Maurice LAFONT

(Pionsat, 1838-Paris, 1914)  

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Justin, Napoléon Lafont (Carcassonne, [1805]-Quimper, 02/06/1871) épouse Dauphine, Sophie Collier ([1812]-Levallois-Perret, 09/07/1891). Desecendance :

  • Claude, Marie, Maurice Lafont (Pionsat, 14/06/1838-Paris 17e, 12/02/1914) épouse (Paris 17e, 05/05/1881) Marguerite, Pauline Thiers (Saint-Saulge, 10/01/1833-Paris 17e, 12/01/1908).
  • Marie, Germaine Lafont (Le Bugue, 25/12/1843-)
    • épouse (Paris 9e, 17/07/1883) Jacques, Camille Guibout (Château du Loir, 10/12/1827-≤1897)
    • épouse (Ligré, 09/12/1897) Charles, Albert Hanss (Restigné, 20/04/1845-).

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Les origines (1838-1895)

Fils d'un receveur des contributions indirectes, Claude, Marie, Maurice Lafont est installé à Paris depuis les années 1860. C'est par l'intermédiaire de son beau-frère, Édouard Thiers, un ami d'Antoine Lumière,  qu'il va rentrer en contact avec ce dernier. Auguste Lumière évoque cette figure familière :

De cette époque, la figure qui nous est demeurée la plus vivace et la plus fraîche à la mémoire est celle du capitaine Thiers. Jeune encore, il était auréolé de la gloire qque luii avait value la défense de Belfort, à laquelle il avait héroïquement collaboré, aux côtés de Denfert-Rochereau.


VIGNE, 1942: 38.

Le Cinématographe (1896-1901)

La salle du 6, boulevard Saint-Denis (Paris, avril-octobre 1896)

À Paris, c'est le père, Antoine Lumière, qui fait la pluie et le beau temps. Il a pour collaborateur Clément Maurice, avec lequel il gère les affaires du cinématographe dans la capitale. Afin de pouvoir répondre à l'intérêt que soulèvent les séances du nouvel appareil, il fait appel à Maurice Lafont :

Mon frère et moi nous n'étions pour rien dans l'exploitation du Cinématographe à Paris. Mon père, après l'avoir confiée à Clément Maurice, y intéressa M. Lafont. C'était le beau-frère d'un ami de mon père, le capitaine Thiers, député du Rhône, qui avait été le bras droit du colonel Denfert-Rochereau au siège de Belfort et qui avait voyagé en Abyssinie.


SADOUL, 1985: 83.

Le succès remporté par le cinématographe Lumière, au Grand Café, dès le 28 décembre 1895, puis celui de la salle du cinématographe, au premier étage de l'Olympia (28, boulevard des Capucines), inaugurée le 22 mars 1896, va conduire Antoine Lumière à envisager l'ouverture d'autres salles. Une autre aux magasins Dufayel, en avril, et celle de la porte Saint-Martin, 6, boulevard Saint-Denis, " ouverte par M. Lumière père, avec M. Lafond [sic] comme directeur " (Coissac, 1925, 356) :

En présence de l'affluence toujours croissante des spectateurs, l'administration du Cinématographe Lumière a eu l'idée d'ouvrir une nouvelle salle et, dans le but de rendre populaire cette merveilleuse invention, c'est dans un quartier très fréquenté, prés de la Porte Saint-Martin, que cette salle a été installée.
Le prix d'entrée en a été fixé à cinquante centimes pour une série de six scènes.


Le Figaro, Paris, 4 mai 1896, p. 4.

Au préalable, le lieu a été occupé par la "Brasserie du Colosse" où se donne en spectacle, depuis le mois de décembre 1895, l'homme le plus gros du monde... paraît-il. La presse mondiale se fait d'ailleurs l'écho de ce personnage hors du commun, un colosse suisse (St Louis Post Dispatch, Saint Louis, 22 décembre 1895, p. 20.).

