ANGOULÊME

Jean-Claude SEGUIN

Angoulême, chef-lieu du département de la Charente (France), compte 36.690 habitants (1894).

1896

Le cinématographe Lumière de Julien Valluy (Place de l'Hôtel-de-Ville/Place du Marché-Neuf, 9 août-20 septembre 1896)

C'est l'opérateur de la maison Lumière, Julien Valluy, qui annonce les projections cinématographiques qui doivent avoir lieu à l'angle des places de l'Hôtel-de-Ville et du Marché-Neuf:

Des affiches placardées sur les murs de notre ville annoncent l'arrivée prochaine du Cinématographe (photographie animée) qui sera installé place de l'Hôtel-de-Ville dans l'ancien immeuble du Crédit lyonnais.


La Charente, Angoulême, lundi 3 août 1896, p. 2.

Quelques jours plus tard, un autre article offre davantage de précisions:

Le cinématographe
Nous avons annoncé la prochaine arrivée du cinématographe de MM. Lumière, c'est un appareil merveilleux qui donne l'agréable surprise et l'illusion complète des scènes prises sur le vif où les personnages de grandeurs naturelles sont vivants, s'agitent et se meuvent exactement comme dans la réalité.
Nous apprenons aujourd'hui que les projections auront lieu dans l'ancien local du Crédit Lyonnais place de l'Hôtel de Ville, à partir du samedi soir, 8 courant, et les séances se succéderont chaque jour toutes les demi-heures ; le matin de dix heures à midi; en matinée, de deux heures à six heures, et le soir, de huit heures à onze heures.
Le prix des places est fixé à 50 centimes pour les séances ordinaires et à 1 fr. pour les séances spéciales.


La Charente, Angoulême, vendredi 7 août 1896, p. 2.

L'inauguration a lieu le 9 août et la presse publie un long compte rendu où figurent de nombreux titres de vues:

Le cinématographe
Les séances annoncées du cinématographe de MM. Auguste et Louis Lumière ont commencé hier soir dans l'ancien local du Crédit Lyonnais, à l'angle des places de l'Hôtel-de-Ville et du Marché-Neuf.
Le cinématographe de MM. Lumière est un ingénieux appareil qui permet non seulement d'enregistrer par la photographie toutes les scènes animées les plus variées, sans omettre aucun des mouvements qu'elles comportent, mais aussi de reproduire fidèlement, de grandeur naturelle, en les projetant sur un écran et les rendant ainsi visibles pour toute une assemblée de spectateurs.
L'appareil permet de reproduire des scènes d'une grande profondeur telles que des rues entières ou des places publiques avec tout leur mouvement de piétons, voitures, tramways, etc., et l'illusion du mouvement dans les épreuves agrandies est telle que les scènes projetées sont d'une réalité frappante.
La nombreuse assistance qui avait pris place hier soir devant l'écran - et au milieu de laquelle nous avons remarqué M. Viguié, préfet de la Charente - a été émerveillée des différentes scènes qui ont passé sous ses yeux. Citons entre autres une manoeuvre de cyclistes militaires à Madrid; la garde descendante au palais royal ; une manoeuvre d'artillerie; une scène champêtre, mauvaises herbes; une danse dans la rue à Londres; la place des Cordeliers, à Lyon, avec toute sa grande animation, piétons, tramways, charrettes ; la démolition d'un mur ; la scène comique de l'arrosage que représentent les affiches posées sur nos murs ; une querelle enfantine, deux bébés dont les jeux de physionomie sont admirablement rendus ; enfin l'arrivée d'un train en gare, avec le mouvement des voyageurs arrivant et partant reproduit avec une merveilleuse fidélité.
Tout cela constitue un spectacle d'une attraction absolument inédite que tout le monde voudra aller voir.


La Charente, Angoulême, lundi 10 août 1896, p. 2.

Le succès est au rendez-vous:

Le cinématographe
Le cinématographe installé dans l'ancien local du Crédit Lyonnais, place de l'Hôtel-de-Ville, montre de nouvelles photogrpahies animées qui n'ont pas moins de succès que les précédentes.
Il y a eu foule durant toute la journée d'hier.


La Charente, Angoulême, dimanche 16 et lundi 17 août 1896, p. 1.

Afin d'attirer le public, la presse propose des bons de réduction pour les séances de cinématographie:

Le cinématographe.
Pour remercier la presse de son bon concours, la direction du cinématographe a décidé d'abaisser le prix des entrées à 0 fr. 50 c. au lieu de 1 fr. pour les personnes qui présenteront aujourd'hui jeudi le coupon ci-dessous :

angouleme 1896 08 21Ouverture de 2 heures à 6 heures et de 8 heures à 11 heures.
Nouveaux tableaux.


La Charente, Angoulême, vendredi 21 août 1896, p. 2.

