Brise-lames
Brise-Lames (1897) : étude de quatre fragments
Brise-Lames (1897) : étude de quatre fragments
Jean-Claude SEGUIN
Thierry LECOINTE
Les Archives Nationales de Rio de Janeiro conservent un brevet pour "sistema de fotografias movimentadas" déposé par José Roberto Cunha Salles, le 24 novembre 1897, auprès du ministère de l'Agriculture (Privilégios Industriais). Joints à ce brevet, se trouvent en annexe quatre fragments de dix photogrammes, neuf complets et un partiel. Le préposé du ministère de l’Agriculture de l’époque note, à l’ouverture des documents le 13 décembre 1897:
Aberto para exame prévio e encerrado. Ao Excelentíssimo Senhor Doutor Esmeraldino Bandeira foi entregue uma das vias do relatorio e 1 amostra.
"Aberto para exame prévio e encerrado. Ao Excelentíssimo
Senhor Doutor Esmeraldino Bandeira foi entregue uma
das vias do relatorio e 1 amostra.
Em 13-12-97."
Brevet pour "sistema de fotografias movimentadas"
Source: Archives Nationales Brésiliennes.
De toute évidence, l’échantillon en question est le lot de quatre fragments.
Les documents actuellement présents aux Archives Nationales de Rio de Janeiro font état de quatre bandes négatives supplémentaires annexées au brevet. En fait, ces quatre négatifs ne sont qu’un tirage bien postérieurs aux positifs originels sur une pellicule identifiée qui est une Kodak 5063 TX de type 24 x 36 mm. L’une des bandes négatives est d’une qualité médiocre puisqu’elle montre à l’une de ses extrémités une superposition de photogrammes issue d’une des autres bandes et à l’autre extrémité une trace d’amorce. Sur cette bande négative, seuls sept photogrammes sont correctement reproduits et exploitables.
DA CUNHA SALLES José Roberto, Brevet pour "sistema de fotografias movimentadas", Rio de Janeiro, 27 novembre 1897.
L'étude filmique
La largeur des bandes
DA CUNHA SALLES José Roberto, Brevet pour "sistema de fotografias movimentadas", Rio de Janeiro, 27 novembre 1897.
Les tirages des positifs originels sur des bandes 35 mm contemporaines nous apportent quelques éléments d’identification. Ils montrent que les bandes originelles ne font pas 35 mm de large. Ensuite les perforations des bandes originelles sont d’une dimension bien inférieure à celles de la Kodak 5053 TX. Par ailleurs, sur les bandes positives originelles figure la trace des perforations des négatifs originels présentant une taille et forme strictement identique aux perforations des positifs originels. En outre, on constate une forme angulaire des photogrammes (coins à angle droit sans arrondi) et une absence d’inter-image entre chaque photogramme.
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Photogramme bord à bord (sans inter-image) |
Coins des photogramme à angle droit. |
Si le texte du brevet mentionne la largeur standard 35 mm, si les textes contemporains relatifs à ces quatre fragments parlent d’une pellicule 35 mm, le chercheur brésilien Máximo Barro a mesuré précisément la bande à 33,23 mm de large.
BARRO, 2000: 110.
Les scans que nous avons obtenus des quatre fragments originels ne montrent pas d’altération physique de la pellicule ce qui exclut toute notion de retrait du celluloïd. Ici, on ne peut admettre un retrait potentiel de 5 % du celluloïd (de 35 à 33,25 mm) sans altération de l’émulsion.
Cette largeur faible et bien inférieure à 35 mm est à comparer avec quelques autres bandes celluloïd qui ont pu être mesurées, soit par nous-même, soit par leur détenteur. Force est de constater que seules les bandes Edison des années 1894-1896 présentent, pour toutes celles auxquelles nous avons eu accès, des largeurs inférieures à 35 mm (entre 33,12 et 33,84 mm). Finalement, c’est bien la distance latérale entre deux photogrammes opposés qui est importante dans la pellicule car elle doit correspondre à la largeur des picots des roues d’entrainement des caméras et projecteurs. La largeur absolue de la pellicule sans excéder bien évidemment 35 mm peut être plus étroite.
