Los desastres de la guerra

Goya, Desastres de la guerre : contexte historique et biographie

Jacques SOUBEYROUX

Contexte historique

Repères chronologiques

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Le premier problème à résoudre est la datation aussi précise que possible de la genèse et la création de l'oeuvre. Les Desastres de la guerra occupent une place à part dans l'oeuvre de Goya en raison de leur structure complexe due aux relations directes qu'ils entretiennent avec des événements historiques différents (la guerre de l'Indépendance, la famine de Madrid en 1811-1812 et la restauration de la monarchie absolue par Ferdinand VII) et en raison des conditions dans lesquelles ils ont été créés : le fait que la collection ait été entièrement dessinée et gravée dans la clandestinité et n'ait pas été publiée du vivant de leur auteur rend incertaines les dates de leur création. Si les historiens s'accordent à considérer que les trois planches (numéros 20M20, 22M22 et 27M27), les seules qui portent une date (1810), sont les premières à avoir été gravées, ils divergent sur la date finale de création de la collection. On a longtemps admis la chronologie longue (1810-1820) proposée par Pierre Gassier, reposant sur l'idée que la légende la planche 80, « ¿Si resucitará ? », renvoyait à la situation nouvelle créée par le soulèvement de Riego et sur le fait que Goya avait fait tirer trois exemplaires de la collection, dont un avait été remis en 1820 à son ami Ceán Bermúdez. L’étude des plaques de cuivre et celle du papier utilisé pour les premiers tirages (les épreuves d’artiste) inclinent à penser que la collection était achevée plus tôt, dès la fin de l’année 1815, date qui permet de prendre en compte la situation politique créée par le retour de Ferdinand VII qui est la cible de la satire des dernières gravures, d’autres « pronunciamientos » antérieurs à celui de Riego pouvant alors expliquer la légende de la planche 80. Il importe donc de bien maîtriser le contexte historique correspondant aux années 1808-1815 qui correspondent à la période de genèse et de production de l’œuvre.

Le contexte historique

La guerre de l'Indépendance

   Quand Goya fit relier les premiers exemplaires de son œuvre, il leur avait donné pour titre Fatales consecuencias de la sangrienta guerra en España contra Buonaparte y otros caprichos enfáticos, en 85 estampas inventadas, dibujadas y grabadas por el pintor original Francisco de Goya y Lucientes. On ne parlait pas alors de « guerra de la Independencia », mais de guerre contre Napoléon, comme le montre le titre de l'ouvrage publié en 1818, Historia de la Guerra de España contra Napoleón Bonaparte, escrita y publicada de orden de Su Majestad, attribué à Francisco Xavier de Cabanes. Ce n'est qu'après la mort de Ferdinand VII en 1833 qu'apparaît la première occurrence de l'expression « guerra de la Independencia », encore associée à « contra Napoleón Bonaparte » dans La historia política y militar de la guerra de la Independencia en España contra Napoleón Bonaparte de 1808 a 1814, de José Muñoz Maldonado (1833), mais il a fallu attendre 1860 pour que cette dénomination soit consolidée par la publication d'un ouvrage qui faisait autorité à l'époque, la Historia General de España de Modesto Lafuente, dont le tome XXIII était intitulé Guerra de la Independencia de España (cf Jean-Philippe Luis, 2011, p. 129-151).

La partie intitulée « Documents historiques» de l'espace Goya du site du GRIMH reproduit les principaux documents qui permettent de suivre la genèse de la guerre de l'Indépendance et son déroulement : en cliquant sur les titres en rouge entre parenthèses, vous accéderez directement aux documents.

Les antécédents

De l'histoire du XVIIIe siècle on retiendra deux faits qui expliquent les événements de mai 1808 :

  • L'alliance politique entre la France et l'Espagne découlant de l'arrivée d'un Bourbon sur le trône d'Espagne en 1700 et concrétisée par le Pacte de famille signé en 1762. Cette alliance ne fut remise en cause que par la guerre déclarée par l'Espagne à la Convention (23 mars 1793) à la suite de l'exécution de Louis XVI et terminée par la Paix de Bâle (Paz de Basilea), en juillet 1795, qui renouvelait l’alliance entre les deux pays.      En octobre 1807, l'Espagne avait signé avec la France le traité de Fontainebleau qui prévoyait l'invasion du Portugal, qui s'était allié à l'Angleterre et qui s'opposait au blocus continental décidé par Napoléon. Au printemps 1808 Charles IV pouvait donc justifier l'entrée en Espagne des troupes françaises et rassurer le peuple espagnol sur les intentions de « mi caro aliado el Emperador de los franceses » qui « atraviesa mi reino con ideas de paz y de amistad » (« Carlos IV "explica" a la nación la venida de las tropas francesas, marzo de 1808 »).
  • La crise de la monarchie espagnole : en 1792 Manuel Godoy, issu d'une famille de la petite noblesse d'Extrémadure, avait été nommé Secrétaire d’État. La signature du traité de Bâle lui avait valu le titre de « Prince de la Paix » et il jouissait des pleins pouvoirs comme favori du roi. Mais la grande noblesse de la Cour le haïssait et avait dressé contre lui le prince héritier Ferdinand. Lesoulèvement d'Aranjuez (« motín de Aranjuez »), le 17 mars 1808, précipita la crise du pouvoir : Godoy fut destitué et Charles IV obligé d'abdiquer en faveur de son fils Ferdinand (19 mars).

L'installation du pouvoir napoléonien

Mais Charles IV, affirmant qu'il avait été contraint d'abdiquer par la force, appela à l'aide son ami Napoléon (« Carta de Carlos IV a Napoleón sobre los sucesos de Aranjuez, marzo de 1808 »). « Su íntimo amigo y augusto aliado el Emperador de los franceses » lui répondit en l'invitant à le rejoindre à Bayonne (« Invitación de Napoleón a Carlos IV para que acuda a Bayona, abril de 1808 ») où il réunit toute la famille royale qui accepta de lui céder la couronne d'Espagne (voir les conditions de cette cession dans le texte du 5 mai 1808, « Tratado de cesión de la Corona de España, 5 de mayo de 1808 »). Ferdinand VII abdiqua à son tour (« Abdicación de Fernando VII », 6 de mayo) et Charles IV remit le pouvoir entre les mains de Napoléon (« Carlos IV cede la Corona española en favor de Napoleón, 8 de mayo de 1808 »). Joseph Bonaparte, frère aîné de l'empereur (1768-1844), qui occupait depuis 1806 le trône du royaume de Naples, fut nommé roi d'Espagne sous le nom de Joseph 1er (« Proclamación de José Bonaparte como rey de España, 6 de junio de 1808 »). Le 6 juillet fut publiée une nouvelle constitution appelée à régir la monarchie espagnole (cf R « Constitución de Bayona, 6 de julio de1808 ») qui fut complétée le 4 décembre par les décrets de Chamartín.

À son entrée en Espagne, le 12 juillet 1808, José 1°, que ses adversaires qualifiaient de « rey intruso », adressa au peuple espagnol une lettre dans laquelle il les appelait à l'unité et leur promettait la liberté civile et politique dans le respect de la religion et des institutions traditionnelles de la monarchie espagnole (« Carta del rey José al entrar en España, 12 de julio de 1808 »). Mais les décrets de Chamartín, publiés le 4 décembre 1808 par Napoléon, annonçaient des mesures beaucoup plus radicales qui en en finissaient de fait avec l'ancien Régime espagnol : ils abolissaient le féodalisme, supprimaient le Conseil de Castille, l'Inquisition et les douanes intérieures (« Los nuevos decretos de Napoleón en Chamartín, diciembre de 1808 »).

En dépit de l'hostilité qu'elle suscita de la part du peuple, la politique mise en œuvre par Joseph Bonaparte est jugée aujourd'hui positivement par les historiens qui disent parfois qu'il aurait pu être le meilleur roi que l'Espagne ait jamais eu. Antonio Piqueres résume sa politique par le binôme « Ilustración y modernidad » et il explique :

La política renovadora de José fue la manifestación más evidente de su ideología ilustrada. Los planes urbanísticos, el higienismo, el desarrollo de las ciencias, o la preocupación por implantar una educación general, gratuita y aconfesional, formaban parte de los ideales del Siglo de las Luces. Principios de la Ilustración como el racionalismo o el utilitarismo impregnan el pensamiento del rey y, en consecuencia, su modelo de acción.


A. Piqueres, 2011, p. 81.

Les réactions espagnoles

Avant même la cession de la couronne espagnole à Napoléon, le peuple madrilène, inquiet de voir toute la famille royale quitter la capitale, avait donné le signal de la révolte le 2 mai (voir le récit des événements dans « Carta de Joaquin Murat al emperador Napoleón sobre los sucesos acontecidos en la capital de España el 2 de mayo de 1808 » et l'ordre du jour publié par Murat, « 2 de mayo francés »). En dépit de l'appel au calme lancé le 4 mai par Charles IV (« Carlos IV, desde Bayona, por los sucesos del 2 de mayo en Madrid ») et de la proclamation de Murat à la population madrilène (« Proclama de Murat a los madrileños, 6 de mayo de 1808 »), la résistance s'organisait tandis que l'armée française envahissait le pays, sans jamais l'occuper entièrement.

