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GRUPO DE REFLEXIÓN SOBRE EL MUNDO HISPÁNICO

CHOCOLAT

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Jean-Claude SEGUIN VERGARA

Les origines ([1868]-1885)

D'origine cubaine, Domingo Criollo, dit Rafael "Chocolat" est né vers 1868, à [La Havane]. Abandonné par ses parents, il est recueilli par une femme qui le vend, à l'âge de huit ans, pour dix-huit onces, à un indiano, Manuel Patricio del Castaño Capetillo (Sopuerta, 17/03/1839-Sopuerta, 5/11/1915), parti aux Antilles, avec ses frères, et installé à Cienfuegos (Cuba). Il est probable que le petit Rafael vive, pendant quelques années, dans cette ville fondée par des Français. Patricio del Castaño, fortune faite, ramène le petit Rafael en juillet 1881, à bord du vapeur Antonio López, à Sopuerta, où il s'installe. Au service de Patricio del Castaño et de son épouse Caridad Padilla (Cienfuegos, 1848-?) - nom sous lequel est parfois connu "Chocolat" -,  il est le domestique de la mère de Patricio del Castaño. Il fugue peu après [1883] et mène une existence de jeune déliquant, travaille à la mine, puis comme docker et groom à Bilbao, il lui arrive aussi de danser et de chanter dans les rues [1884-1885].

Les années Tony Grice (1886-1887)

C'est à Bilbao qu'il est remarqué [1885] par le clown Tony-Grice (Tony-Greace) qui l'embauche pour un spectacle qu'il est en train de mettre en place, une parodie de corrida. Joué à Barcelone (janvier-février 1886), le numéro est repris à Madrid en juillet 1886 où la présence d'un "homme de couleur" est remarquée :

Toros en Price
El beneficio de Tony Grice atrajo, como era de suponer, al circo de la Plaza del Rey inmensa concurrencia, que llenó las localidades todas.
La función fué variada y escogida; pero aunque los aplausos no escasearon, el interés y la atención del público se cifraban en el final tauromáquico de la fiesta.
No quedaron defraudadas las esperanzas en puntas de los aficionados.
Hecha la señal de ordenanza por el presidente —un teniente alcalde de guardarropía—hizo el despejo un alguacil primorosamente vestido y montado, y al son de la marcha de Pan y Toros, desfiló después la cuadrilla, dirigida por Tony.
¡Qué de hechurasl ¡Qué de contoneos! ¡Qué de gentileza! ¡Qué de andares!
Entre los banderilleros iba una émula de la Fragosa y la MartinaEntre los picadores, un hombre de color, tan subido de idem como el negro Valdés. De mulillas hacían cuatro lindas jacas. Los caballos de los picadores eran de cartón; y por lo tanto, tan á propósito para la lidia como la mayor parte de los que salen a la plaza de Toros.
¡Tararí!
Corrida la llave, que por cierto, parecía La llave de oro del padre Claret, según lo descomunal, rompió plaza el anunciado cornúpeto de año y medio, convenientemente ensogado, y acompañado por el pastor de la vacada, por mister Parish, y otros hermanos de la Paz y Caridad.

