Charles PATHÉ

(Chevry-Cossigny, 1863-Monaco, 1957)

pathe charles

Jean-Claude SEGUIN

1

Jacques, Martin Pathé (Altkirch, 29/05/1831- Saint-Mandé09/12/1895) épouse (Paris 2e, 26/04/1862) Thérèse, Émélie Kech (Altkirch, 17/03/1835-Saint-Mandé, 08/06/1896). Descendance :

  • Jacques, Martin Pathé (Paris 12e, 16/06/1858-Paris, 05/1941)
    • épouse (Venette, 29/12/1890) Marie, Louise, Hortense Desaint (Compiègne, 04/03/1858-Compiègne, 12/09/1893)
      • Jacques, Marius Pathé (Compiègne, 10/10/1892-Valence, 15/10/1918)
        • épouse (Fontainebleau, 08/04/1914) Isabelle, Louise Despland (Caluire et Cuire, 15/06/1895-) et divorce (Seine, 16/07/1917).
    • épouse (Vitry-sur-Seine, 14/06/1902) Louise Zimmermann (Blotzheim, 02/08/1870-)
      • Jacques, Martin [Zimmermann] Pathé (Saint-Mandé, 02/10/1897-)
      • René, Théophile [Zimmermann] Pathé (Saint-Mandé, 19/12/1898, rec.14/06/1902-)
        • épouse (Lons-le-Saunier, 06/09/1924) Renée, Marie, Louise Léontine Chevassu
      • Marie-Louise [Zimmermann] Pathé (Saint-Mandé, 19/03/1902, rec. 14/06/1902-Limeil-Brévannes, 04/04/1983)
        • épouse (Roissy-en-Brie, 29/10/1921) Sylvain Pouly.
      • Charles, Désiré Pathé (Saint-Mandé, 23/04/1903-Chalon-sur-Saône, 05/09/1970)
        • épouse (Paris 4e, 13/02/1933) Gilberte, Prudence Luret (Allemant, 14/12/1905-)
      • André, Louis Pathé (Paris 12e, 28/07/1911-Créteil, 10/07/1984)
        • épouse (Aubervilliers, 04/05/1936) Simonne, Lucienne Falempi.
        • épouse (Aubervilliers, 29/03/1958) Alice, Marie Bobenrieth et divorce (Bobigny, 06/03/1975)
  • Émile Pathé (Paris 6e, 12/02/1860-Pau, 03/04/1937)
    • épouse (02/12/1884) Laurentine, Antoinette Sabouret (Paris 18e, 1865-Paris 10/1928). Descendance :
      • Jacques, Émile Pathé (Vincennes, 15/08/1885-Vincennes, 05/05/1941)
        • épouse (Toulon, 07/08/1907) Augusta, Jeanne Gasquet (1884-1972). Descendance:
          • Germaine, Marie Pathé épouse (Vincennes, 07/02/1927) Henri Martin
          • Colette, Mireille, Louise Pathé (Londres, 10/1912) épouse (Vincennes, 20/04/1938) Paul Boulbin
        • épouse (1931) Simone Genevois
      • Charles, Émile (Vincennes, 23/09/1886-Cavagnac, 29/03/1945)
        • épouse (Cannes, 09/07/1932) Jeanne, Rose Musso
      • Adolphe, Emile, Édouard Pathé (Montreuil, 20/11/1887-Paris 9e, 10/02/1894)
      • Irène Pathé (1889-1968)
        • épouse Georges Besson. Descendance: 
          • Josette Pathé (Paris, 06/06/1911)
            • épouse Peillard
      • Maxime, Fernand Pathé (Montreuil, 1891-1967)
      • Edmée, Jane, Émilienne Pathé (Paris 9e, 08/07/1893-Vincennes, 23/07/1893)
      • Mireille, Marie, Émilienne Pathé (Paris 9e, 14/08/1899-Le Havre, 21/04/1983)
        • épouse (Neuilly-sur-Seine, 09/12/1919) Jean Gustave Reinhart
        • épouse (Paris 16e, 13/08/1929) Georges, Émile, Jean Mussard et divorce (Périgueux, 22/10/1940)
  • Charles, Morand Pathé (Chevry-Cossigny, 26/12/1863-Monaco, 25/12/1957)
    • épouse (Paris 12e, 18/10/1893) Marie Foy (Paris 14e, 14/07/1872-Nice, 20/12/1923)
    • épouse Alice, Anna Silet (Paris 5e, 18/03/1890-Viry-Châtillon, 27/02/1974)
      • Denise Pathé
        • épouse Pierre Lefaucheux
      • Odile Pathé épouse (Washington, 26/06/1949) George, Tod, Perkins Raymond.
    • épouse (Bourg-la-Reine, 01/12/1927) Antoinette, Léontine Poueydebat (Tarbes, 04/03/1882-Bourg-la-Reine, 20/12/1974)
      • Pierre Pathé (1910-Villejuif, 15/11/1997)
        • épouse ([1931]) Simone Genevois
        • épouse (04/11/1937) Ariane Guedeonoff
    • adopte (Nice, 17/03/1926)
      • Marie-Blanche, Alexina Chaudron [Pathé] (Vitry, 18/10/1898-1990)
        • épouse (Paris 2e, 22/05/1924) Georges Cusinberche (Clichy, 30/12/1899-Maisons Lafitte, 14/04/1991) et divorce (Seine, 11/07/1936)
    • [adopte]
      • Mary, Maud Rizzo Pathé (New York, 16/06/1906)
        • épouse (Roissy-en-Brie, 22/10/1923) Roger Pathé (Paris 18e, 31/12/1897-Fay-aux-Loges, 28/10/1989)
  • Joseph, Théophile Pathé (Chevry-Cossigny, 18/01/1866-Saint-Mandé, 17/07/1923)
    • épouse (Paris 11e, 29/02/1892) Stéphanie Cosson (Tennie, 14/04/1865-). Enfants :
      • Suzanne Pathé (Paris 5e, 20/12/1890-Grasse, 07/01/1982)
      • Roger Pathé (Montreuil, [1895]-Paris 12e, 16/10/1895)
      • Roger Pathé (Paris 18e, 31/12/1897-Fay-aux-loges, 28/10/1989)
        • épouse (Roissy-en-Brie, 22/10/1923) Mary, Maud Rizzo (New York, 16/06/1906)
      • Marie, Charlotte Pathé (Paris 18e09/12/1900-Paris 18e, 09/11/1974)
        • épouse (Paris 8e, 17/07/1920) Rodolphe, Jean Viaux (Ancy-le-franc, 04/02/1889)
        • épouse (Paris 16e, 18/02/1939) Henri, Louis, Désiré Peccate
      • Théophile Pathé (Paris 19e, 23/08/1901-Paris 15e, 31/01/1968)
        • épouse (Tours, 12/05/1949) Paulette, Emma, Germaine Petibon
  • Henri, Alexandre, Antoine Pathé (Vincennes, 24/05/1868-Saint-Bernard, 30/07/1868)
  • Joséphine, Élisabeth, Eugénie Pathé (Vincennes, 14/02/1870-Saint-Mandé, 16/01/1892)
  • Marie, Anna, Jeanne Pathé (Vincennes, 29/05/1872-Duneau, 22/10/1872)

2

Les origines (1863-1894)

Le paragraphe par lequel commence Souvenirs et Conseils d'un parvenu porte un regard désabusé sur l'enfance de Charles Pathé :

Mon enfance ne fut ni gaie ni riante, certes, et les souvenirs que j'en ai conservés ne m'inspirent pas, comme à tant d'autres, le désir de la recommencer. Nous avons trop souffert, mes frères et moi, non pas tant de la sévérité avec laquelle nous fûmes traités que du manque de caresses, si précieuses aux âmes tendres que nous avions alors, et ceux-là seuls qui furent totalement privés de ces effusions si douces peuvent en apprécier tout le prix.


PATHÉ, 1926: 1.