Quel qu'ait été le retentissement du soulèvement populaire madrilène du 2 mai 1808, qui allait acquérir au cours des années suivantes une grande valeur symbolique, le véritable détonateur de la guerre fut l'annonce publiée par la Gaceta de Madrid le 20 mai de l'abdication de Ferdinand VII et de la cession de la couronne d'Espagne à Napoléon. A partir du 20 mai, les annonces officielles se multiplièrent dans tout le pays, comme en témoignent ladéclaration de guerre à la France par les Asturies (24 mai) et l'appel à la mobilisation (« llamada a filas ») en Andalousie (« Proclama de la Junta General del Principado de Asturias declarando la guerra a Francia 24 de mayo de 1808 » et « Bando llamando a filas de la Junta de Gobierno de Sevilla, 6 de junio de 1808 »).

Il faut retenir deux points essentiels qui caractérisent dès le début la réaction espagnole :

  • Le patriotisme souvent revendiqué est fortement teinté de xénophobie, comme l'analyse José Álvarez Junco :

… es importante subrayar que no es un patriotismo positivo, de exaltación de la propia identidad, sino que predomina el elemento negativo, anti-francés. Éste se exacerba por la indignación ante un ataque efectuado « a traición», ante una posible victoria gala        no por « la fuerza de las armas » -aceptable para la moral bélica tradicional- sino « por engaño, por la perfidia », gracias a unas tropas que habían entrado al país como aliadas para atacar Portugal…


(J. Álvarez Junco, 2007, p. 18.

Cette « perfidie » des Français est un des arguments utilisés dans toutes les proclamations de l'époque, qu'on retrouve par exemple dans le texte déjà cité de la déclaration de guerre des Asturies à la France,

  • Les Espagnols combattent pour leur Roi et pour la patrie : « como españoles es necesario que muramos por el Rey y la patria », comme le proclame le « bando del alcalde de Móstoles » (« El bando de Móstoles, 2 de mayo de 1808 ») qui dénonce aussi la « perfidia » des ennemis. Le 5 mai 1808, la veille du jour de son abdication, Ferdinand VII, se déclarant privé de liberté et dans l'impossibilité d'agir par lui-même, avait demandé au Conseil Royal, par l'intermédiaire de ses Secrétaires, que les Cortes soient convoquées pour prendre toutes les mesures nécessaires pour la défense du royaume (« Decretos de Fernando VII a la Junta de Gobierno y el Consejo del Reino, 5 de mayo de 1808 »).Cette situation de prisonnier fit de lui un symbole de « la inocencia perseguida por la desgracia y por la opresión », selon l'expression de l'écrivain et homme politique libéral Martínez de la Rosa. Pendant toute la durée de la guerre il devint « El Deseado », une espèce de héros mythifié qui reçut un accueil triomphal à son retour en 1814.

Au binôme Roi et Patrie il faut ajouter un troisième terme, également récurrent dans les discours de l'époque : la Religion. Si certains évêques prirent parfois des positions favorables aux envahisseurs français, comme Félix Torres Amat (« Carta Pastoral de Torres Amat, 3 de junio de 1808 »), la quasi totalité des discours de l'époque défendent la religion traditionnelle menacée par les hérétiques français et par l'Antéchrist, Napoléon. Le culte des saints locaux fut réactivé, que ce soit à Saragosse où la Vierge du Pilar joua un rôle important dans la défense de la ville assiégée ou dans les Asturies où, au moment de déclarer la guerre à la France, le Procureur Général, Álvaro Flórez Estrada, invoqua le Dieu des Armées et la Vierge de Covadonga. Quant à la Junta de Gobierno de Séville, après avoir évoqué la défense de la Patrie et du Roi, elle proclame : « Vamos a pelear en defensa de la Patria y de la Religión ». Jean-René Aymes (1986, p. 41-45) souligne la part prise par le clergé dans la résistance, que ce soit à travers l'influence qu'exercèrent sur le peuple les sermons et les célébrations patriotico-religieuses, ou que ce soit directement dans l'action où certains prêtres, comme Jerónimo Merino, alias « el cura Merino », prit la tête d'un des groupes les plus actifs de « guerrilleros ». On peut donc dire que cette trilogie Patrie-Roi-Religion marque le caractère essentiellement conservateur de la réaction espagnole contre l'envahisseur français.

Dans l'examen des réactions espagnoles face à l'invasion française, l'attitude de l'élite éclairée mérite une place à part. Ces intellectuels, pour qui la France des Lumières représentait le pays de la liberté, se virent du jour au lendemain obligés de choisir entre la défense de leur patrie envahie par une armée étrangère et la défense des idées pour lesquelles ils avaient lutté toute leur vie. On comprend que les réactions personnelles face à cette alternative déchirante aient pu être divergentes et que cette élite éclairée ait éclaté, les uns (Jovellanos, Floridablanca, Blanco White) choisissant le camp des « patriotes » alors que les autres (Cabarrús, Moratín, Meléndez Valdés) acceptaient de collaborer avec le régime « intrus », chacun s’efforçant de justifier une décision prise souvent après beaucoup d’hésitations, parfois même à contrecœur (« Tres ilustrados ante la invasión francesa: Cabarrús, Jovellanos y Blanco White », ainsi que « Invitación a las élites ilustradas españolas a colaborar con el Gobierno del Rey José y su constitución » et « Correspondencia de Jovellanos con el general Sebastiani »). Le problème se posa aussi pour Goya et je reviendrai sur ses choix dans la seconde partie de ce travail .

Des « Juntes » aux « Cortes » de Cadix

Au cours de l'été 1808 on assista à la multiplication des juntes locales destinées à administrer le pays dans les zones non occupées par les Français. La victoire de Bailén fit prendre conscience aux autorités de la nécessité de l’existence d’un pouvoir central, d’où le remplacement de ces juntes locales en septembre par une « Junta Central y Suprema », qui fut présidée à ses débuts par l'ancien secrétaire d’État de Charles III et Charles IV, le comte de Floridablanca (« Creación oficial de la Junta Central, 25 de septiembre de 1808 »). La principale tâche de cette Junte fut la convocation des Cortes qui avait été demandée par Ferdinand VII et qui fut lancée en mai 1809 (« Convocatoria de Cortes por la Junta Suprema »). Ces « Cortes generales y extraordinarias de la nación española » purent enfin se réunir le 24 septembre 1810 et affirmer solennellement (« Decreto de Constitución de Cortes de 24 de septiembre de 1810 ») :

Los diputados que componen este Congreso, y que representan la Nación española, se declaran legítimamente constituidos en Cortes generales y extraordinarias, y que reside en ellas la soberanía nacional.

Ces députés étaient majoritairement membres du clergé (97 ecclésiastiques) et des classes moyennes (60 avocats et 55 fonctionnaires publics) pour 37 militaires, 16 professeurs, 15 propriétaires, 9 marins, 8 nobles, 5 commerçants, 4 écrivains et 2 médecins. Les classes populaires (artisans, ouvriers, paysans) n'étaient pas représentées. Le comte de Toreno, qui fut le plus jeune député libéral de l’assemblée, évoque dans son  Historia del levantamiento guerra y revolución de España (1835-1837) le souvenir de la réunion inaugurale des Cortes ouverte par une messe célébrée par l’Archevêque de Tolède, le cardinal don Luis de Borbón, après laquelle les députés jurèrent tous allégeance à « la santa religión católica, apostólica, romana » et s’engagèrent à tout mettre en œuvre pour conserver l’intégrité de la nation espagnole (« Primeras Cortes en la Isla de León »).

 Au cours des mois suivants les députés discutèrent des grandes questions qui sont traitées dans le texte de la Constitution de Cadix approuvée le 18 mars 1812 (« Constitución de Cádiz de 1812 ») : la souveraineté de la nation, la répartition des pouvoirs, le rôle du roi, la justice, l'administration, l'armée, les impôts, etc. Les documents réunis dans la partie “Ressources” de l'espace Goya donnent quelques exemples des débats sur la souveraineté, la liberté d'opinion, l'égalité, etc. L'adoption à l'unanimité de l'article XII de la Constitution qui dit « La Religión de la Nación española es y será perpetuamente la católica, apostólica, romana, ûnica verdadera » reflète la domination des membres du clergé qui constituaient le groupe le plus important de l’assemblée et la puissance de la religion, même parmi les députés libéraux. Il est d'ailleurs significatif que le décret d'abolition de l'Inquisition n'ait été voté qu'en février 1813, alors que le tibunal ne fonctionnait plus depuis qu’il avait été supprimé par Napoléon, quatre ans plus tôt (« Decreto CCXXIII de 22 de febrero de 1813: Abolición de la Inquisición: establecimiento de los tribunales protectores de la fe »). Cette constitution est pourtant considérée comme l’une des plus avancées de son temps et elle sera au centre des revendications des libéraux tout au long du XIXe siècle.

Les opérations militaires

 En juin 1808, selon les informations précises données par le général Foy, les troupes françaises engagées dans la campagne d'Espagne se composaient de 116.979 hommes appartenant à cinq corps d'armée commandés par les maréchaux Moncey et Bessières et les généraux Junot, Dupont et Duhesne, et à deux brigades (6.000 soldats) détachées de la Garde Impériale, aux ordres des généraux Dorsenne et Friedrichs. Ces hommes disposaient en outre de quelque 17.000 chevaux (Aymes, 2007, p. 259).

