donné par les membres de l'Association.


L'Intransigeant, Paris, samedi 8 avril 1899, p. 3. 

A-t-il été question du Cinéorama ? Toujours est-il que c'est sous son nouveau nom, que l'ambitieux  projet doit permettre d’effectuer une projection cinématographique circulaire :

Le Cinéorama constitue la perfection du cinématographe, en donnant des projections circulaires et animées, en même temps que colorées. Le spectateur, placé dans la nacelle, se trouve au centre même du panorama vivant, de la « tranche de vie » à laquelle on l’associe.
Il est lui-même dans l’action, et, tour-à-tour, transporté aux quatre coins de l’Europe. Une minute de voyage parmi les nuages, et le voici gravissant un glacier des Alpes ou s’enfonçant dans un fjord de Norwège. 


L. de Quellern, L’Exposition par l’image, Paris, S. Schawarz éd., 1900, p. 310.

Afin de pouvoir optimiser son invention, Raoul Grimoin va constituer, le 1er juin 1899, la Société Française du Cinéorama :

Société française du Cinéorama. — Constitution. — Aux termes d'un acte reçu par Me Lavoignat et son collègue, notaires à Paris, le 1er juin 1899, il a été établi de la manière suivante les statuts d'une Société anonyme. Il est formé par les présentes, entre les propriétaires des actions ci-après créées et de toutes celles qui seront créées, s’il y a lieu, par la suite, une Société anonyme conformément aux lois des 24 juillet 1867 et 1er août 1893.
Cette Société a pour objet : 1° L’exploitation, tant en France que dans les Colonies françaises et pays de protectorat français, des brevets de M. Grimoin-Sanson concernant l’invention dénommée par lui Cinécosmorama ou Projecteur multiplex et qui sera désignée pour l’exploitation future, sous un nom plus à la portée du public, tel, par exemple, que Cinéorama ou Panorama vivant ; ainsi que les cessions totales et partielles ou les licences d’exploitation desdits brevets. La Société pourra également acheter, exploiter, vendre, tous brevets et licences ayant le même but et qu’elle jugerait utile d’acquérir par la suite. 2° La construction, soit par elle-même, soit par des tiers, de tous appareils nécessaires pour l’exploitation desdits brevets ainsi que du spectacle auquel ils sont destinés. 3° L’achat ou la location des terrains et constructions destinés à ce spectacle ainsi que de tous accessoires et aménagements nécessités par lui. 4° Et en général toutes opérations commerciales, industrielles, financières, mobilières ou immobilières se rattachant à l’un quelconque des objets de la Société.
La Société prend la dénomination de Société française du Cinéorama.
Le siège de la Société est à Paris, il est établi rue de la Paix, 25. La durée de la Société est fixée à 15 années à partir du jour de la constitution définitive, sauf dissolution anticipée ou prorogation.
Le fonds social est fixé à 500.000 fr. et divisé en 2.000 actions de 100 fr. chacune, entièrement souscrites et libérées du quart, soit la somme de 125.000 fr.
En représentation et pour prix des apports, il est attribue à M. Grirnoin-Sanson 5.000 parts de fondateur ne donnant droit au partage dans les bénéfices qu’après remboursement du capital-actions, comme il est dit ci-dessous.
A partir de ce moment, les bénéfices seront partagés par moitié entre les 5.000 actions de jouissance remises aux actionnaires en échange des actions remboursées et les 5.000 parts de fondateur. Sur les bénéfices nets on prélèvera annuellement : 1° 5 % pour constituer le fonds de réserve légale ; 2° Et la somme nécessaire pour payer aux actions émises un intérêt de 5 % des versements effectués sur leur capital nominal, tant que ce capital n’aura pas été amorti et remboursé. Le surplus est attribué comme suit : 10 % au Conseil d’administration et à la Direction ; 90 % à un fonds d'amortissement des actions ; Cet amortissement se fera au moyen de répartitions égales entre toutes les actions.
Les actions remboursées seront remplacées par des actions de jouissance n’ayant plus droit à l’intérêt de 5 %.
A partir de cette époque, on prélèvera sur les bénéfices annuels : 5 % pour constituer le fonds de réserve légale : 10 % pour le Conseil d’administration et la Direction ; Le reste sera partagé par moitié entre les actions de jouissance et les parts de fondateur.
Ont été nommés administrateurs pour 3 années : M. Louis-Edmond-Henri Fievet, rentier, demeurant à Paris, avenue Victor-Hugo, n° 115; M. Victor Lagye, rentier, demeurant à Paris, rue Tronchet, n° 17 ; Et M. Georges Ratisbonne, rentier, demeurant à Neuilly-sur-Seine, avenue de Neuilly, n° 52. — P. A. 4 août 1890.