Ses parents sont nés à Altkirch (Alsace) et se marient à Paris en 1862 alors qu'ils ont déjà deux fils, Jacques et Émile. Son père, Jacques accomplit ses obligations militaires, tout d'abord comme cuirassier de la garde, puis garde de Paris. La situation économique n'étant guère florissante, le couple décide d'ouvrir une boucherie-charcuterie à Chevry-Cossigny (Seine-et-Marne) :

Mon père, qui avait appris ce métier en Alsace, achetait aux environs des veaux, moutons et porcs, qu'il dépeçait et que ma mère allait vendre de porte en porte dans les campagnes voisines.


PATHÉ, 1926: 3.

La famille est toujours recensée à Chevry-Cossigny en 1866. Ils habitent sur la Grande Rue, au numéro 21. C'est après la naissance de Théophile que les Pathé vont s'installer à Vincennes où ils achètent un fonds de charcuterie pour 15.000 ou 16.000 francs. Charles est alors placé à l'orphelinat Saint-Charles (143, rue Blomet).

paris orphelinat saint charles
Orphelinat Saint-Charles, 143, rue Blomet. Paris 15e. Début XXe siècle.

Charles et son frère Émile sont dans cet établissement au moment de la Commune de Paris (18 mars-27 mai 1871). À la fin des événements, les enfants rejoignent leurs parents à Vincennes :

En ce qui me concerne, jusqu'à l'âge de douze ans, je partageais mon temps entre l'école et la cuisine de la charcuterie, où je passais plusieurs heures par jour à éplucher des oignons ou de l'ail, à hacher de la viande et à enfiler des centaines de kilos de papier destiné à envelopper la marchandise.


PATHÉ, 1926: 6-7.

C'est en 1875 que Charles rentre en pension à l'école Saint-Nicolas où il passe environ deux ans et demi avant de revenir chez ses parents à Vincennes. Il commence, en octobre 1878, son apprentissage chez le charcutier M. Desprès rue de Charenton à Paris, avant d'aller travailler dans plusieurs établissements au cours des années suivantes (rue du Dragon, rue Montenotte, chez M. Lacombe). Il cherche également à compléter ses connaissances et assiste à plusieurs conférences avant de passer son conseil de révision. Il réside alors au 18, rue d'Aligre (Paris) et s'engage (avril 1884), pour 5 ans, dans la 9e section d'infirmiers militaires sur les conseils de son ami Henri Gervais qu'il retrouve à Tours. Finalement, fatigué et malade, il met un terme à son engagement et est libéré le 13 septembre 1888. S'ouvre alors une période d'incertitude que le conduit à Saint-Sauveur où son frère Jacques tient une boucherie. Charles Pathé va se consacrer à remettre sur pied l'établissement qui est finalement vendu. Avec les 1000 fr. que lui donne son frère pour service rendu, il décide de partir pour Buenos Aires :

J'avais lu quelques réclames des agents qui, à ce moment, étaient chargés, pour le compte de la République Argentine, de recruter des émigrants, et j'avais souvent regretté de n'avoir pas la somme nécessaire pour payer mon voyage. Le billet de 1.000 francs que mon frère m'avait promis me mettait à même de réaliser ce désir; aussi répondis-je à mon père que mon intention était de partir pour Buenos-Ayres.
Il me demanda ce que je comptais faire dans cette ville. Je lui répondis que les circonstances plus que ma volonté détermineraient le genre de travail auquel je me livrerais.


PATHÉ, 1926: 30-31.

Il quitte alors la maison familiale, le 28 juin 1889 et se rend au Havre où il embarque à bord du "Paraguay" qui le conduit à Buenos Aires où il arrive le 16 juillet 1889 :

La plupart de ceux qui débarquèrent avec moi allèrent à l'hôtel des Émigrants, immense bâtisse déjà vieille, offrant l'aspect d'une grande caserne, que le gouvernement mettait à la disposition des débarqués sans ressources. J'avais hâte de quitter mes compagnons de voyage et je m'en fus directement dans un hôtel de la Calle 25 de Mayo.


PATHÉ, 1926: 35.

Dans la capitale argentine, Charles Pathé va survivre en exerçant plusieurs petits boulots. En 1890, il va être mêlé à une affaire de contrebande qui le conduit à quitter le pays pour se rendre d'abord à Montevideo, puis à Rio de Janeiro. Après ces années mouvementées, il rentre en France :

Étant moi-même malade, je décidai de rentrer immédiatement en France, où j'arrivai pour assister aux derniers moments de ma sœur, qui fut emportée par une crise d'appendicite.


PATHÉ, 1926: 60.

Sa sœur décède en janvier 1892. Par la suite, il va travailler avec son père comme marchand de vin-restaurateur, métier dans lequel il va connaître quelques déboires qui vont le conduire devant le tribunal :

Le Tribunal correctionnel (8e chambre), présidé par MM. Flandin et Bernard, dans ses audiences du 1er au 15 juillet 1892, a prononcé les condamnations suivantes:
[...]
Pour falsification de vin et mise en vente de vin falsifié:
Charles Pathé, marchand de vins, 1, avenue du Polygone, à Vincennes; 50 fr. d'amende.


Le Droit, Paris, 31 juillet 1902, p. 740.

Quelques mois plus tard, il épouse, en octobre 1893, Marie Foy et se met aussitôt à la recherche d'un emploi :

Au bout de quelques jours de recherches, j'obtins une place de gratte-papier dans une étude d'avoué, rue de Rivoli. Je gagnai six francs par jour. C'était insuffisant, bien que j'eusse un modeste loyer de 300 francs par an. Je cherchais tous les jours quelque chose de plus lucratif lorsqu'un jeune homme, M. Lignot, que j'avais connu chez mon père, m'engagea à aller voir à la foire de Vincennes un appareil nouveau qui émerveillait tout le monde : c'était un phonographe Edison. Moyennant la somme de 0 fr. 10, chacune des personnes qui tenait un écoutoir pouvait entendre la chanson enregistrée sur le cylindre. Chaque audition -dont la durée était de trois minutes environ - pouvait rapporter une recette de 1 fr. 50 à 2 fr ; il y avait, en effet, le long de la rampe attachée au diaphragme dix-huit à vingt paires d'écoutoirs qui étaient presque toujours occupés.


PATHÉ, 1926: 60.

Le couple habite alors au nº 100 cours de Vincennes. La rencontre avec M. Lignot va changer la vie de Charles Pathé et il va trouver les financements nécessaires pour l'échat d'un phonographe et, le 9 septembre 1893, au matin, le couple se rend à la foire de Montetti pour exploiter, pour la première fois, leur nouvel appareil. Elle a lieu tous les ans dans la forêt du même nom, près de Bric-Comte-Robert (Seine-et-Marne). Dès lors le couple va mener une vie de forain et il se rend ensuite à Dourdan, Houdan, Toury, Toryon, Saint-Just-en-Chaussée... Peu après, le couple déménagement à deux pas de son domicile, au 72 cours de Vincennes.

Comme les affaires commencent à marcher, Charles Pathé se rend à Londres où il va acquérir quatre nouveaux appareils auprès d'E. O. Kumberg au prix de 3.000 francs. Il fait alors passer des annonces dans plusieurs publications où il met en vente des phonographes qu'il ramène de Grande-Bretagne.

pathe charles 1894 12 20 Le Petit journal
Le Petit Journal, Paris, 20 décembre 1894, p. 4.

Le Kinétoscope et la collaboration avec Henri Joly (1895)

Les premiers kinétoscopes "Edison" sont visibles à Paris dès juillet 1894 au Petit Parisien, puis en octobre dans la boutique des frères Werner. Toutefois, dans la capitale, il reste difficile, voire impossible, de se procurer l'un de ces appareils, alors qu'à Londres, le britannique Robert William Paul, qui n'a pas pu, lui non plus acheter de kinetoscope. Aussi, se lance-t-il dans la construction de kinetoscopes contrefaits et selon ses dires, il en construit six avant la fin de l'année 1894, puis une soixantaine en 1895 :

Finding that no steps had been taken to patent the machine I was able to construct six before the end of that year. To supply the demand from travelling showmen and others, I made about sixty kinetoscopes in 1895, and in conjunction with business friends installed fifteen at the Exhibition at Earl 's Court, London, showing some of the first of our British films, including the Boat Race and Derby of 1895.