À cette armée expérimentée, bien équipée et bien armée, les Espagnols opposèrent quatre armées régulières, soit 70.000 hommes, renforcées par des troupes inexpérimentées de « guerrilleros ». L’enquête de l’historien anglais Ronald Fraser portant sur l’année 1811 donne une image assez précise de ce que fut le phénomène guérillero qui réunissait au total, avec d’importantes variations suivant les régions, quelque 70 000 hommes, soit l’équivalent des quatre armées espagnoles qui pratiquaient la guerre « ordinaire », et un peu plus que l’armée de Wellington (60 000 hommes). Le recrutement de ces guérilleros était moins populaire qu’on ne le pensait : les étudiants, les militaires et les ecclésiastiques étaient plus nombreux que les ouvriers (Fraser, 2006, p. 799-800). Mais ces volontaires, mal équipés et mal armés à l'origine, comptaient deux avantages qui s'avéraient souvent déterminants : la connaissance du terrain qui leur permettait de choisir le lieu le plus propice à une attaque par surprise, et la collaboration de la population, qui les tenait informés des mouvements des troupes ennemis. Face à une armée qui concentrait ses attaques sur les villes, les guérilleros occupaient les campagnes, et en particulier les zones les plus difficiles d'accès, où ils pouvaient se dissimuler et se déplacer plus rapidement qu'une troupe à cheval. Leur courage, leur astuce, leurs exploits ont été célébrés par une abondante littérature populaire de combat. On trouvera dans les textes de Francisco Espoz y Mina, qui commanda entre 1810 et 1813 une troupe de quelque trois mille hommes en Navarre, des précisions sur le recrutement de ces guérilleros et l'organisation de la guérilla (« Conciencia de guerra », « Liderazgo popular de las guerrillas » et « Las guerrillas »).

L'été 1808 fut marqué par plusieurs revers subis par les armées napoléoniennes :

  • Premier siège de la ville de Saragosse (12 juin-12 août) que les troupes commandées par général Lefèvre ne parvinrent pas à prendre,
  • Premier siège de Gérone (16 juin-20 août 1808) et échec du général Duhesme,
  • Capitulation jugée honteuse du général Dupont à Bailén le 19 juillet 1808 : c'était la première défaite en rase campagne des troupes napoléoniennes qui valut à leur commandant d'être privé de tous ses grades et emprisonné (« Rendición de los ejércitos franceses tras la batalla de Bailén »),
  • Capitulation à Cintra (30 août) du général Junot qui dut évacuer le Portugal,
  • En outre la flotte française était vaincue par la flotte espagnole à Cadix (« Rendición de la flota francesa anclada en Cádiz a los españoles, 14 de junio de 1808 »).

Ces défaites obligèrent les troupes françaises à se replier, selon un mouvement de flux et reflux  : le roi Joseph 1er, qui était entré à Madrid le 20 juillet dut abandonner la capitale le 2 août. Au cours du second semestre de l'année 1808, les effectifs français furent renforcés pour atteindre 161.353 hommes, toujours selon les chiffres du général Foy, et l'empereur décida d'intervenir personnellement (novembre 1808-janvier 1809) afin de reprendre en mains la situation militaire. Le changement fut amorcé par la victoire de Somosierra, dans la chaîne du Guadarrama (30 novembre), qui ouvrait aux Français la route de Madrid et qui permit au roi Joseph de revenir dans la capitale le 22 janvier 1809 et d'y rester jusqu'en août 1812, exception faite d'une expédition en Andalousie, qu'il entreprit entre janvier et mai 1810 avec toute une suite d'intellectuels, d'écrivains, d'artistes et de musiciens qui l'accompagnèrent dans sa visite des principales villes de la province, de Cordoue à Séville, Jerez, Ronda, Malaga, Grenade et Jaén, ajoutant une dimension culturelle aux opérations militaires qui avaient été engagées par le maréchal Soult et qui avaient permis aux Français d'occuper toute l'Andalousie, à l'exception de Cadix.

À l’issue d’un second siège de deux mois (21 décembre 1808-21 février 1809) l'armée commandée par les Maréchaux Moncey et Mortier put s'emparer enfin de Saragosse. De même Gérone dut se rendre le 10 décembre 1809 après un nouveau siège de sept mois.

L'année 1812 fut marquée par le retrait d'une partie des contingents français que Napoléon envoya sur le front russe et par la progression de l'armée anglo-hispano-portugaise commandée par Wellington qui, venant du Portugal, s'empara d'abord de Ciudad Rodrigo (19 janvier) avant de remporter le 22 juillet contre le général Marmont la bataille sanglante de los Arapiles (près de Salamanque), qui fit plus de 5.200 victimes dans l'armée victorieuse et 12.500 morts dans l'armée française. Cette victoire ouvrait à Wellington le chemin de Madrid, obligeant Joseph 1er à quitter à nouveau la capitale. Elle obligea aussi Soult à lever le siège de Cadix pour ne pas se retrouver enfermé en Andalousie. L'armée française, qui était remontée vers le nord, fut encore battue à Vitoria le 21 juin 1813 et les troupes anglo-espagnoles pénétrèrent dans le Pays basque français. Dans le même temps les troupes napoléoniennes durent abandonner les dernières places fortes qu'elles occupaient en Catalogne et repasser la frontière. L'occupation de l'Espagne était terminée et le 11 décembre 1813 fut signé le traité de Valençay qui mettait fin à la guerre (« Tratado de Valençay (11 de diciembre de 1813) »).

« El hambre de Madrid »

Une des pages les plus tragiques de la guerre, qui frappa cette fois les populations civiles, fut la famine que connut Madrid entre septembre 1811 et juillet 1812, « el año del hambre ». La « Villa y Corte » avait connu plusieurs crises de subsistances pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle et les premières années du XIXe, dues aux mauvaises récoltes de céréales à une époque où le pain constituait l'aliment de base de la population. Les autorités devaient alors importer des céréales de régions productrices plus éloignées et mal reliées à la capitale par un réseau de communications archaïque, ce qui avait pour conséquence d'augmenter considérablement le prix du pain à l'arrivée. Aux mauvaises récoltes qui se succédaient depuis plusieurs années s'ajoutèrent en 1811 les difficultés de transport à travers des campagnes ravagées par la guerre. La fanègue de blé qui valait 47 à 50 réaux au début de l'année 1811 devint un article de luxe qui se vendait à prix d'or (540 réaux) au printemps 1812 : un pain de deux livres coûtait alors près de 20 réaux, soit trois à quatre fois le salaire quotidien d'un journalier. Plusieurs fours à pain furent attaqués et les autorités firent fabriquer ce qu'on appelait du « pan de munición » à partir d'un mélange de tous les végétaux considérés comme panifiables -seigle, maïs, orge, son, gesse (plante fourragère) et parfois pomme de terre-. En dépit des mesures d'urgence qui furent décidées, l'historien madrilène Manuel Espadas Burgos évalue à quelque 20.000 le nombre des morts entre le printemps 2011 et le printemps 2012 sur une population de 180.000 habitants environ et il cite deux témoignages particulièrement impressionnants : le texte de Mesonero Romanos tiré des Memorias de un setentón dont un extrait figure dans les Ressources de l'espace Goya (« El hambre de Madrid ») et les gravures des Desastres de la guerra dont je reparlerai plus loin.

Le rétablissement de la monarchie absolue

Après la fin de la guerre, un Conseil de Régence, présidé par le cardinal Luis María de Borbón y Vallabriga, fils de l’infant don Luis de Borbón, s’était installé à Madrid. Après avoir envoyé le 3 février 1814 à Ferdinand VII, par l’intermédiaire de son ambassadeur spécial, le général Palafox, les conditions qu’il exigeait pour son retour sur le trône, dont la principale était l’approbation de la constitution de Cadix de 1812, le Conseil préparait l’accueil du monarque et fixait l’itinéraire qu’il devait suivre en rentrant dans le pays. Ferdinand VII envoya le 10 mars une réponse ambiguë dans laquelle il disait qu’il approuvait tout ce qui avait été fait en son absence et qui était utile au pays (« todo lo que puede haberse hecho durante mi ausencia que sea útil al reino, siempre merecerá mi aprobación, como conforme a mis reales intenciones ») et annonçait son prochain retour (« Carta de Fernando VII anunciando su regreso al país. 10 marzo 1814 »).

Accueilli à Figueras le 22 mars par une délégation des Cortes, le roi reçut en Catalogne un accueil triomphal mais, au lieu d’aller directement à Madrid, il se dirigea vers Valence où il resta tout le mois d’avril. Pendant ce séjour, les monarchistes s’agitaient. Le 12 avril, 69 députés des Cortes publiaient à Madrid le « Manifiesto de los Persas », ainsi nommé parce qu’il s’ouvrait sur l’évocation d’une coutume de la Perse ancienne (« Era costumbre de los antiguos Persas… »). Dans ce document ils affirmaient que, face à la démocratie fondée sur l’instabilité et l’inconstance, la monarchie absolue était le meilleur régime possible parce que « es una obra de la razón y de la inteligencia: está subordinada a la ley divina, a la justicia y a las reglas fundamentales del estado » (« Manifiesto "de los persas". 12 abril 1814 »). Profitant de ce contexte favorable, Ferdinand VII annonçait dans un décret publié à Valence le 4 mai, qu’en réponse aux nombreuses requêtes qu’il avait reçues, il avait décidé de refuser d’approuver la Constitution et de déclarer nulles cette Constitution ainsi que toutes les lois promulguées par les Cortes générales et extraordinaires réunies en son absence. En conséquence l’ordre monarchique antérieur était rétabli et tous ceux qui s’opposeraient à cette décision seraient convaincus de crime de lèse-majesté et punis de la peine de mort (« Decreto de Valencia: golpe de Estado absolutista. 4 mayo 1814 »). Le Conseil de Régence était dissout et une « Commission de Purification » était créée chargée d’enquêter sur la conduite des fonctionnaires de l’Etat pendant l’occupation française. Avant de prendre la route de Madrid, le monarque fit arrêter (10 et 11 mai) tous les libéraux qui avaient fait partie du Conseil de Régence et des Cortes de Cadix qui se trouvaient dans la capitale. Le 13 mai El Deseado fit une entrée triomphale dans Madrid, acclamé au cri de « ¡Viva Fernando VII ! » et à celui, resté tristement célèbre, de « ¡Vivan las cadenas ! ».