Sujeta la maroma á una anilla que había en mitad del redondel, á fin de impedir que la res se arrancase contra los espectadores de primera fila, dio principio la lidia.
El bicho era retinto, listón, fino de remos y abierto de puntas.
Se arrancaba con coraje contra toda clase de bultos, así de a pié, como de á caballo. Los picadores llevaron tumbos soberbios. Acercarse, citar y rodar por la arena, era todo uno.
Tony, al hacer los quites, sufrió un par de revolcones.
La dirección del ruedo dejaba bastante que desear... ¡Ni más ni menos que en las corridas de abono!
Cambiada la suerte, el becerro, qne seguía tan bravo como á la salida, fué banderilleado por procedimientos inéditos, y hasta inauditos.
Tony fué alcanzado varias veces. De los otros tres banderilleros, el que se acercó á la res con más arte y frescura, fué Tony II, chaval que honra á la dinastía, dentro de sus cortos años Hubo quien gritó al verle:
¡Viva Córdoba!
Puestos al burechunó los rehiletes, que eran "de verdad", tocaron añafiles y atabales, brindó Tony por la presidencia, por España, por las españolas y por el Veloz-Club.
Cinco pases con la derecha, tres cambia dos, cuatro por alto y otros más pintorescos que fáciles de definir, saliendo el diestro desarmado, cogido y revolcado sin consecuencias, precedieron á una estocada á volapié, trasera y algo baja, que no echó á rodar al bicho, porque el programa lo impedía, pero que quedó marcada perfectamente, gracias á la punta de acero en que terminaba la espada de madera.
Salió el pastor, sujetó al bicho por las astas con gran vigor y serenidad, llevámronsele á curarle las heridas de los rehiletes, y Tony se quedó recogiendo palmas y cigarros, á los cuales acompañaron otros obsequios, entre ellos una caja de botellas.
En las cuales hallará de fijo el popular clown estímulos y alientos para continuar la serie de sus hazañas taurinas...
Sin perjuicio de buscar en el árnica alivio y remedio á los revolcones de ayer.


El Liberal, Madrid, 25 juillet 1886, p. 3.

"Parmi les picadors, dit l'article, un homme de couleur, aussi noir que le noir Valdés". Le journaliste fait ici référence au torero péruvien Ángel Valdés, dont la couleur de peau lui vaut le surnom de "Negro Valdés". C'est le 25 septembre 1886 que le spectacle de Tony-Grice, au cirque Price de Madrid, prend fin. La presse signale que ce dernier part pour Paris le lendemain :

[...] Tony Grice habrá salido hoy para París, contratado por la empresa del Circo de invierno.


El Día, Madrid, 26 septembre 1886, p. 3.

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Le clown Tony Grice
La Ilustración española y americana, Madrid, 22 août 1884, p. 112

Chocolat est probablement du voyage, même si Tony-Grice est parti, non pas pour le Cirque d'Hiver, mais pour le Nouveau-Cirque de M. Oller. Ce dernier, espagnol d'origine, vient d'inaugurer (12/02/1886) ce nouvel établissement et il est à la recherche d'artistes. Il se rend ainsi en Espagne - sans doute alors que Tony Grice et "chocolat" sont à Madrid - pour prospecter :

A beneficio de las víctimas de las inundaciones del Mediodía de Francia se propone dar en el Nouveau-Cirque, de París, su director, nuestro compatriota D. José Oller, una función puramente española.
Con este fin, el Sr. Oller ha recorrido las principales provincias de España, contratando á los artistas del género flamenco y taurómaco (de circo).
Figuran en la lista, ei popular Tony-Grice, quien, en unión de otros aficionados, lidiará becerros; los célebres cantaores la Trini Cuenca, Grau y Dauset, y la estudiantina que dirige el popular Ostolaza.
El vestuario ha sido encomendado al sastre del teatro Real de Madrid, Sr. Paris.


El Dia, Madrid, 25 de febrero de 1887, p. 4.

En réalité, Tony-Grice fait déjà partie du spectacle du Nouveau-Cirque dès le mois d'octobre et l'on trouve à ses côtés "son nègre", qui n'est autre que le propre Chocolat. Par ailleurs, le singe et le cochon faisaient partie d'un numéro que Tony-Grice avait déjà présenté en Espagne :

Tony Grice, l'amusant clown du Nouveau-Cirque, qui avait suspendu son service pendant quelques jours, fait ce soir sa rentrée avec son nègre, son singe et son cochon.


Le Figaro, Paris, 26 octobre 1886, p. 3. 

Jusqu'au mois de février 1887, Tony Grice semble faire équipe avec Foottit, avant de participer au grand spectacle mis en scène au Nouveau Cirque, La Foire de Séville avec la parodie de la corrida, dans laquelle Chocolat retrouve son rôle de picador qu'il a déjà tenu à Madrid. 

