CHÂTELLERAULT

Châtellerault, commune du département de la Vienne, compte 22 500 habitants (1894).

L'héliocinégraphe de Charles Arambourou (septembre 1896-juin 1897)

Le photographe châtelleraudais, Charles Arambourou, est le premier à offrir dans sa ville des séances de cinématographe. Pour ce faire, il a acquis un héliocinégraphe des deux inventeurs agenais Fernand Perret et Joseph Lacroix. Afin de pouvoir organiser ses projections, il aménage une salle, le " Théâtre des Attractions ". C'est là que le 20 septembre 1896 a lieu la première :

Une innovation à Châtellerault
Depuis dimanche dernier M. Arambourou, photographe, a ouvert à Châtellerault 18, rue des Limousins, près la rue de l'Arceau, une salle de séances artistiques, " les Attractions Châtelleraudaises ". Nous avons assisté à une de ces séances et nous en sommes revenus absolument satisfaits. La salle, décorée avec goût, est très confortable, l'éclairage est parfait et des morceaux de musique alternent avec chaque sujet du programme pendant que des jets d'eau lancent en l'air leurs gracieux effets. Un timbre sonne : c'est le signal des auditions lions phonographiques ; là encore, le bon goût a présidé au choix des morceaux que tout le monde peut entendre avec plaisir. La perception des sons est très claire et on croirait entendre des voix humaines et des meilleures. Ensuite, viennent les projections animées de scènes remarquables, ce sont : " Les brûleurs d'herbes ", " Les bateaux de Dieppe ", " Le train ", " Une scène de famille ", " Une partie de campagne ", etc. L'analyse de ces effets merveilleux du mouvement photographié et reproduit est tellement difficile à faire que nous engageons vivement le public à aller se rendre compte lui-même de l'ensemble absolument attrayant des séances que M. Arambourou a eu la bonne idée d'organiser. Nous sommes assurés qu'ils ne regretteront pas d'avoir suivi notre conseil et que, comme nous, ils seront émerveillés de l'ensemble de ce spectacle. Le prix, 50c., est d'ailleurs accessible à tous.
X et Y.


Le Mémorial du Poitou, Châtellerault, 23 septembre 1896, p. 2

Les films projetés dont difficilement identifiables car pouvant provenir de différents catalogues. Dans certains cas, on peut également penser qu'ils ont été tournés avec l'héliocinégraphe. Certains donnent lieu à des résumés dans la presse. Ainsi de la vue Enfants faisant l'exercice, on peut lire qu'il s'agit d'un " tableau plein d'une vigueur gamine qui fait plaisir à contempler. Ces enfants qui, dans les prés, marchent l'un  derrière l'autre et s'arrêtent ensuite pour faire les exercices à bras sont d'un naturel parfait. " (Le Mémorial du Poitou, Châtellerault, 3 octobre 1896, p. 2 ). Quant à la Partie de campagne, elle " nous montre une famille s'amusant sur la pelouse ; le père et le frère - sans doute - fumant et envoyant leur fumée qu'on voit monter en spirales, puis quittant leur cigarette pour cracher ; ensuite une voiture à âne arrive, on y voit monter les petites filles qui vont se promener. tout cela est bien vivant (Le Mémorial du Poitou, Châtellerault, 3 octobre 1896, p. 2 ).

Par ailleurs, Charles Arambourou combine ses projections avec des auditions phonographiques, une pratique assez courantes à l'époque dont le journaliste se fait l'écho avec quelques remarques relatives à l'hygiène non dénuées d'intérêt :

[...] Tout cela est bien vivant. Ajoutez à cela que, dans l'intervalle, M. Arambourou donne des auditions phonographiques parfaites, qui sont entendues de toute la salle sans qu'il soit besoin pour le spectateur de se mettre à l'oreille ces tubes, plus ou moins propres, dont les phonographes installés sur la place pour les foires sont pourvues.


Le Mémorial du Poitou, Châtellerault, 3 octobre 1896, p. 2.

On imagine qu'il s'agit d'un phonographe de type graphophone qui permet, en effet, d'éviter une écoute individuelle. Les séances vont ainsi se dérouler, alors que  Charles Arambourou offre aux spectateurs de nouvelles vues dans sa coquette salle. Il n'hésite pas à projeter des classiques qui ont déjà obtenu un succès dans d'autres villes en France  et à l'étranger comme la célèbre Danse serpentine :