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Le Photo-programme, 1895-1896

1896cannonberg3" Henri Cannon-Berg "
La vie au grand air, Paris, 9 mars 1902, p. 155.

Paris possède le plus grand phénomène du siècle, Cannon Berg du poids de 260 kilos. Ce colosse aura à ses côtés, à partir du 5 février, la femme la plus lourde du monde, Carmen Rigeo, âgée de vingt-six ans, pesant 212 kilos. Voilà le couple que tout Paris viendra voir à la Brasserie du Colosse, 6, boulevard Saint-Denis.

L'Attaque, Paris, 2 février 1896, p. 1

C'est d'ailleurs vers le mois d'avril, que le colosse va ouvrir une brasserie à la foire du Trône, 279, boulevard Voltaire. L'occasion de récupérer les lieux du boulevard Saint-Denis et d'y installer un cinématographe. Ce que l'on peut constater c'est que la publicité faite sur ce cinéma reste assez discrète, par rapport aux autres salles. 

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Le Cinématographe Lumière de la porte Saint-Martin, 6, boulevard Saint-Denis (10e)
© Bernard Chardère, Les Images des Lumière, Paris, Gallimard, 1995

Maurice Lafont va ainsi s'occuper de la salle jusqu'à son départ pour l'Amérique où il va se charger des affaires du cinématographe Lumière outre-Atlantique.

La concession américaine et la Lumiere Agency (novembre 1896-[juin] 1897)

Maurice Lafont va se rendre aux États-Unis, vers la fin de l'année 1896. Il arrive, par La Champagne, le 11 novembre, à  New York où il reprend la concession gérée depuis le mois de juin par M. Hurd. Si l'on en croit les souvenirs de Félix Mesguich, Maurice Lafont a certaines difficultés car " ignorant malheureusement la langue anglaise, tout autant que la mentalité et l'état d'esprit des Américains chez eux.". Il doit faire face à des " menaces de poursuites judiciaires " pour lesquelles il ne semble pas préparé. 

1897newyorkcinematograpepublicite 1897usacinematographe
The World, New York, 24 janvier 1897, p. 15 The New York Clipper, New York, 30 janvier 1897, p. 769.

Au sein même de la Lumière Agency, il doit régler certaines manoeuvres frauduleuses de l'un de ses employés qui a détourné une centaine de films pour les revendre. Ce dernier est arrêté ainsi que le rapporte The Brooklyn Daily Eagle :   

PICTURES IN DISPUTE
Cinematographe Films Alleged to Have Been Stolen by a Clerk.
A dispute over the ownership of 98 films for use in Lumiere’s cinematograrphe led this morning to the arrest of Francis J. Patet, aged 29 years, a Frenchman and a clerk who was formerly employed by the cinematographe company. The complaint against the prisoner was made by Maurice La Fond of 13 East Thirty-first street, New York. The films cover a number of subjects and are valued at $1,000. Patet lives at 69 Hight street, in this city, and he was arrested this morning by Detective Sergeant Roche of the central office squad. According to the statements of the complaints Patet was employed by the company and his connection terminated in November last. At that time there was a disput over the possession of a cinematographe machine and Patet was summoned before Justive Walsh to explain what had become of it. He said that he had it at the depot of the West Shore railroad in Weehawken, and on his promise to surrender it the proceedings were dropped.
Recently, Mr. Lafond alleges, the company discovered that ninety-eight films of the positives used in the machine had disappeared and later they found that Patet had been offering one of the rolls, showing a scene in the Jardin des Plantes, Paris, to D. Petri Palmeda, who lives on Wyckoff street, at a price that was much below the real value of the roll. Mr. Palmeda reported the matter to the superintendent of the company and said that Patet had indicated to him that he had sixty more of the films for sale. The result of all this was that proceedings were taken to have Patet arrested. The accused was taken before Justice Walsh and held pending an investigation. He declares that he did not steal any of the films and alleges that he is a member of the firm and that the ownership of the properly is in dispute. He denies that he has or at any time had as many as ninety-eight of the films.