Les perforations
Si l’on s’en réfère à l’étude de Harold Brown (Physical Characteristics of Early Films as Aids to Identification), la taille des perforations et la visualisation des perforations du négatif sur le positif montrant incontestablement qu’il s’agit d’une bande Edison :
Edison
This refers to Edison's early small-perforation films, not to the Edison Company's films of ca. 1906-1915.
This also has black margins, but has a quite different appearance from the prints of Paul. See that between the perforations of the positive, there is the image of the perforations of the negative. In making the print, the perforations of the negative and of the print film do not coincide. This is so in all of the few early Edison prints I have seen.
Compare with the prints of Paul, where the image of the perforations of the negative only shows very slightly, if at all. Here you can see a little bit of negative perforation (left-hand row); but not in any Paul film do images of the perforations of the negative lie completely between the perforations of the positive as in the Edison films.BROWN,
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Perforations et traces des perforations de la matrice (négatif) | Film Edison Titre non identifié (c. 1896) |
Le défilement des images
La numérisation et l’animation des 40 photogrammes par l’équipe brésilienne "Mukashi no Anime" a été effectuée à 18 images/seconde selon leurs informations. Cette vitesse d’animation montre un flux et un reflux des vagues sur les piliers du brise-lames assez lent. De toute évidence la vue originelle a été enregistrée à une vitesse supérieure. Nous n’avons pas pu obtenir d’autres simulations à des vitesses différentes nous permettant de chiffrer la bonne cadence. Probablement, nous serions autour de 30 images/seconde. Quoiqu’il en soit, nous ne connaissons aucune technologie dans les films des premiers temps des années 1894-1897 utilisant une vitesse d’enregistrement aussi élevée à l’exception des vues Edison. Lumière a établi une vitesse théorique à 15 images/seconde sachant que deux tours de manivelle de son cinématographe par seconde permettent d’atteindre 16 images/seconde. Méliès utilise des cadences de 12 ou 16 images/seconde ces années-là. Gaumont est à 16 images/seconde aussi. Peter Domankiewicz, dans un échange de 2023, nous confirme qu’en ce qui concerne les films tournés par Birt Acres, lorsqu’il travaille avec Robert William Paul, l’examen de tous les documents montre qu’aucun d’entre eux n’a été filmé à plus de 16 images par seconde. Il explique en outre que les films du Kinétoscope d’Edison, en revanche, ont été tournés à 40-46 images par seconde. Il ajoute à propos du Vitascope lancé en avril 1896 :
When Edison’s team finally cracked the creation of a camera that could go on location shortly after that (having failed on earlier attempts), one would assume that Edison’s notion of the need for over 40 frames a second would have prevailed.
DOMANKIEWICZ, 2003.
Ces nouveaux films pouvant être visionnés à la fois dans les kinétoscopes ou projetés sur un écran. L'analyse des films survivants de 1896 le confirme. Il précise :
I've run quite a few of them through variable speed processing. The Sea Beach Scene, the Scene on Surf Ave Coney Island, and Shooting the Chutes all look good at about 38 fps. Dramatic scenes like Interrupted Lovers, The Burning Stable and The Lone Fisherman all surpass 40 fps - indeed, the first of those may even attain Edison’s mythic 46 fps.
DOMANKIEWICZ, 2003.
Il explique que comme il s'agissait d'Edison, on suppose que la caméra était alimentée électriquement, mais qu’il y avait aussi clairement des variations de vitesse. A Morning Alarm de novembre 1896 semble, par exemple, fonctionner confortablement à 30 images par seconde. Cela pourrait être dû aux caprices de la batterie (il semble qu'il faisait froid ce jour-là).