Vers la fin de son séjour, le cinématographe Lumière baisse le prix de ses places:

À partir d'aujourd'hui le prix d'entrée du cinématographe, qui ne restera plus que quelques jours à Angoulême, est abaissé pour tout le monde à 50 c. Que les retardataires se hâtent pour profiter de cette faveur.


Le·Matin charentais, Angoulême, 29 août 1896. 

Le lendemain, la presse offre quelques nouveaux titres de vues animées:

Au cinématographe
Chaque soir, il y a foule empressée place de l'Hôtel-de-Ville, au spectacle vraiment merveilleux du cinématographe Lumière. On y passe un moment d'agréable surprise et d'illusion complète, devant des scènes prises sur le vif, où les personnages sont vivants, s'agitent, se meuvent, comme dans la réalité.
Les nuances les plus délicates sont observées, et rien n'échappe.
Chaque soir le spectacle comporte une série de scènes variées, toutes du plus haut intérêt : une rixe, une rue de Londres, bébé pêcheur, baignade en mer, séance d'escrime, les forgerons, concours hippique, etc.
C'est en un mot, vingt minutes d'un spectacle charmant dans toute l'acceptation du mot ; à noter aussi qu'on y reçoit toujours l'accueil le plus gracieux, le plus courtois.
Ajoutons enfin qu'à partir de ce jour le prïx d'entrée est fixé à 50 centimes pour tout le monde.


La Charente, Angoulême, dimanche 30 août 1896, p. 2.

Le Matin charentais va offrir un long article pour présenter le cinématographe d'un point de vue scientifique: 

Science et Art.
Angoulême a défilé presque tout entier, depuis 15 jours, dans l'ancien local du Crédit Lyonnais, pour admirer le Cinématographe de MM. Lumière et il n'est pas un visiteur qui ne soit revenu émerveillé - le mot n'est pas trop fort - de celle nouvelle et stupéfiante conquête de la science. Le Cinématographe, c'est la photographie animée, c'est la nature prise sur le vif et jetée sur un panneau de toile avec l'expression, le mouvement, la vie ; c'est pour ce que le phonographe est pour l'oreille et l'on se prend à rêver des émouvants effets que, dans un avenir prochain, l'on obtiendra de la combinaison de ces deux découvertes. Comment obtient-on les merveilleux résultats que tous, ou à peu près tous, nous avons été appelés à constater place de l'Hôtel-de-Ville, c'est ce que beaucoup de nos lecteurs se demandent, et, sans nous égarer en une dissertation scientifique pour laquelle nous déclinons toute compétence, nous allons essayer de leur expliquer. Le cinématographe imaginé par MM. Lumière, photographes à Lyon, est un appareil photographique et enregistreur à l'aide duquel on peut prendre en moyenne 900 images en une minute. La pose, pour chaque image, est de 1/50e de seconde ; le mouvement nécessaire à la succession des images est de 1/15e de seconde pour chaque pose : on voit la rapidité et la précision de l'instrument. Comment obtient-on ces deux qualités ? Mon Dieu, c'est l'éternelle histoire de l'oeuf de Christophe Colomb : c'est bien simple, mais il fallait le trouver et le réaliser, deux conditions qui résument toute la science des inventeurs. Une pellicule sensible, affectant la forme d'une bande de 3 cm. de long, est roulée sur un tambour placé dans l'appareil photographique. Cette bande est percée de chaque côt.é de trous à intervalles rigoureusement égaux. Elle est mise en marche par une manivelle mue à la main. Quand elle se déroule, elle passe devant une ouverture et chaque portion de bande comprise entre les trous équidistants percés sur les côtés s'arrête devant cette ouverture durant 1/50e de seconde. C'est pendant ce temps que se prend la vue. Il en résulte une série de vues successives prises à des intervalles égaux et quand l'opération est terminée, une série d'épreuves "négatives" qu'on transforme en épreuves "positives" sur une pellicule de même largeur que celle qui a servi à photogrnphier la nature. il ne reste plus qu'à rouler celle seconde pellicule sur le tambour où était roulée la première, à remplacer la chambre noire de l'appareil photographique par une lanterne à projections que l'on dispose à une distance voulue de l'écran qui est placé sous les yeux du spectateur et, grâce à la manivelle qui a servi à photographier, on projette avec la même régularité et la même vitesse sur l'écran les vues successives (soit 900 à la minute) que l'on a obtenues. Et le problème est résolu. Mais comment, nous diront peut-êlre quelques lecteurs, celle série de vues peut-être recomposer le mouvement ? C'est bien simple encore. Il a été constaté qu'entre les clichés successifs du tableau qui représente le tramway de ''La place des Cordeliers à Lyon", par exemple, le déplacement est d'1/50c de cm. à peine. On conçoit par suite que la succession des clichés qui viennent impressionner notre rétine soit si rapide que les images se présentent à nous sans solution de continuité. Considérez un sujet simple, la "Querelle des deux bébés" ou "La démolilion d'un mur", par exemple, et prévenus comme vous l'êtes maintenant, vous découvrirez des finesses de détails d'un effet saisissant. Passez ensuite à une scène plus complexe, "La parade de cavalerie" où "L'arrivée du train", et vous serez frnppés d'une subtilité d'effets, qui échappe à toute compréhension. Cette dernière reproduction surtout est renversante et on peut dire qu'elle résume toutes les autres. Cette machine qui s'avance en laissant échapper ses derniers jets de vapeur, puis qui s'arrête ; la station un instant calme et vide qui s'anime et se remplit de voyageurs sortant des salles d'attente ou des wagons dont les portières s'ouvrent avec précipitation, ces employés qui courent le long du train, cet homme qui se fouille pour chercher son billet, c'est d'une intensité d'impressions telle que, n'était le silence, on se croirait transporté pour une minute dans une gare. Tous ceux qui ont vu en conviendront, tous ceux qui n'ont pas vu voudront voir ; sincèrement, et en dehors de tout esprit de réclame, c'est extrêmement intéressant. Et maintenant, une dernière recommandation. Un ami que nous engagions à aller voir le Cinématogrnphc Lumière nous disait : " Oh ! j'ai vu à Paris le Kinétoscope d'Edison ; c'est la même chose !" Erreur! Dans le Kinétoscope d'Edison, le mouvement est bien enregistré, mais il faut pour s'en rendre compte regarder dans un trou, où défilent de petites images. Avec le Cinématographe Lumière, c'est sur un écran que l'image agrandie est projetée et toute une salle, commodément assise, peut la voir en même temps. Il n'y a aucune comparaison comme impression. On nous assure qu'avant longtemps MM. Lumière produiront la "Cinématographie en couleur". Cette fois ce sera presque inquiétant La légende de Prométhée ravissant une étincelle du feu céleste sera réalisée ... moins le vautour.
A. M.