The Brooklyn Daily Eagle, New York, 28 mars 1897, p. 2.

Cette affaire révèle que le système des concessions mis en place par les Lumière est sans doute trop complexe et que Maurice Lafont est probablement dépassé par les événements. Il tente d'ailleurs de défendre le cinématographe fasse aux pressions et déclarations diverses dont celles de C. Francis Jenkins revendiquant l'invention du  Vitascope ou Phantoscope, affirmant que le cinématographe est une invention antérieure et que les autres appareils ne sont que des imitations :

I would be grateful to the editor of this article if the answer the Vitascope Company, in the name of Lumiere & Son's Cinematographe, that this machine is the first invented and the only perfect apparatus for photographing life motion, and has been thus acknowledged all over the word. The Vitascope, Biograph, Phantoscope, and all the other " graphs " and " scopes " of which the Vitascope Company speaks, are but imitations of more or less merit. The Cinematographe has been on sale since April Ist, and it dawns upon us that the Vitascope Company, hearing of the numerous sales last month, think to cool the ardor of possible buyers by stating that they will soon control all patents, and be able to throw out of the country the first animated-photographic machine.


The Phonoscope, New York, vol. 1, nº 6, May, 1897, p. 8

Toujours est-il que la situation se dégrade progressivement et Maurice Lafont doit faire face à des menaces de type judiciaire :

Harcelé par des menaces de poursuites judiciaires, mal préparé à cette lutte qui aurait exigé un cran exceptionnel, M. Lafont se montre très irritable. Il jure toute la journée contre l'Amérique et ses habitants, et ne me laisse plus quitter New York où, m'assure-t-il, les services que je puis rendre sont plus précieux que l'installation des postes de province.


MESGUICH, 1933: 14. 

Félix Mesguich s'attache à expliquer que "  la douane américaine " considère que la présence des appareils Lumière et du matériel n'est plus légale. Les choses s'enveniment, en particulier pour Maurice Lafont qui, en tant que concessionnaire Lumière, est tenu pour responsable de l'introduction,  considérée comme frauduleuse, du cinématographe sur le sol américain :

Une indiscrétion le prévient qu'un mandat d'arrêt va être lancé contre lui. Craignant, à tort ou à raison, pour sa sécurité personnelle, il se résigne à s'éloigner furtivement.
Le 28 juillet, je l'accompagne dans un canot au large de l'estuaire de l'Hudson. L'attente est longue ; enfin un transatlantique battant pavillon français stoppe " par ordre spécial " et l'échelle du paquebot descend pour embarquer clandestinement M. Lafont, réprésentant des frères Lumière, en route pour la France.


MESGUICH, 1933: 15-16.

Faut-il croire cette histoire rocambolesque ?... Nous n'avons guère le choix, mais cela met un terme à l'expérience américaine de Maurice Lafont.

Le Cinématographe Lumière (Paris, 6, boulevard Saint-Denis) ([juin] 1897-1901)

À son retour à Paris, Maurice Lafont va reprendre la direction du  cinématographe de la Porte Saint-Martin. En son absence, nous ignorons qui s'est occupé du cinéma, peut-être son épouse qui n'a pas fait le voyage à New York. Il va, occasionnellement tourner dans quelques films Lumière supervisés par Alexandre Promio.