La monarchie absolue fut restaurée avec l’appui inconditionnel de l’Eglise dont l’enseignement fut défini par décret royal comme devant être à la fois « politique et religieux » au service de Dieu et de l’Etat « paraestablecer y encaminar la opinión pública al mejor servicio de Dios y del Estado » (« Papel de la Iglesia en el absolutismo. R. D. 21 mayo 1814 »). Dès le mois de juin 1814, l’Inquisition fut rétablie (« Se restablece la Inquisición. R. D. 21 julio 1814 »). L’autre pilier traditionnel de la monarchie, la noblesse, retrouva ses privilèges et les propriétés dont elle avait été privée par les Cortes (« Restauración de los señoríos. 15 septiembre 1814 »). Entre autres mesures significatives de ce retour en arrière, on citera la suppression de la liberté de la presse (« Abolición de la libertad de imprenta. R. D. 25 marzo 1815 »), mais on retiendra surtout la chasse aux libéraux lancée dès le mois de mai 1814 qui est dénoncée par des héros de la guerre, comme Espoz y Mina, parce qu’elle envoya en prison ou en résidence surveillée de nombreux patriotes qui avaient vaillamment lutté contre Napoléon, pendant que des profiteurs (« los aprovechados ») se retrouvaient à la cour pour se partager bénéfices et privilèges (« Política de Corte. 1814 »). Alors que la fin de la guerre avait fait naître l’espoir d’une nation unie et libre, la restauration de la monarchie provoquait ainsi une guerre civile entre conservateurs et libéraux. C’est pour lutter contre cette trahison des promesses faites par le monarque et contre les injustices qu’elle entraînait que plusieurs chefs de la guérilla reprirent les armes au cours du « sexenio absolutista 1814-1820 » pour rétablir la Constitution de 1812 : Espoz y Mina à Pamplona (septembre 1814), Juan Díaz Porlier à La Coruña (septembre 1815), Vicente Richart à Madrid (1816), Luis Lacy à Barcelone (1817), Joaquín Vidal à Valence (1819). Le seul de ces « pronunciamientos » qui réussit fut finalement celui du lieutenant-colonel Rafael de Riego à Cabezas de San Juan (1er janvier 1820) qui obligea le roi à se soumettre aux règles constitutionnelles pendant trois ans (le « trienio liberal » 1820-1823), jusqu’à « l’expédition française des Cent mille fils de Saint-Louis », commandée par le duc d’Angoulême, qui rétablit Ferdinand VII sur le trône et lui rendit ses pouvoirs absolus. Les dix dernières années du règne, connues sous le nom de « la décennie abominable » (« la ominosa década »), furent marquées par une répression plus terrible que la précédente, qui entraîna une nouvelle vague d’exil des libéraux vers l’Angleterre et la France.

Biographie de Goya (1808-1815)

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Je voudrais montrer dans cette seconde partie comment le vécu de Goya, et sa production, s’inscrivent dans le contexte tourmenté de cette Espagne de la guerre et de l’immédiat après-guerre que je viens de décrire. Que les choses soient bien claires dès le départ : il ne s’agit pas, et c’est l’erreur à éviter, de considérer les gravures des Désastres de la guerre comme le reflet d’une réalité que l’artiste aurait voulu reproduire à partir d’événements vécus. L’artiste n’est pas un spectateur extérieur à l’histoire qu’il pourrait observer et copier : il est un acteur de cette histoire, immergé dans la réalité et profondément conditionné par les règles et les institutions de la société espagnole d’Ancien Régime avec lesquelles et contre lesquelles il a construit sa carrière et il s’est construit lui-même. Aussi est-ce cette relation personnelle avec l’histoire qu’il convient de questionner en considérant le vécu comme un entre-deux reliant l’événement à l’œuvre.

Il convient, à ce propos, de prendre en compte le titre que Goya avait donné initialement à sa collection qui parle, non pas de la guerre en elle-même, ni des événements qui l’ont marquée, mais de ses « conséquences », comme le souligne très justement Claudette Dérozier qui ajoute :

Il faut donc voir, à travers les scènes que l’artiste nous présente, non pas l’action qui semble y être décrite, mais le processus dont elles sont le chaînon final. C’est déjà inviter le spectateur à voir au-delà des faits, à les considérer dans leurs conséquences, c’est-à-dire à commencer à juger la portée des faits historiques, à susciter chez son prochain une attitude active face à l’histoire, en un mot à faire naître ce qu’on pourrait appeler une certaine conscience politique.


(Dérozier1976, t. 2, p. 828.

Le fait que les images de guerre qui constituent la première partie de la collection n’aient pas été gravées dès 1808, mais seulement à partir de 1810 et jusqu’en 1812 au moins, montre bien qu’il ne s’agit pas de faits saisis sur le vif, mais d’événements réélaborés par la mémoire traumatisée de l’artiste à partir de ce qu’il avait pu voir et de ce qu’avaient pu lui raconter des témoins et aussi d’autres médiations dont je donnerai quelques exemples. La relation entre l’œuvre et la réalité historique est donc beaucoup plus complexe qu’on l’a souvent dit : ce n’est pas une copie de la réalité qu’il faut rechercher, mais la représentation qui est la « conséquence » du choc produit par les événements sur l’intériorité de l’artiste. Et la reconstitution du vécu de Goya pendant ces années 1808-1815 doit nous aider à comprendre ce choc et la genèse artistique qu’il a provoquée.

Goya en 1808

Les événements survenus en 1808, qui ont profondément changé le devenir historique de l’Espagne, ont bouleversé le vécu de Goya. Depuis son arrivée à Madrid dans les années 1770, il avait réussi à s’élever dans la hiérarchie artistique et sociale de l’époque : grâce à la protection de son beau-frère Francisco Bayeu, il avait fait partie des peintres chargés d’alimenter en cartons de tapisseries la fabrique royale de Santa Bárbara ; il était devenu membre de l’Académie Royale des Beaux-Arts de Saint-Ferdinand en 1780 ; successivement nommé Peintre du Roi par Charles III (1786), puis Peintre de la Chambre du Roi (1789) et Premier Peintre de la Chambre du Roi (1799) par Charles IV, il avait atteint le sommet de la hiérarchie artistique de l’époque et il était devenu le portraitiste de la Cour et de l’aristocratie, protégé par Manuel Godoy, le favori tout-puissant du roi et grand mécène des arts. Grâce au salaire qu’il percevait à la Cour et au produit des nombreux portraits qu’il avait peints pour les grandes familles nobles et bourgeoises, il avait atteint un niveau de richesse enviable qui est confirmé par l’inventaire réalisé en octobre 1812 de tous les biens conservés dans sa maison de la rue de Valverde, qui fait état d’un ensemble de linge de maison, de bijoux et d’argent liquide correspondant au niveau de fortune d’un bourgeois aisé.

Le soulèvement d’Aranjuez, qui avait provoqué la destitution de Godoy et l’abdication de Charles IV, remettait en cause les fondements du monde avec lesquels et contre lesquels il avait lutté pour construire sa carrière. L’invasion napoléonienne, qui faisait exploser l’élite éclairée, aggravait encore cette remise en cause : les penseurs libéraux, qu’il avait fréquentés depuis les années 1780 et dont il avait peint les portraits, se divisèrent entre les deux bandes ennemies : Jovellanos, le penseur dont il avait été le plus proche, s’était rangé dans le camp des patriotes, tandis que Cabarrús, Moratín et Meléndez Valdés avaient accepté des fonctions officielles dans le gouvernement du roi « intrus ». Le silence de Goya et son absence de prise de position explicite lors de l’invasion française a entraîné des jugements contradictoires des historiens, les uns l’accusant d’avoir collaboré avec les Français, les autres (comme Jeannine Baticle) soulignant son patriotisme, alors que beaucoup, comme Pierre Gassier et Gérard Dufour, parlaient de contradiction et d’ambiguïté. Personnellement je crois que son silence peut s’expliquer : placé face à une alternative déchirante entre patriotisme et libéralisme, attachement à sa patrie et désir de la moderniser, Goya s’est trouvé dans l’impossibilité de choisir, parce qu’il était viscéralement attaché à chacun de ces deux termes qu’il ne pouvait pas considérer comme antithétiques. Son attitude n’est donc contradictoire qu’en apparence et ne relève pas d’un opportunisme qu’on lui a souvent reproché. Au contraire, en refusant de choisir, il a voulu rester fidèle à lui-même et conserver son intégrité morale en étant à la fois ce qu’il avait toujours été auparavant, patriote et libéral, une position qui était sans doute difficile à tenir dans le contexte de la guerre et qui n’a pas été comprise par beaucoup d’historiens.