Proceedings of the British Kinematograph Society, nº 38, 3 février 1936, p. 2.

Une aubaine pour Charles Pathé qui va pouvoir ainsi commencer à vendre des kinetoscopes en France, dès le mois de mars. Il fait ainsi passer quelques annonces dans la presse parisienne et régionale.

pathe charles 1895petit parisien pathe_charles_1895_petit_journal_kinetoscope.jpg
Le Petit Parisien, Paris, 14 mars 1895, p. 4. Le Petit Journal, Paris, jeudi 1er août 1895, p. 4.
pathe charles 1895 industriel forain
L'Industriel forain, nº 312, Paris, 28 juillet-3 août 1895, p. 3.
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Le Progrès, Lyon, mardi 1er octobre 1895, p. 4. Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, Saint-Étienne, 6 novembre 1895, p. 4.

Dans ses mémoires, Charles Pathé raconte de quelle manière il fait la connaissance d'Henri Joly :  

Il serait facile d'en établir la preuve par la date des journaux dans lesquels je faisais des annonces pour la vente des phonographes et des kinétoscopes Edison, annonces qui m'amenèrent, entre autres clients, celui qui devint mon premier associé, M. Joly.
C'est à lui que revient le mérite indiscutable - je le dis de suite - d'avoir fait, le premier des films français.
Il venait, sur la foi des annonces, acheter un phonographe et un kinétoscope, qu'il se proposait d'exploiter dans les foires de province.
Le prix très élevé que je lui demandais pour les films nécessaires au fonctionnement du kinétoscope le faisait hésiter ; et comme je lui expliquais que ces bandes de photographies étaient très chères parce que extrêmement difficiles à établir et qu'elles constituaient une sorte de monopole au profit d'Edison, il me répondit qu'il était bien certain de résoudre le problème de cette fabrication si je consentais à l'aider pécuniairement.
Son attitude - différente de celle des forains que je recevais ordinairement - sa conversation, sa physionomie de chercheur firent que je donnai quelque attention à ses propositions. Je le retins à déjeuner pour l'écouter plus longuement.
Il m'expliqua qu'il venait de se marier et qu'il était à la recherche d'un emploi.
L'impression qu'il me laissa fut favorable. Ses connaissances en électricité et en photographie étaient appréciables ; en tout cas, très supérieures aux miennes, qui étaient nulles.
Le capital de 4,000 francs, qu'il estimait suffisant pour établir un modèle d'appareil de prise de vues cinégraphiques, n'étant pas au-dessus de mes ressources, j'acceptai son offre d'association, en signant le 13 août 1895 un acte sous seing privé par lequel je m'engageai à lui fournir les fonds nécessaires à l'établissement des dessins et à la fabrication d'un appareil prise de vues de son invention.


PATHÉ, 1926: 73-74.

Henri Joly, pour sa part, dans les souvenirs recueillis par Maurice Noverre, offre une version très semblable de cette rencontre exceptionnelle avec Charles Pathé, qui faut situer, très probablement entre entre mars - 1re annonce de vente du kinetoscope - et juillet 1895 :

Le commerçant en chambre montra à son client éventuel des " Kinés " d'origine anglaise, contrefaçon très soignée et " bon marché " des " vrais Edison " qui " coûtaient les yeux de la tête "... Malheureusement, le constructeur anglais ne vendait pas de films et la maison d'Edison, livrant seulement trois films par instrument, paralysait la concurrence (M. Pathé manquait de films).
Joly s'étant écrié : —. Pourquoi ne fait-on pas de films ? 
Son interlocuteur le regarda, stupéfait : —  "Personne ne sait comment faire "... " Marey consulté n'en sait pas davantage ! " [sic]
Le visiteur demanda alors " à voir ce film si difficile à se procurer " et, l'ayant examiné attentivement, se rendit compte que ce n'était qu'une bande pelliculaire sensibilisée, aux images chronophotographiques obtenues par la méthode de Marey (dont il avait entendu parler). Il déclara donc qu'il ne voyait aucune difficulté spéciale à en obtenir puisqu'on trouvait du film vierge dans le commerce et conclut que lui, Joly, " se sentait capable d'entreprendre cette fabrication ".
Le marchand, étonné, " effrayé ", ahuri, " sursauta "... puis se ravisant, engagea de façon pressante M. Joly à construire  l'appareil au plus vite.
— Je crains, lui répondit tristement son " client ", que mes  faibles capitaux (3.000 francs) ne suffisent pas à tout !
— Soyez tranquille ! Si vous arrivez à un résultat, je vous AIDERAI... répartit M. Charles Pathé.


"La Vérité sur l'Initiation Cinématographique de M. Charles Pathé", Le Nouvel Art cinématographique, nº 5, 2e série, janvier 1930, p. 65-66.

L'acte sous seing privé du 13 août officialise ainsi la collaboration entre les deux hommes. Quelques semaines plus tard, Henri Joly dépose un brevet (nº 249 875 du 26 août 1895) pour un "nouvel appareil chronophotographique". C'est probablement dans les semaines qui suivent que Joly et son épouse s'installe chez Charles Pathé :

Entre temps, M. Joly avait imaginé de construire un kinétoscope à plusieurs oculaires, pour lequel il prit un brevet et que nous dénommâmes photozotrope.
Pour aller plus vite, j'avais offert à M. Joly - qui avait accepté - de prendre pension chez moi avec sa femme, fort intelligente d'ailleurs, et qui le secondait beaucoup.


PATHÉ, 1926: p. 76.

Dans la mesure où le premier appareil construit par Henri Joly a vocation à nourrir le kinétoscope en nouveaux films, l'inventeur va donc tourner quelques vues animées, sans doute entre septembre et décembre 1895. C'est encore Charles Pathé qui nous informe à ce sujet :

M. Joly avait fait quelques films qui, tout en coûtant très cher, n'étaient pas utilisables au sens strict du mot pour être projetés dans un cinématographe, les perforations servant à entraîner la bande étant irrégulières.
Ce défaut, à moins de projeter le film, n'était apparent que pour les initiés, très rares à l'époque.


PATHÉ, 1926: 78.

On lui attribue généralement la vue Le Bain d'une mondaine, qui semble figurer dans les premiers films Pathé sous le titre Une femme au bain. En outre, Henri Joly se lance dans une autre réalisation, le " Photo-Zootrope à un ou plusieurs oculaires ", déjà annoncé dès le 13 octobre dans L'Industriel forain, dont il dépose le brevet (nº 251 549, 8 novembre 1895). Afin de seconder JolyCharles Pathé engage l'un de ses cousins - ou amis - du nom de Berson.

joly 05 joly 06 photozootrope

"Nouvel appareil chronophotographique"
Brevet nº 249875 du 29 août 1895

Photo-zootrope (4 oculaires)

La collaboration entre les deux hommes commence à se dégrader dans les dernières semaines de 1895. D'une part, Charles Pathé fait ses comptes et considère que les frais engagés pour la réalisation des films que tourne Henri Joly sont trop élevés d'autant plus que les vues animées ne sont pas vendables : "... les travaux de M. Joly avaient mis ma caisse à plat. " . D'autre part, toujours selon Charles Pathé, Henri Joly était devenu ombrageux :

