Katsutarō INABATA

(Kyoto, 1862-1949)

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Jean-Claude SEGUIN

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Katsutarō Inabata (Inahata) (Kyoto, 30/10/1862-29/03/1949). Descendance:

  • Jiro Inabata, et deux filles.
  • fille.
  • fille.

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Les origines (1862-1895)

Fils d'un propriétaire d'un vieux magasin de wagashi (pâtisserie traditionnelle japonaise) de Kyoto il fait ses études à la Kyoto-fu Shihan Gakkō, obtient une bourse pour parfaite sa formation et part, à l'âge de quinze ans, avec son professeur, León Dury et sept autres étudiants, à Lyon, pour poursuivre ses études à l'école La Martinière, un établissement tout à fait nouveau pour l'époque. L'un de ses condisciplines n'est autre qu'Auguste Lumière, avec lequel il se lie d'amitié.

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Anonyme, Léon Dury et ses élèves japonais, c. 1870-1877
© Paris, musée Guimet - musée national des Arts asiatiques

De 1877 à 1885, il étudie le tissage et la technique de la teinture et finit ses études pratiques chez MM. Guinon, Marnas, Bonnet, célèbres teinturiers lyonnais. Dès son retour à Kyoto, Inabata dépose un brevet pour une "nouvelle disposition de machine à teindre et à laver les textiles en écheveaux" (Brevet de quinze ans, nº 187333, 1er décembre 1887, Inabata représenté par Péguin, rue Constantine, nº 8, à Lyon) et devient directeur de l'Usine Préfectorale de Teinture de Kyoto (1888), mais remercié peu après, il crée sa propre entreprise, l'Inabata Senryōten (1890) qu'il déplace postérieurement à Osaka.

Le Cinématographe Lumière (1896-1897)

Katsutarō Inabata, qui a toujours maintenu ses bonnes relations avec la France, revient en 1896 pour une mission économique en Europe :

Le Japon commercial, après le Japon diplomatique. M. Katsoutaro Inabata un des plus grands industriels de Kioto et d'Osaka est de passage à Paris, chargé par un groupe important de commerçants et d'industriels de son pays d'une mission économique en Europe. M. Inabata qui est un ancien élève de nos écoles, et que de vives sympathies attachent à la France, se propose de visiter nos principaux centres manufacturiers afin de créer à nos produits de nouveaux débouchés au Japon.


Gil Blas, Paris, 23 mai 1896, p. 2.

Depuis déjà plusieurs mois, le cinématographe est devenu le spectacle à la mode et, reprenant contact avec les frères Lumière, il est informé sur les évolutions techniques de la projection animée et devient ainsi le concessionnaire du nouvel appareil pour le Japon et emporte avec lui plusieurs cinématographes, mais également le cinématographiste Constant Girel qui a déjà fait ses preuves en Allemagne et en Suisse. Lorsque Inabata embarque, à Marseille, le 29 novembre, à bord du Natal, destination le Japon, il précède le Français de quelques jours, car ce dernier monte à bord du Polynésien, à destination de l'Australie, le 6 décembre et retrouve le nouveau concessionnaire à l'occasion d'une escale à Colombo. Finalement, ils arrivent à Kobe, le 9 janvier 1897 et rejoignent Kyoto, ville d'où est originaire Katsutarō Inabata.

Au Japon, le décès de l'impératrice douairière Eishō, le 11 janvier 1897, va contrarier les plans de Katsutarō Inabata et de Constant Girel, car les distractions sont alors interdites. Les deux hommes doivent attendre le mois de février pour reprendre leurs activités. D'après les déclarations d'Inabata, les premiers essais ont lieu dans le jardin de la compagnie électrique de Kyoto, sans doute entre le 11 et le 14 février 1897, et attire déjà une foule de curieux. La première a lieu, à Osaka, au théâtre Nanchi-Enbujō, dans le quartier des plaisirs de la ville, le 15 février 1897, sous l'égide d'un impresario de spectacles forains, Benjiro Okuda.