Nouvelle soirée chez M. Arambourou
Dernièrement, nous donnions dans ces colonnes, le compte rendu d'une soirée à l'annexe de la photographie Arambourou, rue des Limousins, et annoncions pour une date prochaine une série de tableaux nouveaux.
Dimanche dernier, M. Arambourou présentait au public les nouveaux sujets dont nous pressentions l'arrivée.
Dès huit heures la salle était comble.
Ap,rès les projections des tableaux dont nous avons déjà parlé, et qui font de plus en plus l'admiration des spectateurs, M. Arambourou nous montra la danse serpentine, une photographie étonnante de netteté et de vérité. Qui a vu une danseuse serpentine a pu se rendre compte du naturel des poses et de la grâce de la danse reproduits par cette photographie.
Un dessinateur épatant : la photographie drolatique d'un monsieur qui fait, avec une vivacité comique, un dessin à la face de tous. Ce tableau est vraiment original.
Au moment où l'empereur et l'impératrice de Russie viennent de quitter la France, il était naturel que M. Arambourou - toujours en quête d'une nouveauté sensationnelle - nous fit admirer les portraits de ces souverains. Point n'est besoin de dire que cette partie du programme a été tout particulièrement goûtée des cinquante personnes qui se pressaient dans la coquette salle de spectacle de la rue des Limousins.
Enfin, pour terminer la soirée, une innovation que nous avions fait pressentir : les fontaines lumineuses. Également très réussie cette partie de la soirée.
Décidément M. Arambourou nous gâte et certainement, cet hiver les châtelleraudais pourront encore, pour peu qu'ils le veuillent, passer agréablement leurs soirées.
De nouveau nous félicitons M. Arambourou et lui souhaitons la réussite la plus complète réussite qui lui sourit déjà et que nous constatons avec plaisir.
NOEL ARMAN.


Mémorial du Poitou, Châtellerault, 14 octobre 1896, p. 2.

Avec des tableaux classiques ou des scènes actualités comme celle du tsar et de la tsarine, Charles Arambourou est sûr de faire mouche, tant il est vrai que ces vues rencontrent, là où elles sont présentées, un franc succès. Pour quelques jours, il va s'absenter afin de présenter à Poitiers son appareil de projection et les vues dont il dispose à l'occasion de la foire de Saint-Luc.

De retour, ce qui va constituer une réelle nouveauté, c'est que l'opérateur va se changer en cinématographiste. On sait combien la projection de vues locales rencontre toujours l'adhésion des spectateurs qui se délectent à reconnaître les voisins ou amis que l'héliocinégraphe a fixé à jamais sur la pellicule. L'édition du 11 novembre 1896 du Mémorial du Poitou rend compte de ces vues exceptionnelles :

 Soirée chez M. Arambourou
La salle de la rue des Limousins attire toujours vers elle les amateurs de gentil spectacle.
Dimanche, M. Arambourou nous avait invité à venir voir les nouveaux tableaux qu'il présentait pour la première fois au public.
Après les tableaux dont nous avons déjà parlé et qui font toujours la joie des assistants, nous vîmes l'arrivée à Châtellerault du train venant de Senillé ; après une audition phonographique prise à la gare de Senillé.
L'arrivée du train, la descente des wagons se fait d'une façon parfaite, à tel point qu'on croirait être véritablement transporté à la gare.
Le Café Blanchard, vue de la terrasse où sont attablés quelques consommateurs qu'on reconnaît aisément. En avant de la table on voit passer voitures, piétons, etc.
C'est en vérité charmant, aussi nous pensons qu'il est bon de recommander tout spécialement ces tableaux que M. Arambourou nous présente dans sa jolie salle de la rue des Limousins pour le modeste prix de 0,50 c.
N.A.


Le Mémorial du Poitou, Châtellerault, 11 novembre 1896, p. 2.

Incontestablement, Charles Arambourou tourne les films, mais il sait également les développer. En outre, et cela constitue une réelle nouveauté, c'est qu'il va enregistrer un cylindre pour son phonographe, à la gare même de Châtellerault. Si nous connaissons, dès les origines du cinématographe, des bruiteurs et des opérateurs qui présentent, voire qui combinent, des images animées et des auditions, c'est sans aucun doute l'une des toutes premières fois que le cinématographiste enregistre également le son sinon en synchronisme total - nous n'en sommes pas encore là -, avec une quasi simultanéité stupéfiante.

Après une rapide tournée qui le conduit à Civray et à RuffecCharles Arambourou reprend ses séances à Châtellerault. L'occasion pour lui de présenter de nouvelles vues locales, des actualités liées à la crue de la Vienne. Cette dernière a atteint son point culminant le 30 octobre 1896. Quelques jours plus les films sont au programme :

M. Arambourou réunit, le dimanche et le jeudi, une quantité fort appréciable de spectateurs ; il est vrai de dire que M. Arambourou est toujours en quête de nouveautés, et les séances qu'il donne sont d'un attrait irrésistible.
Dimanche dernier, devant une salle plus que comble, M. Arambourou, au cours de sa représentation habituelle, nous a fait admirer La Crue de la Vienne et Le bateau de sauvetage, deux tableaux vraiment parfaits de vérité, et qui ont provoqué de légitimes bravos.
Nous ne saurions mieux faie que d'engager nos lecteurs à assister à une de ces représentations.

N.A.


Le Mémorial du Poitou, Châtellerault, 18 novembre 1896, p. 3.