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Nouveau Cirque, "La Foire de Séville", 1887 

La Compagnie d'Orléans vient d'organiser des trains de plaisir à l'occasion de la prochaine Foire de Séville
Nous lui souhaitons, comme voyageurs, la centième partie seulement des spectateurs qui ont déjà vu ou qui viendront voir l'amusante pantomime du Nouveau Cirque. La course comique de taureaux procure chaque soir un triomphe à l'excellent clown Tony Grice, le rival de Frascuelo, et à son fidèle Chocolat, un picador inénarrable. Jules Prével.


Le Figaro, Paris, 16 mars 1887, p. 6.

Quelques mois plus tard, Tony Grice et Chocolat font toujours équipe dans un nouveau numéro où ils excellent :

[...] Puis une entrée comique tordante par le clown Tony Grice et l'immortel Chocolat. Ce bon nègre, habillé en Achanti, est fourré dans un tonneau de farine ; il en sort tout pâle...
Et le faux Achanti s'écrie :
- J'ai froid !
- Saint-Hilaire, répond Grice.


Gil Blas, Paris, 10 octobre 1887, p. 3.

Chocolat qui, jusqu'à présent, a servi de faire-valoir à son complice Tony Grice, décide de voler de ses propres ailes, laissant son compère démuni. Ce dernier fini même par faire passer des entrefilets dans la presse pour retrouver "un nègre", c'est du moins ce que prétend, non sans humour, le journaliste du Matin : 

MERCREDI.- "Tony Grice, du Nouveau-Cirque, demande un nègre."
Cette annonce est découpée à la quatrième page d'un journal parisien. Tony Grice est un clown apprécié du public. Pourquoi demande-t-il un nègre ?
Est-ce pour brosser ses habits ?
Est-ce pour cultiver la canne à sucre et s'en faire un revenu ?
Non. Cette annonce, dans son laconisme, est plus douloureuse qu'on ne croit.
Tony Grice avait trouvé, dans une ville d'Espagne, où il travaillait dans un cirque de passage, un pauvre nègre qui battait le pavé, cherchant un emploi, une occupation.
Le clown pensa qu'une figure noire serait d'un contraste saisissant à côté de sa face enfarinée. Il recueillit le nègre, lui enseigna le métier, et le nègre errant d'autrefois est, à son tour, devenu un artiste ! C'est Chocolat, le fameux Chocolat qui se marie tous les soirs. Il n'a plus besoin de son ancien protecteur, et Tony Grice est triste, la solitude lui pèse. Voilà pourquoi Tony Grice demande un nègre ! 


Le Matin, Paris, 2 février 1888, p. 3.

Les années solitaires (1888-1894)

L'année 1888 marque ainsi la fin du duo, qui se sépare en janvier, et la reconnaissance à part entière du clown Chocolat grâce à une pantomime, faite sur mesure pour lui et réglée par le régisseur et chef d'orcheste du Nouveau-Cirque, Henri Agoust, La Noce de Chocolat (19/03/1888-09/06/1888) qui fait courir tout Paris. Le spectacle sera repris à plusieurs reprises (1889, 1890, 1894, 1897...)

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Nouveau Cirque, La Noce de Chocolat
© Bibliothèque Nationale de France

Toutefois, le changement de direction, Léopold Loyal dirige désormais le Nouveau-Cirque, n'est pas très favorable à Chocolat. Ce dernier est cantonné à des rôles secondaires, peu glorieux comme dans L'île aux singes (octobre 1888) où "Chocolat est pris d'assaut par un bataillon de jolies petites guenons, qui exécutent à son intention les danses les plus gracieuses en lui faisant des petites mines. De là, sans doute, l'expression : faire des singeries." (Le Gaulois, Paris, 13 décembre 1888, p. 3). L'innovation voulu par la direction ne semble pas donner les résultats escomptés. Décision est prise de revenir aux valeurs sûres, celles qui ont fait le succès du Nouveau-Cirque. L'heure est à la reprise de La Foire de SévilleEn quelques mois, Chocolat a éclipsé son ancien partenaire et  c'est lui qui, en mars 1899, excelle dans le rôle du torero tenu, auparavant, par Tony Grice :