Cote de la Bourse et de la banque et le Messager de la Bourse réunis, Paris, 19 août 1899, p. 10-11.

1900 multiplex cineorama grimoin
Le projecteur "Multiplex" et le cinéorama de Grimon-Sanson.
Comoedia, Paris, vendredi 23 mai 1924, p. 1.

Il cède ses deux brevets d'invention:

60º La cession enregistrée au secrétariat général de la préfecture du département de la Seine, le 15 novembre 1899, faite suivant acte en date du 14 octobre 1899, à la Société Française du Cinéorama, dont le siège est à Paris, rue de la Paix, nº 25, par le sieur Grimoin-Sanson, du brevet d'invention de quinze ans qu'il a pris, le 15 novembre 1897, pour un nouvel appareil permettant de photographier et de projeter sur un écran circulaire des vues aimées panoramiques en couleur par le Cinécosmorama-Sanson.
61º La cession enregistrée au secrétariat général de la préfecture du département de la Seine, le 15 novembre 1899, faite suivant acte en date du 14 octobre 1899, à la Société Française du Cinéorama, dont le siège est à Paris, rue de la Paix, nº 25, par le sieur Grimoin-Sanson, du brevet d'invention de quinze ans qu'il a pris, le 14 janvier 1899, pour cinécosmorama ou panorama à vues animées.


Bulletin des lois de la République française, XIIe série, nº 2287, Paris, 1er juillet 1901, p. 724.

À partir d'octobre 1899, Raoul Grimoin va effectuer un voyage en Europe et en Afrique du Nord afin de tourner un certain nombre de vues destinées à l'Exposition Universelle. Il se rend ainsi d'abord à Bruxelles comme l'évoque la presse belge :

A TRAVERS LA VILLE
La Grand'Place de Bruxelles à l'Exposition de 1900 :
Le croirait-on ? C'est notre merveilleuse Grand'Place qui va fournir son premier élément à un des clous de la prochaine World's Fair parisienne.
Une des inventions les plus saisissantes dont l'Exposition de 1900 doit offrir la primeur est le cinéorama de M. Grimoin-Sanson.
[...]
Et comme nous le disions plus haut, c'est Bruxelles qui va fournir le premier sujet de ce cinéorama. L'inventeur, M. Grimoin-Sanson, qui va faire le tour de l'Europe pour recueillir les "tranches de vie" qu'il offrira l'an prochain aux visiteurs de l'Exposition, va commencer par notre Grand'-Place, ses archaïques sapins, son public de marchands et de passants, dont il prendra la vue animée demain ou après demain, avec l'assentiment de M. Buls et avec l'aide de ses conseils.


Le Petit Bleu du matin, Bruxelles, jeudi 5 octobre 1899, p. 1.

Le témoignage de Raoul Grimoin-Sanson semble indiquer que le tournage a eu lieu le dimanche 8 octobre :

Je donnai toutes les instructions et me rendis pour commencer à Bruxelles, où je m'installai au centre de la Grande Place. C'était un dimanche matin, le jour du marché aux pigeons, toujours si pittoresque. Le seul inconvénient grave qui surgit fut la curiosité de la foule. Le public se demandait ce que signifiait cette tour surmontée de tant d'appareils et je courais le risque de n'enregistrer au premier plan de mon films que dese visages à bouche ouverte. Un service d'ordre bien organisé para à cette difficulté inattendue et la bande obtenue fut magnifique.


GRIMOIN, 1926: 98. 

Le voyage se poursuit à Barcelone où il va filmer une course de taureaux.

1899 02
"Arènes de Barcelone.-Les appareils enregistrant les courses de taureaux."
GRIMOIN, 1926: 99.