Le Matin charentais, Angoulême, 4 septembre 1896.

Le cinématographe fonctionne toujours à la mi-septembre:

Au cinématographe
Voulez-vous passer 20 minutes délicieuses ? Allez ce soir et les jours suivants au cinématogrnphe, vous y verrez défiler devant vos yeux éblouis, les cortèges des fêtes du sacre du tsar, à Moscou, ainsi qu'une belle charge de cuirassiers français en manoeuvre. Rien de plus émouvant que cette charge où l'on croit sentir trembler le sol ; au commandement de halte, on voit très bien l'officier placé près du public sourire el parler à ses hommes.


La Charente, Angoulême, dimanche 13 septembre 1896, p.  2.

Dans un nouvel article, de nouveaux titres sont évoqués:

Au cinématographe
Soirée des plus sélect samedi soir au cinématographe, qui est devenu non seulement le rendez-vous du tout Angoulême, mais aussi du monde militaire international. Nous avons assisté à une séance spécialement offerte par MM. Lumière aux corps des officiers étrangers représentant toutes les puissances aux grandes manoeuvres, ainsi qu'à MM. les officiers français délégués auprès d'eux.
Le programme composé de scènes militaires de diverses puissances, était on ne peut plus attrayant et tout à fait de circonstances.
Très applaudis les tableaux du sacre du tsar à Moscou, ainsi que le tir de l'artillerie et de la dame [sic] espagnole au bivouac. Après les défilés des fêtes du millénaire à Budapest, l'armée française ferma la marche par le défilé d'un régiment d'infanterie aux manoeuvres; les dragons traversant la Saône à la nage avec leurs chevaux et enfin une belle charge de cuirassiers.
Les applaudissements n'ont pas manqué et tout le monde en sortant ne tarissait pas d'éloges sur celle invention bien française qui, en quelques mois, a fait le tour de l'Europe.


La Charente, Angoulême, lundi 14 et 15 septembre 1896, p. 3.

Les vues sont régulièrement renouvelées:

Au cinématographe
On annonce au cinématographe les dernières représentations composées de tableaux que la direction vient de recevoir et qui sont tout à fait inédits. Le "régiment d'infanterie allant aux grandes manoeuvres" est absolument remarquable.
Les représentations se succèdent de demi-heure en demi-heure, de deux à six heures et de huit à onze heures du soir.
L'invention extrêmement curieuse de MM. Lumière est l'objet des attentions les plus hautes. M. le Président de la République, après l'avoir fait installer chez lui, a adressé à MM. Lumière ses plus vives félicitations.
La semaine dernière, MM. les officiers d'état-major et tous les officiers étrangers, à Angoulême, ont avoué n'avoir rien vu d'aussi merveilleux. Hier, M. le général de Boisdeffre, chef d'état-major général et M. l'inspecteur d'armée Coiffé n'ont pas voulu partir d'Angoulême sans voir cette attraction scientifique; ils ont été tellement surpris qu'ils ont fait bisser tous les tableaux et remercier chaudement la direction.
Angoumoisins hâtez-vous !, il n'y aura plus que quelques représentations.