Au Nouveau Cirque.
Il y a là huit bêtes superbes, venues des montagnes de la Catalogne, qui le jour, s'ébattent en liberté dans la ferme du Petit Parc, à Marly, et qui, chaque soir, jouent alternativement du sabot et de la corne dans la piscine mise à sec. Et quelle admirable équipe de toreros et de picadores ! Meri, Piabra, Foottit et surtout le joyeux, le désopilant, l'inérrable Chocolat ! Allez voir ce clown vertigineux jouer au Frascuelo... et vous m'en direz des nouvelles. Ah ! qu'il laisse loin derrière lui Tony Grice, qui fit florès à la création ! Ce soir, il est si bien entré dans la peau du bonhomme, qu'un Espagnol, enthousiasmé, s'est levé dans sa stalle, en criant : Bravo, toro ! J'ai vu le moment où il jetait son chapeau dans la piste.


Le Figaro, Paris, 22 mars 1889, p. 3.

Chocolat se voit attribuer des rôles peu glorieux comme celui d'un "roi sénégalais" dans Paris au galop (novembre 1889) où il joue avec Foottit, et lorsque il retrouve le devant de la scène (février 1890) dans Les 28 jours de Chocolat, le succès n'est pas au rendez-vous. Puis viennent Garden-Party (1891), À fond de train (1892), Paris-Clown (1893) où il est travesti en Manola, Express-Revue (1893) où Chocolat est dompteur, Boule de Siam (1894)... Au hasard des spectacles, Chocolat croise à de multiples reprises un autre clown du Nouveau-Cirque, George Foottit, avec il lui arrive de jouer ponctuellement. En mars 1894, Chocolat joue dans la pièce L'Agence Bidard qui vaut surtout par la parodie qu'il met en scène, "la dame aux diamants" où l'on reconnaît la Belle Otéro... En juin 1894, lors d'une nouvelle reprise de La Noce de Chocolat, le clown Raphaël fait équipe avec Foottit. Une nouvelle période s'ouvre...

Foottit et Chocolat (1894-1910)

Pendant une quinzaine d'années les noms de Foottit et de Chocolat sont ainsi continuellement associés, le clown blanc et l'Auguste noir. Leur nom apparaît à l'affiche de différents spectacles dont  Pirouette-revue (novembre 1894), La Petite Plage, un bouffonnerie nautique (octobre 1895) ou Coco, une fantaisie à grand spectacle (février 1896). Vers 1895, il fait la rencontre de Marie Hecquet qui devient sa compagne. C'est précisément à ce moment-là que le pionnier Émile Reynaud s'intéresse au duo comique. Le génie des Pantomimes lumineuses du Musée Grévin, s'intéresse depuis octobre 1895  à un nouveau procédé, le photoscénographe qui va lui permettre de tourner le premier film où apparaissent Foottit et Chocolat, Guillaume Tell. Le duo de clowns se produit parfois sur d'autres scènes, comme à l'Olympia pour la fête du périodique Le Journal (1er avril 1895) ou à l'Hyppodrome du Champ de Mars (juillet 1895), où ils présentent la désopilante course de taureaux. En février 1896, "les clowns Foottit et Chocolat ont amusé toute la salle avec une pantomime très ingénieuse et très nouvelle : Le Policeman" (Le Gaulois, Paris, 1er février 1896) qui est repriese au cinématographe en 1900.  Les succès se mulitplient comme celui que les clowns connaissent dans Le Feu au Moulin

Le Feu au Moulin, la nouvelle pantomime du Nouveau-Cirque, continue à faire salle comble : hier, il n'y avait plus une seule place à louer à l'ouverture des bureaux. La pièce n'est qu'un long éclat de rire du commencement à la fin ; Footit et Chocolat sont véritablement désopilants dans leur inénarrable scène de l'ivresse. 


Le Gaulois, Paris, 8 décembre 1896, p. 3.

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H. Gerbault, "Guillaume Tell", Revue illustrée, 15 mai 1899
© B.N.F.