L’analyse du matériel confirme donc que la pellicule utilisée était une bande conditionnée par Edison, le tournage a été effectué avec une caméra Edison et de tirage a été exécuté dans les ateliers Edison.
L'étude cinématographique
Le titre
Les fragments de film en annexe du brevet de Cunha Salles ne portent aucun titre. Toutefois dans le texte du document, José Roberto Da Cunha Salles évoque "notre baie" :
com o auxilio da lus dymnamica é a imagem obtida revelada com todos os seus movimentos naturaes, imagem, cujo especime pelo abaixo assignado copiada de um dos pontos da nossa bahia, a este acompanha em duplicata.
Implicitement, "nossa baia" fait référence à la baie de Guanabara, mais Da Cunha Salles aurait pu trouver un intérêt à cette localisation afin de s'attribuer la paternité de ces fragments et, par là, d'affirmer sa capacité à tourner des vues animées avec un système de son invention.
Brésil.-Rio de Janeiro-Entrée du Port et Baie de Guanabara
Edition de la Mission Brésilienne de Propagande-Paris 28, boul. des Italiens
Cette mention a conduit l'historiographie brésilienne, après 1970, à attribuer le titre Ancoradouro de pescadores na baia de Guanabara aux quatre fragments annexés au brevet ("sistema de fotografias movimentadas") déposé par José Roberto Cunha Salles, le 24 novembre 1897.
La localisation
DA CUNHA SALLES José Roberto, Brevet pour "sistema de fotografias movimentadas", Rio de Janeiro, 27 novembre 1897.
Les photogrammes des fragments conservés permettent d'identifier un élément maritime (lac, baie, mer, océan...) dont l'agitation peut se mesurer au rythme du flux et du reflux et des vagues et à la présence de l'écume. En outre, un brise-lames primitif s'inscrit dans une diagonale du photogramme. Ces ouvrages existent sur de très nombreuses côtes sur plusieurs continents... Toutefois, le plan assez serré ne permet pas de localiser le photogramme, ni de connaître sa situation géographique. Le groupe de recherches brésilien "Mukashi no Anime" a compulsé nombre d'ouvrages locaux et de collections dont celles de Marc Gerês sans parvenir à identifier le lieu où ont été pris ces fragments.
Les hypothèses sur l'origine de Brise-Lames
La découverte de ces quatre fragments a nourri de nombreuses hypothèses dont aucune à ce jour n'a pu être confirmée. Les chercheurs brésiliens, en particulier, ont évoqué plusieurs origines possibles au Brise-Lames, certaines locale dont certaines locales. L'étude filmique a montré que les fragments conservés proviennent d'une bande Edison.
Victor di Maio (mai 1897)
L'Italien Victor di Maio, qui réside au Brésil depuis 1891 ou 1892, dispose d'un appareil de projection, le "Cinematographo Edison" qu'il présente, semble-t-il, dans plusieurs villes brésiliennes dont Petropolis située à peu de distance de Rio de Janeiro. Dans la presse de cette localité, deux programmes complets sont publiés où trois titres ont une coloration locale : Uma artista trabalhando no trapezio do Polytheama, Chegado do trem em Petropolis, et Ponto terminal da linha dos bonds de Botofogo, vendo-se os passageiros subir e descer. On peut remarquer que dans le programme du jeudi 6 mai, les deux mots "do Polytheama" ont été retirés du premier titre. Selon une pratique habituelle, les opérateurs peu scrupuleux n'hésitent pas à adapter certains titres pour leur donner une coloration locale. Sans doute est-ce le cas de Victor di Maio, car ces "relocalisations" concernent des titres souvent manipulés. Ces doutes se renforcent lorsque l'on sait que l'exploitant ne semble disposer d'aucun appareil de prise de vues. Si l'on peut exclure l'hypothèse d'un tournage par Victor di Maio, le Brise-Lames pourrait faire partie du répertoire de l'opérateur si l'on tien compte du nom de l'appareil : "cinematographo Edison".