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 Studio Shin-e-Do, Kinbei Kusakabe, Osaka, rue des théâtres
© BNF

Le journal d'Osaka, le Mainichi shinbun, évoque, dans son édition du 16 février 1897, sous le titre "Nanchi Enbujō no shinematogurafu" cette séance inaugurale :

C'est un Français, LUMIERE, qui a inventé le cinématographe, procédé plus avancé que la photographie et qui montre le changement des choses dans chaque instant… Cela vaut la peine de le voir une fois.


Mainichi shinbun, Osaka, 16 février 1897. (cité dans KOGA, 1999)

On y apprend qu'une dizaine de films ont été projetés dont Arrivée d'un train à Battery PlacePlace de l'OpéraLabourageBarque en merLe Couronnement du Czar... Les séances vont se prolonger jusqu'au 28 février d'après le Mainichi shinbunPar la suite, d'autres projections sont organisées, non loin d'Osaka, à Kobe. Dans un courrier adressé aux Lumière, Inabata fait valoir les difficultés qu'il a recontré pour demander un prolongement de sa concession et par la même occasion, il envisage au-delà de racheter le matériel :

Bref au lieu de commencer nos représentations au mois de janvier comme je comptais, je n’ai pu marcher que au mois de mars c’est-à-dire au moins 2 mois de retard à cause de toutes sortes de difficultés et imprévus. Je viens donc par la présente vous prier de me prolonger la durée dec oncession au moins encore deux mois pour compenser ce temps perdu. C’est-à-dire au lieu du mois de mai au juillet. Après le terme des concessions, autorisez-vous à vendre ces appareils qui ont servis, et à quel prix devrais-je vendre ? quel serait également le prix de vente de pellicules ?


Katsutarō Inabata, Kyoto, 18 mars 1897.

Deux autres cinématographes Lumière commencent, de façon presque simultanée, leurs séances, dans la région de Kantō. Le premier appareil, confié par Inabata au frère d'un ami, Yokota Einosuke, pour son exploitation, inaugure ses séances au théâtre Kawakamiza de Tokio, le 8 mars 1897. Yokota Einosuke fonde plus tard la Yokota Shōkai, une des premières sociétés de production cinématographique du pays. Le second appareil, commercialisé sous le nom de Yoshizawa, offre ses premières vues animées, au théâtre Minatoza de Yokohama, le 9 mars 1897.

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Théâtre Kawakamiza, Tokio, c. 1900 [D.R.]

Toujours dans le même courrier du 18 mars 1897, Inabata fait étalage des difficultés qu'il rencontre dans l'exploitation de ses cinématographes et évoque en outre la question de la concurrence :

Nous devons, moi et Girel, vous dire que dèsNous devons, moi et Girel, vous dire que dèsle début, nous avons eu quelques déboires, nousétions arrivés au milieu du mois Janvier et lesconcurrents américains étaient venus presque enmême temps au Japon, à Tokyo, à Osaka etmême à Yokohama (concurrent français).


Katsutarō Inabata, Kyoto, 18 mars 1897.

L'intérêt d'Inabata pour le cinématographe décline-t-il ?. Constant Girel, qui réside à Tokyo, revient pourtant à Kyoto, en septembre 1897, pour filmer, avec Inabata, un acteur japonais. Il se laisse également enregistrer sur la pellicule, dans Repas en famille, où il pose avec toute sa famille. En octobre, Inabata et Girel continuent de travailler ensemble comme en témoigne un courrier daté du 8 octobre 1897 où il propose aux Lumière un prix d'achat sur lequel il ne semble pas vouloir nécogier :

J’ai l’honneur de vous soumettre sous ce plis la somme de fr. 7000 (sept mille) pour Lyon.
Soit pour le paiement de 4 appareils fr. 6000 et avec des accessoires pour l’acompte fait de fr. 1000. Je regrette cependant de vous dire que je ne peux pas accepter le prix de pellicules 10625 fr. car il y a beaucoup de quantité de pellicules qui ne valent rien à cause d’usure de plus il y a également des vues doubles, des vues qui ne sont pas goûtées par le public japonais.
Si vous pouviez me laisser le tout au prix de fr. 6000 je l’accepterai de prendre à mon compte pour ne pas vous redonner tout ce que vous avez bien voulu m’envoyer. Sinon, j’en garderai quelques dizaines seulement et je me permettrai de vous en retourner. Monsieur Girel qui est le témoin occulaire vous en prouvera dans quelle état sont ces pellicules.