Entre les reprises à succès, dont celle du désormais "classique" La Noce de Chocolat (mars 1897) ou de La Chasse au sanglier (septembre 1898), ou les nouveaux spectacles tels que La Chasse  (avril 1898), les joyeux compères continuent de faire rire grands et petits au Nouveau-Cirque. C'est sans doute cette popularité qui fait que désormais le cinématographe va s'intéresser au célèbre duo. D'une part, ce sont les frères Lumière qui vont produire une série de six films que tourne Jacques Ducom, l'un de leurs collaborateurs. Ce dernier est ainsi en contact avec le Nouveau-Cirque au nom de la société "La Photographie en Couleurs" :

NOUVEAU-CIRQUE
Administation
Monsieur l'Agent général de la photographie en couleurs
15, Bd des Italiens
Paris
Monsieur;
Nous avons une matinée demain mercredi à 2 h 1/2. Si vous désirez venir voir le travail de Foottit et Chocolat, vous n'aurez qu'à vous présenter au contrôle avec ce mot.
Nous pourrions après, prendre rendez-vous, afin que les deux artistes puissent aller chez vous.
Veuillez agréer, Monsieur, nos salutations empressées.
[Louis.]


M. [Louis], Courrier à Jacques Ducom, 24 juillet 1900 (collection particulière)

C'est au cours de l'été 1900 que le tournage a lieu. Mais les Lumière ne sont pas les seuls à s'intéresser à Foottit et Chocolat. En effet, Clément-Maurice, à l'occasion de l'Exposition universelle réalise le Phono-Cinéma-Théâtre qui associe l'image et le son afin de présenter les grands acteurs de l'époque. C'est ainsi que les deux clowns vont s'offrir à nouveau au cinématographe. Dans les années suivantes, les compères vont connaître toujours le succès, même si , au fil des ans, d'autres figures clownesques font leur apparition, dont les frères Fratellini, et concurrencent de plus en plus Foottit et Chocolat. En 1901, le duo se retrouve à Londres pour une saison, avant de revenir au Nouveau-Cirque où ils remportent encore quelques succès comme Paris-Ballon (février 1902). Si les commentaires ne manquent dans la presse de l'époque pour parler de ce couple d'artistes, l'un des textes les plus délicats et intelligents, signé Nozière, est publié dans le journal Le Temps. Un texte ironique et assez cruel, en définitive, et une dénonciation du refus de l'altérité :