La Charente, Angoulême, dimanche 20 septembre 1896, p. 3.

Le lendemain, le responsable du cinématographe annonce son départ prochain:

Le cinématographe
M. le directeur du cinématographe nous prie d'informer le public que, vu son départ prochain, le cinématographe sera en déplacement à Ruelle lundi et mardi, et que les séances recommenceront mercredi à deux heures de l'après-midi, dans le local habituel, place de l'Hôtel-de-Ville.


La Charente, Angoulême, lundi 21 septembre 1896, p. 2.

Julien Valluy quitte Angoulême pour un bref séjour à Ruelle.

Le cinématographe Lumière de Julien Valluy (Place de l'Hôtel-de-Ville/Place du Marché-Neuf, 24 septembre-19 octobre 1896)

Après trois jours d'absence, le cinématographe Lumière de Julien Valluy reprend ses projections dans le même local, place de l'Hôtel-de-Ville:

Le cinématographe
La foule qui se pressait ces deux jours au cinématographe, à Ruelle, a obligé la direction à retarder de 24 heures sa rentrée à Angoulême.
Les séances recommenceront à partir d'aujourd'hui jeudi, à deux heures, dans le local de la place de l'Hôtel-de-Ville.
Plus que quelques jours. Angoumoisins, hâter-vous !


La Charente, Angoulême, vendredi 25 septembre 1896, p. 2.

De nouvelles vues sont présentées:

Au cinématographe
A voir actuellement au cinématographe installé dans l'ancien local du Crédit lyonnais, place de l'Hôtel-de-Ville, les scènes du couronnement de l'empereur de Russie notamment qui méritent, au moment du voyage du voyage du souverain en France, une attention particulière; tout le monde ne pourra pas aller saluer le tsar et la tsarine à Paris, mais tout le monde peut aller les voir passer sur la toile du cinématographe.
A signaler aussi un merveilleux tableau représentant le passage de la Saône à la nage par des dragons pilotant leur monture à travers les flots. C'est saisissant.


La Charente, Angoulême, lundi 28 septembre 1896, p. 2.

Des projections sont toujours organisées au début du mois d'octobre:

Au cinématographe
Le cinématographe de MM. Lumière, installé dans l'ancien local du Crédit lyonnais, place de l'Hôtel-de-Ville, va quitter notre ville; nous pouvons même annoncer que son départ est fixé à demain dimanche.
Nous insistons donc auprès de ceux de nos lecteurs qui n'auraient pas encore vu cette nouvelle et curieuse invention pour qu'ils se hâtent: ils seront émerveillés du spectacle de ces intéressantes photographies animées.


La Charente, Angoulême, dimanche 4 octobre 1896, p. 2.

Finalement, le départ est retardé de quelques jours:

Au cinématographe
A la demande de nombreuses personnes, le cinématographe de MM. Lumière, installé place de l'Hôtel de Ville, retarde son départ de trois ou quatre jours.
Le programme, à dater de ce jour, sera composé des douze meilleurs tableaux aimés du public.
Ces dernières séances seront merveilleuses. Avis aux retardataires.
Les enfants paieront demi-place, 25 c.


La Charente, Angoulême, lundi 5 octobre 1896, p. 2.

Le public des écoles a également droit à ses séances spéciales:

Au cinématographe
À l'occasion de la rentrée des écoles et pour permettre aux élèves de connaître la merveilleuse attraction scientifique qui est assurément appelée à prendre place dans leur programme d'instruction, le cinématographe de MM. Lumière sera ouvert toute la journée à partir d'aujourd'hui mercredi.
Séances toutes les demi-heures, de neuf heures du matin à onze heures; l'après-midi, de deux heures à six heures, et le soir, de huit heures à onze heures.


La Charente, Angoulême, jeudi 8 octobre 1896, p. 3.

Le dernier article est publié quelques jours plus tard:

Au cinématographe
Au cinématographe, place de l'Hôtel-de-Ville, les dernières séances à prix réduit, en faveur des élèves des écoles accompagnés en groupe, se continueront jusqu'à lundi soir, dix heures. Les séances ont lieu toutes les demi-heures: en matinée, de une à six heures, et le soir, de huit heures à dix heures.
Les personnes qui accompagneront dix élèves, au moins, auront leur entrée gratuite.
Tout le monde voudra vite bénéficier de cette faveur exceptionnelle.


La Charente, Angoulême, lundi 19 octobre 1896, p. 2.

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