TLEMCEN

Jean-Claude SEGUIN

Tlemcen, ville d'Algérie, compte 2568 habitants (1911).

1896

Le Cinétographe de M. Poordy (Théâtre, [13]-[18] novembre 1896)

L'appareil présenté par M. Poordy, bien moins connu à Paris qu'à Tlemcen semble-t-il est un cinétographe. S'agit-il de l'appareil construit par les frères Werner dont le moins que l'on puisse dire est qu'il imparfait ou bien du " kinétographe " Pathé, ce que semblerait confirmer le corpus de vues présentées ?  Toujours est-il que son propriétaire n'en est pas à son coup d'essai puisque l'appareil a déjà été présenté en Algérie. À Tlemcen, le cinétographe se glisse entre les deux parties du spectacle présenté par le professeur Marga, dans la salle du Théâtre :

Salle du Théâtre (Mairie)
[…]
Entre la première et la deuxième partie, les spectateurs pourront admirer pour la première fois, en cette ville, la dernière merveille du jour le CINÉTOGRAPHE, projections de photographies vivantes et animées donnant l'illusion complète du mouvement et de la vie ; cette partie du programme sera présentée par M. Poordy, le célèbre Ingénieur Constructeur Électricien, dont la Presse parisienne a tant parlé en ces derniers temps pour ses merveilleuses applications en matière de projection.
Nous pouvons assurer d'avance à ces artistes une salle comble. Espérons qu'ils voudront bien nous accorder quelques soirées.


Courrier de Tlemcen, Tlemcen, 13 novembre 1896, p. 2.

L'annonce ne nous livre rien sur le programme proposé et il y a fort à parier que son auteur n'est autre que le promoteur du spectacle. Bien plus intéressant est le compte rendu publié cinq jours plus tard. Le journaliste, dont on pourra apprécier la bienveillance, tente de faire bonne figure, même s'il doit reconnaître que les projections ont été défectueuses :

Le professeur Marga et le Cinétographe
Les comptes rendus élogieux de nos confrères avaient déjà préparé la voie à nos visiteurs lorsque leur appel engageant est venue décider une grande partie des habitants i voir leur genre de travail.
M. Marga est sans contredit un très habile prestidigitateur. Ses expériences sont présentées avec beaucoup de correction et de tact ; les petits boniments dont il les accompagne sont gentiment tournés.
Le chapeau, devenu magasin ou plutôt bazar inépuisable, la disparition des foulards, les pièces voyageuses sont des tours fort amusants ; mais nous avons eu la visite du Commandeur Cazeneuve, et, quand ce diable de petit homme a passé quelque part, les illusionnistes ont fort à faire pour émerveiller le public.
Par exemple, la Chambre enchantée du professeur Marga ne manque pas d'un certain intérêt ; mais le Baldaquin mystérieux avec Mlle Reine Desolange est infiniment supérieur au travail exécuté par Mlle Blanche.
Quant aux exercices de mnémotechnie, aux jours de la semaine trouvés sur une date donnée, plusieurs do nos concitoyens et de nos concitoyennes savent comment cela se pratique. En s'y mettant sérieusement, on arriverait à retrouver la Samedi, le Mercredi, le Vendredi, le Dimanche après une ou deux secondes de réflexion, à la volée, pourrions-nous dire.
Le talent de M. Marga, la prodigieuse mémoire de Mlle Blanche sont incontestables ; ils se sont présentés sur notre scène, malheureusement pour eux à la suite d'un voyageur qui ne laisse rien à faire après lui dans la physique amusante et la magie.
Passons maintenant au Cinétographe français mis sous nos yeux pour la première fois à Tlemcen par M. Poordy.
Les brûleurs d'herbes ont donné une idée de ces appareils absolument scientifiques lorsqu'ils sont bien installés et menés d'une main sûre sans le moindre dérangement.
L'assistance a pu admirer quelques autres tableaux comme par exemple : La ferme ; Le buveur de bière ; Le rémouleur ; Partie de Saute-mouton ; Salon de coiffure ; L'arroseur ; Le Tzar au bois de Boulogne ; Le quadrille de Grille d'Égout (en couleur) ; Place de la République à Paris.
Les autres projections sortaient avec des secousses, des frous-frous, des teintes sombres et embrouillées, de telle sorte que pour excuser les opérateurs, on était obligé d'invoquer la question du tâtonnement admissible jusqu'à un certain point dans une première exhibition sur une scène dont le délabrement dépasse toutes les prévisions des artistes nomades. Nous les excusons largement sur ce point, car il arrive souvent aux sociétés locales de ne pas savoir comment s'y retourner. Nous ne savons pas encore pourquoi M. Marga et sa compagnie nous ont quitté subitement lorsque nous comptions sur une série de divertissements. Dans tous les cas, comme ils n'ont pas eu le temps de faire aucun mal à Tlemcen, nous leurs souhaitons bon voyage et bonne chance.


La Tafna, Tlemcen, 18 novembre 1896, p. 2.