Billets du Matin
A monsieur Footit
J'ai eu plaisir à vous revoir, monsieur, sur la piste blonde du Nouveau-Cirque. J'aime votre démarche raide et vos yeux étonnés. Vous apparaissez parmi les écuyers aux habits bleu-de-ciel qui gardent élégamment l'entrée des écuries, et déjà les visages des spectateurs sourient. Pour bien montrer que vous vous adressez aux petits, vous avez modestement revêtu leur costume : vos amples chausses, de nuance mauve, s'arrêtent au-dessous du genou, comme les pantalons courts des garçonnets, et votre tête étrange sort d'un col rabattu comme en portent les collégiens en vacances. Vous semblez un vieil enfant, et votre naïveté est presque douloureuse. Seront-ils semblables à vous, quand ils auront grandi, les bébés aux regards clairs, aux joues roses qui vous applaudissent ? Leur visage pâlira-t-il comme le vôtre, leurs yeux deviendront-ils inquiets, leurs lèvres seront-elles comme une blessure ? Leur présentez-vous la caricature du type que la vie leur donnera demain ? Comme vous, ils courront éperdûmentà la poursuite de papillons de papier qu'ils pourraient aisément saisir s'ils n'étaient affolés par le désir ; ils admirent des jongleurs aux costumes pailletés, aux colliers de verroteries, et ils estimeront à l'égal de l'or les boules brillantes que lancent très haut leurs mains expertes. Surtout ils chériront l'écuyère qui danse sur son cheval et jette à la foule des baisers.
C'est un spectacle qui m'a toujours charmé. Debout sur une lourde bête, au galop lourd et rythmé, la petite dame, aux jambes roses, promène autour d'elle des regards triomphants. Elle doit franchir des bandes de toile que des serviteurs élèvent très haut, mais qu'ils abaissent sous ses pieds au moment où elle saute ; elle crève aussi des cerceaux de papier qui font à sa joliesse des cadres fantaisistes. Vous avez vu cette grâce et cette intrépidité, monsieur, et c'est pourquoi vous marchez mélancoliquement, pendant les minutes de repos, auprès du cheval qui va au pas et qui souffle. L'écuyère ne sent pas vos regards tendres ; indifférente, elle effleure son visage de son mouchoir de dentelles et sourit aux loges. Vous poussez enfin un soupir si long et si lamentable que la salle éclate de rire et que la belle vous aperçoit. Comme vous aimez, vous ne sentez pas que vous pouvez paraître ridicule, et vous vous décidez à l'aveu ; mais, au moment où votre cœur va s'ouvrir, la chambrière claque, la musique joue et l'aimée s'enfuit au galop. Vous demeurez immobile, atterré, et je me sens plein de compassion pour votre tendresse ingénue et que la vie déçoit quotidiennement.
Vous avez une consolation qui n'est pas donnée au commun des mortels : c'est- de faire une série de culbutes et de vous relever en souriant sans songer davantage à la cruelle. Un saut périlleux me paraît être un merveilleux remède à la mélancolie, et sans doute les chagrins d'amour ne dureraient qu'un moment si nous pouvions marcher sur les mains, pour regarder l'objet de notre passion. Il est probable que ce point de vue modifierait nos sentiments, et je comprends, monsieur, que vous êtes un excellent éducateur. Vous n'incitez pas seulement la jeunesse à secouer énergiquement le joug passager de la femme; vous lui apprenez encore à mépriser la vaine élégance que dispensent les tailleurs et les coiffeurs. Vous poursuivez de vos sarcasmes les employés du cirque vêtus d'azur ; vous n'hésitez pas à troubler l'ordonnance de leurs cheveux que séparent des raies impeccables ; il vous arrive de frapper ces hommes si corrects et de les rouler dans le sable de l'arène. Mas surtout vous vous plaisez à les aligner en une longue file d'un bond, vous franchissez cet obstacle, signifiant ainsi l'incontestable suprématie du clown sur l'écuyer et de l'homme d'esprit sur le mondain.
J'aime les leçons que vous donnez aux enfants parce qu'elles sont basées sur une profonde expérience de la vie. Vous ne les embarrassez pas de théories altruistes et de nobles principes qu'ils auraient, dans la suite, beaucoup de peine à pratiquer. Vous leur inculquez des idées simples, mais fécondes; ils savent, par votre exemple, que nous ne soulageons notre mauvaise humeur qu'en commettant des injustices et en nous livrant à des brutalités. Ils comprennent cette vérité dès que Chocolat arrive sur la piste. Chocolat est votre antithèse ; il est noir et vous êtes livide. Votre figure est maigre et volontaire ; son visage est rond et débonnaire. Vous vous avancez fièrement, sans plier vos puissants jarrets ; il fléchit sur ses jambes molles. Votre mise est personnelle et joyeuse ; il s'efforce d'être correct et il porte lamentablement un habit rouge. Votre voix est aiguë et précise ; ses paroles sont graves et indistinctes. Vous êtes le jour, et Chocolat est la nuit. Vous êtes la Volonté, et il est la Passivité. Vous êtes la Fantaisie, et il est la Tradition. Vous êtes la Force, et il est la Faiblesse. Aussi vous l'insultez, vous le giflez, vous le rouez de coups, vous l'arrosez du jet d'un siphon, vous promenez malicieusement des flammes sur sa main. Vous proclamez ainsi notre droit absolu d'employer l'eau et le feu contre ceux qui n'ont pas notre mentalité.
Les spectateurs vous donnent raison, monsieur, et ne ressentent nulle pitié pour le pauvre Chocolat, éternelle victime de vos colères. Du moins vous ne lui gardez pas rancune du mal que vous lui faites, et cette attitude n'est peut-être pas très humaine. Vous l'autorisez à venir à côté de vous s'incliner sous les applaudissements du public et, en vous suivant dans les couloirs, je vous ai vus pénétrer ensemble et fraternellement dans le bar du cirque. Assis sur un haut tabouret et vous accoudant sur le comptoir d'acajou, vous repreniez difficilement votre respiration; Chocolat épongeait la sueur de son front et contemplait, d'un œil morne et lassé, les bouteilles d'alcool aux formes multiples. Sa coiffure était en désordre; l'aigrette de vos cheveux s'était affaissée; vous n'étiez plus très différents l'un de l'autre, et la pratique vous prêtait une ressemblance inattendue et douloureuse.Nozière.