L'étape britannique va être entravée par un incident d'ordre diplomatique. La publication d'une caricature de la reine Victoria dans la revue humoristique Le Rire (nº 257, 7 octobre 1899) complique le projet de Raoul Grimoin. Il se rend ensuite en Tunisie afin de tourner une vue de fantasia. Finalement dans les derniers jours du mois d'avril, Raoul Grimoin, accompagné de cinq collaborateurs, effectue une ascension à bord du Ballon Cinéorama dans le but de cinématographier le panorama de Paris :

L'ascension du Ballon Cinéorama
La Société française du Cinéorama a offert hier gratuitement au public, dans le Jardin des Tuileries, le spectacle palpitant d'une ascension libre du "Ballon Cinéorama." Le but scientifique de cette ascension faite par le savant ingénieur-constructeur Raoul Grimoin-Sanson, assisté de cinq personnes dans sa traversée, était de cinématographier, grâce à dix appareils conjugués, le panorama vivant de Paris et de l'Exposition.
A cinq heures un quart, le ballon du "Cinéorama" s'élevait hier dans les airs et M. Raoul Grimoin-Sanson n'a mis pied à terre que lorsqu'il a été en possession des projections innombrables qui vont lui fournir les éléments du voyage en ballon (sans quitter la terre) qui sera réalisé à partie du 1er mai au "Cinéorama du Champ-de-Mars". Ajoutons que les aéronautes sont descendus le plus heureusement du monde à Arpajon, vers sept heures, devant une foule qu'on peut évaluer à 15,000 personnes.
George de Tully.


L'Intransigeant, Paris, 26 avril 1900, p. 2.

grimoin_raoul_1900_04_24_b.jpg grimoin raoul 1900 04 24
"Ascension du ballon Cinéorama du terre-plein des Tuileries. (Mardi 24 avril 1900, après-midi).
On remarque, au-dessus de nacelle, la plate-forme sur laquelle sont disposés en étoile les 10 appareils de prise de vues."
(Coll. Gianati)
Reproduit dans : MEUSY, 1991: 3.

Raoul Grimoin va confier ses bandes cinématographiques à Mme Thuillier qui se charge de les colorier :

Enfin — enfin ! — tandis que les mécaniciens achevaient l'installation des projecteurs, je développai les dernières bandes. Une artiste de grand talent, Mme Thuillier, s'était chargée de les colorier, et ce n'était pas une mince besogne. Chaque film comprenait en effet dix bobines, sur lesquelles s'enroulaient cent vingt mètres de vues !


GRIMOIN, 1926: 125.

Les journaux et les revues de l’époque ainsi que les publications qui traitent directement de l’Exposition universelle évoquent le nom du Cinéorama avant et après l’inauguration. Les descriptions sont très précises et elle donnent une vision assez complète du Cinéorama et de son fonctionnement :

Le Cinéorama. - Les panoramas ne feront pas défaut à l'Exposition de 1900. On pourra s'en donner à cœur joie de visions exotiques et lointaines !
Mais quel que soit leur nombre, il y a une telle diversité parmi les genres proposés à l'admiration du public, les cadres sont si différents et le spectacle est si varié que chaque installation est assurée d'un réel succès.
La bâtisse ronde qui abrite le Ballon Cinéorama est fort simple, extérieurement. L'intérieur renferme des merveilles.
Le Cinéorama, invention de M. Raoul Grimoin-Sanson, ingénieur, produira parmi les anciens panoramas inanimés, la même révolution que le cinématographe apporta dans l'art de la photographie.
On accède à l'intérieur de l'édifice par une vaste entrée où prennent naissance quatre escaliers distincts. Ils conduisent à l'immense salle occupant la presque totalité de la construction, dont la partie centrale contient deux terrasses superposées pouvant contenir chacune deux cents personnes environ.
La terrasse supérieure réservée aux places de première classe, représente très exactement la nacelle d'un immense ballon avec tous ses agrès. Le ballon, lui-même, forme la voûte du Cinéorama et la disposition des cordages qui ont l'air de soutenir la terrasse complètent parfaitement l'illusion.
La terrasse inférieure est affectée aux places de deuxième classe.
Ainsi placés, les visiteurs assistent aux projections animées du nouvel appareil dénommé par M. Grimoin-Sanson, le Cinécosmorama ou, par abréviation, cinéorama, autrement dit : Panorama vivant.
Tour le monde se rappelle la profonde impression provoquée par les premières expériences cinématographiques qui permettaient de saisir et de ressusciter dans leur réalité même les mouvements de la vie. Cette curieuse invention était bien imparfaite encore à cause de sa brièveté, de la confusion produite parfois par l’unité de la coloration, et, surtout, à cause du tremblement si fatigant pour la vue, qui brouillait abominablement les détails.