Les frères Segreto (juillet-novembre 1897)
À la fin du mois de juillet 1897, José Roberto Da Cunha Salles, juriste de formation, mais aussi bonimenteur, guérisseur, escroc..., s'associe aux frères Segreto, l'espace d'un mois, pour l'exploitation d'un "Cinematographo super Lumière" également nommé "vitoscopio" dans une salle connue sous le nom de "Paris no Rio". Il pourrait s'agir d'un vitascope Edison. On ne connaît que cinq titres du répertoire pour cette période :
Os quadros da dança Serpentina e o das melancias foram bisados.
Folha da Tarde, Rio de Janeiro, 31 juillet 1897.
et :
No salão de novidades Paris no Rio, onde funcciona o Animatographo Edison, inaguraram-se hontem os seguintes quadros: Os inglezes en luta de Brooks, uma scena do Tim tim por tim tim, representada no theatro de Lizboa e a prisão dos anarchistas em Paris.
Jornal do Brasil, Rio de Janeiro, mercredi 11 août 1897, p. 2.
À l'exclusion des deux premiers titres (la danse serpentine et les pastèques qui figurent dans le catalogue Edison, l'origine des trois autres reste incertaine, surtout dans le cas de Tim Tim por Tim Tim, un spectacle de variété qui se donne à Lisbonne et à Rio de Janeiro depuis 1892. Peut-on vraiment penser que Da Cunha Salles ou Segreto ont tourné des films en août 1897 ? Et avec quel appareil de prise de vues ? En effet, le vitascope n'est qu'un appareil de projection, et il n'est donc pas réversible comme l'est le Lumière. Ces pionniers, cédant à une manipulation fréquente à l'époque, n'ont-ils pas renommé ces vues animées pour stimuler l'intérêt des spectateurs comme l'a probablement fait Victor di Maio ?
Dès lors que les deux associés se séparent, à la fin du mois d'août 1897, les frères Segreto continuent, seuls, l'exploitation de l'"animatographo super Lumière" avec le même appareil de projection selon toute vraisemblance. Le répertoire jusqu'à la fin de l'année est peu connu, à l'exception du programme publié le 22 décembre qui propose un choix important de vues animées, mais dont de nombreux titres sont absents de la plupart des catalogues des principaux éditeurs de l'époque :
São esta as vistas novas que o animatographo Super Lumière inaugura hoje:
1ª Parte-Dansa caracteristica de uma menina, em Barcelona. Passagem de artilheria na rua Humberto 1º, em Torim, Policia que recolhe ao quartel, em New York, Jogador de faca em Barcelona, Passeio na praça Colonna em dia de festa, em Roma, O maior hippopotamo amestrado. Ciumes de um marido. Jogo de marinheiros, em São Francisco da California. Bonds electricos, em Londres. Serpentina nocturna.
2ª PARTE-Dansa russa. Montanha russa, em Bordeus, Salão de barbeiro. Lavadeiras, em Madrid. Caça oas touros, em Sevilha. Opera de Napoleão. Baile fantastico por uma menina. Carga de cavallaria, em Milão. Entrada do Saboia no porto de Napoles. Danza de uma coquette franceza.
3ª PARTE-Dansa de meninos. Quéda de um passageiro ao tomar um bond. Brincadeira de crianças. Um elephante amestrado. Um professor em aula. Uma criança travessa. Briga de box. Uma famila feliz. Um banho de bote. Serpentina borboleta.
4ª PARTE-Dansa de um padre com duas cocottes. Uma parada militar em Nova York. Avenida em Londres. Dansa na sombra. Luta romana. Briga em familia. Cefeiros no campo. Naufragio na barra de Lisboa. Dois namorados. Serpentina francesa.
5ª PARTE-Dansa de uma menina. Praia de Salerno. Dansa da tarantella, em Reggio (Calabria). Saltimbanco. Praça de Carlos Felice, em Genova. Pescador solitario. Marido embriagado. Artista em trapezio.