Le Temps, Paris, 12 septembre 1902, p. 2.

L'année 1905 marque une première difficulté liée d'une part à la fin du contrat avec le Nouveau-Cirque que ne renouvelle pas le nouveau directeur Jean Houcke, et à la disparition de la raison sociale "Footit et Chocolat", d'autre part à l'état mental de Foottit qui, au Portugal, donne des signes de déséquilibre (octobre 1905). L'usure du duo est manifeste et la presse s'en fait l'écho :

Mais tout lasse. Voici un nouvel acrobate, un amuseur nouveau. Celui-là, c'est Chocolat. Le nègre, pareil aux minstrels anglais, promène sa face débonnaire à la fois et narquoise dans les pantomimes et les mimo-vaudevilles. Chocolat à son tour est la joie du public. II est le clown à la mode, le personnage nécessaire à tous les intermèdes et à toutes les fêtes. Son visage noir remplace dans les acrobaties la figure blafarde du maigre Pierrot. Chocolat triomphe. On va voir Chocolat. On fait à Chocolat des rôles spéciaux, la Noce de Chocolat est aussi célèbre aujourd'hui que les bêtises fameuses de Janot au dix-huitième siècle. Pas de bonne soirée sans Chocolat. L'entrée de Chocolat, pour les gamins parisiens emballés, a la valeur de l'apparition de Caruso dans la Bohème, en Amérique. Chocolat est roi. Chocolat est maître. Vive Chocolat ! Et puis je ne sais quel vent de tristesse souffle, quelle déveine montre sa griffe, Et voilà Chocolat distancé et comme disparu. Il revit dans son fils jouant du Donnay,comme le grand Deburau revivait dans Charles Deburau. Ces lendemains de lazzi sont sinistres. C'est le revers de la médaille. Jules Claretie.


Le Temps, Paris, 30 novembre 1906, p. 2.

En réalité, Chocolat est dans une situation délicate, pratiquement dans la misère et malade... Si Foottit est parvenu à se faire engager à nouveau, ça n'est pas le cas de Chocolat. Quelques artistes se solidarisent et le duo finit par se reconstituer pour quelque temps. En 1907, Franc-Nohain publie Les Mémoires de Foottit et Chocolat qui annonce la prochaine séparation définitive du duo. Quelques mois plus tard, comme pour marquer une boucle, son nom réapparaît dans le titre d'une fantaisie comique et aéronautique, Chocolat aviateur :

L'aventure imaginée par M. Henry Moreau est la cocasse histoire d'un voyage en aéroplane de Foottit et Chocolat. C'est une clownerie mise en goût du jour, par la vapeur, l'électricité et l'aviation, pleine de bouffonnerie et d'imprévu ; un va-et-vient d'inénarrables péripéties. On y rit, on y chante, on y danse, avec un entrain sans pareil
Cette amusante fantaisie se déroule en quatre tableaux, tous plus drôles les uns que ls autres.