Sous l'influence d'un travail excessif - qui se poursuivait une partie de la nuit - mon associé devint très nerveux. Outre qu'il avait naturellement, comme tous les inventeurs, un esprit tourmenté et quelque peu soupçonneux, son impatience d'arriver plus rapidement qu'il n'était possible au résultat que nous désirions le rendait très excitable.
Sa jeune femme, qu'il aimait beaucoup cependant, avait souvent à supporter des tempêtes qui, tout en nous chagrinant ma femme et moi, n'étaient pas sans m'inquiéter sur la suite de notre entreprise, laquelle absorbait finalement plus que mon commerce de phonographes ne me rapportait.
[...]
Et j'en reviens à M. Joly, qui sortait chaque après-midi depuis quelques jours et rentrait dans un état de fébrilité de plus en plus grand, dont je cherchais à deviner le motif.
J'appris qu'il était en pourparlers avec un M. Debets, et qu'il allait passer un contrat avec ce dernier pour la fabrication des appareils cinématographiques, que la maison Lumière commençait à faire connaître théoriquement au grand public par des articles publiés dans le journal La Nature.
Sur mes questions précises, il avoua le fait, en me demandant de me confiner dans la fabrication des photozootropes. Il me donna comme raison de sa conduite que mes ressources trop restreintes ne lui permettaient pas d'entreprendre sur une échelle convenable la fabrication des films et appareils à projection analogues à ceux que la maison Lumière décrivait et qu'ellaeallait exploiter prochainement.
Je tâchai de le calmer en lui demandant quelques jours de réflexion, au cours desquels je lui exposai l'embarras dans lequel il me mettait.
[...]
Ce fut lui, finalement, qui m'apprit qu'il avait définitivement signé avec M. Debets un engagement relatif aux appareils cinématographiques et aux films, à l'exclusion du photozotrope et des films spéciaux imprimés latéralement que cet appareil nécessitait.
Il me renouvela l'offre qu'il m'avait faite de me continuer son concours pour installer la fabrication de ces films, pour photozotrope, à condition, prétention tout à fait injustifiée, que je m'engage à ne jamais faire de films ou d'appareils cinématographiques.


PATHÉ, 1926:  77-78-79.

Georges De Bedts, qui vient d'échouer dans un rapprochement avec Georges Demenÿ, pense qu'Henri Joly pourrait faire l'affaire. L'existence d'un " engagement " signé reste hypothétique et, en tout état de cause, De Bedts part seul à la bataille, avec un appareil cinématographique dont il dépose le brevet en janvier 1896. Les relations entre Henri Joly et Charles Pathé se tendent encore - nous sommes très probablement en novembre ou décembre 1895 - et la découverte par ce dernier, fin décembre1895 ou début janvier 1896, des premières séances publiques du cinématographe Lumière le conduit à penser que l'avenir n'est plus dans le kinétoscope - ou sa variante le photozotrope -, mais bien dans la projection de vues animées. De façon assez cavalière, ainsi qu'il l'explique lui-même, il se débarrasse d'Henri Joly :

Et, après avoir mis en sûreté le seul appareil prise de vue construit sur les indications de M. Joly - appareil qui m'avait coûté très cher - je signifiai à mon associé dès le lendemain matin qu'il eût à quitter les lieux immédiatement.


PATHÉ, 1926: 81.

Pour Maurice Noverre, défenseur d'Henri Joly, - qui ne conteste pas les détails donnés par Charles Pathé - tout n'a été qu'une stratégie quelque peu machiavélique pour se débarrasser de Joly et conserver ses inventions. Il résume ainsi le point de vue d'Henri Joly :

M. Henri Joly, sans le moindre avertissement ou la moindre discussion préalable, s'est vu interdire brusquement, un beau matin, l'entrée de l'atelier dont le loyer était au nom de M. Charles PATHÉ, qui allait rompre ainsi de la manière la plus brutale et la plus injuste une association dont il aura été, aux yeux de la Vérité comme aux yeux de l'Histoire, le SEUL BÉNÉFICIAIRE.
On l'a déjà compris, M. Charles Pathé, son initiation cinématographique terminée, s'est débarrassé, d'un instant à l'autre, de l'artisan de son immense fortune.
Aucune négation, aucun démenti, aucune indignation véhémente ne sont permis à l'ancien associé de M. Henri Joly qui, à la suite du fait ci-dessus relaté, a intenté un procès à M. Charles Pathé pour " rupture abusive de contrat ".
Devant l'arbitre, M. Pathé dut reconnaître qu'il détenait indûment le deuxième modèle de l'appareil mouvementé de Joly et s'engager à le rendre... (ce qu'il ne fit jamais).


"La Vérité sur l'Initiation Cinématographique de M. Charles Pathé", Le Nouvel Art cinématographique, nº 5, 2e série, janvier 1930, p. 68.

Expulsé de chez Charles Pathé, Henri Joly ne tarde pas à retrouver un logement, à Vincennes même, au 34, rue de Bagnolet où il vit avec sa femme.

Les collaborations familiales et Pathé Frères (1895-1897)

L'échec de la collaboration entre Charles Pathé et Henri Joly va orienter le premier vers une solution familiale. Le décès de Jacques Pathé (décembre 1895) ouvre la succession qui s'élève à 433 475,35 francs et accélère les choses. Charles Pathé va réinvestir la part qui lui revient dans deux affaires. D'une part, il monte une société en nom collectif (2 avril 1896) pour exploiter un établissement de limonadier, le Café de la Finance, avec sa tante Mme Fourel. D'autre part, il tente de convaincre ses frères de monter une affaire autour de l'appareil cinématographique qu'il a conservé après la rupture avec Henri Joly :

Et j'en reviens à l'invitation que je fis à mes frères de s'associer avec moi. Je tombai d'aoord sur un versement de 8000 francs pour chacun d'eux. J'avais certainement dépensé davantage, mais, comme il s'agissait de mes frères, j'acceptai ce montant réduit, comme contre-partie de ce que j'avais moi-même déboursé pour l'appareil prise de vues et le peetit matériel de laboratoire installé par M. Joly.


PATHÉ, 1926: 90.

Charles Pathé se lance alors dans la production de copies de films Edison et trouve son premier client, M. Girod, mais l'affaire tourne mal :

Je me procurai quelques films Edison, que je me mis en devoir de duplicater, sans même me rendre compte que je commettais un acte répréhensible, qui tombait sous le coup de la loi.
Quelques semaines après mon association avec mes frère, je reçus la visite d'une M. Giraud [sic], greffier de justice de pais, avec lequel je traitai la vente d'un cinématographe et d'une série de douze ou quinze films, de 15 mètres de longueur chacun, pour une somme forfaitaire de 12 ou 15.000 francs, le tout devant être livré dans un délai maximum de cinq à six semaines.
J'avais trop présumé  de mes forces et le séjour prolongé que je faisais en chambre noire, d'où je ne sortais que pour prendre mes repas, eut pour effet de me rendre malade, et ce fut avec un retard de six semaines que je livrai les films, dont mon client refusa de prendre livraison. Il m'assigna en remboursement des arrhes qu'il m'avait versées et en paiement de 20, 000 francs de dommages-intérêts représentant les dépenses inutiles qu'il avait faites à Moscou, où il se proposait d'installer une exploitation cinématographique.
Par défaut, je fus condamné à la totalité de sa demande. C'était la ruine complète au moment où j'étais certain d'une réussite définitive.


PATHÉ, 1926 : 90-91.

Cette situation et le décès (juin 1896) de la mère des frères Pathé  complique singulièrement la situation car M. Girod tente de bloquer la nouvelle succession afin de récupérer son argent et que Jacques et Théophile décident de se retirer de l'affaire et seul Émile accepte de participer au rachat des parts de ses deux frères. Peu de temps après, Charles et Émile s'associe pour conduire l'entreprise :

Nous constituâmes définitivement notre association par un sous-seing privé, avec la raison sociale Pathé frères, au capital de 40,000 francs, qui se substitua à celle de Charles Pathé.


PATHÉ, 1926 : 93.

Ce document date du 1er septembre 1896. Le capital n'étant pas réuni à cette date, un deuxième document est signé le 28 septembre. Le siège social se trouve au 98, rue de Richelieu, un lieu stratégique, situé à deux pas du magasin des frères Werner, au 85, rue de Richelieu :

Et ce fut à quelques mètres de la maison Werner que nous louâmes, 98, rue de Richelieu, une boutique moyennant un loyer annuel de 8,000 francs.
La maison Werner faisait, tant pour le phonographe que pour le cinématographe, une grosse publicité qui lui amenait une clientèle importante, dont une grande partie nous visitait. Il en résultat que nous accaparâmes -je ne sais pour quelle raison - la presque totalité des clients de notre concurrent ete que Werner nous liquida ses marchandises quelque temps après.