A inauguração se realisará ás 7 horas, com assistencia da imprensa e de outros convidados.
Gazeta da Tarde, Rio de Janeiro, mercredi 22 décembre 1897, p. 2.
Quelle est donc la provenance de ces vues où sont représentés de nombreux pays, mais où n'apparaît aucune vue brésilienne ? On sait qu'Affonso Segreto voyage à plusieurs reprises en Europe et tout particulièrement en Italie et en Espagne d'où il ramène des bandes :
Chegou hoje da Italia, no vapor Washington, o Sr. Affonso Segreto que trouxe uma grande collecção de vistas novas tiradas em Napoles, Roma e Barcelona, vistas que serão expostas, esta semana, no animatographo Super Lumière.
Por mais estes attractivos, a novidades devia chamar-se agora Europa no Rio.
Gazeta da Tarde, Rio de Janeiro, mercredi 1er décembre 1897, p. 3.
Malgré ces intenses activités cinématographiques, à aucun moment, il n'est question de tournage effectué par l'un des frères Segreto, même si, à plusieurs reprises, ils ont eu l'intention d'acheter un appareil de prise de vues en Europe ou aux États-Unis. À cette époque, José Roberto Da Cunha Salles dépose son brevet (27 novembre 1897) ce qui donne une date butoir au film Brise-Lames. Si ultérieurement, en juin 1898, Affonso Segreto va bien tourner des vues cinématographiques, dont As fortalezas e navios de guerra, rien ne permet malgré tout de savoir si six mois plus tôt il aurait pu tourner une vue animée. Si l'hypothèse de tournages par les frères Segreto en 1897 est peu défendable, on ne peut exclure que Brise-Lames ait pu faire partie de leur répertoire si l'on tient compte du nom de leur appareil : "vitoscopio", probable variante de "vitascope".
José Roberto Da Cunha Salles (novembre 1897)
L'auteur du brevet déposé le 27 novembre 1897 ("sistema de fotografias movimentadas"), José Roberto Cunha Salles, a logiquement été considéré comme l'auteur des quatre fragments annexés :
Concluida assim a operação, que começa pela obtenção do negativo e termina pelo desenvolvimento do positivo, é essa fita collocada em um apparelho de reproducção, ou projecção, e ahi com o auxilio da lus dymnamica é a imagem obtida revelada com todos os seus movimentos naturaes, imagem, cujo especime pelo abaixo assignado copiada de um dos pontos da nossa bahia, a este acompanha em duplicata.
Ainsi que nous l'avons indiqué antérieurement, si les bandes positives sont d'époque, tel n'est pas le cas des négatifs qui sont des retirages des positifs bien postérieurs. Cela indique qu'une manipulation a été effectuée et que les négatifs ont été rajoutés en annexe du brevet bien des années après. Ce dont on est sûr, c'est que José Roberto Cunha Salles est bien le possesseur des fragments positifs déposés, ce qui ne permet pas d'en connaître la provenance : les aurait-il tourné lui-même comme il semble le prétendre ou bien s'agirait-il de fragments d'un film alors exploité dans un appareil cinématographique ?
Quelques semaines après le dépôt du brevet, José Roberto Da Cunha Salles annonce qu'il vient de recevoir deux appareils de la maison Lumière dont un cinématographe :
Cinematographo Lumière
AO PUBLICO
Tendo recibido dos srs. Lumière & Filhos, de Paris, o mais aperfeiçoado dos seus cinematographos, o seu ultimo e mais esmerado trabalho, e bem assim fitas com photographias movimentadas, representando o que ha de mais bello, de mais sublime e mais importante na vida social da Europa, acho-me agora empenhando toda a minha actividade e esforço para brevemente proporcionar ao respeitavel publico desta capital agradabillissimos momentos da mais recreativa distracção.
