Paul THOMAS

(Marseille, 1888-> 1937)

thomas paul

Jean-Claude SEGUIN

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Jean, François Isidore Thomas ([1841]-Marseille, 24/02/1892)

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Les origines (1888-1904)

Fils d'un caissier principal au Comptoir d'Escompte, Paul Thomas réside à Marseille, au moins, jusqu'à la mort de son père en 1892.

Théophile Pathé (1905-[1906])

À peine âgé de seize ans, Paul Thomas va commencer sa carrière dans le monde du cinématographe chez Théophile Pathé. Il y côtoie Vincent Denizot et l'acteur Desgrieux :

Quand j'ai débuté au cinéma, dit Paul Thomas, j'avais à peine seize ans. C'était en 1905. Mes parents auraient voulu que je continue mes études, mais je ne rêvais que mécanique et chimie, et je finis par l'emporter. Un cousin me fit entrer dans les laboratoires de Théophile Pathé, où je commençais par faire modestement le tirage et le développement des négatifs.
Mon ambition, c'était naturellement de tourner. Je ne devins cependant opérateur que de longs mois après mon arrivée au laboratoire. Le premier film auquel je travaillai, je m'en souviendrai toute ma vie, s'intitulait La Retraite. Denizeau l'avait mis en scène et Desgrieux y tenait le rôle principal.
Un peu plus tard, Théophile Pathé réalisa Le Capitaine de Köpenick [sic]. Nous tournions les extérieurs rue de Ménilmontant, et cela n'allait pas sans peine. Le cinéma n'était pas comme aujourd'hui entouré d'admiration et d'égards. Dès que nous installions nos appareils sur le trottoir, un agent s'approchait et nous ordonnait de circuler. Pour avoir un peu la paix, nous étions obligés d'agir comme font les vendeurs " à la sauvette"· Nous repérions un endroit à peu près désert et nous postions des guetteurs pour nous prévenir, le cas échéant, de l'arrivée des agents ; nous nous hâtions alors de déguerpir pour reprendre le même manège un peu plus loin.
FRANCIS AMBRIÈRE.


Francis Ambrière, "Les souvenirs de Paul Thomas", L'Image, nº 15, Paris, 1932, p. 12.

C'est ainsi qu'il va se former à son métier d'opérateur.

Société Omnia (1907-[1908])

Fondée sous le nom de Société Anonyme pour exploiter le cinématographe Pathé frères (octobre-novembre 1906), elle vise dans un premier temps à exploiter la salle du cinématographe Pathé, 5, boulevard Montmartre. Elle change de nom pour prendre celui d' "Omnia".(octobre 1907). 

1908 omnia pathe
Octobre 1908. L'Omnia, cinéma Pathé, à Montmartre à Paris.

Paul Thomas va collaborer avec cette nouvelle société, en particulier pour les projections par automobiles qui sont à la mode à l'époque ::

Vers 1907, j'entrai à la Société Omnia et je fis partie des premières tournées de projection par automobiles. Temps héroïques ! Nous allions par les provinces; tout comme les comédiens ambulants d'autrefois ; et au hasard des villages, nous nous arrêtions pour donner une séance. Une salle d'auberge, une mairie, une grange, un bal couvert, tout nous était bon. Et nos salles étaient toujours combles : le cinéma était si peu connu !
Si peu connu même, que les bons paysans n'appelaient pas le directeur de notre tournée, l'excellent M. Chenu, autrement que : M. Pathé. Ils n'imaginaient pas, en effet, que l'industrie cinématographique pût tenir une place considérable. Ils croyaient de bonne foi que notre automobile était la seule à parcourir la France, et ils ne pensaient pas que M. Pathé eût mieux à faire que de nous accompagner.
Quelle vie charmante ! Nous logions chez l'habitant, et c'était à qui nous hébergerait. On venait visiter notre installation, et, pour la peine, les curieux nous laissaient, qui une bouteille, qui un panier de victuailles. Je me rappelle encore cette tournée dans la région de Reims où nous fûmes véritablement accablés de champagne ! Des hommes comme Monaco et Boutillon vous raconteront de bien amusantes histoires sur les cinémas baladeurs.


Francis Ambrière, "Les souvenirs de Paul Thomas", L'Image, nº 15, Paris, 1932, p. 12-13.