PATHÉ, 1926 : 94.

Dans un premier temps, en l'absence de studio, les vues sont tournées essentiellement en plein dans des conditions parfois hasardeuses :

Jusqu'en 1900 [sic], on opéra toujours les vues cinématogrpahiques en plein air, sur un plancher de six mètres sur huit, avec ou sans soleil, au hasard du temps. Un baraquement en planches abritait nos décors, costumes et accessoires.
Il en resultait parfois des effets bizarres pour la photographie, surtout lorsque la pluie, survenant brusquement, détrempait nos décors à la colle, les transformant complètement au point de vue des tonalités qu'on en attendait sur l'image.


PATHÉ: 1926, 112.

De ces tout premiers temps, date sans doute la vue Sauts de mouton avec une simple toile de fond.

0007bSaut de mouton (1896-1897)

Les ateliers vont s'installer au 1, rue du Polygone (Vincennes).

pathé vincennes polygone
"La maison qui fut le berceau des Etablissements Pathé, avenue du Polygone, à Vincennes."
Cinémagazine, 2e année, nº 22, 2 juin 1922, p. 313.

vincennes polygone 1896
Vincennes. 1, rue du Polygone. 1896 (recensement 1896. D2M8 90. Archives Départementales).

Charles Pathé va dès lors s'attacher à construire une installation afin de pouvoir réaliser les prises de vues :

Il n'existait rien, à cette époque, pouvant me donner des indications utiles sur l'industrie cinématographique, qu en était à son enfance. J'avais donc décidé d'adapter, autant que la chose était possible, le matériel photographique ordinaire aux besoins du cinématographe, notamment pour la fabrication des positifs.
C'est ainsi que je m'étais rendu au bazar de l'Hôtel-de-Ville, où, pour la somme de un franc, j'avais acquis un petit châssis photograhique - du modèle que tout le monde connaît - que j'avais utilisé pour faire les premiers échantillons de positifs par contact.
Puis je m'étais rendu chez un de mes amis, charpentier, à qui j'avais confié ce petit châssis, en lui demandant de m'en construire un de vingt mètres de longueur, sur le même modèle, mais fixé sur des tréteaux au moyen de charnières.
J'avais, en même temps, commandé à un verrier vingt mètres de glace (qui me furent livrés en cinq longueurs de quatre mètres), la largeur correspondant à celle du châssis que j'avais commandé au charpentier.
Sous ce châssis, j'avais placé 250 lampes électriques pour remplacer la lumière naturelle, l'atelier devant constamment rester au noir pour les autres manipulations photographiques.
En moins d'un mois, j'avais tout installé et j'avais pu placer sur les plaques de verre mon premier négatif, en le repérant avec le positif vierge au moyen des perforations qui se trouvent sur les côtés latéraux des bandes.
Les lampes électriques étaient allumées plus ou moins longtemps, selon l'intensité du négatif et la sensibilité de l'émulsion positive employée. Les bains de développement, fixage et rinçage avaient les mêmes dimensions et, lorsque les films étaient suffisamment rincés, on les accrochait par leurs extrémités au plafond de la salle, où ils passaient la nuit.


PATHÉ, 1926 : 96-98. 

La Compagnie Générale de Cinématographes, Phonographes et Pellicules (décembre 1897-juillet 1900)

C'est en octobre 1897 que Charles Pathé reçoit la visite de Claude Grivolas qui va créer, peu après, la Compagnie générale de Cinématographes, Phonographes et Pellicules :

M. Grivolas était un amateur riche et ingénieux. Il travaillait, lui aussi à la construction d'un appareil spécial pouvant, à volonté, photographier ou projeter de 20 à 40 images à la seconde au lieu de 16. À l'occasion, il nous chargeait de quelques travaux et nous achetait des films de provenance Edison, surtout pour ses expériences.
[...]
Sa première visite avait eu lieu en Octobre 1897. Quelques semaines plus tard, il vint me demander si, éventuellement, nous serions disposés, mon frère et moi à donner à notre affaire l'extension qu'elle méritait en la vendant à un groupe important dont il était le mandataire: « Si vous admettez le principe. d'une participation aux bénéfices pour nous deux, lui répondis-je, il n'y a aucun doute que mon frère et moi, ne considérions votre offre». Il répondit affirmativement. D'accord avec mon frère, je rédigeai sur-le-champ une option stipulant le paiement d'une somme de 100.000 francs en espèces, plus 100.000 francs d'actions d'apport. 


PATHE, 1940: 47.

La Compagnie Générale de Cinématographes, Phonographes et Pellicules est donc formée le 11 décembre 1897. Elle a pour objet :

L'acquisition et l'exploitation industrielle et commerciale des ateliers de fabrication et magasins de vente d'objets concernant les cinématographes, phonographes et autres articles de MM. Pathé frères, demeurant à Paris, rue de Richelieu, nº 98.


Alfred BONZON, Manuel des sociétés par actions de la région lyonnaise, Lyon: Imprimerie A. Rey, juin 1899, p. 722.

Le capital est fixe à 1.000.000 de francs. Quant à Claude Grivolas, il apporte à la société "la promesse de vente du fonds industriel et commercial que MM. Pathé frères exploitent à Paris, rue de Richelieu, 98, ensemble la clientèle, la concession d'exploitation des brevets, etc. En représentation de cet apport, il est attribué à M. Grivolas 1500 actions, entièrement libérées, de 100 francs chacune.Claude Grivolas figure comme asministrateur, alors que Jean Neyrat et Joseph Gignoux sont les présidents de la compagnie.

Dès le début, Claude Grivolas va prendre les choses en main. Il décide, en particulier, de construire une usine à Chatou où il est bien implanté. Les travaux commencés en février 1898 vont se prolonger par étape jusqu'en décembre 1899 et les ateliers sont ouverts au fur et à mesure. Dès 1898, un premier catalogue de cylindres enregistrés compte déjà 3000 titres et la marque est déposée en avril de la même année.

1898 04 16 compagnie generale cinematographes marque
Marque de la Cie Générale de Cinématographes, Phonographes et Pellicules (16 avril 1898)
Instruments de Musique et de Précision. 1886-1900. INPI. 

Un journal local évoque, à l'occasion d'une matinée, une partie des artistes qui, d'une manière ou d'une autre, participent aux enregistrements phonographiques :

CHATOU
[...]
Une matinée aux "Capucines".
Ayant appris que M. Waldek-Rousseau, président du Conseil des ministres, devait visiter le siège social de l'établissement Pathé frères, rue de Richelieu, à l'Académie du Phonographe, au Théâtre des Capucines, je suis allé rendre visite à notre compatriote, Léo Lefebvre, agent général de la Compagnie générale de phonographes et cinématographes, qui dirige ce dernier service.
Accompagné de MM. Emile et Charles Pathé, de Coquelin cadet et de Georges Dufayel, M. Waldeck-Rousseau a été reçu aux "Capucines" par M. Léo Lefebvre, assisté de son collaborateur, M. Marius Roubaud, et entouré d'une partie du personnel artistique de son service : MM. Melchissédec, de l'Opéra; Montoya, de la Boîte à Fursy; Jean Meudroit, des Mathurins; Brunois, des Ambassadeurs; Valade, ténor soliste des Concerts Lamoureux; Corin, du Théâtre-Lyrique; Amond, de Parisiana; le violoniste Planel; Mmes Tanésy, de l'Opéra; Marie Boyer, de l'Opéra-Comique; M. Fontbonne, flûtiste solo de la garde républicaine.
A l'arrivée du ministre, Melchissédec a chanté la Marseillaise dans le "stentor", le phonographe perfectionné que nous avons pu apprécier en novembre dernier à la salle des Fêtes de Chatou.
Après lui, Mlle Tanésy, de l'Opéra, a chanté merveilleusement la Juive. Gabriel Montoya a chanté une de ses oeuvres: L'amour impossible, et Jean Meudrot une de ses spirituelles chansons satiriques.
Pour terminer, car l'heure du déjeuner était passée, le violoniste Planel a exécuté Sous la charmille, une de ses compositions.
M. Waldeck-Rousseau possédant un "stentor", les cylindres exécutés devant lui ont été envoyés au ministère de l'intérieur, en souvenir de sa visite aux "Capucines".
L'organisation de ce service est de plus intéressantes, et je me propose d'y retourner pour étudier de près l'enregistrement des cylindres artistiques, grands et petits, qui justifie le titre d'Académie du Phonographe donnée à ce service spécial installé par MM. Pathé frères au théâtre des "Capucines", et où défilent quotidiennement toutes les célébrités artistiques, littéraires et politiques de Paris.
P.E.