Le Petit Parisien, Paris, 30 octobre 1909, p. 4

Alors que le duo en est à ses dernières collaborations, Chocolat retrouve un nouveau clown, Averino, qui a intégré le Nouveau-Cirque en 1908, avec lequel il prend l'initiative de participer à des animations pour l'Hôpital des enfants malades :

L'OEUVRE LAÏQUE.- Cette oeuvre laïque d'éducation scolaire vient de réaliser une charmante pensée qu'elle avait eue. MM. Riffard, président et Camille Servat, vice-président, se sont rendus, il y a quelques jours, dans l'après-midi, à l'hôpital des Enfants-Malades, accompagnés de l'excellent clown Averino et de son Auguste Chocolat, très obligeamment prêtés par M. Debray, directeur du Nouveau-Cirque, des comiques Leblanc, Pedro et Saint-Lo, et du prestidigitateur Addo, qui leur avaient assuré leur gracieux concours. Sous la conduite de M. Janse, directeur de cet hôpital, qui, de la façon la plus aimable, s'était mis à la disposition de l'Oeuvre, ils sont passés dans toutes les salles. Les excellents artistas ont dépensé sans compter toute leur verve et les rires des petits malades les ont récompensés de leurs généreux efforts. L'Oeuvre laïque continuera aec les mêmes artistes et avec d'autres de leurs camarades ces après-midi divertissantes, dont les enfants et le personnel de surveillance garderont un ineffaçable souvenir.


Le Rappel, Paris, 25 juin 1909, p. 4

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Chocolat et Averino dans la salle des invalides de l'Hôpital des enfants malades
 Caras y Caretas, nº 633, Buenos Aires, 19 novembre 1910

La presse annonce que cette oeuvre de bienfaisance va lui valoir, quelques mois après, une distinction - les Palmes académiques -, mais rien ne vient le confirmer. À la rentrée de septembre 1910, les noms de Footit et Chocolat se retrouvent à nouveau à l'affiche du Nouveau-Cirque, pour sa réouverture, puis disparaissent peu après.

Les dernières années  (1910-1917)

Les dernières années de Chocolat sont marquées par des échecs personnels et professionnels. À la fin de l'année 1910, on le retrouve au Cirque de Paris avec son fils, mais aussi avec Foottit et ses deux fils. L'année suivante, un comité se constitue pour organiser une journée, le 4 mai 1911, au Cirque de Paris, en son honneur. Chocolat réserviste est présenté en mai 1911... Il va tenter de réorienter sa carrière en acceptant une offre que lui fait le théâtre Antoine. Il s'agit de jouer le rôle principal dans Moïse, pièce en un acte d'Edmond Guiraud. La première a lieu le 9 décembre 1911, mais le succès n'est pas au rendez-vous. 

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Chocolat dans Moïse (1911)
Comoedia, Paris, 5 septembre 1913, p. 2

Le 27 janvier 1913, il perd sa fille Suzanne Grimaldi-Chocolat. Les dernières années de Chocolat sont marquées par l'alcoolisme et on le retrouve, à la fin de sa vie engagé par la troupe du Rancy. À l'automne, le chapiteau est installé sur la place des Quinconces, à Bordeaux, où il décède le 4 novembre 1917.

Bibliographie

BRISSON Adolphe, "Le Clown", Revue illustrée, Paris, 15 mai 1899

ESTORNES César, "La Familia del Cataño Capetillo" en Blog de César Estornes de Historia y Deportes, 23 septembre 2014 (consulté le 31/03/2016)

FRANC-NOHAIN, Les Mémoires de Foottit et Chocolat, Paris, Pierre Laffitte, 1907,  118  p.

HELLER Max, "Les Déboires de Monsieur Chocolat", La Presse, 5 janvier 1912, p. 2.

NOIRIEL Gérard, Chocolat, la véritable histoire d'un homme sans nom, Paris, Bayard, 2016, 544 p.

PERRODIL Édouard DE, Monsieur Clown !, Paris, Camille Dalou Ed., 1889, 190 p.

RÉMY Tristan, Les Clowns [1945], Paris, Grasset, 2015, 494 p.

"21 août - Chez Chocolat", Gil Blas, Paris, 23 août 1905, p. 1.

Coleccion de los fallos pronunciados por una sección de la comision militar establecida en la ciudad de Matanzas para concer de la causa de conspiracion de la gente de color, Cuba, Matanzas, 1844. (disponible sur : google.book).

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