Société Lux ([1908])

Henri Joly, qui a fondé la Société des Phonographes et Cinématographes " Lux " (4 octobre 1906), recrute Paul Thomas en [1908] :

Je revins à la prise de vues quand je fus engagé par la Société Lux. Nos studios se trouvàient boulevard Jourdan. J'y demeurai deux ans avec des metteurs en scène oubliés aujourd'hui, Grêle, Bourgeois, Breteau, notre directeur artistique, et l'ex-prestidigitateur Luciow.
Les méthodes de travail de ce temps-là vous paraîtront bien primitives. Aux vacances, notre directeur arrêtait la liste des dix ou douze scénarios à réaliser. L'hiver, nous prenions tous les intérieurs au studio. L'été, nous tournions les extérieurs. Il n'y avait plus qu'à rassembler les morceaux de film ainsi obtenus, en prenant bien garde de se tromper. Mais alors même que nous ne confondions pas la salle à manger de la bande comique avec la salle à manger du drame social, il ne s'en produisait pas moins de petites erreurs réjouissantes. Le héros allait au rendez-vous d'amour en chapeau melon et il en revenait en chapeau de paille. Du coin de son feu, la vieille dame regardait à travers les carreaux, tomber la neige ; et quand elle sortait dans son jardin, tous les arbres avaient leurs feuilles ! Le public était bon prince et ne s'offensait pas de ces petites contradictions.


Francis Ambrière, "Les souvenirs de Paul Thomas", L'Image, nº 15, Paris, 1932, p. 13.

Gastaon Breteau ([1909])

À partir de [1909], Gaston Breteau s'installe à son compte et sollicite Paul Thomas pour travailler avec lui :

Quand Breteau quitta la Société Lux pour travailler à son compte, il me demanda ma collaboration et j'acceptai. Le premier film de la nouvelle maison fut un documentaire sur la Corse. Nous restâmes un mois dans " l'île de Beauté " ; un mois à courir de village en village dans une petite voiture à cheval, ameutant les populations et révolutionnant les auberges, qui n'en avaient jamais tant vu.
Au retour, Breteau s'installa à Montreuil. Dans un petit studio pas très riche, nous nous consacrâmes aux films à·trucs. Méliès avait mis ce genre à la mode, et il faisait alors fureur. Breteau et moi faisions tout par nous-mêmes, décors, scénarios, mise en scène, besognes matérielles de toutes sortes.
Viint le temps du service militaire.


Francis Ambrière, "Les souvenirs de Paul Thomas", L'Image, nº 15, Paris, 1932, p. 13.

Paul Thomas effectue alors son service militaire. Il est incorporé le 7 octobre 1909 au 4e bataillon d'artillerie à pied et il est renvoyé en congé le 24 septembre 1911.

Raleigh et Robert (1911)

Dès le milieu de l'année 1911, l'entreprise "Raleigh et Robert" va racheter le brevet du kinémacolor, et en décembre elle ouvre le Théâtre Kinémacolor. C'est à cette époque que Paul Thomas rejoint la société :

En 1910, après le régiment, je fis un court stage chez Raleigh et Robert, où je m'initiai au procédé Kinémacolor. Nous prenions surtout des images de modes, des fleurs, des paysages exotiques. Un film qui représentait les fêtes hindoues de Durbar demeura pendant plus d'un an, matinée et soirée, au programme d'un établissement de la rue Le Pelletier ; ce fut, je crois, la première " exclusivité "mémorable de l'écran.


Francis Ambrière, "Les souvenirs de Paul Thomas", L'Image, nº 15, Paris, 1932, p. 13.

Ciné-Chronique ([1911-1912])

Paul Thomas intègre "Ciné-Chronique" sans doute jusqu'à l'incendie de novembre de 1913 qui détruit vingt mille mètres de films :

Je remplaçai ensuite, à Ciné-Chronique, mon camarade Robert Molin, qui partait à son tour pour la caserne. Mais Ciné-Chronique tomba...


Francis Ambrière, "Les souvenirs de Paul Thomas", L'Image, nº 15, Paris, 1932, p. 13.

Bernard Natan ([1913])

Bernard Natan, qui a crée la société Rapid Film en 1912, va engager Paul Thomas :