Le Réveil d'Argenteuil, Saint-Germain, Poissy et Meulan, Paris, jeudi 11 janvier 1900, p. 1.

Si au cours des dernières années du XIXe siècle, la Compagnie Générale de Cinématographes, Phonographes et Pellicules s'imposent comme l'un des producteurs français de phonographes et de produits phonographiques les plus en vue, on ne peut pas en dire autant du secteur cinématographique qui apparaît alors comme le parent pauvre de la société :

À partir de 1898, les apports dépendent pour beaucoup de Bünzli et Continsouza. Le chronophotographe de Joly n'a jamais été fabriqué ni commercialisé par la Compagnie, à la différence du projecteur Robuste, sorti des ateliers de la Manufacture, vendu 800 francs sans la lanterne. Il ne prend cependant pas l'avantage sur les autres appareils. Un seul exemplaire est inventorié en février 1899, puis trois l'année suivante. La production est faible et il est même possible que l'appareil de 1899 ait été comptabilisé à nouveau en 1900. La fabrication, quasi insignifiante, se ferait à la demande.


SALMON, 2014: 71.

La Manufacture Française d'appareils de Précisions de René Bunzli et Pierre-Victor Continsouza, fondée le 6 janvier 1898, va fabriquer, pour la Compagnie, des phonographes dès le mois de mai où elle reçoit une commande de 3.000 appareils. L'apport de Continsouza est, au dire de Charles Pathé est essentiel :

Dans cette mise au point successive de tous nos appareils, j'eus un collaborateur précieux en M. Continsouza, dont le mérite fut d'autant plus grand qu'il devait établir ses modèles sur les indications verbales que je lui donnais, car j'étais incapable de lui faire un dessin, ou même un croquis, des perfectionnements que je désirais.


PATHÉ, 1926: 110.

Le secteur cinématographique, quant à lui, reste en comparaison bien modeste. Le premier catalogue connu de vues animées date de 1896-1897 et comporte une vingtaine de titres auxquelles s'ajoute une dizaine d'autres manuscrits dont l'origine reste incertaine :

La production des films est coordonnée en grande partie à Vincennes mais la majorité des bandes est réalisée à l'extérieur. Le nom de Lavison apparaît à l'inventaire de 1899, apposé à 18 négatifs de 20 mètres et à un Cinématographe Lumière en consigne. De même, la Compagnie pourrait acheter des négatifs, comme le désignerait une mention à Th. Rarclo, en mai 1898. Le métier de décorateur est plus favorisé. La branche en emploierait déja un, Maurice Fabrège, aidé de trois assistants, Vasseur, Colas et Gaston Dumesnil. Tous sont élèves du décorateur de théâtre Cicéri et brossent à plat des décors sur toiles.


SALMON, 2014: 72.

Certaines vues, d'ailleurs, sont des "emprunts" comme les deux vues Edison (Danse du ventre et Loïe Fuller).

L'arrivée de Gaston Breteau qui a travaillé antérieurement pour Lumière et Gaumont marque sans doute une étape dans la consolidation du secteur cinématographique. Il figure dans les comptes de la société dès novembre 1898 :

29 nov. 1898 : Caisse aux suivants à Débiteurs divers :Breteau. Enc. Esp. 8760.


Compagnie Générale des Phonographes, Cinematographes et Appareils de Précision, Journal 1 bis, 1898. Fondation Jérôme Seydoux-Pathé

Si une bonne partie des vues sont tournées en extérieur, il existe, au nº 1 de la rue du Polygone (Vincennes), une salle vitrée, mentionnée dans l'inventaire de 1899, qui va servir de premier studio. On doit à Amédée Rastrelli, une évocation de ce premier studio :

M. RASTRELLI.-J'ai commencé avant PATHÉ. J'ai commencé rue du Polygone. Je suis un des premiers qui soit entré chez PATHÉ, j'ai connu BROTEAU [BRETEAU], ZECCA, WELLES [VELLE]. C'était l'époque du premier studio, la cour avec la verrière. Ils faisaient quelques attractions, on montait une scène sur des tonneaux. C'était rue du Polygone, au coin de la rue des Vignerons. Après, le studio a été agrandi et transporté rue du Bois.


FONDS SADOUL, Cinémathèque française, cote GS-A-34 COMMISSION HISTORIQUE  8 JANVIER-29 JUILLET 1944.

Malgré l'approximation de ses déclarations, Amédée Rastrelli apporte pourtant de précieuses informations relatives aux premiers pas du secteur cinématographique. Lors de ses premiers contacts avec la société, il rapporte que l'entreprise tournait des films publicitaires :

Pathé a pris la succession de Depesc [De Bedts] et Lumière, avec 20.000 francs. Je le sais ça, je travaillais un peu avec eux, puisque je leur fournissais quelques attractions. Ils ont fait des films publicitaires : Le Pierrot gourmand, Potin, des machins pour des nouilles, des choses de publicité. C'est comme ça qu'ils ont commencé.


FONDS SADOUL, Cinémathèque française, cote GS-A-34 COMMISSION HISTORIQUE  8 JANVIER-29 JUILLET 1944.

Dès que la société va chercher à protéger ses vues animées, le nom "Pathé" ou la marque "PF" (Pathé Frères) fait son apparition dans le décor. Elle figure - de façon non systématique - dans la production jusqu'en 1901. L'un des premiers films à être ainsi estampillé figure dans le premier catalogue datant probablement de 1896-1897 sous le titre Au cabaret.

0018 0247 0621
Au cabaret (1896-1897) [Danse en costumes du temps de Louis XV] [Farce dans un atelier de peintre]
0139(w) 0042(w) 1901 executionner 
Danse espagnole [Dispute]  [The Executionner]

Marque sans doute d'une réorganisation interne, l'arrivée de Ferdinand Zecca constitue un tournant dans la production de la société. Déjà présent dans le secteur phonographe, il tourne des "scènes ciné-phonographiques" avant de prendre en charge le secteur cinématographique, sans doute en 1900.

La Compagnie Générale de Phonographes, Cinématographes et Appareils de précision (août 1900-1906)

Les nouvelles responsabilités de Ferdinand Zecca sont probablement à rapprocher de la réorganisation que va connaître la société en août 1900. C'est en effet à cette date que prend fin la collaboration entre la Manufacture et la Compagnie pour une fusion qui donne naissance à la Compagnie Générale de Phonographes, Cinématographes et Appareils de précision :

Manufacture française d’appareils de précision. (Dissolution). — Par délibération prise le 7 août 1900, par l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la Manufacture française d’Appareils de précision, Société anonyme au capital de 1.000.000 de francs, siège à Paris, boulevard de Belleville, 25, l’assemblée a voté la fusion de cette Société avec la Compagnie générale des Cinématographes, Phonographes et Pellicules (aujourd’hui Compagnie générale de Phonographes, Cinématographes et Appareils de précision), ayant son siège à Paris, rue Richelieu, 93, par l’apport à cette dernière Société de tout l’actif de la Manufacture française d’Appareils de précision, moyennant l’attribution a son profit de 6.686 actions de 100 fr., entièrement libérées, de ladite Compagnie générale de Phonographes, Cinématographes et Appareils de précision, et aux conditions et charges exprimées en la délibération. A décidé que la dissolution anticipée de la Manufacture française d’Appareils de précision aurait lieu de plein droit a partir du jour où ladite fusion serait définitive. A nommé liquidateur la Compagnie générale de Phonographes, Cinématographes et Appareils de précision, représentée par son conseil d’administration.— A. P. 9-10 1900..