Cette position personnelle courageuse a eu pour conséquence de l’isoler et de modifier sa relation au monde. Jusque-là, Goya avait peint surtout pour les autres, pour les académiciens, pour la famille royale, pour ses mécènes et sa clientèle privée, qui jouaient le rôle d’instance de consécration. Avec la disparition du réseau de ses protecteurs (Charles IV, Godoy) et de beaucoup de ses commanditaires, il se retrouvait seul face à lui-même dans un contexte extérieur de violence qui ne pouvait pas ne pas peser sur son vécu et sur sa pratique artistique. Ce climat de violence le toucha personnellement : au cours des affrontements madrilènes du 2 mai, un de ses parents, Andrés Ibáñez Bayeu, fils de l’une de ses nièces, fut tué et un de ses disciples qui travaillait dans son atelier, León Ortega, fut blessé (cet acteur des événements a pu aider Goya à reconstituer des scènes de combat).

Le changement de régime n’avait pas entraîné de modifications dans l’équipe des artistes de la Chambre du Roi. Goya avait conservé sa charge de Peintre de la Chambre sous Joseph 1er, mais il avait renoncé à percevoir tout salaire. Comme le nouveau roi ne lui passait aucune commande, Goya s’éloigna de la Cour et se replia sur sa maison de la rue de Valverde qu’il avait achetée en 1800 et qu’il ne devait quitter qu’en 1819, quand il acheta la « Quinta del Sordo ». C’est là qu’il passa toutes les années de guerre, à l’exception de deux déplacements : le voyage qu’il fit à Saragosse à l’automne 1808, dont je vais parler, et ce qui semble avoir été une tentative avortée de fuite à l’étranger en 1809, qui l’amena jusqu’à Piedrahita (province d’Avila), mais à laquelle il renonça finalement pour éviter que tous ses biens ne soient confisqués.

Le voyage à Saragosse

Lorsqu’en août 1808 les troupes françaises eurent levé le siège de Saragosse, qui avait héroïquement résisté à leurs assauts, Palafox, le Capitaine Général de l’Aragon, invita les artistes à venir voir les ruines de la ville pour témoigner dans leurs œuvres de la violence des combats et de l’héroïsme des habitants. Rien n’empêchait Goya de quitter Madrid puisque le roi Joseph avait dû abandonner la capitale. Il accepta donc l’invitation « por el interés que tengo por la gloria de mi patria » et on sait qu’il arriva à Saragosse dans le courant du mois d’octobre 1808. Il avait été précédé par deux autres graveurs, Juan Gálvez et Fernando Brambila, qui étaient venus spontanément, sans attendre d’invitation, et qui répondirent pleinement au souhait de Palafox dans leur collection de trente-six gravures intitulée Ruinas de Zaragoza, publiée à Cadix en 1812 : les deux tiers des planches représentent des monuments de la ville détruits ou endommagés et le dernier tiers des portraits des héros de la résistance aragonaise.    

Si plusieurs documents font allusion à des croquis que Goya aurait tracés au cours de sa visite, aucune de ses œuvres connues à ce jour ne fait référence explicitement à cette réalité qu’il avait vue. La seule planche des Désastres de la guerre qu’on peut mettre en relation avec le siège de Saragosse est celle qui montre une jeune femme portant une mèche allumée pour mettre le feu à un canon (n° 7, « ¡Qué valor! ») qui est la reprise d’une image largement diffusée à l’époque représentant l’une des prouesses accomplies par Agustina de Aragón.

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Juan Gálvez et Fernando Brambila, Ruinas de Zaragoza, 1812 Goya, Desastres de la guerra n° 7, « ¡Qué valor! »

Cette scène est-elle un souvenir du voyage à Saragosse, des témoignages qu’il avait pu y entendre ou des croquis qu’il y traça, s’ils ont existé ? On peut en douter. Si c’était le cas, cette planche aurait dû être logiquement l’une des premières gravées. Or elle ne fait pas partie des trois planches datées de 1810. Par contre la similitude de la gravure avec celle de Gálvez et Brambila donne à penser que c’est celle-ci qui est la source de la gravure de Goya, plutôt qu’une réalité que, de toute façon, il n’avait pas vue. Accepter cette hypothèse permet de dater la gravure n° 7 des Désastres de 1812, année de publicaation de la collection de Juan Gálvez et Fernando Brambila qui correspond aussi à la création de la plupart des planches de la première partie. C’est accepter aussi l’idée que l’œuvre de Goya, comme celle de la majorité des artistes, n’est pas, ou pas nécessairement, en prise directe sur la réalité et que d’autres intermédiaires peuvent intervenir dans le processus de création.

Cela ne signifie pas pour autant que le projet de Goya soit identique à celui de Gálvez et Brambila. Les différences entre les deux gravures permettent au contraire de préciser l’intentionnalité de son œuvre. La représentation du personnage de dos et l’absence de toute référence, tant à son identité qu’au lieu de l’action, montrent que Goya, bien qu’il soit Aragonais et fier de l’être, ne prétend pas exalter les hauts faits d’une héroïne inscrits dans la mémoire collective d’une ville (comme le souhaitait Palafox). En remplaçant les boulets de canon et le panier de nourriture par un tas de cadavres, il veut insister sur les horreurs de la guerre qui ont obligé de nombreuses femmes anonymes à combattre courageusement (« ¡Qué valor! ») pour la défense de leur pays.

Les années 1809-1810

On ignore la date du retour de Goya à Madrid. Peut-être passa-t-il quelques semaines dans sa maison natale aragonaise de Fuentetodos, comme le supposent plusieurs historiens, qui évoquent aussi la traversée de villages dévastés par la guerre sur la route de la capitale. Goya dut revenir à Madrid à la fin de l’année 1808 ou dans les premiers jours de 1809, peu de temps après que le roi Joseph y ait repris le pouvoir. L’un des signes de cette reprise en mains fut la convocation, le 27 février 1809, de tous les membres de l’Académie des Beaux-Arts pour prêter serment de fidélité au roi. Goya, qui avait été dûment convoqué à cette réunion, ne se présenta pas, sans envoyer aucune excuse, ce qui constituait une prise de position sans équivoque.

Par contre sa qualité de Peintre de la Chambre du Roi fit qu’il ne put pas refuser de faire partie, avec Mariano Maella et Manuel Napoli, de la commission chargée de choisir cinquante tableaux des meilleurs peintres espagnols qui devaient être envoyés en France, à la demande de Napoléon. Quelques tableaux -pas les meilleurs- des maîtres les plus connus (Vélasquez, Ribera, Zurbarán, Murillo) figuraient sur la liste établie en octobre 1810 par la commission, mais la majorité des œuvres choisies étaient médiocres et en mauvais état de conservation. En outre, Joseph Bonaparte, qui n’acceptait pas de se voir dépouillé par son frère des richesses artistiques de son royaume, fit traîner les choses autant qu’il put et les tableaux ne quittèrent jamais le sol espagnol.

Après la fuite avortée qui s’était arrêtée à Piedrahita, qu’il faut situer au printemps 1809, les années 1809-1810 correspondent à un retour à la normale. Privé des commandes royales, Goya reprit ses pinceaux pour peindre des portraits de personnalités appartenant à différents secteurs, et même aux deux camps politiques en lutte :

  • De membres de sa famille : Martín Miguel de Goicoechea et sa femme Juana Galarza de Goicoechea, les parents de Gumersinda Goicoechea qui avait épousé le fils de Goya, Javier, en 1805,
  • De la grande actrice de l’époque, Antonia Zárate,
  • De plusieurs représentants du régime « intrus » qui connaissait alors sa période la plus forte : le général Juan Manuel Romero, Ministre de la Justice et de l'Intérieur de Joseph 1er,le général français Nicolas Guye, Maréchal de camp du roi Joseph 1er ainsi que Juan Antonio Llorente (1810), chanoine progressiste, d'abord inquisiteur, puis rallié au régime de Joseph Bonaparte,
  • Mais aussi de l’un des plus célèbres guérilleros, Juan Martín, « El Empecinado ».

Sans doute faut-il distinguer entre les commandes privées, à but uniquement lucratif, de trois partisans de Joseph 1er qui désiraient commémorer la nomination qu’ils venaient de recevoir dans l’Ordre Royal d’Espagne, comme l’attestent les documents cités par Gérard Dufour (2008, p. 88-92), et le portrait d’un des héros de la guerre de l'Indépendance, qui devait jouir de la sympathie désintéressée de Goya.

Le tableau le plus important de ces deux années, qui a donné lieu à des commentaires contradictoires, est la Alegoría de la villa de Madrid. Ce tableau, qui devait commémorer la proclamation de Joseph 1er comme roi d’Espagne, avait été commandé à Goya à la fin de l’année 1809, au nom des autorités municipales, par Tadeo Bravo de Rivero, « regidor » de la ville, que Goya connaissait bien pour avoir peint son portrait en 1806. Mais le roi ayant refusé de se soumettre à toute séance de pose, Goya a conçu une allégorie dans laquelle il n’apparaît que sous la forme d’un profil à l’intérieur d’un médaillon, peint à partir d’une gravure française à l’eau-forte que lui avait fournie Tadeo de Rivero. Le centre de la toile est occupé par une jeune femme portant une robe blanche et une couronne dorée, qui montre de sa main droite le blason de la ville de Madrid (« el oso y el madroño ») et de la gauche le médaillon dans lequel apparaît le visage du roi. Derrière ce groupe principal et dans la partie supérieure, deux anges représentent la gloire et le triomphe.