[…] Aussi rapidement que par la pensée, il se trouve à Saint-Pétersbourg, sur la merveilleuse Perspective Newsky, et, quelques instants après, à Constantinople, sur le pont de Galata, coudoyé, pour ainsi dire, par la foule bigarrée et pittoresque qui en encombre les abords.
Des rives embaumées du Bosphore, le voilà soudain transporté en plein carnaval de Nice ; puis, parmi les élégances de bon ton du Prater de Vienne ; enfin, au milieu des palpitantes émotions d’une course de taureaux à Madrid : les brunes Espagnoles jettent dans l’arène leurs éventails, les fleurs de grenadier de leurs coiffures ; la foule exaspérée s’agite et l’illusion donnée est telle, elle enveloppe si bien le spectateur qu’il est entraîné à s’associer à la multitude turbulente, et, pour peu que quelques gouttes de sang méridional coulent dans ses veines, à crier : « bravo, toro ! »
Comment ce merveilleux résultat est-il obtenu ?
Bien qu’ingénieux et nécessitant des appareils d’une précision mathématique, le dispositif est, en somme, assez simple. Il se compose d’une série de cinématographes d’un type nouveau, réunis entre eux et actionnés par une roue unique, qui, grâce à des engrenages très précis, leur imprime un mouvement d’une unité parfaite.
Les images déroulées dans les dix appareils placés au centre, entre les deux plates-formes, sont projetées sur la surface du panorama, dont la distance est calculée de telle sorte que les personnages du premier plan aient une grandeur naturelle.
Accotée au panorama de « l’Europe à vol d’oiseau », s’élève la reconstitution d’une vieille maison strasbourgeoise, où l’on retrouve une exacte peinture des curieuses mœurs alsaciennes.
Un mot, en terminant, sur l’inventeur de cet ingénieux Cinéorama. M. Grimoin-Sanson a déjà inventé un fort curieux procédé instantané de gravure : c’est le procédé olographotypique, aujourd’hui employé par tous les quotidiens illustrés et qui permet d’imprimer en une heure et quart tout actualité dessinée sur les « plaques Sanson ».
Nos lecteurs de Paris ont pu s’en rendre compte dernièrement, le jour de l’incendie du Théâtre-Français. L’édifice brûlait encore, les pompiers s’agitaient sur les toits parmi les tourbillons de fumée, et l’on venait de retirer à peine le cadavre de la charmante et regrettée mademoiselle Henriot, que, déjà, dans la foule massée aux abords du sinistre, des camelots circulaient qui vendaient les feuilles illustrées du soir donnant les gravures de l’incendie.
M. Grimoin-Sanson a d’autres découvertes à son actif. Son Téléphote fit grand bruit dans le monde scientifique et son Biographe en couleur révolutionna tout ce qui avait été fait en matière de projections.
Enfin, sa dernière invention, dont nous venons d’entretenir nos lecteurs, sera, sans aucun doute, l’une des plus puissantes attractions de l’Exposition.


L. de Quellern, op. cit., [1900], p. 309-312.

grimoin raoul 1900 cineorama affiche
Louis Galice. La Grande Attraction Nouvelle. Ballon Cinéorama. 1900.
Source: Musée Carnavalet, Histoire de Paris.

Et pourtant, le Cinéorama va être un échec cuisant pour Raoul Grimoin-Sanson. Voici la version qu'il en donne dans ses mémoires :

Et le grand jour, si patiemment attendu, arriva. Dès l’ouverture des portes, la foule ne cessa de remplir la nacelle… […] Le succès était assuré et l’on parlait du cinéorama bien davantage que de la Tour Eiffel ou de la grande roue. La presse ne tarit pas d’éloges et il fallut organiser un service d’ordre pour parer à la cohue qui se produisait au début de chaque séance.
… ET LE DÉSASTRE !
Mais ce qui devait arriver arriva. Le bassin de béton armé, malgré les ventilateurs, ne permettait pas le refroidissement indispensable. Les spectateurs se trouvaient fortement incommodés par la chaleur, et la chambre de projection se révéla intenable: le thermomètre y indiquait quarante-six degrés ! Les bandes pelliculaires se tordaient, et on les entendait se craqueler. Une combustion spontanée pouvait se produire à chaque instant. A la quatrième représentation, un ouvrier qui surveillait l’embobinage fut pris de syncope, tomba, et se fit couper deux doigts par une pale du ventilateur. La préfecture de police ouvrit une information et ordonna la fermeture immédiate du cinéorama… Le restaurant Kammerzell fut maintenu, mais la valeur du fonds baissa instantanément, car c’est le cinéorama qui devait attirer la foule. Ce grand cirque désert retentissait comme un tombeau, - le tombeau de mes plus grands efforts, le tombeau de tout ce que je possédais.