Après un bref passage à Thouars, le 21 novembre, l'opérateur reprend ses séances à Châtellerault. Les projections vont dès lors s'espacer et la presse n'évoque qu'épisodiquement les projections qui ont lieu, pour l'essentiel, le dimanche. Il n'hésite à se déplacer, comme il le fait les 28 et 29 janvier 1897, pour présenter l'héliocinégraphe à Niort. Afin de renouveler son répertoire, Charles Arambourou va présenter de nouvelles vues locales dans le courant du mois de février :

Attractions Châtelleraudaises
M. Arambourou, le sympathique photographe châtelleraudais continue la série des représentations héliocinégraphiques.
De nouveaux sujets de photographies animées et des morceaux de photographes variés et de bon goût en multipilient l'attrait.
Poursuivant en cela le but qu'il semble s'être donné en nous offrant outres des vues de la crue de la Vienne, le café Blanchard, à Châtellerault, M. Arambouroux [sic] présente maintenant au public des tableaux essentiellement châtelleraudais où revivent nos types de la rue, et toutes les petites excentricités des villes de province. Son plus récent, Le Rouleau à vapeur auquel est dévolu la mission d'écraser les caillous des routes, est une petite merveille d'exactitude. Curieux, charretiers et balayeurs et pullulent pour la plus grande joie du public.
Au demeurant, nous ne pouvons que lui souhaiter au bon public, d'apprendre et de ne plus oublier le chemin de la salle des Attractions châtelleraudaises. Le succès remporté par M. Arambourou à Civray, Ruffec et, plus récemment à Niort, succès constaté par les journaux locaux, est presque une obligation : qu'ils fassent mentir le proverbe : " Nul n'est prophète en son pays ! " en prouvant leur bon goût, M. Arambourou, d'ailleurs, nous a parlé de certains projets... Mais qui vivra verra, soyons discret.


L'Avenir de la Vienne, Poitiers, 10 février 1897, p. 3.

Sans doute les séances s'espacent-elles encore davantage, car la presse passe sous silence les projections qui ont pu être organisées. En tout état de cause, il semble que les vues locales disparaissent. Ça n'est que dans les premiers jours de juin, et ce pour la dernière fois, que l'héliocinégraphe refait parler de lui. Le Memorial du Poitou consacre à nouveau un long article à Charles Arambourou  :

Soirée chez M. Arambourou
Il y a longtemps que nous n’avions entretenu nos lecteurs de la coquette salle de spectacle de la rue des Limousins, aussi sommes-nous allé dimanche dernier rendre une visite au cinématographe. Une surprise nous y attendait, de charmants tableaux nouveaux nous ont été présentés concurremment avec les anciens dont nous avons parlé déjà et qui font plus que jamais l’agrément des spectateurs toujours nombreux. Nous avons relevé parmi les nouvelles photographies animées deux tableaux vraiment superbes, les Acrobates, naturels au possible, et les Plongeurs sénégalais que l`’on voit avec des mouvements vraiment vivants plonger dans la masse liquide de la mer, soulevant autour d’eux, dans leurs ébats, l’eau qui retombe en gerbes perlées, brillantes sous le soleil qui darde en ce moment ses rayons. Ce coin nautique est exquis et nous ne saurions trop engager nos lecteurs à aller rendre visite à la salle de la rue des Limousins, dont ils sortiront quelque blasés qu’ils soient véritablement émerveillés.
M. Arambourou nous a entretenu d’une idée qui nous semble bonne à mettre en pratique. Il a l’intention de transporter prochainement dans le faubourg Châteauneuf, pour une ou plusieurs soirées tout son matériel de spectacle. Nous l’engageons à mettre cette idée à exécution au plus tôt et nul doute qu’il n’obtienne dans le faubourg, le même succès qu’il obtient dans la ville.
M. Arambourou a parlé aussi de matinées à prix réduits, pour les enfants auxquels il ferait des projections des gravures des fables de Lafontaine avec énoncé des titres par le phonographe.
Nous souhaitons voir M. Arambourou remporter le succès qu’il mérite pour les attractions qu’il a introduites en notre ville, tant dépourvue sous le rapport des distractions.


Le Mémorial du Poitou, Châtellerault, 2 juin 1897, p. 3.

Les vues présentées n'offrent guère d'originalité, et il y en a de nombreuses semblables dans les différents catalogues des éditeurs de photographies animées. On a l'impression que le cycle se referme. Certes, le photographe cherche encore à diversifier ses séances et il a même le projet, quelque peu étrange, d'aller s'installer dans le faubourg de Châteauneuf pour y relancer ses projections... Nous n'en saurons pas davantage, car la presse n'évoque plus désormais l'héliocinégraphe de M. Arambourou. La catastrophe du Bazar de la Charité, le 4 mai, a peut-être porté un coup à ses activités, ou tout simplement, comme tant d'autres, il est probable qu'au bout d'un an la boucle soit bouclée, et il ne lui reste plus qu'à revenir à la photographie qui, en tout état de cause, constitue sa principale occupation professionnelle.

Répertoire (autres films) : Le Moulin à vent (Le Mémorial du Poitou, Châtellerault, 3 octobre 1896, p. 2 ), Les Lutteurs, La Jeune Armée (L'Écho de Châtellerault, Châtellerault, 3 octobre 1896).

à suivre...

 

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