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Goya, Alegoría de la villa de Madrid (1810)

Parler pour ce tableau de « compromission publique » de la part de Goya (Dufour, p. 94) me semble excessif. Le tableau n’est pas une commande royale et Goya n’a été en relation qu’avec un représentant de l’autorité municipale qui faisait déjà partie de ses connaissances. Il n’a eu aucun contact personnel avec le roi dont le profil n’occupe qu’une place secondaire dans la composition. En outre ce profil royal n’eut qu’une existence éphémère puisqu’il fut remplacé par le mot « Constitución » en 1812 quand Wellington entra dans Madrid, et qu’au retour des Français, il fut restauré non pas par Goya lui-même, mais par un de ses disciples, Felipe Abas, avant de céder la place à la date symbolique du 2 mai qui figure de nos jours à l’intérieur du médaillon.

Si la Alegoría… occupe le devant de la scène publique pendant cette année 1810, l’essentiel se passe ailleurs, dans le secret de l’atelier où se préparent les œuvres les plus marquantes de Goya, et en particulier les Désastres de la guerre. Depuis l’invasion française et le début de la guerre, Goya avait pu voir des morts et des blessés, des ruines, sans faire aucune déclaration publique. Sa réaction se produit dans le courant de 1809 et elle se fait avec ses propres armes, le dessin et la gravure, cette forme d’expression en noir et blanc qu’il avait déjà utilisée dans sa collection satirique des Caprices (1799) et qui est en adéquation avec son projet idéologique (Soubeyroux, 2011, p. 90-91 et 2013, p. 115-117). Après les tableaux de commande qui ont constitué l’essentiel de sa production au cours des années précédentes, nous passons avec les Désastres de la guerre aux œuvres personnelles, ce que Tzvetan Todorov appelle son autre « régime de peinture » (Todorov, 2011, p. 207), qui culmine surtout dans les gravures. Les premiers pas des Désastres datés de 1809, ce sontles dessins préparatoires à la sanguine des planches 20, 22 et 27 qui sont reproduits par Gassier (1975, tome II, p. 226 à 241) et qui sont les matrices des premières planches gravées portant la date de 1810. Trois planches qui contiennent déjà les principales caractéristiques de toute la collection, ce qui montre que, dès les premiers moments, l’œuvre est bien mûrie intérieurement. Les blessés, les cadavres qui s’amoncellent, disent la colère, la rage trop longtemps contenues qui explosent violemment. L’artiste sait déjà bien ce qu’il veut montrer : après quelques hésitations que traduisent les deux dessins préparatoires de la planche 20, le trait est sûr, précis dans les deux autres esquisses qui sont très proches de leur version définitive. Les trois gravures possèdent en commun un trait qui caractérise les Désastres par rapport aux autres collections de gravures de Goya : l’utilisation du lavis (« la aguada ») au lieu de l’aquatinte (« el aguatinta ») que Goya avait associée avec une grande maîtrise à l’eau-forte (« el aguafuerte ») dans les Caprices, comme il le fera ensuite dans La Tauromachie et les Disparates. Ce changement s’explique par la pénurie des résines qui servaient à couvrir la plaque de cuivre dans le procédé de l’aquatinte, alors que le lavis consiste à couvrir la plaque d’acide sans aucune protection. C’est là un détail qui attire notre attention sur les conditions matérielles difficiles dans lesquelles ont été produites les 82 gravures des Désastres. Jesusa Vega, qui est l'historienne de l'art espagnole qui a le plus travaillé sur les Desastres de la guerra, souligne la particularité de cette situation et en tire des conséquences qui me paraissent judicieuses :

Además de escasos, los materiales disponibles eran de mala calidad y eso repercutió, como es lógico, en la obra. Cuando Tomás Harris estudió las láminas de cobre puso en evidencia esta penuria. El pintor empleó para grabar planchas de cobre mal templadas y pulidas, oxidadas y defectuosas que recibieron una preparación doméstica, aprovechando al máximo el material; hasta el punto de borrar lo grabado bruñendo y puliendo de nuevo el cobre para poder seguir trabajando sobre él. A esto se sumó la mala calidad de los barnices, hecho que provoca falsos mordidos del ácido. La falta de disponibilidad de resinas le limitó la combinación del aguafuerte y el aguatinta, la técnica que más se adecuaba a su forma de trabajar y en la que había alcanzado auténtica maestría tras haber grabado los Caprichos […] Ahora bien, todas estas limitaciones, lejos de perjudicar, redundan en beneficio de la obra, porque en su materia ha quedado impresa esa vida de dificultades vencidas, de resistencia. Ante la crueldad de la guerra no cabe cuestionarse la perfección que supone la excelencia del material y el acabado. Por el contrario, los defectos refuerzan la sensación de inmediatez y veracidad de aquello que tenemos delante.


J. Vega, 2015, p. 16-17.

Les années 1811-1812

En mars 1811 Goya se vit attribuer la croix de « Caballero de la Orden Real de España » par laquelle Joseph 1er entendait récompenser les serviteurs éminents du régime, sans doute dans le cas de Goya pour le remercier d’avoir participé en 1810 à la commission de sélection des œuvres d’art. Peut-être le pouvoir voulait-il ainsi donner la preuve de l’adhésion au régime des artistes et des personnalités les plus éminents. Goya affirmera en 1814 qu’il n’avait pas sollicité cette décoration, appelée familièrement « la berenjena » à cause de sa couleur, et qu’il ne l’avait jamais portée en public, ce que plusieurs témoins purent confirmer.

Sur le plan personnel et familial, les années 1811-1812 sont marquées par deux événements :

  • La signature le 3 juin 1811 par Goya et sa femme, Josefa Bayeu, d’un testament établi devant le notaire Antonio López de Salazar par lequel ils lèguaient la totalité de leurs biens à leur fils, Javier (« Testamento de Goya »),
  • Le décès de Josefa Bayeu, survenu un an plus tard, le 20 juin 1812.

Ce décès se produisit à un moment où le taux de mortalité était très élevé dans la capitale en raison des premières chaleurs que ne supportèrent pas beaucoup d’organismes affaiblis par la crise de subsistances qui sévissait depuis l’été 1811 et la pénurie de la plupart des produits de première nécessité, entre autres le manque de combustibles pendant l’hiver précédent.

Quatre mois plus tard, fin octobre 1812, fut réalisé un inventaire des biens se trouvant dans la maison de la rue Valverde. L’héritage fut évalué à un total de 357.728 réaux, dont près de la moitié (156.465 réaux) en argent liquide, la maison estimée à 126.000 réaux, le reste se répartissant entre les bijoux (52.060 réaux), les meubles, les vêtements et la bibliothèque (11.274 réaux) et quelque soixante-dix-huit tableaux, évalués à 11.939 réaux, qui sont presque tous de Goya, à l’exception de dix estampes de Rembrandt, quatre de Wouwerman et d’une collection de gravures du Piranèse, probablement les Invenzioni di carceri, qui attestent la connaissance qu’avait Goya des œuvres de graveurs étrangers.

Tandis que la crise de subsistances sévissait, Goya continuait à dessiner et à graver les scènes des Désastres. La mort de Josefa dut le frapper durement, alors qu’il était déjà éprouvé physiquement par les restrictions imposées par la guerre. Même si l’union en 1773 du jeune artiste avec la sœur de son maître, qui était Peintre de la Chambre du Roi Charles III, était davantage un mariage de raison que d’amour, et s’il est probable qu’il la trompa assez souvent (la légende a beaucoup rajouté à ses fredaines), ils avaient vécu trente-neuf ans ensemble et connu une belle ascension sociale. Cette disparition aggravait encore la solitude de Goya et sa détresse dans une ville où le spectacle de la misère et de la mort était devenu quotidien. Cependant, ici encore, il ne faut pas chercher dans les planches des Désastres un reflet direct de la réalité vécue, mais il ne fait pas de doute que ces circonstances tragiques ont exercé une influence très forte sur la vision du monde de l’artiste.

Une étude attentive de la collection permet d’avancer un premier bilan. A la fin de l’année 1812, on est à peu près sûr que 39 planches, représentant des scènes de guerre, ont été gravées :

  • Les trois planches 20, 22, 27 signées et datées de 1810,
  • 36 autres planches gravées entre 1810 et 1812, à commencer par 9 planches signées mais non datées qui prendraient place chronologiquement dans la continuité des trois premières (planches 6, 16, 18, 19, 21, 24, 25, 44 et 45) et enfin 27 autres planches qui ne sont ni datées, ni signées dont il est impossible de préciser dans quel ordre elles ont été créées (planches 2, 3, 4, 5, 7, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 17, 23, 26, 30 à 39, 41 et 43).

On est frappé par la diversité des dimensions des plaques de cuivre utilisés pour ces 39 planches, avec des hauteurs oscillant entre 141 et 180 mm pour des largeurs allant de 168 à 254 mm : on peut donc penser que ces planches ont été gravées en différentes étapes, au gré de possibilités d’approvisionnement irrégulières. On remarquera aussi quatre planches gravées sur des plaques de cuivre sensiblement plus petites que les autres, résultant du découpage de deux grandes plaques qui avaient été utilisées par Goya avant la guerre pour peindre des paysages :Paisaje con peñasco, edificios y árbolessoubeyroux04 dont le verso servit à graver les planches 13 et 15 des Désastres et Paisaje con peñasco y cascadasoubeyroux05 au verso duquel furent gravées les planches 14 et 30). Autre confirmation des affirmations déjà citées de Jesusa Vega sur la pénurie des matériaux.