Cote de la Bourse et de la banque, Paris, 9 octobre 1900, p. 3.

Le secteur "phonographe" reste encore dominant à l'époque et occupe une dizaine de voyageurs qui parcourent le monde afin de diffuser et d'enregistrer des cylindres dans des salles d'enregistrement louées à cet effet. Parmi ces figures, on trouve en particulier Pierre Caussade et Léo Lefebvre, agent général, dont on pense qu'il est le premier à avoir introduit les vues animées de la maison Pathé aux États-Unis.

Le développement de la branche cinématographique va conduire l'entreprise à racheter la totalité du restaurant Hervillard dont il occupe déjà une partie. La presse locale s'émeut de la disparition d'un lieu si prisé par les Parisiens :

Vincennes
Encore un joli coin qui disparaît
Le restaurant Hervillard, 1, avenue du Polygone, si réputé par sa bonne tenue et sa succulente cuisine va bientôt avoir vécu. Cet établissement, qui est sans conteste un des meilleurs de toute la banlieue, sera certainement regretté d’un grand nombre de nos gourmets parisiens qui en avaient fait leur rendez-vous favori.
La maison vient d’être achetée par la Compagnie générale des phonographes, cinématographes et appareils de précision (anciens établissements Pathé frères), dans le but d’agrandir leurs ateliers de cinématographie qui y sont déjà contigus. La Compagnie fait également construire, 43, rue du Bois, un atelier spécial pour la prise des scènes cinématographiques qui réunira, au point de vue de l’outillage, tout ce que la science moderne a pu produire de perfectionnements dans cette branche si complexe qu’est la chronophotographie.


Le Tribun, Montreuil, dimanche 29 juin 1902, p. 2.

L'atelier de la rue du Bois va disparaître l'année suivante au profit d'un nouveau studio dont le décorateur Hugues Laurent donne une brève description :

Le petit théâtre de la rue du Bois était un vaste rez-de-chaussée limité par quatre murs; il présentait sur deux de ses côtés une série de bureaux, au-dessus desquels une galerie distribuait des loges d'artistes et de figurants . A cette époque, quand des prises de vues nécessitaient dix figurants, c'était exceptionnel. Deux rails placés au niveau du sol, dont un était creux, traversaient le· théâtre dans le sens longitudinal; ils servaient aux déplacements d'une cabine montée sur roues, dans laquelle s'enfermait l'opérateur avec son appareil de prises de vues au moment des scènes truquées.


LAURENT, 1957: 5.

À cette époque, les tournages restent encore bien rudimentaires, ce dont témoigne aussi Amédée Rastrelli :

M. RASTRELLI
[...]

On ne pouvait pas développer, à cette époque-là. On avait un sac qu'on mettait sous l'appareil; l'appareil était comme le Continsouza de la suite; le sac était dessous, et la pellicule tombait en vrac dedans. On le déligaturait de dessous l'appareil, et on portait ça dans le labo.
L'appareil était dans une guérite, sur un rail, quand on voulait avancer, on poussait la guérite. C'était une guérite avec une chambre noire. Quand il fallait retourner le film pour faire une scène truquée, on marquait au crayon, et on allait chercher ça dans le panier, pour replacer la partie en question dans l'appareil. On n'avait pas d'appareils pour tourner à l'envers.


FONDS SADOUL, Cinémathèque française, cote GS-A-34 COMMISSION HISTORIQUE  8 JANVIER-29 JUILLET 1944.

Au début du siècle, la production commence à augmenter de façon sensible. D'une centaine en 1901 on passe dès l'année suivante à plus de 220 vues animées. Si Ferdinand Zecca est sans doute l'auteur d'un bon nombre d'entre elles, d'autres cinématographistes et techniciens vont faire équipe autour de lui : Henri Ménessier, Gaston Dumesnil, Albert Colas...

En 1903 il y avait chez Pathé deux opérateurs : Ventzel et Legrand, celui-ci était chargé de la formation des nouveaux arrivants : Fourel, filleul de Madame Pathé et Caillau, tapissier de son métier et gendre du Directeur. Legrand était aux appointements de 55 francs la semaine et reçut 60 francs à son départ pour le tour du monde, à la fin de 1905. Les décorateurs, beaucoup mieux payés, débutaient à 90 francs la semaine (celle-ci, à cette époque était de 60 heures, réglée, tous les samedis, en or). Les metteurs en scène avaient les mêmes appointements. Lorsqu'on fournissait un scénario à la Société Pathé (scènes comiques, scènes truquées) on touchait généreusement la somme de 100 francs.


LAURENT, 1957: 7.

Par la suite, parmi d'autres arrivants, on trouve Hugues Laurent, Georges Hatot... Grâce aux souvenirs de ce dernier, on a une idée de l'organisation générale. Le lundi se tient la réunion sous la responsabilité de Charles Pathé. Il s'agit de faire le plan de travail pour la semaine :

M. HATOT [...] Il fallait que le lundi à la réunion avec Charles Pathé, il donne un, deux ou trois scénarios dans lesquels Charles Pathé soit-disant choisissait. Or, moi, je faisais les scénarios le Dimanche. Je restais chez moi et j'écrivais. J'avais mon secrétaire qui écrivait les scénarios que je lui dictais ; le lundi matin avant de rentrer à la réunion, je leur distribuais mes bouts de papier. Chacun lisait son scénario. Quand c'était fini, Charles qui n'avait rien compris me regardait. Il me faisait : "Oui". Je prenais toujours les scénarios où il y avait le plus de frais. Les autres n'avaient pas à s'occuper de ce que je faisais, de ce que je comptais, parce qu'ils ne foutaient rien. Ils n'arrivaient même pas à écrire le petit bout de papier.


Cinémathèque Française, Les Débuts du Cinéma, Souvenirs de M. Hatot, 15 mars 1948, p. 29. CRH52-B2

pathe vincennes usines 1903
Vue de l'usine de Vincennes (Seine)
Pathé Frères, Supplément de juin 1903, juin 1903, p. 16.

Amorcé dès 1901, le développement des activités cinématographiques s'accentue au cours des années suivantes :

En février 1904, Charles Pathé souligne "le grand développement de la branche cinématographique", impression vérifiée entre mars et décembre car le chiffre d'affaires augmente de 45 % pendant la période. En 1905, la progression reste considérable : en avril et en mai, mois traditionnellement creux, elle est de 39 % et de 45 % par rapport à l'exercice précédent. Les deux branches se disputent la primauté pendant le second semestre 1905, puis le basculement est définitif en mars 1906.


SALMON, 2014: 129.

L'année 1903 est marquée surtout, en interne, par le départ de Ferdinand Zecca, vers le mois de mars probablement. Il quitte Pathé afin de rejoindre le concurrent Gaumont afin de former l'équipe de tournage dont Alice Guy. Cette défaillance va conduire à réorganiser le secteur cinématographique avec le recrutement de nouvelles figures comme Gaston Velle ou Henri Vallouy. Le premier est déjà un cinématographiste aguerri qui a travaillé pour la société Lumière, quant au second il devient un important reporter qui nourrit le catalogue de vues étrangères. Se fait jour alors le besoin de construire un nouveau studio qui est achevé en mars-avril 1904. Il se trouve à Montreuil-sous-Bois, non loin de celui de Georges Méliès.

0871 01
Le premier théâtre de prises de vues de Charles Pathé, rue du Sergent-Bobillot, à Montreuil-sou-Bois. On voit dans le fond le décor établi par Zecca, pour La Passion du Christ. Ce fut plus tard le studio Albatros.
(Document Zecca).
Reproduit dans: ZECCA, 1935: 37. 