Heureusement que M. Marga est un bon prestidigitateur qui charme son assistance, car l'expérience cinématographique - semble-t-il placée un peu au dernier moment - laisse à désirer, non pas à cause des sujets plutôt variés qui sont proposés, mais en raison du " tâtonnement " de l'opérateur ou simplement son inexpérience. En ce qui concerne les vues animées elles-mêmes, il s'agit de films provenant très probablement du corpus Pathé. Les vues ont pu être achetées directement chez Pathé  ou chez un quelconque revendeur, comme la société Vitagraphe, ce qui pourrait expliquer que certains films semblent provenir d'autres éditeurs. Le cinématographe va poursuivre sa route et nous le retrouvons quelques semaines plus tard à Bougie.

Le Cinématographe Joly de MM. Prinsac et Vernet (Salle du Musée, 15-[20] décembre 1896)

Heureusement, les Tlemcéniens vont vite pouvoir se rattraper puisque, en décembre, un nouvel appareil vient leur présenter, dans des conditions bien meilleures, des photographies animées. Les itinérants Gaston Prinsac, son cousin Jean Prinsac et Louis Vernet parcourent l'Algérie et viennent de présenter des vues cinématographiques à Sidi-Bel-Abbès. Il s'agit là d'un appareil d'une toute autre qualité, un Joly-Normandin dont la caractéristique est d'utiliser des bandes filmiques de 5 perforations, ce qui permet aussi de les identifier. Le journaliste ne boude d'ailleurs pas son plaisir et s'amuse à les décrire :

Cinématographe
Hier à 5 heures du soir, ont commencé, dans la Salle du Musée, les merveilleuses expériences de cet appareil dont les effets déroulent l'intelligence au premier aspect.
C'est la vie prise sur le vif et rendue avec la plus saisissante réalité. On n'en croit plus ses yeux devant les tableaux qui nous ont été présentés.
Voyez, dans la Leçon de bicyclette, cette jeune femme qui ramasse une pelle après deux ou trois coups de pédale, se relève, remonte sur la machine qui chavire de nouveau, arrive enfin à prendre l'équilibre, et s'élance sur la piste, pendant que son dévoué professeur salue gracieusement le public.
Est-elle assez vivante la dispute entre le voyageur et le cocher ? Les coups de manche de fouet, les coups de canne pleuvent, jusqu'au moment où surgit le gardien de la paix qui emmène les combattants chez le Commissaire ? Et l'ivrogne donc, à la porte du débit où l'on lit en grosses lettres Bon vin d'Auvergne ! Comme il rase soigneusement les constructions !
A moi le mur et le pilier, Je ne trouve plus l'escalier ! Voilà le refrain qui vous arrive sur les lèvres en voyant la musique de ce pochard.
On voit passer une femme, sans doute la sienne ; il revient. Un rassemblement se forme ; le képi se montre et l'emmène.
Nous renonçons à analyser le 4me tableau ; cela nous prendrait toute une colonne du journal ; mais, nous affirmons que sa vue seule dépasser de beaucoup le modique prix d'entrée de 50 centimes ; La baignade est de tout point inénarrable.
Allez voir le Cinématographe ; ce n'est pas de l'argent perdu.


La Tafna, Tlemcen, 16 décembre 1896, p. 2.

Certains titres sont passés sous silence dont L'Arrivée du tsar à Paris et La baignade dont les titres figurent dans le programme du 18 décembre (Le Courrier de Tlemcen, 18 décembre 1896, p. 2). Dans ce même journal, on annonce également le départ de l'appareil :

Le Cinématographe
Nous ne sommes pas encore assez versés en la matière pour expliquer à nos lecteurs la différence qui existe entre les éléments de cet appareil et la composition du Cinétographe dont on nous a fait une récente et malheureuse exhibition.
D'ailleurs, les dispositions ne sont plus les mêmes ; la machine électrique qui active les tableaux est placée dans le compartiment réservé pour la buvette, et l'écran se trouve à peu de distance. Une soixantaine de places seulement demeurent disponibles pour chaque exhibition auxquelles le public est admis à assister moyennant 50 centimes.
Jusqu'à ce soir où elles seront changées et augmentées les photographies animées représentaient : 1º La Leçon de bicyclette ; 2º Le cocher et le voyageur ; 3º Le pochard et le mastroquet ; 4º L'arrivée du tsar à Paris et enfin, le coup de grâce pour les regards littéralement ahuris de l'assistance, 5º La baignade.
*
La salle du Musée devant être laissée Dimanche soir à la disposition de l'Harmonie Tlemcenienne, le Cinématographe fonctionnera ce jour-là pendant l'après-midi à partir de 2 heures et demie.
Avis aux retardataires.


Le Courrier de Tlemcen, 18 décembre 1896, p. 2.

L'occasion également pour le journaliste de dire combien les projections du cinématographe Joly sont bien supérieures à celle du cinétographe. Peu après, les opérateurs rejoignent Mostaganem

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