Raoul Grimoin-Sanson, Le Film de ma vie, Paris, Editions Henry de Parville, 1926.

grimoin raoul 1900 restaurant du cineorama
"Restaurant du Cineorama (Champ-de-Mars)"
Brasserie Kammersell

L. de Quellern. L'exposition de 1900 par l'image, Paris, S. Schawarz éd., 1900, p. 1025.

Lors de la vente, en janvier 1901, du Cinéorama, il est dit que l'installation a fonctionné à peine quelques jours:

Les vestiges de l'Exposition
[...]
Samedi c’était l’installation complète du Cinéorama qui était ainsi vendue aux enchères publiques à l’hôtel de la rue Drouot. Cette attraction, qui, faute de ressources suffisantes, dut fermer ses portes au public quelques jours après leur ouverture, était située au Champ de Mars, dans le local de la brasserie Kammerzel. Le visiteur voyait s’y dérouler le panorama diminué des grandes villes du monde dont les innombrables perspectives avaient été prises en ballon et qui, se déroulant devant les spectateurs, devait leur donner l’illusion d’une ascension au-dessus des principales capitales.


Le Progrès de la Côte-d'Or, Dijon, 7 janvier 1901, p. 1.

Selon certaines versions, il semble même que le Cinéorama n'ait jamais ouvert ses portes comme on peut le lire en janvier 1901 dans un article que le journal Le Soleil consacre aussi à la vente de l'installation :

ÉCHOS DE L'EXPOSITION
La vente du Cinéorama
Tous les jours il disparaît, à l'Exposition, sous la pioche des démolisseurs, des bâtiments de toutes sortes, palais et maisons qui virent défiler pendant la grande foire de 1900, plusieurs millions de visiteurs ; et bientôt tout l'emplacement réservé à ces constructions si pittoresques et parfois si bizarres, redeviendra ce qu'il était auparavant.
Pour le moment, ce sont les commissaires priseurs de l'Hôtel Drouot qui se chargent de disperser aux feux des enchères, le matériel de certains palais, qui furent spécialement affectés aux attractions, même celles dont le public ne constata la présence que sur les affiches. Dans ce cas, se trouve le Cinéorama. Ce panorama qui coûta plusieurs centaines de mille francs pour son installation, a été vendu hier, à l'hôtel des Ventes pour une somme dérisoire, à peine quelques milliers de francs.
Cette attraction, qui devait faire courir tous les Visiteurs de l'Exposition, ne devait pas ouvrir ses portes pendant celle-ci. Et faute de ressources, le public fut ainsi privé d’un spectacle qui, non seulement avait le mérite d'être neuf, mais fort curieux.
Le pavillon du Cinéorama, installé dans le local de la brasserie Kammerzel, était voisin de celui du Maréorama, lequel fit florès. Au milieu d'un vaste cirque, dont la toiture était cachée par la moitié d’un ballon véritable, au-dessous duquel se trouvait une nacelle avec tous ses agrès, pouvant contenir une centaine de voyageurs. Au-dessus de la nacelle, se trouvaient installés dix appareils cinématographiques, formant entre-eux une circonférence.
Le voyageur qui avait ainsi pris place dans cette nacelle, voyait s'y dérouler le panorama diminué des grandes villes du monde, dont les innombrables perspectives avaient été prises avec un véritable ballon, et qui, en se déroulant devant les spectateurs, devant leur donner l'illusion complète d’une véritable ascension. L’idée était originale, et nous nous souvenons du jour où nous fûmes conviés par le comité de direction, à une de ces ascensions, qui eurent lieu au Jardin des Tuileries, en face le pavillon de l’Orangerie. Tout avait marché à souhait ; les appareils enregistreurs ayant très bien fonctionné ; nous avions l’espoir de revivre un jour, même en illusion, dans le local du Cinéorama, tout ce qu’avait de charmant et d’imprévu cette ascension opérée en plein Paris. Malheureusement, il n’en a rien été, et, faute de subsides, le Cinéorama resta portes closes ; et ses appareils de précision ont été dispersés parmi les cinquante personnes qui se trouvaient à l’hôtel des Ventes.