Este ultimo pujante trabalho de Lumière, que é hoje propriedade minha, é de uma perfeição tão delicada, de uma precisão tal, que as photographias que elle reproduz, revelam-se com taes nitidez e naturalidade, que os corps photographados, devido isto á nenhuma oscillação na projejecção, exhibem-se como se reaes fossem.
Esta machina, que é um verdadeiro primor de arte, é considerada em Paris a obra prima de Lumière.
A par desta noticia de interesse para todos, outra não menos importante, e que muito deve surprender a nossa sociedade e enchel-a de justa e notavel anciedade, á que, tendo eu recebido tambem com o cinematographo Lumière uma machina especialissima para tirar vistas com movimentos de quaddros da nossa vida social, já iniciei este importantissimo serviço, para em breve offerecer tambem á admiração do nosso publico photographias movimentadas de costumes nossos, como sejam:-Uma sahida do presidente da Republica com os seus ministros; uma recepção diplomatica no palacio do Cattete; uma sessão no Supremo Tribunal Federal; uma parada do nosso glorioso exercito; uma evolução da nossa invicta esquadra; uma sahida dos operarios dos arsenaes de marinha e guerra; um dia de festa na rua do Ouvidor; e muitos outros quadros, que muito deverão interessar a todas as classes da nossa sociedade.
Assim como a Europa faz-se exhibir por meio desse engenho dos apparelhos no continente americano, nada mais justo e até louvavel, que um filho do Brasil queira ter a satisfação de vêr egualmente reveladas com todas as suas bellezas nas terras de além-mar quadros da vida social da sua patria, motivo este que induzio-me a emprehender esse famoso trabalho, que muito me está desvanecendo!!
Jornal do Brasil, Rio de Janeiro, mardi 14 décembre 1897, p. 2.
Il pourrait s'agir du "Cinématographe Spécial pour projections", datant de 1897, et dont il existe une version A pour film perforation type Lumière et une version B pour film perforation type Edison. Dans sa déclaration, il fait également mention d'une "machine très spéciale pour prendre des vues en mouvements". S'agit-il du cinématographe Lumière, mais alors pourquoi avoir acheté par ailleurs le cinématographe pour projections ? S'agit-il peut-être de l'appareil pour lequel il vient de déposer le brevet du 27 novembre ? Il évoque ensuite quelques titres dont on a l'impression qu'il s'agit plutôt de vues à venir, données comme des exemples possibles, que des films qui existent réellement. Dans l'hypothèse où il aurait tourné un film alors, il aurait eu les caractéristiques physiques des vues Lumière (inter-images, angles arrondis, voire perforations), mais non pas celles des films Edison.
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"Type Lumière" Défilé de l'artillerie du district de Columbia (nº 342). 1897. |
DA CUNHA SALLES José Roberto, Brevet pour "sistema de fotografias movimentadas", Rio de Janeiro, 27 novembre 1897. |
Quelques mois plus tard, José Roberto Da Cunha Salles présente, au théâtre Lucinda (janvier 1898), une liste de vues animées où l'on ne trouve que des vues du catalogue Lumière : Cortejo no casamento do principe de Napoles, Os soberanos da Russia passeiando com o presidento da Republica Franceza pelos campos Elyseos, A via-sacra e a entrada do Santo Sepulchro, O cortejo da corôa de Vienna d'Austria, : A briga das mulheres portuguezas que enchem um barbado !, O viajante e os ladrões, O povo na praça da Opera em Pariz, Um episodio turco, A demolição de uma casa (Cidade do Rio, Rio de Janeiro, samedi 15 janvier 1898, p. 4). Dans ce répertoire, on ne trouve, par ailleurs, aucune vue locale dont Da Cunha Salles aurait pu être l'auteur.
Cette présentation confirme que José Roberto Da Cunha Salles ne dispose que d'un appareil Lumière, autant dire que l'hypothèse d'un tournage avec un appareil Edison (Vitascope) tombe d'elle-même. On ne peut, en revanche, exclure le fait que Brise-Lames ait pu faire partie du répertoire de Da Cunha Salles soit lorsqu'il travaille avec les frères Segreto, soit dans les mois qui suivent.