Les possibilités de tournage augmentent ainsi et la production va connaître une belle envolée dès 1904. Des oeuvres plus ambitieuses sont alors inscrites au catalogue :  Guerre russo-japonaise (1904), Don Quichotte (1904), Métamorphoses du papillon (1904), Peau d'âne (1904), Le Règne de Louis XIV (1904), Au pays noir (1905), L'Honneur d'un père (1905), Martyrs chrétiens (1905), L'Alcool engendre la tuberculose (1905)...

Au cours de cette période vont se multiplier les succursales en Europe et dans le monde qui prennent la suite des représentations : Londres, Barcelone, Berlin, New York, Bruxelles, Shanghai, Mexico, Milan, Vienne, Amsterdam, Melbourne... 

L'anné 1905 est marqué par une crise "familiale". Théophile Pathé, jeune frère de Charles Pathé, dirige, à Berlin, la succursale allemande de la Compagnie Générale des Phonographes, Cinématographes et Appareils de Précision, Anciens Établissements Pathé-Frères, depuis l'automne 1903. La bonne santé de cette filiale allemande conduit le frère à s'émanciper en créant la société "Th. Pathé frères" (1905) dont le nom joue sciemment sur sa proximité avec "Pathé Frères". Face aux décisions prise par Charles Pathé de reprendre en main les affaires de la succursale berlinoise, Théophile va tenter une action auprès du Tribunal de Commerce, mais sans succès comme l'exprime le jugement de novembre 1905 :

… Attendu que Théophile Pathé prétend que Pathé frères après l’avoir installé à Berlin en novembre mil neuf cent trois comme leur seul représentant pour la vente de films cinématographiques auraient abusivement et sans droit rompu brusquement le deux février mil neuf cent cinq les engagements qu’ils auraient contractés à son égard qui étaient de lui envoyer les marchandises ils l’auraient mis dans l’impossibilité de jouir du fruit de son travail, qu’il requiert en conséquence au Tribunal de résilier aussi de Pathé frères les conventions d’entre les parties, d’obliger ces défenseurs avec pour prix facturés les marchandises fournies et actuellement à Berlin le stock disponible pour le préjudice causé, de les condamner à lui payer une somme de cinquante mille francs au titre de dommages et intérêts. Mais attendu que des débats et des documents fournis il résulte que si à la vérité Pathé frères ont loué à leur nom le local dans lequel Théophile Pathé est installé à Berlin, lui ont même indiqué de mettre sur ses imprimés les mots " filiale Pathé ", ils n’ont eu d’autre but, en lui concédant une remise relativement importante, non seulement sur des films cinématographiques qu’il se faisait expédier, mais encore sur les films cinématographiques Pathé frères vendus en Allemagne, que de venir en aide à son frère malheureux ; qu’ils n’ont agi à son égard que par pure bienfaisance sans avoir passé avec lui aucun contrat quelconque, que cependant peu reconnaissant de la situation de frère qui lui était faite, il vendait des films de maisons concurrentes, qu’il se préparait même à monter une fabrique de produits similaires ; que dès lors il doit ne s’en prendre qu’à lui-même et à ses agissements répréhensibles du dommage qu’il a pu éprouver par suite du refus justifié de Pathé frères de continuer à lui céder des films de leur maison ; qu’ainsi sa demande à toute fins qu’elle comporte doit être rejetée. Le tribunal jugeant en Premier ressort déclare Théophile Pathé mal fondé en sa demande à toutes fins qu’elle comporte. Le déboute et le condamne par les voies de droit aux dépens, de même ainsi de l’enregistrement du présent jugement, les dépens du chef de Pathé frères. Ordonne que le présent jugement sera exécuté selon sa forme et teneur jugé par MM. …


" Jugement du Tribunal de Commerce ", Archives de Paris, D2 U3 3 737, 18 novembre 1905.

Par la suite, Théophile Pathé va lancer sa société Théophile Pathé et Compagnie (1906).

Alors que la situation globale de l'entreprise montre une belle dynamique, le début de l'année 1906 va voir la société être confrontée à une véritable crise due à l'hémorragie de collaborateurs qui abandonnent leur poste pour rejoindre des sociétés italiennes, alors en pleine expansion, et qui les attire grâce à des conditions meilleures que celles qu'ils connaissent chez Pathé. En quelques semaines ou quelques mois, la société laisse ainsi partir, contre son gré, Charles LépineEugène Planchat, Pierre Caussade, Ernest ZollingerGaston Velle... Pourtant, Charles Pathé va s'apercevoir que des plans d'appareils et de machines cinématographiques lui ont été dérobés et va se lancer dans un procès contre plusieurs de ses anciens collaborateurs. À l'issue du procès, plusieurs condamnations sont prononcées, le 2 juillet 1906, dont celle de Charles, Jules Lépine pour "tentative de divulgation de secrets de fabrique."

Nos employés infidèles, après cinq mois de prison préventive, ont été condamnés, savoir : Lépine, 10 mois de prison, 3000 francs d'amende, Zollinger 6 mois de prison, 2000 francs d'amende, Planchat est relâché et tous trois solidairement à 10000 francs de dommages et intérêts. Le jugement sera affiché dans nos divers ateliers.


PV du CA, 4 juillet 1906, livre I, p. 274-275 (SALMON, 2014: 183.)

L'entreprise va devoir reconstituer ses équipes en faisant appel à des cinématographistes tels que Segundo Chomón ou Albert Capellani. L'année 1906 est celle de profondes transformations qui marquent également une nouvelle étape dans la vie de l'entrerprise et de son fondateur. Un document de la collection Marc Ferrez provenant du Brésil montre combien la maison Pathé a déjà étendu son territoire sur le monde.

pathe 1906 marques bresil international
Cadernos de Marc Ferrez. Agenda Pathé Frères
Fundo Família Ferrez

Acervo do Arquivo National
Instituto Moreira Salles. Sao Paulo

Et après... (1907-1957)

Les années suivantes sont marquées par des réorientations dont la fabrication de la pellicule (1909), la concentration ses affaires aux États-Unis pendant la première guerre mondiale (1914-1918). Au cours de cette période, il est promu au grade de chevalier de la Légion d'Honneur (1914). Après le conflit, la perte d'influence du cinéma française conduit la société à chercher des capitaux afin de consolider la production et la distribution des films.C'est ainsi que se constitue Pathé Consortium Cinéma. Le contrat de Charles Pathé, reconnu fondateur de l'entreprise, est renouvelé pour dix ans, jusqu'en 1929, période au cours de laquelle, il développe le Pathé-Baby et le Pathé-Rural. Charles Pathé cède sa place à Bernard Natan, en mars 1929. 

Charles Pathé se retire dans le Sud de la France. Il décède à Monaco en 1957. 

Sources

GAUDREAULT André (Dir.), Pathé 1900, Université Laval/Sorbonne Nouvelle, 1993, 278 p.

LANGLOIS Henri, "Ferdinand Zecca. Premier chef de production... et fameux metteur en scène !", La Cinématographie française, numéro spécial, novembre 1935, p. 37.

LAURENT H., "Le décor de cinéma et les décorateurs", Bulletin de l'AFITEC, 11e année, nº 16, 1957, p. 3-11 et I-VIII.

MANNONI Laurent, "Les Studios Pathé de la région parisienne (1896-1914) dans Michel MARIE et Laurent LE FORESTIER, La Firme Pathé Frères, AFRHC, 2024, p. 59-84

PATHÉ Charles, Souvenirs et conseils d'un parvenu, Paris, Imprimerie Pierre Latour, 1926, 206 p.

PATHÉ Charles, De Pathé Frères à Pathé Cinéma, 1940, 224 p.

PATHÉ : Procès 1906 (Archives de Paris. D2 U6 C 149).

"Portrait de Charles Pathé", https://www.fondation-jeromeseydoux-pathe.com/cms/charles_pathe

SALMON Stéphanie, Pathé. À la conquête du cinéma 1896-1929, Paris, Tallandier, 2014, 640 p.

Remerciements

Bernard Bastide.

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