Le Soleil, Paris, dimanche 6 janvier 1901, p. 3.

Qu'il y ait eu quelques essais ou pas, toujours est-il que le Cinéorama, idée brillante, disparaît vite de la presse et les entrefilets qui continuent à l'annoncer dans les semaines qui suivent l'inauguration de l'Exposition Universelle ne sont, de fait, que des effets de rémanence d'espaces pré-achetés. Tout cela finit pas le prévisible dépôt de bilan de la Société Française du Cinéorama et la liquidation est prononcée le 18 août 1900 :

Mais cette exploitation n’a jamais pu être commencée par suite de diverses défectuosités dans l’exécution soit de la salle, soit des appareils cinématographiques et la Société a dû déposer le 18 août dernier son bilan qui présente la situation active suivante.


Archives de Paris, 25/64/1 article 223, dossier du greffe nº 5934 (liquidation judiciaire nº 322).
[reproduit dans MEUSY, 1991: 13-15.]

C'est en janvier 1901 que le Cinéorama est vendu aux enchères chez Drouot avec le piètre résultat qu'indique la presse :

ÉCHOS DE L'EXPOSITION
La vente du Cinéorama
Tous les jours il disparaît, à l'Exposition, sous la pioche des démolisseurs, des bâtiments de toutes sortes, palais et maisons qui virent défiler pendant la grande foire de 1900, plusieurs millions de visiteurs ; et bientôt tout l'emplacement réservé à ces constructions si pittoresques et parfois si bizarres, redeviendra ce qu'il était auparavant.
[...] ses appareils de précision ont été dispersés parmi les cinquante personnes qui se trouvaient à l’hôtel des Ventes.
L’officier ministériel n’ayant pu trouver acquéreur pour l'ensemble du projet, au prix de 15,000 francs, il fut forcé de procéder à la vente en détail, qui donna des sommes dérisoires. Onze cinématographes furent adjugés à des prix variant entre 57 et 78 francs.
Deux autres, qui servirent d'appareils de démonstration, furent vendus 35 francs.
Enfin, un lot de cuvettes servant pour les virages, atteint péniblement la somme insignifiante de 22 francs.
Et ainsi que nous le disons plus haut, ce panorama, dont l'installation avait coûté si cher, n'avait produit à la vente que quelques milliers de francs.
Certes, les actionnaires du Cinéorama, n'en ont pas eu pour leur argent- — G. P.


Le Soleil, Paris, dimanche 6 janvier 1901, p. 3.

Et après (1902-1941)

Après l'échec du Cinérorama, Raoul Grimoin va continuer à déposer des brevets, en particulier, sur l'application du liège pour les courroies de transmission "Grimson" : "Liège transformé moléculairement Application aux tissus et étoffes de liège transformé moléculairement et réduit en poudre et ses applications" (FR339633 du 14 juin 1904). Il exploite un procédé d'imperméabilisation des tissus au moyen de poudre de liège : "Application aux tissus et étoffes de liège transformé moléculairement et réduit en poudre" (FR345298 du 26 novembre 1904). Ses inventions vont lui permettre de vivre avec une certaine aisance pendant de nombreuses années. Il fait ainsi l'acquisition du château d'Oissel (c. 1917). Ce n'est qu'au début des années 1920 que Raoul Grimoin va revenir vers le cinématographe en reprenant la question du synchronisme du mouvement et de la voix. Il dépose ainsi un premier brevet pour "Perfectionnements apportés aux films cinématographiques pour réaliser le synchronisme du déroulement d'un film avec une ou plusieurs voix humaines ou instruments de musique" (FR516734 du 25 avril 1921), puis un second "Dispositif permettant de réaliser le synchronisme du geste et du son dans les projections cinématographiques" (FR535216 du 11 avril 1922). Il réalise alors un film en utilisant ses inventions : Le Comte de Griolet (1924).

1924 01
"On distingue, au bas de la scène du Comte de Griolet, la baguette qui dicte la mesure aux chanteurs."
GRIMOIN, 1926: 163.