Mais la production de Goya au cours de ces années 1811-1812 (si tant est qu’on puisse en décider pour certaines œuvres dont la datation reste approximative) est importante et variée. Elle comprend beaucoup de scènes de violence :

  • Une douzaine de peintures sur le thème de la guerre qu’il serait intéressant de mettre en relation avec les planches des Désastres (Femmes attaquant des soldats, Femmes surprises par un soldat, etc.) et le Colosse,
  • Une série de tableaux de brigands (Brigand assassinant une femme, Brigands fusillant leurs prisonniers, etc.) et de sauvages (Sauvages assassinant une femme),
  • Mais aussi des scènes de genre (Fête populaire, Corrida dans une arène, Le mât de cocagne),
  • Les trois tableaux qui ont été qualifiés de « prolétariens » par Fred Licht: La Porteuse d'eau, Le Rémouleur et La Forge (Soubeyroux, 2011, p. 145-146 et 2013, p. 156-157), 
  • Le diptyque sur le temps (Les Vieilles et Les Jeunes ou Jeune fille lisant une lettre).

Un certain nombre de ces œuvres figuraient dans l’inventaire évoqué ci-dessus (Gassier et Wilson, 1970, Appendice I, p. 381). Parmi celles qui nous intéressent particulièrement parce qu’elles peuvent être mises en relation avec les Desastres, je retiendrai les douze tableaux intitulés « Los horrores de la guerra » et « un gigante », sans aucun doute Le Colosse, ainsi que le tableau Femmes attaquées par des soldats, appartenant à un ensemble de six œuvres « de varios asuntos ». L’inventaire atteste que ces œuvres étaient achevées et qu’elles étaient la propriété de Goya en octobre 1812.Aucune mention n’est faite, bien évidemment, des Désastres de la guerre, en cours d’élaboration secrète.  

On ne trouve parmi les œuvres produites en 1811-1812 que peu de portraits, contrairement aux années antérieures, sans doute à cause de la crise et de la confusion de la situation politique. Les seuls qu’on puisse dater de 1812 sans risque d’erreur sont ceux de Wellington, accueilli triomphalement dans la capitale le 12 août 1812. Goya réalisa rapidement un portrait équestre du vainqueur de la bataille des Arapiles, qui fut exposé du 2 au 11 septembre dans un salon de l’Académie des Beaux-Arts où la population de Madrid fut invitée à venir le voir. Cette invitation montre la volonté de Goya, obligé de garder secrète une grande partie de sa production, de sortir de son isolement et de communier avec le public à l’occasion de cette grande victoire qui avait eu pour conséquence la libération provisoire de la capitale que les Français occupèrent à nouveau de janvier à mai 1813. J’ajouterai un détail concernant ce portrait équestre, peint en quelques jours : un examen radiographique de 1966 a montré que Goya avait réutilisé une toile ayant servi en 1794 ou 1795 pour l’esquisse d’un portrait équestre de Godoy, une pratique à laquelle il eut recours à plusieurs reprises, en particulier pendant les années de guerre où la toile, comme les plaques de cuivre et la résine, était devenue un produit rare.

L’année 1813

Nous savons très peu de choses sur la vie Goya pendant l’année 1813 marquée par l’évacuation définitive de la capitale par les troupes françaises (27 mai). En l’absence de portraits, liée toujours à la conjoncture, la production de Goya semble s’être limitée aux œuvres produites clandestinement dans son atelier. Cette production comprend essentiellement la suite des Désastres et un tableau très discuté, l’Allégorie de l’approbation de la constitution de Cadix de 1812.

Il ne semble pas y avoir eu d’interruption entre les 39 planches gravées en 1811-1812 et les planches suivantes, dessinées et gravées entre la fin de l’année 1812 et décembre 1813, date de la fin de la guerre. A la « guerre contre Bonaparte », succèdent les images, tout aussi tragiques, de la famine de Madrid que Goya avait vécue quotidiennement et qui l’avait cruellement frappé, à titre personnel, avec la disparition de sa femme. Si la mort est omniprésente, comme dans la première série, la douleur de l’artiste est particulièrement sensible dans plusieurs planches, en particulier celles qui portent les numéros 52 (« No llegan a tiempo »), 53 (« Espiró sin remedio ») ou 56 (« Al cementerio »). Mais Goya ne se contente plus de représenter les ravages causés par la guerre, il se révolte contre les injustices sociales et l’égoïsme des nantis qu’il dénonce avec une violence où, si l’on osait l’anachronisme, on pourrait dire que semble poindre la lutte des classes. La silhouette solitaire qui se dresse, entourée de cadavres, dans un paysage désolé, est emblématique de cet abandon des classes populaires (planche 60, « No hay quien los socorra »).

Au total, 20 gravures vinrent s’ajouter aux 39 premières, qui porteront dans la version définitive les numéros 46 à 64 et 69. On peut donc avancer qu’en décembre 1813, quand se termine la guerre de l’indépendance, Goya avait gravé un ensemble de 59 planches qui se terminait sur l'image profondément pessimiste du cadavre se soulevant dans sa tombe pour écrire la légende « Nada. Ello dice » (car telle était la forme plus péremptoire de la légende choisie par Goya, qui a été remplacée par un « Ello dirá » plus évasif dans l’édition de l’Académie de 1863), résumant la situation de l'Espagne au terme de cinq années de combats (planche 69). Ces 59 planches constituaient une ensemble homogène qui aurait pu être publié en 1814, mais les mesures répressives prises rapidement par Ferdinand VII à l'encontre des libéraux amenèrent l'artiste à y renoncer et à modifier à nouveau son projet.

Le grand tableau connu aujourd’hui sous le titre Alegoría de la aprobación de la Constitución de Cádiz de 1812, découvert à Cadix en 1834 et conservé au musée de Stockholm, a eu une histoire compliquée qui explique que sa datation reste aujourd’hui controversée. Le titre du tableau fut d’abord La Verdad, el Tiempo y la Historia, ou El Tiempo y la Verdad escribiendo la Historia, correspondant aux trois personnages allégoriques qui y sont représentés : le Temps, barbu et tenant un sablier dans sa main gauche, guide une jeune femme incarnant la Vérité, toute de blanc vêtue, portant un petit livre dans une main et un sceptre dans l’autre, tandis qu’une autre jeune femme, l’Histoire, écrit avec une plume dans un livre.

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Goya, Alegoría de la aprobación de la Constitución de Cádiz de 1812  

En se fondant sur le genre de l’allégorie dont relève le tableau, et sur ses dimensions importantes (294 x 244 cm) qui laissent à penser qu’on a probablement affaire à une œuvre de commande, Pierre Gassier l’a rapproché des allégories que l’artiste avait peintes dans les dernières années du XVIIIe siècle pour le palais de Godoy. Mais en 1979 l’historienne américaine Eleanor A. Sayre, s’appuyant sur un ensemble de dessins des années 1810-1812 qui témoignent des idées libérales de Goya, et reconstruisant ce qui pourrait être la genèse du tableau, en a proposé une lecture convaincante dans laquelle la Vérité, rayonnante dans sa tunique blanche, porterait dans sa main une édition de la Constitution de Cadix de 1812. Ainsi interprété, le tableau témoignerait de l’adhésion de Goya aux principes de la nouvelle constitution dans le climat plein d’espoirs que faisait naître la fin de la guerre.

Cette lecture politique, qui conduit à repousser la datation du tableau jusqu’en 1813, a été accueillie favorablement par la majorité des historiens espagnols et des spécialistes de l’œuvre de Goya et je m’y suis moi-même rallié dans mon Goya politique (Soubeyroux, 2011, p. 112), parce qu’elle me paraît cohérente par rapport à la trajectoire idéologique de Goya. Elle présente aussi l’intérêt d’être une autre représentation allégorique mettant en scène la Vérité qu’on pourra rapprocher utilement des planches 79 et 80 des Désastres et qui confirme l’inscription idéologique de Goya dans le courant de pensée des libéraux radicaux défenseurs de la Constitution de 1812 que les historiens espagnols ont baptisé « doceañismo ».

Les années 1814-1815

Après la signature du traité de Valençay, les Cortes étaient revenues au début de 1814 s’installer à Madrid, ainsi que le Conseil de Régence, qui était présidé par le cardinal Luis María de Borbón y Vallabriga, fils de l’infant don Luis de Borbón et de son épouse aragonaise María Teresa de Vallabriga, que Goya avait connu enfant quand il avait été invité par ses parents dans leur résidence de Arenas de San Pedro et qu’il avait représenté, à l’âge de sept ans, dans le tableau peint en 1784 de La familia del infante don Luis. Il avait à nouveau peint son portrait en 1800 quand il était devenu cardinal de Tolède.