Marée montante sur brise-lame (Georges Méliès, 1896)
Afin de poursuivre l'identification du fragment étudié, il faut dès lors s'orienter vers les grands éditeurs qui utilisent le format Edison qui ne sont pas très nombreux entre 1896 et 1898. Principalement, il s'agit d'Edison, Paul, Méliès, Pathé, Gaumont (format 35 mm)... et quelques autres de moindres importances. De fait, à partir de 1897, le modèle "Edison" à quatre perforations va se généraliser à l'ensemble de la production cinématographique. La consultation des différents catalogues connus - plusieurs centaines de titres - fait apparaître un nombre assez important de vues de bord de mer sont fort nombreuses. En parcourant le catalogue Edison (années 1896-1898), on trouve un certain nombre de titres qui évoquent des bords de mer et, surtout, des bords de plage et des baigneurs, surtout à l'Est du pays, mais aucun ne mentionne un quelconque brise-lames ou quelque chose qui pourrait s'y apparenter. Si l'on considère le répertoire Pathé (années 1896-1898), rares sont les vues maritimes à l'exception de titres épars comme La Mer sur les rochers dont le sujet n'évoque que des rochers. En ce qui concerne le catalogue Paul, compte tenu de sa provenance anglaise, on retrouve quelques vues en rapport avec la Manche, mais rien qui corresponde aux éléments suggérés par les photogrammes du fragment de film ici étudié.
En ce qui concerne le catalogue Méliès, les choses sont quelque peu différentes. On sait que Georges Méliès dispose d'une maison familiale à Villers-sur-Mer (Calvados).
B.F. Paris, Villers-sur-Mer. L'Heure du Bain. (1902).
Sur cette zone côtière, il va prendre lui-même plusieurs vues avec son premier appareil primitif en juillet 1896. Dans ces mémoires, il évoque les difficultés auxquelles il se heurte :
Méliès eut un jour le désir d’aller prendre sur place quelques vues maritimes, afin de corser son programme par des vues de plein air, ou de documentaires, comme on dit aujourd’hui. Et, bravement, il partit pour Trouville, puis pour le Havre, chargé comme un mulet. Ces deux journées de travail furent terribles. La tempête faisait rage, car Méliès avait choisi un mauvais temps pour obtenir de plus jolis effets. Son appareil ne pouvait contenir que 20 m de pellicule, et ne pouvait se décharger ni se recharger en plein air. Aussi dut-il se livrer toute la journée à une gymnastique sans précédent, démontant tout son matériel entre chaque prise, et transportant le tout chez un photographe pour y faire ses opérations. Il était seul et n’osait rien laisser sur place de crainte que quelqu’un vînt toucher son matériel et même… en emporter une partie. On peut se figurer la fatigue d’une telle opération, répétée vingt fois dans la journée, avec des kilomètres à parcourir sur des plages sablonneuses, dans lesquelles, ainsi chargé, on enfonçait jusqu’aux genoux. Mais Méliès, on s’en doute, avait le feu sacré. Il revint fourbu mais en rapportant triomphalement à Paris une quinzaine de vues qui produisirent sur les spectateurs un effet prodigieux. On n’avait pas encore vu cela ; aussi l’assaut des vagues furieuses sur les falaises de Sainte-Adresse, l’écume, le bouillonnage de l’eau, les gouttes d’eau projetées en l’air, les remous, les embruns qui voltigeaient, autant de choses banales aujourd’hui, fascinaient les spectateurs habitués à l’uniforme représentation de la mer, au théâtre, obtenue à l'aide de toiles peintes secouées par des gamins circulant à quatre pattes au-dessous d'elles. Ce qui enthousiasmait le public, c'était de voir, pour la première fois, une reproduction rigoureusement exacte de la nature. Ceux qui connaissaient bien la mer s'écrièrent : " Oh, ce que c'est bien cela !... " et ceux qui ne l'avaient jamais vue se figuraient y être pour de bon.
