Le Mouvement de rotation de la terre

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Le Mouvement de rotation de la terre

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1 Pirou  
2 Eugène Pirou  
3 <01/12/1897  
4 France
 

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01/12/1897 France, Paris Eugène Pirou Cinématographe
 

Le mouvement de rotation de la Terre représenté par le cinématographe
PAR M. FLAMMARION (1)
L'invention si ingénieuse du cinématographe m'a inspiré l'idée d'en essayer l'application au mouvement de rotation de la Terre et à un certain nombre de phénomènes astronomiques.
Il y a bientôt un tiers de siècle, en 1866, j'ai inauguré à mes conférences astronomiques les appareils de projections à la lumière oxhydrique, dont les vues lumineuses complètent si heureusement les démonstrations.
M. Molteni voulut bien entrer dans cette voie, et nous commençâmes nos projections avec les trente figures de la première édition de mon petit livre des Merveilles célestes, qui venait d'être publié par la librairie Hachette. Trente clichés ! C'était alors tout le bagage de cette illustration des conférences. Aujourd'hui, dans le monde entier, il n'est pas un lycée, pas une maison d'éducation, pas une société savante ou artistique, qui n'ait son appareil de projection, M. Molteni a un nombreux personnel exclusivement employé à la construction de ces instruments et aux séances quotidiennes de Paris, le succès a toujours été grandissant, les vues comme les appareils se sont graduellement perfectionnés, et les catalogues de l'habile constructeur ne comptent pas moins de dix mille vues illustrant toutes les sciences, embrassant le Ciel et la Terre, sans compter un nombre au moins égal pour les séances spéciales demandées chaque jour.
Si je rappelle ces faits, c'est pour ajouter que nous pouvons essayer d'aller un peu plus loin aujourd'hui. Le cinématographe, malgré ses imperfections, sa trépidation si désagréable, ses sautillements fatigants et ses bruits un peu saccadés qui nuisent un peu trop à l'illusion en laquelle la contemplation aimerait se complaire, peut, me semble-t-il, dès maintenant, être appliqué aux démonstrations astronomiques. Il est plus vivant que l'appareil de projection et peut mieux répondre encore à la représentation de certains faits. Si nous considérons, par exemple, le mouvement de rotation de la Terre, nous n'avons pu le montrer aux yeux, jusqu'ici, qu'en peignant sur un cliché de verre le globe terrestre vu du prolongement de l'axe polaire, avec le pôle au centre et l'équateur à la circonférence, et en faisant tourner ce disque à l'aide d'une petite manivelle, On a certainement là une idée du mouvement de la Terre, des heures, des méridiens, du jour et de la nuit, mais on sent trop le mécanisme artificiel, et ce n'est qu'un simple appareil de démonstration. Par le cinématographe, au contraire, un globe terrestre peut être photographié tournant sur lui-même, en apparence isolé dans l'espace sur le fond obscur du ciel étoilé, incliné sur son axe, et vu de tous les points, de l'équateur aussi bien que du pôle. Nous pouvons, dès lors, avoir devant les yeux une image de la Terre telle que nous la verrions de la Lune, par exemple, et voir notre planète tournant lentement et majestueusement sur elle-même, d'un mouvement uniforme et tranquille.
C'est le tableau que vous allez avoir sous les yeux, et que je ne présente à la Société Astronomique que comme un essai, un début, laissant beaucoup à désirer. Mais les prémices de cette idée vous appartenaient.
Le voici. Recevez-le avec toute l'indulgence que l'on doit accorder à une réalisation qu'il a fallu créer de toutes pièces, et qui n'a pas encore reçu le poli qu'une étude plus complète lui donnera. C'est surtout l'idée que je vous présente, comme nouvelle méthode d'enseignement cosmographique, plus rapproché de la nature et de la vérité que les précédents :
Ici, l'appareil cinématographique projette sur l'écran la Terre, vue dans l'espace, et tournant sur elle-même. On voit passer successivement l'Asie, l'Europe et l'Afrique, l'Océan Atlantique, les deux Amériques, le Grand Océan, l'Australie ; puis, de nouveau, on reconnaît la Russie, l'Allemagne, la France, qui arrivent successivement. L'ensemble du globe est d'un ton vert-clair, dû à la couleur des mers, des forêts, des campagnes, et de l'atmosphère ; le pôle Nord, incliné de 23°, est blanc de neige; le Sahara est jaune, comme le sable. On reconnait les Alpes, les Pyrénées, les principales chaînes de montagnes, les lacs, les golfes, les grands fleuves, et même l'emplacement de Paris et de Londres, dont le diamètre est sensible.
Maintenant, Messieurs, que vous avez eu sous les yeux ce premier essai, je me fais un devoir de remercier, au nom de la Société, trois collaborateurs sans lesquels nous n'aurions rien obtenu : M. Bertaux, qui a fait dessiner un globe muet, représentant aussi exactement que possible la Terre, vue de loin dans l'espace ; M. Chateau, qui a su appliquer à ce globe un mouvement d'horlogerie le faisant tourner sans support apparent, et M. Pirou, qui a réussi à représenter exactement ce mouvement par le cinématographe.
Nous avons déjà commencé d'autres applications à l'Astronomie, et nous espérons pouvoir vous offrir prochainement : le Soleil, tournant lentement, avec ses taches et ses protubérances, la planète Mars, tournant avec une vitesse analogue à celle de la Terre, le monde de Jupiter, emporté par une rotation rapide, etc. M. Chateau ne désespère même pas de pouvoir donner une idée de la vitesse avec laquelle notre planète nous emporte à tout instant, dans notre translation si rapide autour du Soleil. Mais je n'ai pas voulu tarder plus longtemps à mettre sous vos yeux ce premier essai, quelque imparfait qu'il soit encore.
(1) Séance du 1er décembre 1897.


Bulletin de la Société astronomique de France, 12e année, 1er janvier 1898, p. 33-35.

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