Dès mon arrivée à Paris, je rends visite à mon ancien directeur de New York. À l'entrée de son établissement au nº 6 du boulevard Saint-Denis, en présence d'un contrôleur de l'Assistance publique, M. Lafont s'extasie devant un nouveau tourniquet-compteur qui doit lui économiser un employé. Le contraste m'afflige de cet homme qui s'attache ici à de si petites choses, alors que là-bas, aux États-Unis, c'est le confort du  spectateur, la magnificence des salles, l'importance de l'entreprise qui intéressent surtout le "manager".
À peine M. Lafont m'a-t-il aperçu qu'il s'écrie : "Ah ! Mesguich, New-York, New-York !" et, bien que la représentation soit en cours, il fait arrêter l'orchestre pour raconter "comment dans la baie d'Hudson, un transatlantique s'est arrêté pour le recevoir, et comment il a brûlé la politesse aux Américains qui voulaient l'enchaîner".


MESGUICH, 1933: 17-18.

Grâce à Félix Mesguich, nous avons quelques informations relatives à la salle gérée par Maurice Lafont. Pour le reste, le succès ne se dément pas et les projections se succèdent sans autre information significative.

En novembre 1899, une anecdote assez singulière et savoureuse va donner lieu à une sorte d'émeute accompagnée de sacage comme le rapporte la presse quelques mois plus tard, en rendant compte du procès civil qui s'en est suivi : 

Chronique des Tribunaux
Pour un geste de curiosité
Un amusant petit procès civil mettait hier en cause devant les magistrats de la sixième chambre du tribunal civil la femme d'un couturier connu, Mme Richard King et M. Lafont, directeur du Cinématographe Lumière.
La scène remonte au 1er novembre 1899.
Ce soir-là, Mme King assistait à une séance de projections dans la salle du boulevard des Capucines [sic]. Mais comme à un moment donné, elle ne voyait pas très bien de la place où elle se trouvait assise, elle s'était accoudée sur son fauteuil, se haussant de façon légère. Le visage de Mme King qui, entre parenthèses, est une fort jolie femme, se réfléta sur le tableau de projections et personne ne songeait à s'en plaindre, lorsqu'un agent de police tirant vivement notre trop curieuse spectatrice par le bras, reçut une admonestation du mari. Des propos assez vifs furent alors échangés, et le public, que cet incident finissait par agacer, aggrava la scène par ses protestations. Bref, une bagarre s'ensuivit, les petits bancs voltigèrent, des coups de cannes furent échangés, des tableaux furent crevés, des fauteuils éventrés.
On fut forcé de rendre la recette et le théâtre ne fonctionna plus de la soirée.
C'est à la suite de ces faits que le directeur, M. Lafont, assigna Mme King et son mari en paiement d'une indemnité qu'il estimait à deux billets de millle francs.
À l'audience, où l'affaire revenait après enquête, les témoins entendus ont bien déclaré avoir reçu quelques contusions et vu crever des tableaux, mais en somme, à qui la faute ?
Très perplexe, et pour cause, le tribunal, après avoir entendu la plaidoirie de Me Le Barazer pour Mme King, a débouté le directeur du Cinématographe de sa demande et l'a condamné aux dépens de son procès.
Tout de même, voilà un geste de curiosité qui a failli coûter cher à son auteur !


 Le Journal, Paris, 13 novembre 1900, p. 3.

Cette saynète offre une image de l'atmosphère qui peut parfois régner dans ces salons cinématographiques... Quant au succès public, il ne n'est jamais démenti. Au cours des années d'exploitation, c'est la salle la plus fréquentée de tout Paris avec les meilleures recettes. C'est à la fin de l'année 1901 que Maurice Lafont va vendre finalement son cinéma à Chaix et Joliot. Il semble s'être retiré définitivement des affaires. Il disparaît à la veille de la Première Guerre Mondiale.

Sources

MEUSY Jean-Jacques, Paris-Palaces ou le temps des cinémas (1894-1918), Paris, CNRS Editions, 1995, 564 p.

SADOUL Georges, Lumière et Sadoul, Paris, Lherminier, 1985, 280 p.

VIGNE Paul, La Vie laborieuse et féconde d'Auguste Lumière, Lyon, Imprimerie Durand-Girard, 1942, 440 p.

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