... et c'est alors que M. Natan m'engagea dans sa maison; je ne l'ai pas quittée depuis, sauf pendant les années de guerre.
M. Natan nourrissait depuis longtemps l'idée de faire un journal cinématographique. A la fin de 1913, il créa Ciné-Gazette, et ce fut, en quelques semaines, un gros succès.
Aujourd'hui, le goût des actualités est extrêmement répandu ; au point que nous voyons chaque· jour se créer des salles spécialisées dans ce genre de vues. Mais il était déjà fort vif quelque temps avant la guerre. C'est que nous commencions vraiment de donner au public des " documentaires " authentiques.
" Méliès et Zecca vous l'ont raconté : les premiers cinéastes ne se souciaient guère de la vérité. De 1904 à 1910, que n'aura-t-on pas vu comme actualités truquées, fabriquées après coup et au studio ! C'est Pathé-Journal d'une part, et la Ciné-Gazette de M. Natan d'autre part, qui ont remplacé le chiqué par le réel.
Je vous assure qu'à cette époque-là nous avions un certain mérite à ne pas tricher. Il y avait toute une technique à créer, toute une équipe à former, et l'éducation de la foule
à faire. Souvent, il arrivait que nos opérateurs fussent gênés par les badauds et empêchés de faire leur travail, ou encore éconduits lorsqu'ils demandaient une facilité quelconque. Il y en avait d'ailleurs d'excellents, mais tous n'étaient pas également débrouillards ni malins ; à preuve, celui que nous avions chargé de filmer un duel au Pré Catelan Catelan, qui arrive quand tout est fini, et qui, sans plus réfléchir, va prier les deux adversaires réconciliés de recommencer à se battre... Je vous jure que l'anecdote est authentique !
Autre cause d'embarras : l'indifférence des pouvoirs publics. On n'ordonne plus une cérémonie aujourd'hui sans réserver aux photographes et aux opérateurs une large place. Heureux, vers 1913, quand on ne nous chargeait d'aucune défense ! Je me rappelle une réception au Ministère des Affaires Etrangères où l'on nous interdit l'accès des salons. M. Natan, qui malgré son travail accablant ne laissait pas de suivre de très près notre travail, voire d'y participer, décida que nous filmerions quand même la réception en question, et voulut bien m'accompagner.
Nous arrivons devant le Ministère. Il n'y avait vraiment qu'une solution : glisser l' objectif entre deux barreaux de la grille et tourner ainsi. Mais la grille était haute, le mur allant jusqu'à hauteur d'homme... Comment faire ? Pas le moindre café dans les environs, donc pas moyen d'avoir une ou deux chaises, et, l'heure pressant, pas le temps d'aller chercher une échelle...
Ce fut M. Natan qui trouva :
- Posez votre appareil, me dit-il. Et appuyez-vous à moi.
Et c'est ainsi qu'à califourchon sur les épaules de mon patron, je pus prendre les principales scènes de la réception interdite. Mais c'est un épisode de sa vie dont M. Natan ne se souvient jamais sans rire.Francis


Ambrière, "Les souvenirs de Paul Thomas", L'Image, nº 15, Paris, 1932, p. 13-14.

Au moment de la mobilisation générale, il est rappelé à l'activité le 2 août 1914 puis, le 8 avril 1915, il est muté aux "Etablissements Rapid Film" rue Ordener (Paris). Il est démobilisé et envoyé en congé illimité le 25 juillet 1919.

En 1920, il participe au tournage du Trésor de Kériolet.

thomas paul carpentier
"Carpentier et son manager Descamps dans "Le Trésor de Kériolet"
Ambrière, "Les souvenirs de Paul Thomas", L'Image, nº 15, Paris, 1932, p. 13.

En 1920, je passai quelque temps en Bretagne avec Georges Carpentier pour tourner Le Trésor de Kériolet.
Carpentier n'était pas qu'un boxeur de race, c'était un nageur émérite. Une des principales scènes du film consistait en un sauvetage en mer : le héros, Interprété par Carpentier, se jetait à l'eau et sauvait des flots l'héroïne, Mlle Netow. La prise de vues était difficile et il fallut recommencer la scène à quatre ou cinq reprises. Sans se plaindre, Mlle Netow, chaque fois, se jetait du haut du bateau dans l'océan. S'il lui fallait du courage, - et quelle confiance absolue en Carpentier ! - vous en jugerez quand je vous aurai dit qu'elle ne savait pas nager.
Paul Thomas se tait un instant.
- Depuis, eh bien ! je n'ai plus d'histoire. Je ne m'occupe plus à présent, chez Pathé-Natan que des servie.es techniques d'exploitation et de Pathé-Journal. Parti des laboratoires, me voici à nouveau dans les laboratoires. On revient toujours à ses premières amours...
J'ai bavardé encore quelques instants avec Paul Thomas. li ne m'a parlé que du cinéma, mais avec quelle flamme ! Et quand il m'a dit, pour conclure : .
- La vie est belle !
J'ai compris que sa vie, à lui, c'était le cihéma, et qu'il voulait dire :
- Le cinéma est beau.
FRANCIS AMBRIÈRE.
L'Image, nº 15, Paris, 1932.


Francis Ambrière, "Les souvenirs de Paul Thomas", L'Image, nº 15, Paris, 1932, p. 14.

Il est recensé en 1926, au nº 44 de la place Claude-Vellefaux (Hôpital Saint-Louis, Paris 10e), puis en 1931, au nº 4 rue Nobel (Clignacourt, Paris 18e).

 

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