L'idée de créer un musée de cinéma est déjà à l'œuvre en 1922. À l'occasion de la séance du 19 mai 1922 de la Chambre Syndicale Française de la Cinématographie et des Industries qui s'y rattachent, un courrier de Raoul Grimoin est lu par Jules Demaria. L'inventeur offre de donner :

1º Le mécanisme d'un Kinétoscope d'Edison, une vue pour Kénitoscope (neuve) et encore dans son emballage d'origine;
2º Un appareil Grimoin-Sanson pour la prise et la projections de vues animées, modèle 1895;
3º Sa machine à imprimer les positifs (modèle 1895);
4º Un appareil à projeter, modèle 1896, médaille d'or de l'exposition de Rouen 1896, où il fonctionnait en permanence pour le public. Brevet Nº 254515 du 5 mars 1896 pour : Nouvel appareil appelé le Phototaghygraphe Sanson;
5º Le brevet Nº 261244 du 13 novembre 1896 pou projecteur multiplex Sanson;
6º Le Cineorama, brevet Nº 272517 du 25 novembre 1897 pour : Nouvel appareil permettant de photographier et de projeter sur un écran circulaire des vues panoramiques pour le Cinécosmorama Sanson. Un appareil qui figura à l'exposition de Paris 1900, composé de 10 appareils à prendre les vues panoramiques synchronisées;
7º La machine à perforer les bandes du Cinéorama, mesurant 70 mm. de largeur. Le brevet Nº 284955 du 14 janvier 1899 pour pariomama [sic] à vues animées;
8º Brevet Nº 516734 du 9 juin 1920 pour : Perfectionnements apportés aux films cinématographiques pour réaliser le synchronisme au déroulement d'un film avec une ou plusieurs voix humaines ou instruments de musique;
9º Le brevet Nº 535216 du 26 octobre 1920 pour : Dispositif permettant de réaliser le synchronisme du geste et du son dans les projections cinématographiques;
10º Différentes vues datant de 1895 et 1896, etc...
Le Président fait remarquer qu'il a déjà reçu un grand nombre d'offres de dons pour le Musée, notamment en appareils, brevets, dispositifs divers et affiches illustrées.
Il serait très heureux de voir les personnes qui possèdent des documents relatifs à l'histoire du cinématographe, afin de lui en faire la déclaration.


Ciné-journal, 16e année, nº 667, 27 mai 1922, p. 10.

Après avoir organisé une exposition sur le cinéma au Musée Galliera, il prend la direction, en 1926, du musée du cinéma installé dans l'École des Arts et Métiers. Cette même année, il est fait chevalier de la légion d'honneur en 1926. En 1927, ressurgit la polémique sur l'invention de la Croix de Malte, comme nous l'avons évoqué plus haut. Maurice Noverre, sans mesure et avec peu de rigueur, va prendre fait et cause pour Raoul Grimoin, mais ses propos doivent évidemment être nuancés.

Il décède en 1941.

Sources

GRIMOIN-SANSON Raoul, Le Film de ma vie, Paris, Les Éditions Henry-Parville, 1926.

HUZAR François, "Le Comte de Griolet de Raoul Grimoin-Sanson (1920-1924) et l'opéra filmé synchronique au temps du muet", 1895, nº 90, 2020, p. 50-61.

MEUSY Jean-Jacques, "L'Énigme du Cinéorama de l'Exposition Universelle de 1900 (14 avril-12 novembre 1900), Archives 37, janvier 1991, 16 p.

NOVERRE Maurice, "La Vérité sur l'invention de la projection chronophotographique", Le Nouvel Art cinématographique, nº1 (2e série), 15 novembre 1928.

SANCHEZ Marie, Raoul Grimoin-Sanson 1860-1941 1860-1941, 7 p. [Archives municipales d’Elbeuf-sur-Seine.] 

3

1896

En août 1896, Raoul Grimoin présente à Barcelone des vues cinématographiques dont on ne sait s'il les a tournées ou si elles appartiennent à d'autres catalogues.

Éboulement d'un mur

La Place de la Madeleine

Les Nègres au bain

La danse des Flamandes

1899

L'usine de l'avenue de Châtillon

La Grand'Place de Bruxelles (8 octobre)

La Course de taureaux de Barcelone (octobre)

L'Embarquement des troupes britanniques pour l'Afrique ([novembre]).

1900

La Fantasia au soleil

Le Film de Paris (24 avril)

1920-1924

Le Comte de Griolet

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