[...]
Comme Monsieur Girel va quitter le Japon au mois de novembre prochain, je vous serai fort obligé de bien vouloir me répondre par le cable si vous pouvez me laisser ces pellicules au prix de fr. 6000 par le mot : OUI ; dans le cas contraire le mot : Non.


Katsutarō Inabata, Kyoto, 8 octobre 1897.

En tout état de cause, Inabata va vite passer la main et les affaires du cinématographe pour se consacrer a ses activités professionnelles.

Et après... (1897-1949)

Après avoir travailler dans l'importation de colorants, il connaît le succès avec l'ouverture d'un atelier de teinture à Osaka, précisément en 1897. Le colorant kaki des uniformes militaires est adopté par l'armée de terre pendant la guerre russo-japonaise (1904-1905). Il est déjà une importante figure de l'industrie japonaise :

M. Inabata à son retour de France prit à cœur de faire connaître la qualité vraiment supérieure des matières colorantes françaises et il ne négligea rien pour permettre à ses compatriotes de profiter des leçons de ses maîtres Lyonnais. L'industrie japonaise a pris de plus en plus l'habitude de faire usage des produits français. Aujourd'hui M. Inabata est le représentant au Japon de plusieurs grandes maisons d'Europe.


(Ganesco, 1905, p. 51)

Après la Première Guerre Mondiale, Inabata va avoir un rôle décisif dans les relations internationales entre le Japon et le monde occidental. Vice-président de la chambre de commerce, il est également délégué du ministère de l'agriculture etr du commerce du Japon, mais il a égament des responsabilités diplomatiques.

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LE CHEF DE L'ARMÉE TCHÉCO-SLOVAQUE EN SIBÉRIE
Le général Stéfan (1) commandant l'année tchéco-slovaque, traversant la Sibérie, et le général français Janin (2) ont été reçus par M. Inabata (3), représentant du Japon.
Le Miroir, Paris, 26 octobre 1919, p. 8-9.

Élu président de la chambre de commerce (1922-1934), il entreprend un long voyage (1926-1927) en Asie et en Europe comme représentant du monde des affaires du Japon. Il s'emploie en outre à l'essor des relations franco-japonaises et participe à la fondation de l'Institut franco-japonais du Kansai (1927) à Kyoto. Nommé à la Chambre des Pairs, il est également Grand Officier de la Légion d'Honneur , Sénateur inamovible, Premier délégué du Japon à la conférence internationale du Travail (1927)...

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M. Inabata, Président de la Chambre de Commerce d'Osaka
Paris-Soir, Paris, 24 juin 1934, p. 3

En 1944, les biens français de l'Inabata & Cie Ltd sont mis sous séquestre. Il décède en 1949.

Sources

BOEHM-GIREL Denise , "Un opérateur des Lumière" dans L'Aventure du Cinématographe, Lyon, Aléas, 1999.

Daitōrō Shujin, Jidō shashinjutsu, NISHIDA Teiichi, 1897.

DYM Jeffrey A., "Benshi and the Introduction of Motion Pictures to Japan" dans Monumenta Nipponica, Vol. 55, No. 4., hiver 2000, pp. 509-536.

GANESCO Fernand, Japonettes, Saïgon, 1905, 54 p.

INABATA Katsutarō, Courriers. 1. 18 mars 1897. 2. [16] avril 1897. 3. 1er juillet 1897. 4. 8 octobre 1897. [Inabata & Co., Ltd]

 INABATA Katsutarō, Ōa ni tsukaishite, Nihonhyōronsha, 1929.

KOGA Futoshi, "L'Introduction du cinématographe au Japon" dans L'Aventure du Cinématographe, Lyon, Aléas, 1999.

TSUCHIYA Tomisaburō, Jitsuyō futsukoku senhō, Inabata shōten, 1903.

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