L'appareil n'étant muni d'aucun viseur, il fallait mettre au point comme en photographie, sur un fragment de pellicule dépolie, et le cadrage, toujours comme dans la photographie ordinaire, exigeait un voile noir pour l'opérateur, afin de n'être pas gêné par le jour. Au Havre, la violence du vent était telle que Méliès eut beau se cramponner à son appareil, il ne put empêcher son voile d'être arraché violemment et il le vit partir dans les airs comme un goéland, pour une destination inconnue. Il ne le revit jamais, bien entendu, et lui-même et son appareil furent culbutés dans le sable. Peu importait ! Que lui faisait, après tout, d'être transi de froid, mouillé jusqu'aux os et courbaturé par la fatigue ? Nous savons qu'il était soutenu par la foi... et ses vues étaient réussies ! Comment n'aurait-il pas été heureux comme un roi ?
Georges Méliès, " Mes mémoires " dans Maurice Bessy et Lo Duca, Georges Méliès mage, Paris, Prisma, 1945, p. 176-177.
Ce tournage au Havre, à Villers et à Trouville concerne en particulier les vues suivantes : Plage de Villers par gros temps, Jetée et plage de Trouville (1re partie), Jetée et plage de Trouville (2e partie). Quelques numéros plus loin, nº 59, se trouve le titre Marée montante sur brise-lame qui réunit les éléments qui figurent sur les vues du fragment retrouvé au Brésil, puis au nº 63, Tempête sur la jetée du Tréport. Tous ces titres - ce ne sont pas les seuls - montrent tout l'intérêt que Georges Méliès porte au bord de mer, mais également aux jetées et aux brise-lames. Si l'on se rapporte à Marée montante sur brise-lame, il y a certes une correspondance entre le titre et les photogrammes du fragment; on pourrait également évoquer le format de ces derniers (bord-à-bord, coins carrés) qui rappellerait celui de Brise-Lames.
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Salut malencontreux (nº 36). Printemps-été 1896. |
Automaboulisme et Autorité (nº 194-195) 1899. |
Il n'en reste pas moins que cette hypothèse est bien ténue. Ainsi, on ne connaît aucun film de la Star-Film présenté au Brésil avant le mois de juin 1898. Difficile de penser qu'un film "Méliès" ait pu être ramené par les Segreto ou d'autres. Là encore, on ne peut qu'être circonspect.
Bilan
L'analyse de l'élément filmique composé de quatre fragments a montré qu'il s'agit d'un film "Edison" dont on a du mal à penser qu'il ait pu être tourné par un cinématographiste local par manque de matériel ou d'expérience.
Pour l'heure, l'hypothèse la plus probable est celle d'un exploitant - José Roberto Da Cunha Salles, Victor di Maio ou les frères Segreto - qui dans son répertoire dispose de films "Edison" dont ce Brise-Lames, même si on n'en trouve pas de trace dans la presse locale. Le catalogue "Edison" ne conserve pas de titre rappelant ce Brise-Lames, ce qui laisse bien sûr la porte ouverte à plusieurs conjectures ou hypothèses...
Sources
BARRO Maximo, Na Trilha dos Ambulantes, Sao Paulo, Maturidade, 2000.
BROWN Harold (1967), Physical Characteristics of Early Films as Aids to Identification. New Expanded Edition, 2020.
DA CUNHA SALLES José Roberto, Brevet pour "sistema de fotografias movimentadas", Rio de Janeiro, 27 novembre 1897 et transcription.
DOMANKIEWICZ, Échanges Internet avec Thierry Lecointe, 2003.
Remerciements
Nous remercions le groupe de recherches indépendant "Mukashi no Anime" pour les éléments de contextualisation sur les origines du nom, le brevet du 27 novembre et sa transcription ainsi que quelques autres informations transmises par mail lors d'échanges répétés.
Arquivo Nacional do Brasil.