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Goya, Le cardinal Luis María de Borbón (1800)

Goya le connaissait donc assez bien pour pouvoir établir facilement des relations directes avec lui. C’est ce qu’il fit quand le Conseil préparait le retour du roi : le 24 février 1814 il adressa une lettre au Conseil de Régence faisant part de ses « ardientes deseos de perpetuar por medio del pincel las más notables y heroicas acciones de nuestra gloriosa insurrección contra el tirano de Europa ». Dès ce moment-là, Goya paraît avoir conçu le projet de ses deux grands tableaux historiques, le Deux Mai et le Trois Mai, dans lesquels il voulait rendre hommage au soulèvement héroïque du peuple madrilène et la réponse favorable qu’il reçut du cardinal Régent, qui lui fit verser la somme nécessaire à l’exécution de son projet, l’encouragea à poursuivre dans ce sens. Mais la situation évolua rapidement : sur proposition du député libéral José Canga Argüelles, les Cortes décidèrent , avec l’approbation de Ferdinand VII, que les cérémonies prévues pour commémorer le 2 mai devraient glorifier l’armée espagnole, victorieuse des troupes napoléoniennes, et exalter la mémoire des deux héros militaires morts au combat, les capitaines Daoiz et Velarde, dont les cendres devaient être transférées à l’église de San Isidro. Une décision qui était en accord avec l’enthousiasme quasi unanime avec lequel le peuple madrilène (y compris les libéraux) attendait le retour du roi, mais qui était en contradiction avec le caractère fondamentalement populaire de l’insurrection madrilène, à laquelle un petit nombre de militaires avaient participé en désobéissant aux ordres de leurs supérieurs. Goya n’hésita pas à braver l’opinion publique et les instructions officielles en rendant hommage dans le Deux Mai au combat du peuple anonyme, comme il le faisait dans les Désastres, et non à des héros mythifiés : cela valut à ses deux grands tableaux historiques d’être proscrits et entreposés pendant de longues années dans les magasins du musée du Prado, où ils ne furent présentés officiellement au public qu’en 1872.

Ferdinand VII n’avait jamais entretenu de relations avec Goya qui avait été officiellement, comme Premier Peintre de la Chambre, mais aussi personnellement, proche de son père, Charles IV, contre qui il avait comploté et qu’il abandonna dans son exil italien, lui refusant toute aide jusqu’à sa mort en 1819. En outre Goya avait été le protégé et le peintre favori de son pire ennemi, Manuel Godoy. Enfin le fait qu’il ait été proche en 1814 du Conseil de Régence dont les membres furent emprisonnés ou exilés n’arrangeait pas les choses. Le désaccord qui se manifesta dès le retour du roi n’a donc rien d’étonnant. Il fut rapidement confirmé par la nomination de Vicente López comme Premier Peintre de la Chambre et par la mise à l’écart de Goya qui ne reçut plus aucune commande royale.

Très vite Goya fut poursuivi par deux tribunaux emblématiques de la restauration de la monarchie absolue. A l’automne 1814, il fut appelé à comparaître devant la « Commission de Purification » chargée de juger les délits de collaboration des personnels de l’Etat avec le régime « intrus ». Il obtint l’autorisation de présenter pour sa défense deux témoins, Antonio Baylo, libraire, et Fernando de la Serna, « Director General de Correos » qui se portèrent garants de son patriotisme (« Testimonio de Don Antonio Bailo ante Antonio López de Salazar » et « Testimonio de Don Fernando de la Serna a Manuel Gamboa »). Finalement le 8 avril 1815, la Commission, faisant preuve d’une certaine indulgence qui contrastait avec la sévérité adoptée dans des cas voisins, prononça son acquittement (« Decisión de la Comisión de Purificación »).

Mais, avant même que cette décision ne soit prononcée, une autre action judiciaire avait été relancée contre Goya par l’Inquisition, après l’interruption intervenue pendant la guerre en raison de la suppression du tribunal, concernant les deux « tableaux obscènes », la Maja desnuda etla Maja vestida, qui avaient été découverts en 1808 dans un cabinet secret du palais de Godoy qui en était le commanditaire. Dans sa lettre en date du 16 mars 1815, l’Inquisiteur Fiscal du Saint-Office demandait que Goya soit appelé à comparaître devant un tribunal inquisitorial pour qu’il reconnaisse les œuvres, « diga si son obra suya, con qué motivo las hizo, por encargo de quién y qué fines se propuso.» (« Expediente inquisitorial sobre pinturas obscenas »). Mais aucune suite ne paraît avoir été donnée par l’Inquisition à la demande de comparution de Goya, l’acquittement de celui-ci par la Commission de Purification semblant avoir entraîné l’abandon des autres poursuites. Cette clémence des deux tribunaux, qui relevaient de deux administrations différentes, est-elle due à une décision royale, ce qui semble peu vraisemblable, ou à l’intervention d’une personnalité particulièrement puissante ? Aucun document ne permet de répondre à cette question.

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Goya, Duque de San Carlos Goya, Portrait de Ferdinand VII

 Je formulerai cependant une hypothèse : la Commission de Purification qui avait prononcé l’acquittement de Goya était présidée par le duc de San Carlos, « Mayordomo Mayor del Rey » et « Secretario del Despacho », l’un des hommes politiques les plus proches de Ferdinand VII qu’il avait accompagné dans son exil en France. Or Goya avait peint un portrait du duc, qui lui avait été commandé en même temps qu’un portrait du roi le 20 septembre 1814, c’est-à-dire pendant l’instruction du dossier de Purification, au nom du Canal Impérial d’Aragon par Martín de Garay, économiste libéral rallié à Ferdinand VII et devenu Protecteur du Canal Impérial d’Aragon. Sachant quelle était la puissance politique de cette institution et les appuis qu’y avait conservés Goya en raison de ses origines aragonaises, on peut imaginer la possibilité d’une intervention au cours de l’instruction qui n’aurait laissé, évidemment, aucune trace documentaire.

Le portrait de Ferdinand VII commandé par le Canal Impérial d’Aragon et reproduit ci-dessous n’est pas le seul peint par Goya en 1814-1815, puisqu’on en compte cinq autres qui lui ont été confiés par d’autres institutions madrilènes (Académie des Beaux-Arts) ou provinciales (Diputación de Navarre, Conseil municipal de Santander), mais aucun commandé directement par le roi. Outre le duc de San Carlos, plusieurs autres personnalités du monde politique ou économique ont également été portraiturées par Goya pendant ces deux années : Miguel de Lardizábal, directeur du Séminaire des Nobles de Vergara, nommé Ministre des Indes par Ferdinand VII en 1814, José Luis Munárriz, Directeur de la Compagnie des Philippines et Ignacio Olmuryan, Vice-Président de la Junte des Philippines, Francisco del Mazo, commerçant. Si on ajoute les portraits de Miguel Fernández Flores, archevêque auxiliaire de Séville, Manuel Quijano, compositeur de musique et Rafael Esteve, peintre et graveur, on arrive à quatorze portraits peints pendant ces deux années où Goya produit aussi trois grands tableaux : le Deux Mai, le Trois Mai et l’immense Junte des Philippines et les deux versions de son magnifique autoportrait de 1815.

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Francisco de Goya, Autoportrait

Mais ce n’est pas tout. Ce que les historiens tendent à considérer de nos jours comme une preuve de clémence de la part de Ferdinand VII n’empêcha pas Goya de repenser complètement la structure d’ensemble des Désastres de la guerre pour y ajouter une troisième partie, composée de ce que l’artiste lui-même a appelé « Caprices emphatiques » (à prendre dans le sens de symboliques) dans laquelle il dénonce, dans un langage crypté à base d’allégories et de symboles, l'obscurantisme, la cruauté et les injustices de la monarchie absolue rétablie par le monarque. Bien qu’il ait été conçu en trois étapes, l’ensemble de la collection est structuré par un véritable projet politique qui suit un ordre logique allant du témoignage sur les ravages de la guerre (titre de la planche 30, « Estragos de la guerra »), à la compassion que l’artiste veut nous faire partager devant les « muertos recogidos » (planche 63) jusqu’au pamphlet politique contre le « buitre carnívoro » (planche 76), responsable de toutes ces souffrances et de l’anéantissement de l’Espagne (planche 69, « Nada : ello dirá »).

Cette restructuration ne concerne pas seulement la troisième partie de la collection : aux planches 65 à 68 et 70 à 82 qui constitueront la troisième partie avec la planche 69, déjà gravée auparavant, viennent s’ajouter six nouvelles planches incorporées dans la première partie qui porteront les numéros 1, 8 28, 29, 40 et 42, qu’on peut identifier par la dimension des plaques de cuivre qui est la même que celle des autres planches de la troisième partie énumérées ci-dessus, ou dans quelques cas une dimension approchante. Par ailleurs une étude portant sur le papier utilisé pour le tirage (« la estampación ») des différentes collections de gravures montre que les premières épreuves des Désastres de la guerre ont été tirées sur du papier identique à celui qui a servi pour les épreuves d'artiste (« pruebas de estado ») de la Tauromachie, sériegravée à partir de 1815 et publiée en 1816, ce qui prouve que les Désastres étaient achevés dès la fin de l’année 1815.

On ne peut qu’admirer la puissance de travail de Goya, sans doute redoublée par la colère et l’indignation qui nourrissaient un engagement politique qui se manifeste dans les Désastres avec plus de force que dans n’importe quelle autre de ses œuvres. Car ce sont les circonstances de sa vie personnelle, les souffrances dont il a été le témoin et celles qu’il a lui-même éprouvées, la disparition de sa femme, sa mise à l’écart de la Cour et les menaces qu’ont fait peser sur lui les poursuites dont il a été l’objet, qui ont durci l’attitude de ce vieux combattant de 69 ans et radicalisé son libéralisme fondamental au point de rendre impossible la publication de son œuvre. Ce choix de l’intransigeance que Goya a fait en 1815 quand il a composé la troisième partie des Désastres est un choix décisif, qui engage inexorablement son avenir et qui annonce déjà son départ pour l’exil en 1824.

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